Anna Konrad

CARTEL PSYCHANALYSE DANS LA CITÉ

Quand nous évoquons l’idée même de psychanalyse dans la Cité, le rapport le plus immédiat à la Cité pour le psychanalyste est peut-être le lien avec son groupe de pairs dans une association, incarnant un lien social au titre de la psychanalyse. Si un désir a pu prendre forme de travailler avec l’écoute analytique et donc l’acte analytique, il est nécessairement relié à la dimension de la Cité dans l’existence d’autres analystes qui s’astreignent à communiquer dans leur propre détermination sur le même sujet et instituent ainsi un lien social consacré aux effets de l’analyse. Ces effets peuvent produire du discours et de la culture, pouvant contribuer et amener en retour à produire à nouveau des analystes.

Ce cycle positif qui a semblé en expansion en France et dans quelques pays, jusqu’à une date que je ne saurai déterminer, mais qui est révolue, a laissé place à quelque chose d’autre. Il y a à présent, à en juger simplement par la pyramide des âges de la profession, plutôt réduction dans la production des analystes. La psychanalyse me semble aussi prise dans la mêlée d’une concurrence entre une multitude de discours qui, loin de se reconnaitre, semblent avoir pour objectif d’instituer des groupements d’intérêt les uns contre les autres. Quelque chose de la transcendance serait en retrait dans cette partie de la culture, de notre culture qui est aussi la culture européenne. La peur et le rejet de l’autre gagnent du terrain dans le coeur de la Cité, l’impensable altérité gonfle les figures d’autres rencontrées dans des rapports de plus en plus hostiles. Les crimes racistes se multiplient, aux portes de l’Europe et dans l’Europe, même, la haine raciste tend à devenir un trait parmi d’autres des identités nationales, régionales, ethniques, considérées elles-mêmes comme positives. Il est des pays de l’Union européenne, comme la Hongrie, mais elle n’est sans doute pas la seule, où désigner le facteur de la haine raciale, attribuée au peuple, comme un élément ordinaire, non questionné, dans l’analyse des faits politiques est devenu quotidien. En France, nous n’en sommes pas si loin. Les domaines scientifiques et intellectuels ne sont pas épargnés et l’on ne compte pas les violentes attaques contre les idéaux de la culture, dont la psychanalyse fait aussi largement les frais.
Il lui reste cependant, à la psychanalyse, de soutenir la transcendance au travers de sa spécificité comme science de la connexion intime et vivante entre le plus radicalement subjectif et ce qui répond à une réinstitution de l’universel dans un monde d’échanges et de culture. A y échouer, elle tombe, comme chacun de nous dans ce que l’écrivain Imre Kertész, en parlant de la capture des énoncés quand il s’agit de parler de sa judéité comme identité dans son pays, décrit ainsi : « Tout est mensonge et jeu de dupes dans ce champ sémantique, aucun mot, aucune notion n’a de signification réelle, clairement formulable. La raison n’a pas droit de cité dans ce domaine où règnent sans partage les émotions, le romantisme et le sentimentalisme, ainsi que la sensibilité subjective : n’est-il pas étonnant qu’une nation fonde sur cette irréalité sa connaissance de la situation et de la réalité, sa conscience nationale et historique ? » Nous pouvons remplacer « nation » par tous les noms de communautés que nous voulons y mettre, y compris la notre, la communauté analytique dans le tumulte des concurrences et des identités qui s’opposent. Le premier pas dans le domaine de la psychanalyse dans le Cité concerne donc, me semble-t-il, le chimney-sweeping, le ramonage dans les conduits de cheminée de ses propres débats avec les analystes de la Cité incarnée d’abord dans le travail associatif.

A cet égard, j’évoquerai quelques points de ce parcours à plusieurs que nous avons à un moment donné qualifié de cartel sur le thème de la psychanalyse dans la Cité. Le nom est venu en observant le fonctionnement qui s’instituait dans ce groupe dont la composition s’est remaniée plusieurs fois et qui présentait de temps à autre des réflexions et travaux devant l’association. Une des questions avait été de savoir quoi faire de ce qui nous avait été demandé par le conseil d’administration : travailler des problématiques en rapport avec la psychanalyse dans la Cité en amont du CA et du bureau pour aider les membres de ces instances dans leur travail. Une association de psychanalystes implique une charge de travail importante dans plusieurs directions et il me semblait que cette demande était légitime. L’association en effet est présente parmi d’autres associations et tâche d’avoir une voix au chapitre dans le mouvement analytique en France, en prenant ses responsabilités sur les questions sur lesquelles les analystes doivent avoir des positions dans la Cité. Le mouvement général de notre groupe a été de ne pas répondre à cette demande qui ne s’accordait pas avec son fonctionnement. Pour ce qui me concerne, j’avais le sentiment que nous voulions travailler certes, mais pas être astreint à prendre en charge le traitement du réel pour l’association et à fournir des travaux sur des thèmes donnés par l’actualité dans la Cité, mais non choisis. Le cartel m’apparaissait comme un objet théorique polymorphe médiatisant aussi pour notre confort un certain rapport d’indépendance et d’inclusion dans le travail associatif. Le cartel allait produire, mais en fonction du désir et du transfert de travail de chacun. Il y a eu opposition entre le transfert de travail et l’actualité dans la Cité, peut-être, en tout cas pour moi cela a pu se présenter comme cela, avec une certaine appréhension devant la participation à la responsabilité. Nous pouvons aussi lire cette position comme une position consistant à dire que nous laissions le boulot aux collègues qui en définitive ont choisi de se faire élire dans les instances de décision de l’association et ne peuvent pas s’en décharger… Réintroduisant une hiérarchie de fait là où une seule qualité de membre devrait soutenir chacun dans l’autorisation qu’il se donne à prendre part aux affaires dans l’agora associatif.
Nous avons produit quelques travaux sous nos noms qui peuvent être visités sur le site ou la revue d’AF ou encore sur des blogues personnels. Nous avons échangé avec en filigrane, en toile de fond pour chacun son rapport à l’exploration analytique, à la trajectoire personnelle poursuivie dans la structure, à la responsabilité de l’analyste dans son acte au regard de laquelle se définissent nécessairement les relations professionnelles entre analystes. Ce travail m’a permis grâce aux apports et à la présence de mes collègues d’aborder avec un peu plus de précision et de concrétude l’enchevêtrement fondamental entre le travail de la cure et les liens sociaux et politiques du psychanalyste.

Je terminerai en évoquant la psychanalyse dans la Cité au sujet d’une expérience institutionnelle. J’ai récemment occupé, dans le cadre d’un CMPP, la fonction de médecin responsable d’un dispositif d’accueil sur des demi-journées d’enfants autistes. Nous avions créé ce dispositif thérapeutique un an avant la sortie des recommandations HAS sur l’autisme. Ma sensibilité me portait à tenter de trouver une voie qui fasse échapper notre dispositif au reproche de sectarisme qui était adressé alors à la psychanalyse et que d’une certaine façon, sur un autre plan, je ne trouvais pas tout à fait injustifié quand au fonctionnement institutionnel, avec une répercussion sur la difficulté à faire entendre les pratiques différentes, non consensuelles dans notre groupe. Il me semblait aussi qu’en tant qu’institution nous nous disions ouverts et pluridisciplinaires dans l’exacte limite qu’on nous laissât faire ce qu’on voulait et rien d’autre.
Je préconisais alors une « ouverture » dont la traduction devait
être inventée, qui fut jugée coupable de sympathies avec les philosophies de Watson et de Skinner. J’avais en même temps de la psychanalyse une expérience personnelle que je dirais radicale, au sens où, me semble-t-il, la pratique analytique ne peut se concevoir que comme théorisation de l’échec de son propre fantasme à faire UN.

En l’occurrence, si fantasme il y a eu, l’échec a été patent : ma proposition s’est révélée inaudible, rejetée pour ne pas avoir affaire à des pratiques ayant d’aussi sulfureux inspirateurs. Ici, je fais un lien avec les communautarismes évoquées tout à l’heure, car cette filiation était imputée à l’autre à la manière d’un pêché originel. Il m’a fallu reconnaître que si avec les mêmes ingrédients conceptuels, notre collègue et amie A. Hubert a pu créer un environnement institutionnel qui lui a permis d’inventer une thérapeutique originale dans le domaine de l’autisme, qui rend caduque le clivage et la guerre des approches, tout le monde ne peut pas en faire autant partout. Les crispations institutionnelles anticipatrices et auto-réalisatrices de nos incompatibilités annoncées au CMPP m’ont fait préférer partir en laissant la place à ceux pour qui cette institution était peut-être plus naturellement ajustée à leur désir. J’ai tenu à dire un mot de cet épisode institutionnel, mais je ne saurai dire quel enseignement en tirer dans le rapport à la psychanalyse dans la Cité.

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