Autisme, une équivoque entre sujet et objet. Manoel Ferreira, Silvia Ferreira. Reims 2017
Manoel Ferreira
Sílvia Ferreira
CONVERGÊNCIA
– MOVIMENTO LACANIANO PARA A PSICANÁLISE FREUDIANA-
Colóquio Franco-Brasileiro em Reims, França
Psicanálise e psiquiatria
10 e 11 de junho de 2017
Autisme, une équivoque entre sujet et objet
Quelle place pour le sujet autiste dans la lutte des savoirs?
Nous avons récemment reçu un courriel du Mouvement psychanalyse, autisme et santé publique (MPASP) avec un petit extrait d’un chapitre d’un livre :
“moi aussi, je crois que l’autisme m’a volé mon fils. Mais mon fils n’a pas été soustrait par l’autisme, par le trouble biologique ; je ne crois pas qu’il soit emprisonné dans un monde autistique, seul et hors de portée. Au contraire, je soutiens que la chose appelée autisme, et qui m’a volé mon enfant, est une construction culturelle contemporaine, une histoire. Cette histoire de l’autisme nous parle d’une étiquette qui englobe tout ; c’est une lente narrative qui rend compte de tous les aspects du comportement et de la personnalité de mon fils, de telle sorte qu’il ne reste plus rien de lui qui ne puisse être expliqué sans que l’on fasse référence à l’histoire de l’autisme. C’est cet autisme-là qui m’a volé mon enfant.”
Le 27 décembre 2012 a été promulguée au Brésil celle que l’on a appelée la Loi de l’autisme Berenice Piana, nom d’une militante des droits de la personne autiste, (Loi Nº 12.764). On y lit, dans l’article 1er , paragraphes 1er et 2e :
« § 1er Aux fins de la présente Loi, est considérée comme personne ayant des troubles dans le spectre de l’autisme celle porteuse de syndrôme clinique caractérisé sous la formes des sous-alinéas I ou II :
I – déficience persistante et cliniquement significative de la communication et de l’interaction sociales manifestées par une difficulté prononcée de la communication verbale et non verbale utilisée pour l’interaction sociale : absence de réciprócité sociale ; incapacité à développer et maintenir des relations appropriées à son niveau de développement ;
II – schémas restreints et répétitifs de comportements, intérêts et activités, manifestés par des comportements moteurs ou verbaux stéréotypés ou par des comportements sensoriaux incommuns ; excessive adhésion à des routines et des schémas de comportements ritualisés ; intérêts restreints et fixes.
- 2ͤ La personne ayant des troubles dans le spectre de l’autisme est considérée une personne handicapée à toutes fins légales » (BRASIL, 2012)
Ces écrits mettent en relief des positions subjectives, des inscriptions et des lieux dans le savoir où la personne autiste est immergée dans l’espace complexe de la polis. Entre dispositifs, savoirs et soins, l’autisme conduit un sujet exproprié.
Dans cette expropriation, nous voyons une relation sociale où l’on prend au sujet sa connaissance de soi ; ce savoir est transféré à un autre et devient objet d’un Autre (chemin inversé sur lequel Lacan travaille, tout en l’explicitant, dans le Séminaire 16 – D’un Autre à l’autre). Ce mouvement compose les liens sociaux dans l’ordre du capital, dans lequel il y a un deuxième déplacement en une seconde aliénation, celle-ci prise comme quelque chose tout à fait naturelle.
Eh bien, si pour Lacan le sujet est un sujet assujetti au langage, ici nous avons une réification d’une lettre qui place tous dans un système de valeurs où la dimension du Réel est déniée. La vérité devient signifiant (n’étant plus un lieu dans le discours qui divise le sujet), se transforme en une narrative – narrative où l’on perd l’énonciation et les disputes dans le champ de l’énoncé sont imaginaires – et entre dans la chaîne sans un point de capiton, comme un S1 formant une chaîne apparemment sans trou. Une trame où la subversion du sujet est recouverte imaginairement et fait une jonction de l’instant de regarder et du temps de comprendre. Le temps obtient une linéarité et perpétue le nouveau Maître, où le temps et le pouvoir ont une fin. “Nous voici donc au principe malin de ce pouvoir toujours ouvert à une direction aveugle. C’est le pouvoir de faire le bien, aucun pouvoir n’a d’autre fin, et c’est pourquoi le pouvoir n’a pas de fin” (LACAN, 1998).
La psychanalyse et l’espace de la polis
La personne avec autisme, dans sa présentation, peut être décrite dans ses handicaps, prospectée biologiquement (neurologie, épigénétique) et psychiquement (sa constitution psychique) ; son lieu social peut être discuté (ses droits de citoyens, son lieu dans le discours – lien social). Il en va de même pour bien d’autres registres, de sorte que les questions relatives à l’autisme en appellent à un débat qui dépasse de loin le fait pathologique. L’autisme prend ainsi une place dans les discours et dans les narratives qui mettent en relief la façon dont le sujet autiste est pris dans ces dimensions de son existence. Les traitements et les interventions, les savoirs et les lieux, immergés dans leur époque et dans un discours hégémonique, ont mené à une dispute de savoirs et, par consequént, l’autiste lui-même, à une position d’objet de consommation de ces savoirs, de ceux qui lui veulent du bien.
Une dispute de savoirs qui en cache celle de marchés. Dispute de savoirs, certes, mais aussi dispute de la possession d’un capital que devient l’autiste. Une équivoque entre le savoir et la connaissance est escamotée dans cette bataille. Le psychanalyste est accusé de ne pas savoir traiter l’autisme alors que le non-savoir est un point fondamental dans cette clinique.
Il s’agit d’une discussion de narratives sur l’autiste dans laquelle la psychanalyse est d’emblée perdante. Des éléments du Réel, qui soutiennent sa pratique et son éthique et qui constituent un point d’impossible si cher à la psychanalyse, sont ignorés par le discours capitaliste hégémonique.
Ce débat a lieu sur la place publique. Lorsque le psychanalyste monte sur cette scène, dans le terrain de la polis – dans son mouvement – il se met dans un lieu où il risque une capture imaginaire, bien que celle-ci se fasse au nom de la psychanalyse. Ce risque inhérent à la prise de position dans la communauté et dans la polis constitue le prix que l’on paye pour être à la hauteur de la subjectivité de son époque.
Ce n’est pas aveuglement que l’autisme est placé dans un espace central où nous rencontrons l’objet a, fait de coupures et de limites des registres, mais qui peut être pris pour une consistence, dans les possibilités de sa capture dans les termes de la loi selon laquelle « La personne ayant des troubles dans le spectre de l’autisme est considérée une personne handicapée à toutes fins légales » (BRASIL, 2012)
Il s’agit de l’équivoque entre sujet et objet, un objet citoyen des disputes de marché et de savoirs, et le pari nécessaire et la subversion de ne pas disputer un pouvoir et soutenir une position pour qu’un sujet puisse advenir.
La polis et l’analyste citoyen
À Baltimore, Lacan (2008) parle à un public qui ne comprend guère les pratiquants de la psychanalyse. C’est pourquoi il s’adresse à ses auditeurs par le biais de la métaphore “L’inconscient, c’est Baltimore”, faisant référence à la ville comme lieu d’actualisation de la structure et du texte inconscient, puique c’est là que vivent les citoyens. De cette façon, il présente la ville comme un dispositif structural qui permet de lire les choix inconscients des sujets (LAURENT, 2007).
La métaphore lacanienne provoque une réflexion : dans la polis, quelle doit être la position de l’analyste ? Laurent indique deux alternatives possibles : celle dans laquelle l’analyste se maintient comme un intellectuel critique, en se maintenant tranquillement dans sa fonction d’analyste réservé, sans présenter des propositions, se dédiant tout juste à produire un vide ; et bien qu’il critique quelques orientations décidées par autrui – ou qu’il s’en plaigne – il se maintient dans la même position de l’intellectuel isolé, étranger aux demandes et aux manifestations qui se retrouvent au-delà des murs de son cabinet de consultation, mais toujours dans l’enceinte de la polis.
La deuxième position correspond à la fonction de l’analyste citoyen, celle qui se constitue à travers son insertion dans les dispositifs de la santé mentale. L’expression “analyste citoyen” est prise par Laurent dans le sens de la théorie démocratique moderne, à partir d’une communion d’intérêts entre le discours analythique et la démocratie. Dans cette cette perspective, l’analyste citoyen est celui qui participe, qui intervient avec son dire silencieux, qui se distingue du silence dans la mesure où une prise de position y est activement impliquée.
Au Brésil, bien des analystes ont adhéré à la position d’analystes citoyens en se liant au Mouvement psychanalyse, autisme et santé publique – MPASP- créé en 2010 en réaction à des initiatives cherchant à discréditer la psychanalyse et à éliminer la pratique psychanalytique du domaine du traitement de l’autisme. L’allégation de ceux qui se placent en tant qu’adversaires des psychanalystes, c’est que les thérapies dites cognitivo- comportementalistes sont plus efficaces, alors que “la psychanalyse rendrait un desservice aux autistes”. Dans le MPASP, avec des professionnels de l’éducation et d’autres professionnels de la santé, les psychanalystes s’occupent des problèmes situés dans la sphère de la santé mentale, celle-ci comprise comme le champ effectif des différences ayant trait aux normes (LAURENT, 2007), conquérant ainsi une place dans la polis. Ainsi, l’analyste citoyen peut, surtout, aider la civilisation à respecter l’articulation entre normes et particularités subjectives. Dans le cas de l’autiste, il s’agit d’essayer d’assurer une place de sujet à celui qui, en thèse, ne jouit pas de ce statut dans les thérapies cognitivo-comportementalistes.
Effets du discours capitaliste
Cependant, dans la “bataille” livrée entre psychanalystes et cognitivo-comportementalistes, aussi bien au Brésil que dans d’autres pays, le Savoir court le risque d’être transformé en “marchandise” et de prendre le statut d’un “objet”, acquérant ainsi la condition idéale pour être consommé. De tels changements peuvent être porteurs de transformations essentielles pour le sujet, dans la mesure où ce qui est ciblé par le discours capitaliste est la production constante d’“objets” qui puissent être “désirés” avec avidité et voracité (SOUZA, 2003 :138-139).
Suivant cette ligne de réflexion, pouvons-nous penser l’augmentation des cas d’autisme, ou, mieux disant, l’augmentation des diagnostiques d’autisme, comme une conséquence du discours capitaliste ?
Sous l’effet de ce discours, l’autiste lui-même occuperait la place de l’objet de consommation, objet à être produit et consommé par les uns et par les autres. Prenant le statut d’objet, le Savoir (sur l’autisme et, par implication, sur l’autiste), acquiert la condition de bien de consommation, qui doit être massivement produit et nécessairement consommé (FERREIRA, 2015).
Si le sujet occupe le lieu de consommateur – qu’il s’agisse du comportementaliste ou du psychanalyste, il acquiert dans ce dispositif de discours une condition qui, par le biais du Savoir, rend disponible les moyens pour l’acquisition de l’“objet”. Il s’agit d’une condition imposée par le discours capitaliste pour la production et la consommation, en obéissance aux lois du marché global. Ainsi s’organise la dispute (de marché) autour du bien produit à grande échelle : qui doit traiter l’autiste, c’est-à-dire, qui doit consommer l’autiste-objet de consommation ?
L’envers de l’analyste citoyen: l’empire de la jouissance
Ce qui vient assurer l’ordre du discours capitaliste c’est que la relation au Savoir vient assurer un certain type de jouissance. Étant lancé dans cette recherche et dans une consommation incontrôlable, le sujet, même l’analyste citoyen (n’y voyant que du feu ?) peut rester soumis et assujetti aux effets de cet “objet de jouissance” : un plus-de-jouir qui sert à une grande consommation (LACAN, 2003). Ainsi, l’autisme, contrôlé et gouverné par la science, exploité par le capitalisme et par les médias mène à la transformation de l’autiste en promesse d’un accès au plus-de-jouir.
Référence Bibliographiques
BRASIL. Lei nº. 12.764, de 27 de dezembro de 2012. Institui a Política Nacional de Proteção dos Direitos da Pessoa com Transtorno do Espectro Autista; e altera o § 3o do art. 98 da Lei no 8.112, de 11 de dezembro de 1990.
ELIA, L. O semblante como esvaziamento do ser e do poder no laço entre analista. VI Congresso Internacional de Convergencia, Madrid, 12 e 14 de junho de 2015. Disponível em: http://www.convergenciafreudlacan.org/inove4/php/download.php?gal_id=543. Acesso em: 22 de maio de 2017.
FERREIRA, S.S. Efeitos do discurso capitalista sobre o autismo. In A. JERUSALINSKY (org.). Dossiê autismo. São Paulo: Langage, 2015, p. 156-167.
FONTES, V. Marx, expropriações e capital monetário – notas para o estudo do imperialismo tardio. In Revista Crítica Marxista, n. 26. Rio de Janeiro, Revan, 2008.
LACAN, J. A lógica do fantasma. Seminário 1966-1967. Centro de Estudos Freudianos do Recife. Recife, 2008. Publicação não comercial.
________. Radiofonia. ________. Outros escritos. Rio de Janeiro: Jorge Zahar, 2003, p. 400-447.
________. A direção do tratamento e os princípios do seu poder. ________. Escritos. Rio de Janeiro: Jorge Zahar, 1998, p. 591-652.
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LAURENT, E. Cidades analíticas. In ________. A sociedade do sintoma – a psicanálise, hoje. Rio de Janeiro: Contra Capa, 2007, p. 91-110.
________. O analista cidadão. In ________. A sociedade do sintoma – a psicanálise, hoje. Rio de Janeiro: Contra Capa, 2007, p. 141-150.
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SOUZA, A. Os discursos em Psicanálise. Rio de Janeiro: Companhia de Freud, 2003.