9-Paris-Chantal Hagué"les Zigs et les Zags du temps du sujet

Les interventions jusque-là ont tourné chacune autour de la question de l’Unbewusste, pas seulement en tant que bévue mais en tant que réel, et nous en étions restés au fait qu’il n’y a pas d’originaire et que le symbolique est troué. Ces notions évidemment orientent forcément notre rapport avec la temporalité dans nos cures.

C’est dans cette direction de la temporalité de nos cures que mon propos ce soir va se diriger et plus précisément le temps du futur antérieur.

Donc, même si les processus inconscients sont intemporels, il y a une temporalité spécifique au sujet, selon la logique du signifiant. L’inconscient ignore le temps comme la mort, mais le sujet, lui, est pris dans une temporalité dans laquelle il s’agit d’introduire de la discontinuité.
C’est ce que Lacan appelle “une étrange temporalité”. L’inconscient ce n’est pas seulement du passé qui se laisse entrevoir, ce n’est pas seulement l’émergence de tel ou tel fragment du passé, c’est beaucoup plus radical, c’est plutôt le fait que brusquement quelque chose survient dont on ne voit pas bien ce que ça fait dans la série temporelle. C’est cela même le clignotement temporel de l’inconscient. Cette façon que notre temporalité a d’être parasitée littéralement par quelque chose comme une autre temporalité. Avec d’un côté ses va et vient, hors chronologie, entre présent, passé et futur et de l’autre, ses effets de coupures, il s’agit en quelque sorte, pour le sujet, d’une maille temporelle selon un type de nouage entre continuité et discontinuité.

Dans le titre je parle de zigzags, et inutile de vous dire que ces zigs et ces zags sont aussi les miens dans les méandres de ce travail que j’ai essayé de tenir à travers les temps du sujet dans son rapport aux temps dans la psychanalyse et à la psychanalyse dans son temps.

La dernière fois, quand j’ai annoncé le titre, on est venu me dire qu’il existait, du temps de notre enfance, une bande dessinée appelée Zig et Zag, je n’en avais aucun souvenir, un autre a dit non c’était Zig et Pouf, quant une troisième proposait Zig et Puce. La dimension infantile présente dans ce titre, à mon insu, a circulé manifestement entre nous.
Qui sont donc Zig et Zag ? Je suis allée voir sur internet et j’ai trouvé la couverture d’un album. Il s’agit de deux chimpanzés jumeaux qui font des bêtises. Dans un premier temps, ils apparaissent identiques et ce n’est que dans un deuxième temps, que je les ai perçus comme des faux jumeaux, une fille et un garçon, tant les signes distinctifs se laissent à peine entrevoir dans le dessin (un fin col rouge par ci et une petite chaussette bleue par là)
Premier Zag dans un passé qui remonte loin, au temps des tous débuts de la différenciation sexuelle, au moment de son émergence pour le sujet.

A propos de l’enfant, même si Lacan, dans le rapport de Rome, critique un certain simplisme basé sur une conception développementale, et met l’accent sur le langage, la dimension temporelle est naturellement présente dans la construction psychique de l’enfant. En effet n’est-ce pas ce qui, loin d’être donné là d’emblée, se construit progressivement dans le temps au cours de la croissance de l’enfant et n’est-ce pas cette métaphorisation, en somme, qui est retravaillée dans la cure, chaque sujet devenant l’historien de sa propre histoire ? J’y reviendrai.

Dire a quelque chose à voir avec le temps. Parce que la notion de temps comporte à la fois une dimension de déroulement (un commencement et une fin) et une dimension de transformation (un changement qui fait qu’il n’y a plus d’identique).
Ce temps qui se noue au dire est le temps nécessaire pour que quelque chose de l’être accède à la parole, au parle-être. Il faut du temps pour que «l’inconscient s’articule à ce qui de l’être vient au dire. ». Ainsi le temps fait question pour l’être parlant, pour l’être-pour-la-mort.

Face à un temps qui nous échappe, il y a donc toutes les tentatives subversives de temporalisation faites par le sujet pour « coloniser » ce réel du temps, tenter un peu de l’ordonner, de le rendre intelligible ou de s’en servir.

Il y a tout d’abord le temps qui passe même si on ne le voit pas passer, dimension du hors temps à laquelle l’analysant est confronté durant le temps de la séance, hors temps qui évidemment n’est pas sans rappeler l’atemporalité de l’inconscient.
Pas de dimension chronologique, plutôt une dimension en boucles du fait de la répétition, dans un rythme fait d’éclairs et d’interruptions et parfois de longues stagnations.
Ainsi donc, si le réel éternise en quelque sorte le temps, la temporalité du sujet établit, par des liens signifiants, passé présent et avenir, de manière soit cyclique, soit linéaire soit en couches feuilletées qui se chevauchent.

Cette question du temps est centrale par rapport aux rêves.
Le rêve rassemble des fragments d’idées étalés en un « rapprochement dans le temps et dans l’espace, à peu près comme fait le peintre qui représente des poètes groupés sur le Parnasse… ». Par exemple, on peut se voir dans un rêve, à l’âge que l’on a actuellement et, grâce à un signifiant découvrir qu’il s’agit de soi au temps de l’adolescence, temps qui peut se superposer à un temps plus reculé encore.

Sur la question du futur, c’est plus net encore si l’on reprend l’histoire des conceptions du rêve. On a cru tout d’abord, depuis la mythologie, à son caractère prémonitoire. C’était un message envoyé par les dieux pour annoncer l’avenir. Ensuite, la psychologie en a fait quelque chose de plus banal, le rêve est lié à des sensations externes et internes. Freud, lui, en a fait quelque chose de très original : oui les rêves parle d’avenir, mais pas exactement de ce qui va arriver.
A la vieille notion populaire selon laquelle le rêve nous parle d’avenir, de ce qui va se réaliser, Freud répond que oui elle est fondée, on a raison en somme d’y croire, simplement l’avenir dont on nous parle, ce n’est pas l’avenir qui va se réaliser, c’est l’avenir qu’on voudrait qu’il se réalise, c’est le désir d’avenir qu’on a en soi, c’est un désir d’avenir ancien.
Freud a cette formule : « le rêve, c’est comme un commencement d’avenir qui parle du passé » c’est-à-dire que les rêves ne nous parlent pas de ce qui va arriver mais de ce qui nait en nous.
Et la dernière phrase de la Tramdeuntung : « le rêve n’est pas une voie de connaissance de l’avenir mais d’une connaissance du passé. »
Pour Freud, donc, il s’agit d’une réflexion non métaphysique. Il reprend là d’ailleurs, en partie, une conception très ancienne qui était celle de Platon ou d’Aristote. Aristote disait aussi qu’il n’y avait rien de surnaturel dans le rêve et que l’avenir présent dans le rêve, c’était comme lorsqu’on regarde un ciel, il peut y avoir des signes de pluie et que, à cause d’autres événements, la pluie n’arrive pas.
Platon lui disait que les rêves représentaient la partie la plus animale, la plus sauvage de l’âme qui resurgissait pendant notre sommeil, avec ses désirs inassouvis.
Il s’agit donc là d’une idée profondément originale et même révolutionnaire, et en même temps une synthèse avec les préoccupations qui agitent l’humanité depuis les temps les plus anciens.

Le rêve met en jeu la question du désir, en tant qu’il est à la fois sourcé dans le passé où il a cherché à se satisfaire et à la fois tourné vers l’avenir où il cherche toujours à se satisfaire. Et Freud termine la Tramdeuntung là-dessus « A cet avenir que le rêveur prend pour le présent, l’indestructibilité du désir donnera un visage à l’image exacte du passé. »

Cette a-temporalité de l’inconscient, c’est ça, c’est celle de l’indestructibilité du désir. Rappelons-nous de cette autre définition de Freud, très poétique, sur la fantaisie diurne : ce « temps mêlé » où « passé, présent et avenir sont comme enfilé
s sur le cordeau du désir qui les traverse » (Freud, 1908a).

Il y a donc, un temps qui passe et, en même temps, un temps qui ne passe pas.
Selon une bande de Moebius, le sujet est pris dans cette double temporalité.

Le temps de la cure, c’est donc la référence à toutes ces dimensions en jeu et les questions de la fréquence des séances, de leur durée, des interruptions et des reprises de cure sont évidemment à prendre en compte en tant que tempo du sujet.

L’inconscient opère sur le mode du surgissement mais il ne faut pas oublier que le temps qui précède le surgissement est souvent très long. Le chemin est long entre le temps de comprendre et le temps de conclure. Réordonner les contingences passées, donner un nouveau sens et passer par le hors sens, autant d’opération pour permettre au sujet de renouer différemment symbolique et réel, n’est possible que si l’on y met le temps qu’il faut. Ce n’est qu’après un long détour que peut advenir pour le sujet le moment de conclure.

Ces longs détours sont évidemment en contradiction avec l’offre actuelle d’un temps en accéléré. Les nouvelles technologies de communication nous entrainent dans l’illusion de saisir l’événement sans délai, en temps réel. La vitesse de transmission de l’information donne le sentiment d’un collapsus du temps où disparaîtraient la temporisation et l’après-coup. C’est aussi le temps des thérapies brèves.

Mais la psychanalyse a toujours eu ses détracteurs et, dès sa naissance, il y a toujours eu des polémiques. Parce que l’inconscient, dans sa logique si particulière y compris avec cette notion d’atemporalité, est venu chambouler tous les autres discours, qu’il soit psychologique, philosophique ou scientifique.

A ce propos, je vous propose un autre grand zag dans le passé :
Le mercredi 8 novembre 1911, à Vienne, au 19 Berggasse, s’est tenue une réunion où cette question du temps a été âprement discutée. Cette séance que l’on peut lire dans les Minutes de la Société psychanalytique de Vienne a pour titre : « De la prétendue intemporalité de l’inconscient ». Que cette question de temporalité soit indiquée comme prétendue en dit long, d’emblée, sur l’aspect dérangeant que ces définitions de l’inconscient introduisaient.
Ils sont donc une douzaine ce soir-là et c’est Stekel qui introduit la soirée avec un exposé clinique dans lequel il évoque la dimension du temps chez l’enfant et que Freud, d’ailleurs, va juger un peu trop psychologisant. Ensuite commence la discussion autour de la table.
Il est intéressant de constater que ceux qui contestent le plus cette notion nouvelle d’intemporalité, c’est qui ? Il s’agit d’un certain Joseph Reinhold, docteur en philosophie et médecin neurologue directeur d’un hôpital, et un certain Gaston Rosenstein philosophe aussi et sociologue. Dès l’origine, les discours neuroscientifique et philosophique s’opposent au discours psychanalytique. Ce qui se passe aujourd’hui n’est rien de plus. Inactualité de l’actuel.
Freud, très astucieusement, ne discute pas du tout ceux qui le contestent, il n’y a aucun commentaire direct de leurs critiques, ( Je note cela par rapport à la discussion que nous avons eu au Séminaire Enfant l’autre soir) mais en revanche il reprend plutôt ceux qui, parmi les psychanalystes, sont intervenus avec des propos un peu vaseux, comme par exemple Sabine Spielrein. Et surtout il argumente, il argumente. Freud se bat pour faire passer ses idées qui sont révolutionnaires, il balaye les arguments des intervenants en soulignant qu’avec son Unbewusste, il ne se situe pas à un niveau psychologique mais métapsychologique. Meta = à la fois au-delà et à côté. Au-delà du conscient, au-delà du psychologique, au-delà du principe de plaisir…. On voit là un Freud qui pousse toujours le bouchon plus loin vers une autre dimension, inconnue et plus complexe, plus dérangeante aussi et qu’il n’a pas peur d’y aller. Je dois dire que, devant ce courage, devant ce désir face au réel, je suis toujours autant émue.

Ce soir-là, il dit aussi : «Quand les philosophes affirment que les notions de temps et d’espace sont les formes élémentaires de notre pensée – là il fait allusion à Kant – une prémonition nous dit que l’individu maîtrise le monde à l’aide de deux systèmes dont l’un fonctionne seulement dans le mode du temps (CS) et l’autre sur le mode de l’espace (ICS). ». Alors que Kant réunit catégorie de temps et catégorie d’espace, Freud les sépare en mettant le temps du côté de la conscience et l’espace du côté de l’inconscient. En réservant la spatialité aux processus inconscients, il conçoit un hors temps de l’inconscient.
Cette séparation venant en opposition à la conception de la philosophie kantienne, il n’est donc pas si étonnant que ça, si ce sont les deux philosophes de l’assemblée qui, ce soir-là, réfutent cette conception de l’Unbewusste freudien.
C’est dire combien la psychanalyse a représenté, dès le départ, une coupure épistémologique par rapport à l’ensemble des discours philosophiques, psychologiques et des neurosciences et cela de manière irréductible. C’est bien sûr ce que nous avons à soutenir encore et encore aujourd’hui.
Revenons à la cure et au futur dans la cure car c’est ce qui m’intéresse.
Il s’agit d’écouter le passé dans le présent de l’analysant mais il nous faut l’écouter aussi du point de vue de son futur, de son advenir en tant que sujet.

Déjà, dans le fait même que quelqu’un vienne s’adresser à un analyste, la question du futur est posée d’emblée, Cette démarche contient, de manière pas toujours explicite d’ailleurs, une demande concernant un futur différent. Il s’agit de reculer pour mieux avancer, de modifier le passé pour agir sur l’avenir.
C’est pourquoi on peut dire que, dans une analyse, on ne va pas du passé à l’avenir mais au contraire de l’avenir au passé. C’est une nuance que Lacan précise de cette manière : “Vous pourriez croire que vous êtes en train de chercher le passé du sujet dans une poubelle alors qu’au contraire, c’est en fonction du fait que le sujet a un avenir que vous pouvez aller dans le sens régressif.”
Une autre façon de le dire : Le sujet se donne un passé en fonction de l’avenir qu’il veut se donner. (Pierre Sorel)
Exemple clinique : 1er RV avec une femme envahie d’idées suicidaires. Son entourage est très inquiet, lui conseille d’aller consulter mais elle ne veut voir personne encore moins un psychiatre c’est pourquoi la personne qui me l’envoie a pris la peine de me téléphoner et de me la passer pour prendre le RV. C’est de cette façon que le RV a été pris. C’est vous dire que je n’étais pas du tout sûre qu’elle vienne. Elle arrive malgré tout et commence à raconter un actuel caractérisé par une conjugaison de pertes douloureuses.
A un moment, je lui ai demandé s’il lui était déjà arrivé d’avoir des pensées suicidaires, c’est-à-dire que je l’invitais à s’orienter vers quelque chose du passé, elle a réagit vivement en disant : « ah non on va pas aller fouiller dans le passé, je ne viens pas ici pour m’apitoyer, pas question. ». Je lui ai seulement répondu qu’ici, il ne s’agissait pas de s’apitoyer, que c’était juste un lieu pour penser et dire. Elle s’est calmée et nous avons pu continuer. Elle s’est d’ailleurs mise à expliquer qu’elle était née après la mort du premier enfant de ses parents, un garçon et que, d’ailleurs, on lui avait donné son prénom, un prénom double. C’est pourquoi elle portait depuis l’adolescence son deuxième prénom, féminin.
Bon c’était là un élément du passé qui pesait son poids, certes, mais le plus intéressant, ça a été la manière dont sa position négative « on ne va pas parler du passé » s’est éclairée par rapport à son futur. Et plutôt par rapport à un futur qu’elle ne se donnait pas. En effet, à la fin de la séance, elle a été surprise de constater que ça faisait déjà 40mn qu’elle était là, alors qu’en arrivant
, elle pensait rester 5mn, en tout cas pas plus de 10mn.
« C’est en fonction du fait que le sujet a un avenir que vous pouvez aller dans le sens régressif.” L’invitation à penser et dire a peut-être joué comme anticipation pour le sujet et c’est peut-être ce qui l’a accrochée, en tout cas sur le moment, car rien ne garantit qu’elle puisse revenir, compte tenu des forces morbides en jeu.

Maintenir le cap vers cette assomption Wo es war soll Ich werden et repèrer la grammaire qui guide le sujet du transfert dans ses méandres.

« Ca va mieux » me dit une autre patiente un jour pour la première fois. A la séance suivante, elle m’explique que le soir même ses rituels d’endormissement sont revenus très forts avec sa phrase fatidique : «Ce n’est pas possible, je n’y arriverai pas ». Depuis le début elle répétait cette phrase pour un oui et pour un non, de la même façon que sa mère avait toujours dit « on n’y arrivera pas » quant au père lui, il n’y arrivait pas tout court. Je n’étais jamais intervenue là-dessus, mais cette fois-là, c’était particulier puisque ce qu’elle mettait elle-même en évidence un mouvement en arrière après un mouvement vers l’avant, comme si le sujet était en train d’hésiter. Un regain de jouissance avant d’y renoncer ? Là je lui ai fait entendre le futur à la forme négative de sa phrase et j’ai ajouté que je me demandais bien jusqu’à quand elle allait continuer de se rayer ainsi la possibilité d’un avenir. (incidence de ce travail sur la temporalité du sujet).

Il s’agit donc pour le sujet d’ouvrir une brèche dans le temps entre passé et futur dans laquelle il va pouvoir s’affranchir d’un déterminisme. Le sujet doit faire avec ce que Lacan a appelé la « virtualité permanente d’une faille ouverte dans son essence », ce qui peut l’ouvrir à la liberté de décider de son devenir. Par le fait de cette brèche, de cette faille entre le passé et l’avenir, tout peut donc toujours se modifier.
Dans ce mouvement vers l’avant, il arrive donc que le sujet ait tendance à rétablir continuité et déterminisme C’est sur ce type d’illusion rétrospective que s’appuie l’idée de pouvoir prédire, rejetant l’idée même d’un choix possible, d’une « insondable décision de l’être » autre formule de Lacan.
cf ces moments de résistance dans la cure où tel patient va consulter une voyante. En cherchant un réponse chez un Autre sachant, le sujet renonce là à une possibilité de liberté de se choisir un avenir en fonction de son désir. Il choisit de se maintenir dans un assujettissement à l’Autre, du moins momentanément. Là c’est un zig à une position antérieure.

A propos du futur, il faut mentionner les notions d’après coup et de futur antérieur qui combinent deux directions différentes en même temps, une rétrogressive et une progressive.

Je ne vais pas reprendre cette notion d’après-coup que l’on a travaillée à la demi-journée de Paris en novembre dernier, je voudrais juste partager avec vous une anecdote apportée par Freud à ce sujet : Un jeune homme, qui devint un grand admirateur de la beauté féminine, déclara, un jour où l’on en venait à parler de la belle nourrice qui lui avait donné la tétée : “Je regrette de n’avoir pas alors mieux profité de la bonne occasion. » Si j’avais su avant ce que j’ai appris après, j’en aurai profité dans cet instant qui appartient au passé et dont je ne peux parler de cette manière que maintenant.

Et Freud de poursuivre : “J’ai coutume de me servir de cette anecdote pour illustrer le facteur de l’après-coup dans le mécanisme des psychonévroses.” En même temps, en prenant cet exemple qui se présente comme un bon mot, Freud situe l’après-coup comme une modalité de pensée non réservée à la psychopathologie mais appartenant bien à la pensée courante et habituelle de tout un chacun, du fait de cette possibilité de devenir humour.
Dans ce cas-là, ce qui fait rire, c’est l’illusion qui consiste à considérer que la sexualité infantile et la sexualité adulte ont les mêmes caractéristiques, sont en continuité, et que la castration n’est pas venue inscrire une discontinuité entre les deux. Cette revendication d’un désir infantile qui date du passé, dans un temps où le sujet sait que c’est impossible, c’est ça qui est drôle. Désir irréductible hors temps.

Autre temps grammatical troublant, avec ses deux vecteurs qui s’entrecroisent, le futur antérieur est un temps utilisé lorsque l’on parle au présent, de deux actions qui se produiront dans le futur, l’une après l’autre. : la première action est au futur antérieur et la deuxième action est au futur simple.

Le futur antérieur fonctionne plutôt à l’inverse de l’après-coup. Si l’après-coup déplace le passé dans le présent en lui donnant dans un deuxième temps un sens a posteriori, le futur antérieur donne aussi, dans l’a posteriori, un sens à l’antérieur mais en attirant le futur dans le présent.
Vous voyez, j’avance à petits pas prudents, c’est que je n’ai pas trouvée cette notion si facile. D’ailleurs, quand on lit la définition exacte de Lacan, il y a de quoi avoir le tournis :
« Ce qui se réalise dans mon histoire, n’est pas le passé défini de ce qui fut puisqu’il n’est plus, ni même le parfait de ce qui a été, dans ce que je suis, mais le futur antérieur de ce que j’aurai été pour ce que je suis en train de devenir. » (E, p.300).
On ne peut faire plus mélimélo ! => la façon toute particulière que Lacan a de nous transmettre à travers une phrase, plus qu’une idée, une sensation diffuse comme celle qui émerge de l’inconscient avant que l’on puisse y mettre des mots = entremêlement, enchevêtrement.

On dirait d’abord que cela a à voir avec la notion d’anticipation :

Le propre à la condition humaine, c’est d’avoir été anticipé avant même que d’exister. Avec l’anticipation maternelle, ou paternelle d’ailleurs, un Autre préexiste, et cela constitue pour l’enfant qui nait un espace pour advenir. Dès sa constitution par le signifiant, le présent se passe dans l’anticipation d’un futur marqué par ce qui du passé n’est plus : un « peut-être » se trace depuis « un aurait pu être ». Toutefois, les choses ne sont pas si simples, dans la mesure où ce qui se pose comme un temps futur pour le sujet est en fait la répétition du temps passé d’un autre : la mère, le père, qui l’anticipent pour leur enfant. Cette opération, ce dernier n’en est pas conscient, et il ne pourra s’en aviser qu’en faisant le temps venu, un retour sur son propre passé.

On peut dire aussi que l’identification à l’image spéculaire procède là aussi d’une anticipation. Cette image unifiée de lui dans laquelle l’enfant se reconnaît avec jubilation, n’est pas lui tel qu’il se vit et s’éprouve morcelé. C’est un possible qui se concrétise par le crédit anticipateur que l’enfant s’accorde en quelque sorte grâce à la parole de l’Autre ! Il s’agit donc d’un présent déployé entre le « déjà là » et le « pas encore ». Le « déjà là » se réfère, dans le miroir, aux traits signifiants portés par le discours de l’Autre, avant même sa naissance, et dans lesquels il est appelé à se reconnaître.

Un autre exemple, la phrase d’un rêve : «Quand tu auras rangé ta chambre, tu pourras sortir. » Si l’on prend la chambre comme une métaphore de l’enfance, ranger sa chambre c’est le temps pour emmagasiner des connaissances, mettre un peu d’ordre, sortir, c’est celui de l’adolescence. C’est une promesse venant de l’Autre de pouvoir en sortir. Cela peut concerner aussi la cure elle-même.

Il me semble que le futur antérieur n’est pas seulement l’anticipation. N’est-il pas aussi coupure ? N’est-ce pas, à côté de la topologie, une autre façon d’appréhender le réel du côté de la dimension temporelle. Lacan, à ce propos, parle de caput mortuum du signifiant. Je suis tombée sur un os ! Il désigne un trou situé dans l’intervalle délimité par ces deux temps, futur antérieur et futu
r simple, « trou pendant lequel les signifiants sont décapités des trois quarts des combinaisons supposées possibles » et parle, à ce propos, de caput mortuum du signifiant.
Le caput ici n’est pas de l’allemand mais du latin qui veut dire tête, c’est pour cela qu’il parle de « signifiants décapités ». Caput mortuum veut dire littéralement tête morte mais en chimie ça veut dire « résidu d’un corps qui a été soumis à la distillation » et sur la palette d’un peintre, c’est une couleur brun rouge qui se situe entre « sang de bœuf » ou à « brun momie ». On dirait qu’il y a de la castration dans l’air !

Cet entrecroisement du futur antérieur est énigmatique mais il a donc l’avantage d’introduire un hiatus qui ouvre à l’acte du sujet. Parce que le sujet procède de la discontinuité, ou plus exactement d’un jeu incessant entre continuité et discontinuité. Il est le produit d’une incessante construction rétrospective d’une continuité, sur fond de discontinuité
Dans L’Identification , Lacan propose ceci : « Le je littéral dans le discours n’est sans doute rien d’autre que le sujet même qui parle, mais celui que le sujet désigne ici comme son support c’est à l’avance, dans un futur antérieur, celui qu’il imagine qui aura parlé : “il aura parlé”. Au fond même du fantasme il y a de même un “il aura voulu”. » Le sujet est donc « supposé ».
Le futur antérieur exprimerait donc une intention du sujet qui naviguerait entre inaccompli et accompli, entre possibilité et supposition.
C’est là, de cette coupure, qu’émergerait le désir.

Ainsi, le désir d’analyste n’est-il tourné vers un avenir dans le sens où il resterait tendu vers l’émergence d’une formulation jamais encore advenue ?

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