5-Paris-Robert Lévy(2)

Inactualité de la logique de l’inconscient II

Je voudrais reprendre et poursuivre le très intéressant débat auquel a donné lieu la dernière fois l’exposé de Radjou.
En effet de quel inconscient parlons-nous, pourquoi réel ou l’inconscient réel a-t-il si peu de place dans nos abords ; serait-ce parce que les élèves de Lacan en seraient restés au signifiant ; enfin, comme nous l’a suggéré Radjou en citant Lacan dans « l’Une bévue », « pourquoi ne pas aller plus loin que l’inconscient » ?
Il me semble que toutes ces questions tournent à la fois autour de la fin d’une analyse et en même temps de ce que l’on appelle les traces ; c’est-à-dire tout ce qu’il en est d’une inscription précoce là où peut- être le signifiant n’a pas pu encore faire son office.

Mais c’est également à travers la question des traces une question sur l’origine, et sur l’originaire.
Existe-t-il un originaire de l’inconscient, ou en tout cas un inconscient originaire ? Je pose donc cette question en guise de titre : il n’y a pas l’originaire ?
C’est une question très vive puisque si l’on considère que l’inconscient a un certain rapport avec ce que l’on appelle la mémoire, de quelle mémoire s’agit-il lorsque je me rallie à l’idée d’originaire ?
En fait, nous sommes très habitués, à entendre l’originaire en matière de mémoire sous la forme de l’Urverdrängung, le refoulement originaire, entité tout à fait énigmatique dont Freud fait la suppositio(1) de la façon suivante :
« Nous sommes donc fondés à admettre un refoulement originaire, une première phase du refoulement, qui consiste en ceci que le représentant-représentation de la pulsion se voit refuser la prise en charge dans le conscient. »
Mais tout aussi énigmatique est la raison même pour laquelle il doit y avoir refoulement en général, et Freud émet encore la raison sous la forme d’une hypothèse (2) « La possibilité théorique d’un refoulement n’est pas facile à déduire. Pourquoi une motion pulsionnelle devrait -elle subir un tel destin ? Il faut ici que soit manifestement remplie une condition : l’atteinte du but pulsionnel doit procurer du déplaisir au lieu de plaisir. Mais c’est là quelque chose de difficile à concevoir. Il n’existe pas de telles pulsions, une satisfaction pulsionnelle est toujours plaisir. Il faut donc admettre des circonstances particulières, un processus quelconque par lesquels le plaisir de satisfaction est transformé en déplaisir. »
Enfin il faut absolument retenir pour le moment que ce que le refoulement originaire produit, c’est(3) « l’attraction que le refoulé originaire exerce sur tout ce avec quoi il peut établir des liaisons. Il est vraisemblable que la tendance au refoulement ne se réaliserait pas son intention si ces formes n’agissaient ensemble, s’il n’y avait pas quelque chose de déjà refoulé, qui soit en mesure de recevoir ce qui est repoussé par le conscient ».
Ainsi ce qui est refoulé ne peut l’être que par l’antériorité d’un premier refoulement dit originaire qui exerce une attraction sur tout ce avec quoi il a pu établir une liaison dans la mesure où le plaisir peut être transformé en déplaisir .Ne pouvons-nous pas dire ici que Freud fait l’hypothèse de la jouissance et que de ce fait il nous conduit à envisager qu’il existe (4) « une force trompeuse de la pulsion » qui est le produit de ce qui n’a pas pu être inhibé par le fantasme « et de la stase résultant d’une satisfaction frustrée »(5) .
Je crois qu’ici Freud fait l’hypothèse de ce que Lacan va introduire sous la forme du réel, c’est-à-dire ce dont justement le fantasme a pour fonction de filtrer, mais qu’il ne réussit pas toujours; ce que Freud constate, en indiquant que dans ce cas les « rejetons » sont transformés et que la résistance du conscient à leur endroit est fonction de leur éloignement du refoulé originaire. Néanmoins l’analyste se doit d’en demander sans cesse la mise au jour, car à partir de leurs déformations nous(6) « reconstituons une traduction consciente du représentant refoulé ».
Lacan donne un ancrage logique au refoulement originaire atemporel ; il l’aborde à maintes reprises, tout au long de son œuvre, et différemment selon les périodes.
Quelques indications : dans « L’angoisse », Lacan parle du « lieu de l’inhibition comme le lieu où, à proprement parler, le désir s’exerce, et où nous saisissons l’une des racines de ce que l’analyse désigne comme Urverdrängung ».
Dans le séminaire « Les quatre concepts… », c’est le signifiant binaire S2 qui est refoulé originairement.
Dans le séminaire « Encore », le refoulé originaire concerne la jouissance maternelle.
Le refoulement originaire est ensuite référé au trou du symbolique et aussi au symbolique comme trou.
À partir du séminaire RSI, Lacan travaille la question du refoulement primordial avec le nœud borroméen.
Dans la séance du 8 avril 1975, il lit dans l’aversion du sujet pour la topologie ou la mathesis la trace du refoulement originaire, et il ajoute : « refoulement premier irréductible qu’il s’agit de suivre à la trace justement. »
Manifestations dans la cure : les traces primitives, traces éparses, chaotiques, qui peuvent surgir au cours d’une cure (ou hors cure) concernent le perçu d’avant l’entrée dans la parole (infans). Freud évoque l’émergence dans la cure de « fragments de perçu » :
« Ces souvenirs auraient pu être qualifiés d’hallucinations si à leur netteté s’était ajoutée la croyance à leur actualité. Mais l’analogie gagna en significativité quand mon attention fut attirée par la présence occasionnelle de véritables hallucinations dans d’autres cas, des cas qui n’étaient certainement pas psychotiques. […] c’est peut-être un caractère général de l’hallucination jusqu’ici insuffisamment apprécié qu’elle fasse retour par quelque chose qui a été vécu dans les tout premiers temps, puis oublier, quelque chose que l’enfant a vu ou entendu à une époque où il était encore à peine capable de parler, et qui s’impose maintenant à la conscience, probablement de façon déformée et déplacée par l’effet des forces qui s’opposent à un tel retour. »
On peut donc supposer au début, un réel pulsionnel ; on peut également supposer que les représentations de choses et les représentations de mots étaient non distinguées au départ. S’agit-il d’un corps non symbolisé, un corps hors signifiant, qui serait ici concerné ? Ou bien un corps dont il n’y aurait pas de traces dans l’inconscient langagier ? Les traces primitives renvoient-elles seulement à un mode primordial d’inscription signifiante ? Y a-t-il un autre mode primitif d’inscription du perçu ?
Est-ce celui-ci qui fait retour sous forme de perçu halluciné ou de certains affects ?
Comment penser cet autre mode en rapport avec l’Urverdrängung, la Verwerfung, la Verleugnung ? Avec la jouissance non symbolisable ? Avec la lettre ? Avec le réel de l’inconscient ?
Le réel de l’inconscient est-il cette part de l’inconscient qui n’est pas savoir mais réel, le non-symbolique de l’inconscient ?
En tout cas, Lacan avec le réel donne ce qu’il appelle sa « réponse symptomatique à Freud « c’et,s dans la mesure où Freud a articulé l’inconscient que j’y réagis »(7)
Parce que le refoulement originaire doit toujours être maintenu, il y a imminence permanente d’une résurgence possible, d’un retour de jouissance possible qui peut générer effroi, angoisse, phobie, cauchemar…
Ainsi le déclenchement de la phobie de Hans pourrait être connecté au refoulement originaire : Hans a fabriqué une phobie pour refouler la jouissance maternelle. Une « caresse en paroles » de son
pénis, adressée par une femme à la mère devant l’enfant, a laissé la mère muette, et cela dans le temps où les soins corporels prodigués à sa petite sœur viennent réveiller ses propres traces inconscientes.
La phobie du cheval n’est pas première, elle a d’abord pris la forme d’une phobie de l’espace. Le symbolique n’intervient que dans un
deuxième temps, avec l’arrivée du signifiant phobique « cheval ».
D’où une question : en tant qu’il est lié au symbolique, comment le symptôme a-t-il affaire avec le réel de l’inconscient ?
A cette question il faut déjà répondre que l’inconscient n’est pas cette zone d’instinct ou du pulsionnel en attente de s’exprimer par le langage.
Dès 1957, Lacan annonce que « nous enseignons suivant Freud que l’Autre est le lieu de cette mémoire qu’il a découverte sous le nom d’inconscient »( 8) , c’est-à-dire que le langage est la condition de l’inconscient en tant qu’il n’est rien que le discours de l’Autre, lieu des signifiants. Avec cette conséquence absolument définitive que l’inconscient comme discours de l’Autre est un dire qui se dit sans qu’on sache qui le dit et nous verrons un peu plus loin que c’est un savoir ; mais un savoir dont la fonction est justement d’effacer le sujet. (9)
Alors, comment donc avons-nous témoignage de ce refoulement originaire ? Serait-ce plus généralement par des manifestations d’aphanisis du sujet, de Spaltung d’avec son être, qui peuvent apparaître dans la cure ou dans la passe, et qui sont à référer au refoulement originaire et aux moments de bouleversement intime où la construction du sujet est mise en abîme ?
Constructions et « construction » freudienne, ce qui ne peut ni se déchiffrer ni s’interpréter, ne peut donc que se construire.
La « construction » freudienne, à laquelle participe autant le patient que l’analyste serait-elle un mode de reconstruction de cet originaire.
Peut-elle aussi, en suppléance au symbolique, étayer le contre-investissement contre le retour du refoulé originaire ?
Quelle relation établir entre la construction et la « correction des processus à l’origine du refoulement », dont parle Freud dans « Analyse finie et analyse infinie » ?
Si l’on modifie les processus à l’origine du refoulement, qu’adviendra-t-il du refoulement secondaire (et du retour de ce refoulé dans le symptôme), et comment le refoulement originaire en sera-t-il affecté ?
Les constructions dans l’analyse, qui touchent au réel du sujet, ont-elles le même statut que la topologie au sens où s’en sert Lacan (ni métaphore ni modèle, mais réel de la structure) ? Sans oublier que la structure, c’est toujours aussi celle du signifiant.
En revanche, le refoulement dit secondaire ou Verdrängung, « c’est ce qui se passe quand ça ne colle pas au niveau d’une chaîne symbolique »(10) , quand la cohérence interne d’une chaîne symbolique (pour Lacan la chaîne symbolique est la chaine signifiante) à laquelle le sujet est arrimé, rencontre un obstacle à cohabiter avec une autre chaîne tout aussi cohérente. Alors nous refoulons, nos actes, nos discours, notre comportement.
Mais la chaîne n’en continue pas moins de courir dans les dessous, à exprimer ses exigences, à faire valoir sa créance, et ce, par l’intermédiaire du symptôme névrotique. C’est en quoi le refoulement est au ressort de la névrose(11) . Ce refoulement secondaire dépend de la mise en place du refoulement originaire, ou Urverdrängung, apportant témoignage de sa réalisation. Il est à situer au principe des formations de l’inconscient, directement liées aux effets du signifiant ; signifiant qui se trouve précisément là où Freud parle de suites de pensées et que Lacan traduit par chaîne signifiante : « cette chaîne se développe selon des liaisons logiques dont la prise sur ce qui est à signifier, à savoir l’être de l’étant s’exerce par les effets de signifiants décrits par nous comme métaphore et métonymie »(12) . Qu’en est-il alors des moments où justement il n’y a pas encore, il n’y a pas de cohérence dans la logique métaphoro-métonymique comme dans l’infantile, dans les psychoses, ou bien encore dans ces moments de rencontre avec le réel productifs de post-traumatique : quel inconscient est à l’œuvre dans ces différentes occurrences ?
Pourtant ce qui nous occupe me semble- t- il, c’est l’évolution peu à peu de Lacan vers l’idée du trou quant au refoulement originaire puisque la version de ‘l’inconscient est structuré comme un langage ‘ ne rend pas compte complètement de comment se trace le refoulement originaire.
Mais l’inconscient n’est pas non plus à confondre avec une certaine forme d’ignorance puisqu’il est un savoir et Lacan insistera tout particulièrement depuis 1964 répétitivement sur l’énoncé « Le savoir inconscient ».
Un savoir bien sûr, mais un savoir qui ne se réduit pas au langage bien qu’il soit un savoir de la langue, que la lalangue recèle en tant que cause matérielle.
Savoir littéral(13) d’où l’équivoque entre le sens et le son, jeu dont l’équivoque signifiante ne peut se lever que par l’inscription de ce qui s’écrit, de l’homophonie donc à l’orthographe. Les formations de l’inconscient telles que les actes manqués, symptômes, rêves et traits d’esprit ont cette spécificité d’introduire ce qu’on peut appeler méprise, faille, bévue, en d’autres termes, formations de l’inconscient dont le résultat est bien de marquer un trou dans le symbolique.
C’est ce que je vais maintenant essayer de vous montrer puisqu’il y a une véritable cassure entre la seconde topique freudienne et la façon dont Lacan va introduire ce que l’on peut appeler une troisième topique ; une métapsychologie cette fois entièrement topologique en faisant le passage de la théorie du sac freudien : conscient, inconscient, préconscient, ou encore moi, ça, surmoi, à celle des nœuds borroméens avec RSI. Et Lacan nous invite à faire ce pas en constatant que : « Nous sommes en effet toujours captivés au départ par une géométrie que j’ai qualifiée la dernière fois de comparable au sac , c’est-à-dire à la surface . Penser au nœud, chose qui s’opère le plus communément les yeux fermés, vous pouvez en faire l’essai, c’est très difficile . On ne s’y retrouve pas »(14) .
Mais pour ce faire, il me semble que c’est justement en changeant le statut de l’Urverdrängt que cela est rendu possible ; ce dont il est fortement question dans les premières séances du séminaire sur le sinthome.
C’est bien sûr avec le réel introduit comme point d’articulation essentiel à l’appareil psychique qu’il justifie cela ; mais ceci l’entraîne à modifier la question du sujet de l’inconscient puisque l’on passe dès lors du signifiant qui représente le sujet pour un autre signifiant à l’idée que le sujet n’est que supposé et livré à une ambigüité(15) et, élément fondamental, c’est sa division qui ‘fait le réel’.
Le sujet qui, souvenez-vous, avait disparu dans l’inconscient comme savoir sans sujet, réapparaît cette fois supporté par le nœud borroméen à trois(16) ; donc « un sujet noue à trois l’imaginaire, le symbolique, et le réel, il n’est supporté que de leur continuité ».
L’imaginaire, le symbolique et le réel sont une seule et même consistance, et c’est en cela que consiste la psychose paranoïaque ».(17) Pour préciser les choses Lacan rend ici équivalentes psychose paranoïaque et personnalité : « …la psychose paranoïaque et la personnalité n’ont comme telles pas de rapport, pour la simple raison que c’est la même chose »(18) .
Mais revenons un peu sur ce fait que Lacan, en introduisant cette troisième topique change le statut de l’originaire ou du refoulement originaire ; j’en veux pour preuve
l’extrait suivant : « il n’y a aucune réduction radicale du quatrième terme, même dans l’analyse, puisque Freud a pu énoncer, on ne sait par quelle voie, qu’il y a une Urverdrängung, un refoulement qui n’est jamais annulé. Il est de la nature même du symbolique de comporter ce trou. C’est ce trou que je vise, où je reconnais l’Urverdrängung elle-même. »(19)
Alors voilà l’affaire : le symbolique ne peut donc jamais totalement se constituer puisqu’il y a un trou, trou que trace le refoulement originaire … Est-ce à dire que le refoulement originaire est le lieu de la trace ; assurément plus puisque Lacan en fait le lieu d’un trou, d’un trou irréductible à la constitution du symbolique …et là-dedans on y met la libido, le corps et le réel.
Alors on peut dire qu’on aborde avec ça quelque chose du dernier Lacan, plus proche du réel et du trou mais au fond, si on y réfléchit bien, même s’il joue sur l’homonymie pour faire apparaître à partir de la prolifération de « l’essaim signifiant, un essaim bourdonnant »(20) , la chaîne des signifiants est par essence elle aussi trouée. Ce qui implique qu’il n’ y ait non pas seulement un manque dans la chaîne signifiante mais dans la batterie du signifiant, où il prend le nom de « signifiant du manque du signifiant dans l’Autre , lui-même préalablement défini comme « trésor du signifiant »(21) .
Lacan s’explique un peu sur la façon dont il fait tenir les trois nœuds : « ce n’est pourtant pas par hasard, mais c’est le résultat d’une certaine concentration, que ce soit dans l’imaginaire que je mette le support de ce qui est la consistance , que de même ce soit du trou que je fasse l’essentiel de ce qu’il en est du symbolique , et que je supporte spécialement du réel, ce que j’appelle l’ex-sistence . C’est du fait que deux soient libres l’un de l’autre –c’est la définition même du nœud borroméen- que je supporte l’ex-sentence du troisième, et spécialement celle du réel par rapport à la liberté de l’imaginaire et du symbolique. A sister hors de l’imaginaire et du symbolique , le réel cogne, il joue tout spécialement dans quelque chose qui est de l’ordre de la limitation. A partir du moment où il est borroméenne- ment noué à eux, les deux autres lui résistent. C’est dire que le réel n’a d’ex-sistence qu’à rencontrer, du symbolique et de l’imaginaire l’arrêt. »(22)
Voilà arrêtons-nous sur la dernière phrase : « le réel n’a d’ex-sistence qu’à rencontrer l’arrêt du symbolique et de l’imaginaire » ; je trouve que c’est une très utile définition du réel et c’est très exactement ce que l’on rencontre dans les syndromes post-traumatiques : l’arrêt de l’imaginaire et du symbolique ; le sujet ne symbolise plus, car il ne refoule plus puisque son imaginaire est suspendu par la suspension même de ses processus de refoulement …
L’impensable, c’est donc quand ni l’imaginaire ni le symbolique ne peuvent y suppléer, c’est en ceci que le réel c’est bien aussi l’impossible. Rencontrer l’arrêt, la limite de l’analyse freudienne par un nœud borroméen, tel est le symptôme de Lacan comme il l’avoue lui-même(23) .
Et qu’est-ce que c’est que ce réel : c’est ce qui se constitue du fait qu’il n’y a pas de nœud borroméen qui se constitue de quatre nœuds à trois ; le démontrer serait toucher au réel (voir ce nœud p.47).
Mais si cette troisième topique modifie le statut de l’originaire et celui du sujet, elle modifie également celui de l’objet qu’elle met dans la suite des ‘il n’y a pas ‘ comme je l’avais déjà souligné il y a quelque temps : « c’est en cela que notre appréhension analytique de ce qu’il en est du nœud est le négatif de la religion. On ne croit plus à l’objet comme tel. C’est en ceci que je nie que l’objet puisse être saisi par un organe(…) l’analyse trouve sa diffusion en ceci qu’elle met en question la science comme telle – science pour autant qu’elle fait d’un objet un sujet, alors que c’est le sujet qui est de lui-même divisé. Nous ne croyons pas à l’objet, mais nous constatons le désir, et de cette constatation du désir nous induisons la cause comme objectivée… C’est le nœud seul qui est le support concevable d’un rapport entre quoi que ce soit et quoi que ce soit. »(24) .
C’est pourquoi, sans doute le langage n’est plus référé à l’inconscient structuré comme un langage, mais au trou : « Pour moi en effet, à défaut d’admettre cette vérité principielle que le langage est lié à quelque chose qui dans le réel fait trou, il n’est pas simplement difficile, mais impossible d’en considérer le maniement. La méthode d’observation ne saurait partir du langage sans que celui-ci apparaisse comme faisant trou dans ce que l’on peut situer comme réel. C’est de cette fonction du trou que le langage opère sa prise sur le réel.….le langage mange le réel »(25)
Sans doute cela nous mène- t- il à modifier quelque peu notre pratique de l’équivocité, car l’analyste doit-il en rajouter et par conséquent inviter l’analysant à en rajouter à son tour ?
Sommes-nous en effet dans l’obligation d’hystériser l’analysant dans une jouissance partagée sur l’équivocité ; c’est la question que l’on peut se poser parfois lorsqu’on écoute quelques vignettes cliniques dans lesquelles les jeux de mots fusent, en tout cas si nous voulons suivre Lacan dans ce qu’il introduit maintenant, nous devons être un peu plus sur nos gardes. D’ailleurs n’est-ce pas une façon de répondre à la question que Radjou posait la dernière fois : pourquoi cette résistance à introduire un travail sur le dernier Lacan ; n’est-ce pas parce que cela invite à modifier notre pratique dans le but d’en réduire un peu les jouissances que nous pouvions en tirer en restant fixés sur l’instance de l’inconscient est structuré comme un langage ?
Alors je voudrais finir sur une question de traduction puisqu’en effet Verwerfung et Urverdrängung posent problème puisque c’est à la lecture que fait Lacan de l’homme aux loups où il substitue à ‘au sens du refoulement un ‘au sens du refoulé’ qui n’est pas l’exact équivalent ; c’est d’une grande importance, car Freud dit quant à lui que le sujet ne voulait rien savoir de la castration, même au sens du refoulement.
Ce n’est donc pas de l’ordre du refoulement , d’une Verdrängung donc, mais d’un autre ordre que l’on peut ici questionner entre refoulement originaire ou Verwerfung c’est-à-dire rejeté, exclu ou encore forclos. Il y a donc un grande proximité entre ces deux termes . En effet au sens du refoulement, on sait encore quelque chose de ce dont même on ne veut d’une certaine façon rien savoir, alors que s’il y a des choses dont le patient ne veut rien savoir, même au sens du refoulement, il s’agit alors d’un autre mécanisme.
De quoi s’agit-il dans la Verwerfung, d’un rejet primordial d’un signifiant dans les ténèbres extérieures, signifiant qui manquera dès lors à ce niveau. Il s’agit donc d’un processus d’exclusion d’un dedans primitif, qui n’est pas le dedans du corps, mais celui d’un premier corps de signifiant(é§) . Vous voyez qu’il est bien difficile si on en reste à ces définitions de faire la part entre forclusion et refoulement originaire. Quoi qu’il en soit, je propose de mettre l’originaire au rang des ‘il n’y a pas ‘, tels que ceux dont Lacan aborde une certaine liste qui va de ‘il n’y a pas de métalangage’, en passant par ‘ il n’y a pas la femme’, jusqu’à ‘ il n’y a pas de rapport sexuel ‘, et en y ajoutant ‘ i n’y a pas l’objet’.
Il s’agit dans ‘il n’y a pas l’originaire ‘ de cette écriture du singulier qui marque que l’objet dont il marque l’absence ou l’inexistence, l’originaire en l’occurrence, n’est pas
susceptible d’être pluralisé dans l’univers conceptuel dont il s’agit puisqu’il y a trou. Ce n’est ni son universalité ni son intégralité qui sont mis en cause mais son existence. En d’autres termes, l’originaire n’existe pas. On ne peut pas écrire l’originaire, puisqu’il y a trou initiatique. De même qu’il n’y a pas de propriété symbolique(27) .
Pour terminer, les conséquences en sont vertigineuses puisque s’il n’y a pas l’originaire, alors nul intérêt d’un quelconque retour aux origines pour révéler une quelconque vérité initiatique qui se situe dès lors dans le signifiant comme structure de la vérité d’un mi-dire dont le seul élément constitutif puisse se lire comme l’instance de la lettre dans l’inconscient.
1 Freud , Métapsychologie, Ed. Gallimard, Coll. Idées, 1968, p. 48.

2 Ibid., p .45, 46.

3 Ibid., p.49

4 Ibid., p.50

5 Ibid.

6 Ibid., p.51

7 J.Lacan, Le séminaire XXIII, Le sinthome, Ed. Seuil, 2005, 13 avril 1976.

8 J.Lacan Ecrits, Le Seuil, p. 575.

9 J.Lacan Scilicet I, Le Seuil, p.35.

10 Lacan, 1981, p. 97.

11 Ibid., p. 97, 1981.

12 J.Lacan, Ecrits, p.575, Le Seuil.

13 Ibid., p.875.

14 Le sinthome, op. Cit., p.28.

15 Ibid., p.30

16 Ibid., p. 50.

17 Ibid., p. 53.

18 Ibid.

19 Ibid., p. 41.

20 Jacques Lacan, Le séminaire XX, Encore, Seuil, 1999, p.130.

21 Ecrits p. 818.

22 Idem Le sinthome, p.50.

23 Idem, p.138.

24 Ibid., p.36

25 Ibid., p.31

26 Jacques Lacan, Le Séminaire III, les Psychoses, Ed. Seuil, 1981, p.171.

27 Ibid., p.93.

 

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