Certitude et incertitude du consentement. R. Lévy, Paris. S5
Certitude et incertitude du consentement
Séminaire V 2021 2022
R. Levy
« Une certitude n’a jamais été une preuve. Une preuve n’a jamais été ni ne sera une vérité. »
ALBERT EINSTEIN
On ne pouvait pas terminer cette année sans évoquer cette particulière version de l’incertitude angoissante qui est celle du consentement qui traverse de nombreux champs de notre époque tels ceux par exemple du choix de genre dont on a largement parlé ; mais aussi celui du consentement utilisé comme raison du port du foulard à propos duquel bon nombre de femmes soutiennent ne pas y être forcées et y consentent donc , ou encore la prostitution dont on sait aujourd’hui qu’un nombre grandissant d’adolescentes en expérimentent la pratique en niant tout forçage de la part d’ un souteneur , ce qui , apparemment leur laisse la pleine responsabilité du consentement .
On rencontre également la notion de consentement dans le registre politique par la capacité de dire non à un ordre injuste, dans la résistance ou encore plus simplement dans la capacité de choisir la liberté offerte par notre droit .
Pourtant cette notion de consentement nous renvoie sans cesse à la notion si chère à La Boétie de ‘servitude volontaire ‘qui rend confortable celui qu’elle rend ainsi irresponsable . On peut aussi ajouter dans ce même registre ‘la fabrication du consentement’ , thème développé par Chomsky et Edward Herman dans lequel ils remarquent que les médias constituent un système qui sert en principe à communiquer des messages dans un monde où les richesses sont fortement concentrées et où les intérêts de classe entrent fortement en conflits .
Il est donc nécessaire d’accomplir une intégration qui nécessite une propagande systématique ..[1]
Egalement ‘La soumission consentie’ ou comment amener les gens à faire librement ce qu’ils doivent faire est un ouvrage écrit par Robert Vincent joule et jean Léon Beauvois , les auteurs y développent et recensent les connaissances scientifiques sur lesquelles on peut s’appuyer pour influencer les gens sans même qu’ils s’en aperçoivent .[2]
Mais , plus proche peut être de nos préoccupations le récit édifiant de Camille Kouchner qui décrit comment une famille cultivée contemporaine , bon chic bon genre , peut devenir incestueuse en toute impunité et plein consentement en gardant le secret qui a fait taire depuis longtemps cette ‘familia grande’ .
C’est encore ce consentement qui nous invite à poser des questions tout aussi actuelles dans la façon dont les mouvements féministes se sont emparés , je dirai , à juste titre , de ce signifiant pour fonder depuis 2017 le mouvement ‘ME TOO ‘et plus antérieurement le mouvement de ces femmes , les femen , qui s’écrivent sur le corps pour manifester leur non consentement à un certain nombre d’exactions de la part des hommes qu’elles considèrent liées à l’ordre patriarcal ; et plus récemment celles qui écrivent sur les murs de la capitale dans des collages sous le nom du mouvement des ‘collages féminicides’, qui inscrivent et collent sur nos murs des lettres noires sur papier blanc pour faire résonner à notre vue ‘céder n’est pas consentir ‘..
Comme l’écrit d’ailleurs si bien Clotilde Leguil dont je poursuivrai la pensée tout au long de cet exposé , il s’agit pour elle : d’ (..) Une révolte contre l’instrumentalisation du corps des femmes au service d’une jouissance qui peut aller jusqu’à l’abolition de la vie d’une femme ‘[3].
Evidemment ce séminaire sera également l’occasion d’une introduction au nouveau thème de l’année ‘qu’est ce qu’un(e) A(a)utre’ en nous efforçant de préciser à partir du sujet qui consent :
– à quel a(A)utre consent il ? et dans cette perspective , préciser:
au nom de quoi consent -on ?
– et qu’on ne peut détacher de la question suivante : peut-on consentir sans fantasme ?
En résumé quelle est donc l’implication de l’autre , des autres , du grand Autre dans notre propension à consentir ou à ne pas consentir .
Je voudrais très vite rappeler que désirer l’autre c’est forcément l’introduire dans notre fantasme ; ce qui en matière de consentement complique considérablement les choses et force à préciser alors de quel désir il s’agit ce qui n’a rien à voir avec la volonté ni le plaisir ….
Autant de questions d’actualité qui concernent les différents abus sexuels auxquels on assiste aujourd’hui et qui ne sont pas pourtant toujours si évidents à renseigner car il faut parfois mettre les points sur les i , c’est à dire nommer les choses comme j’ai dû le faire par exemple pour cette patiente qui, revenue à pieds et très alcoolisée d’une soirée , abordée par un inconnu auquel elle cède un baiser et qui en profite pour la pénétrer dans la rue .
C’est pourtant dit – elle ce qu’elle redoute le plus ‘être pénétrée’ qu’elle évite la plupart du temps et qui la conduit entre autre à entreprendre un travail avec moi .
Elle rentre chez elle lors de cette fameuse soirée , ne se souvient de rien jusqu’à ce que je nomme ‘viol’ les circonstances qu’elle évoque , comme si elle n ‘avait pas été là au moment du récit et comme si c’était son corps mais pas elle qui avait ‘cédé’ sans qu’elle y soit pour quelque chose ….
D’ailleurs prise d’une grande culpabilité au petit matin elle ne portera pas plainte , je dirai , comme malheureusement tellement de femmes ..
Il est vrai que ces récits de scènes de viol comportent très souvent le déni de la présence du sujet comme tel .
Ce qui est décrit dans le discours de ces évènements est une sorte d’aphanisis , de disparition du sujet dans l’acte qu’il subit et par conséquent ce qui se parle n’est plus qu’un corps ‘sans sujet’ qui semble consentir , en tout cas qui ne dit rien…
Dans le viol on cède son corps à l’autre comme on dit ‘cèder son corps à la science ‘..
C’est d’ailleurs ce qui très souvent est interprété par les violeurs pour un consentement selon le vieil adage : ‘qui ne dit mot consent’…
C’est du même processus dont il est question dans les actes prostitutionnels , en tout cas ceux qui sont le fruit d’un forçage perpétré par des réseaux de traite des blanches au cours desquels, la personne prostituée de force, opère une véritable dissociation entre son corps et elle – même comme sujet ; dissociation syndrome dissociatif à la limite d’une schizophrénie acquise très souvent aidée par la prise de drogues dures .
Je ne parlerai pas ici de ces nouveaux phénomènes de prostitution soi disant ‘consentis librement’ par ces jeunes femmes qui semblent en pleine expansion aujourd’hui car je ne les ai pas directement rencontrés ..
En tout cas à l’époque au cours de laquelle je me suis intéressé au travail avec ces personnes prostituées , des statistiques très éloquentes avaient été établies qui établissaient le fait qu’elles avaient subies jeunes à 80 % des abus ou des viols.
Ainsi cela m’avait amené à l’époque à formuler que ce qui se répétait dans chaque acte prostitutionnel, c’était ce que l’on peut appeler le traumatisme d’un traumatisme .
Peut-être alors le soi-disant ‘libre consentement’ de ces jeunes prostituées de dernière génération pourrait être également interrogé de la façon suivante : de quel type de processus psychique s’agit -il pour que ce corps soit clivé du sujet pour en faire une marchandise consentie ? Sur lequel d’ailleurs elles tiennent ce type de discours .
En effet quel est le fantasme inaugural à ce type d’acte ?
Ici, on peut à nouveau s’interroger pour savoir à quel autre se soumet -on dans ces circonstances et je dirai tout de suite que je ne mélangerai pas les questions et les discours.
Celui du droit tout d’abord , le juridique donc , qui consiste à dénoncer , porter plainte et condamner les violeurs que je ne mélangerai pas avec le discours qui nous intéresse ici et qui concerne les processus inconscients dont nous devons toujours reconnaître les coordonnées si on veut justement sortir nos patientes du statut de victime que le droit leur confère qui pourtant , encore une fois, est indispensable à reconnaître au plan juridique …
C’est bien ici la difficulté de notre travail , celle de devoir être pertinent sur ces deux registres qui pourtant ne doivent jamais se superposer même si parfois cela semble compliqué à tenir ..
L’abus , le viol, voire le féminicide pris dans les entrelacs entre céder et consentir nous amènent à travailler ces questions à partir de nos concepts et de notre clinique .
Il va sans dire que nous abordons ici des sujets qui touchent à la fois à toute cette part dite ‘d’abus sexuels’ , des incestes ou abus d’enfants qui sont les premiers à ne pas pouvoir dire non et par conséquent, les effets traumatiques résultants de ces expériences parfois très précoces. Sur la précocité , j’avais déjà évoqué que les conséquences étaient bien différentes en fonction de la temporalité à laquelle l’abus et/ou le viol d’un enfant a pu être perpétré ..
Il faut aussi de suite préciser que dire non, n’a pas non plus à voir avec ce ‘dire que non’ que j’avais déjà développé à propos des parents envers les enfants..
Mais il y a aussi des types de consentement qui peuvent paraître plus simples peut être mais alors ce sont des décisions qui supposent que décider de quelque chose c’est forcément renoncer à autre chose .
Ce qui n’est pas forcément plus simple pour d’autres raisons alors que consentir c’est, me semble-t- il, toujours ménager ou aménager une place dans le fantasme du sujet qui consent ou encore pour le sujet à qui l’ on consent.
Je citerai les différents types de consentement [4] auxquels Clotilde Leguil se réfère et qui nous permettront déjà de nous repérer comme première ébauche d’orientation .
Précisons qu’elle passe très vite du consentement à ce qu’elle appelle ‘se laisser faire ‘ comme sorte d’équivalence .C’est là sans doute une façon d’éviter de résoudre ces questions par un oui ou par un non sur un supposé accord .
Ainsi elle distingue trois types de ‘se laisser faire ‘ :
– ‘Se laisser faire’ comme consentement à la passion, celui que l’on rencontre dans les grandes amours passionnelles dans lesquelles l’un des deux protagonistes peut aller jusqu’au déchet pour saisir le désir de l’autre et le retenir attaché ..
-‘Se laisser faire’ comme voie pour interroger le désir de l’autre qu’on pourrait rapprocher des enjeux d’abus d’enfants où l’on retrouve ,côté enfant toujours interrogé ; côté abuseur l’adulte qui use toujours de l’interprétation de la position de l’enfant comme une invitation à l’échange d’une sexualité adulte ou encore qui justifie de ses actes sexuels comme étant seulement de l’amour .
C’est aussi , me semble -t – il, le cas du petit Sacha que Caroline Elliachef décrit et sur lequel je reviendrai tout à l’heure .
‘Se laisser faire’ sous l’effet de l’évènement traumatique que l’on retrouve me semble –t- il dans les actes prostitutionnels, à partir du traumatisme d’abus infantiles comme je viens de l’évoquer .
Mais Clotilde Leguil souligne dans son travail une sorte de passerelle entre ‘consentir’ et ‘céder’ qui permet de compléter la série avec
‘Se laisser faire’ par l’autre pour lui plaire et recueillir son amour au risque de sacrifier mon désir ;
‘Se laisser faire’ par le sur – moi qui invite toujours à privilégier la jouissance sur le désir que l’on rencontre au cours de certaines perversions dans l’impératif de l’Autre qui dit ; ‘jouis ‘ et que Lacan situe très directement comme le ‘droit de jouir d’autrui’ dans l’élimination de tout affect sentimental qu’il va rapprocher de Kant comme « le pas inaugural d’une subversion dont Kant est le point inaugural »[5].
Ces différents axes renvoient à Freud d’une manière générale dans ses remarques sur le malaise dans la civilisation pour ce qui concerne très directement la dimension de la pulsion de mort dans laquelle l’être humain peut éprouver la sensation de « satisfaire sur lui son agressivité , d’user sur lui sexuellement sans son consentement, de prendre possession de ses biens, de l’humilier , de lui causer des souffrances, de le martyriser et de le tuer »[6].
Je crois qu’ici il faut bien ‘genrer’ ce à quoi Freud fait allusion dans cette morale sadienne car il parle en fait des hommes au sens mâles du terme .
En effet il est assez clair que côté homme les choses se passent ainsi puisque la motivation du violeur ou de l’abuseur , qui sont de fait essentiellement des hommes , est toujours de posséder la femme sans son consentement , ce qui est la source même de son excitation et par conséquent de sa jouissance effective ..
Une petite exception toutefois côté perversion puisque dans ce registre dans lequel il s’agit aussi essentiellement d’hommes il est question là d’obtenir le consentement de l’autre , en général une femme , pour lui faire jouer un rôle très précis dans le scénario pervers auquel elle devra consentir , qui plus est par contrat .. C’est ce qu’on peut lire dans toute l’oeuvre de Sade .
D’ailleurs dans cette même oeuvre , celle qui ne consent pas à l’ impératif de jouissance de l’autre finira par être exécutée ..
Mais n’oublions pas néanmoins que même hors scénario pervers ; dans ce mot ‘ consentement’ comme l’écrit Geneviève Fraisse ‘il y a toujours deux êtres dans cette histoire , celui qui consent et celui à qui on consent quelque chose . Le consentement est un acte intime mais jamais solitaire »[7].
Ce qui nous renvoie à nouveau à Lacan toujours dans son texte ‘Kant avec Sade ‘[8] et cette fois peut être plus encore au séminaire sur l’éthique de la psychanalyse [9] au cours duquel il fait remarquer qu’avec Sade il est question d’une « libre disposition de toutes les femmes indistinctement , et qu’elles y consentent ou non ».
Peut – on également rapprocher de ce terme de ‘consentement’ les différentes tentatives de changement de genre et en particulier celles qui concernent l’enfant transgenre dont Caroline Eliacheff et Céline Masson posent les coordonnées du scandale dans leur dernier ouvrage ‘La fabrique de l’enfant transgenre ‘[10].
Il s’agit de montrer dans cet ouvrage comment et pourquoi un enfant et qui plus est un ado se trouveraient dans l’incapacité de consentir justement vraiment à changer de sexe lorsque le désir d’une mère comme cela est si bien montré dans le film ‘petite fille’ le promeut ou encore quand l’institution scolaire ne joue plus son rôle de tiers entre l’enfant et les parents.
Et , qui plus est lorsque l’institution scolaire cède même sur la loi comme ce fut le cas dans l’envoi d’une circulaire aux enseignants de la part du ministère de l’éducation nationale dont Blanquer était le ministre alors . Cette circulaire ( du 30 septembre 2021 ) promeut « une meilleure prise en compte des questions relatives à la prise en compte des questions relatives à l’identité de genre en milieu scolaire »[11]….
Ou encore dans le guide destiné aux personnels des établissements scolaires édité en 2019 afin de lutter contre l’homophobie et la transphobie qui dénonçait comme agissement LGBTPhobes , le fait de refuser le prénom d’usage d’une personne trans et /ou de refuser d’utiliser les pronoms /accords correspondant à son identité .[12]
Mais dans ce cas on s’aperçoit que la loi est clairement désignée comme transphobe comme le font remarquer Caroline Eliacheff et Céline Masson dans leur livre puisque en effet l’établissement scolaire peut refuser et je dirais même se doit de ne pas céder sur ce point car elle ne peut règlementairement changer le prénom d’un élève .
Rappelons simplement et plus prosaïquement en ce qui concerne la loi que :
« la pratique récente du contrôle continu pour les diplômes permettant l’accès au cycle d’études supérieures exige une adéquation stricte entre l’état civil de l’élève et les relevés de notes »[13].
Mais alors à quoi l’éducation nationale cède – t-elle lorsqu’elle ne remplit plus son rôle ou encore pour être plus Kantien : lorsqu’elle ne fait plus son travail ?
Je cite ici à propos de consentement ces lignes très justes de Caroline Elliachef et Céline Masson dans ce même livre à propos de du petit Sasha :
« Inconcevable également qu’à 8 ans , il puisse appréhender la réalité d’une ablation de son appareil génital , dont l’usage sexuel lui est encore inconnu , tout autant que la sexualité de l’adulte . Sasha est à un âge où l’on fait confiance aux adultes , surtout lorsqu’ils lui veulent du bien : n’est ce pas le cas du médecin qui a tout l’air de l’avoir compris et de ses parents qui approuvent le médecin ? Est ce cela qu’on appelle le consentement ? »[14]
N’est ce pas un des plus malheureux exemples d’une soumission à l’Autre qui n’est bien sûr possible que parce que le sujet enfant ‘ se laisse faire ‘ , mais comment en serait-il autrement ; il se laisse faire alors qu’il ne le désire pas ou encore parce qu’il ne sait pas vraiment ce qu’il désire et on peut donc dire qu’il cède sur son désir .
Mais peut on céder sur son désir quant on ne sait pas ce qu’on désire ?
En tout cas , à minima, on peut dire que pour cet enfant son désir est sacrifié au service d’une demande d’amour angoissée , d’une impossibilité de se soustraire à l’emprise de l’Autre : ici la mère ou plus exactement le désir de la mère ..
J’ai d’ailleurs eu déjà à me confronter avec ce genre de demande qui était formulée par des parents qui ne pouvaient pas comprendre pourquoi leur jeune enfant garçon qui se déguisait souvent en petite fille et jouait à la dînette était si mal accepté par l’école qui à cette époque , il y a déjà bien longtemps n’avait pas encore reçu les fameuses circulaires ….
Quant à moi je ne comprenais pas à l’époque pourquoi ils n’étaient pas plus inquiets de ce qui arrivait à leur petit garçon qui mettait déjà en oeuvre ce qui s’appelera plus tard les gender théories .
Pourtant après un long travail avec la mère il était apparu clairement que ce qu’elle défendait farouchement à travers sa revendication à l’égalité des sexes et la fluidité de celui de son fils c’était son désir inconscient d’avoir voulu une fille à la place de ce petit garçon qui , sans le savoir réalisait pourtant son désir , consentait donc au désir de sa mère l’Autre en l’occurence à travers son travestissement…
Ce petit garçon n’avait donc pas cédé sur son désir mais avait cédé au désir de sa mère auquel il consentait en se déguisant en fille en lui montrant par ses déguisements et à chaque jeu combien il était en complicité avec le désir inconscient de sa mère ..
Je ne sais pas ce qu’il est arrivé à ce petit garçon mais je suis certain qu’aujourd’hui il serait à la place de Sasha ….
Une autre expérience plus récente , celle d’une jeune adolescente amenée par son père en raison du malaise qui suscitait son envie de devenir un garçon et qui passait son temps hors de l’école à se scarifier , en empêchant ses signes sexuels secondaires qui commençaient à se voir d’apparaître en se bandant les seins notamment.
Son père quant à lui avait cédé depuis longtemps et l’assumait en l’appelant du prénom de garçon qu’elle s’était choisie , en disant : ‘si elle est plus heureuse comme ça ‘ . Sa mère néanmoins était seule à faire résistance , elle ne supportait pas de l’appeler par ce prénom de garçon par lequel elle avait choisi de s’appeler maintenant et qu’elle avait réussi à imposer en classe .
En fait elle n’attendait que d’avoir 16 ans pour commencer son processus de transidentité et ne pensait qu’à ça bien qu’elle n’ait que 13 ans .
J’ai été très vite évincé, n’étant pas un spécialiste de ce genre de pratique au profit d’un psychiatre dont elle avait obtenu les coordonnées par la communauté LGBT Q+ qui avait de suite pris l’engagement de l’aider à réaliser sa soi- disante trans identité sans autre forme de procès ….
Arrivé en ce point il faudrait maintenant faire une distinction comme le fait fort justement Clotilde Leguil entre ‘céder’ et ‘consentir ‘ et entre ‘céder sur et céder à ‘..
En effet elle soutient que ‘céder n’est pas consentir’ thèse qui produira même le titre de son ouvrage et qui offre ainsi une nouvelle distinction; il y aurait ainsi un :
`‘se laisser faire’ qui s’accorde avec un choix du sujet ( celui de la passion amoureuse ) .
Un ‘se laisser faire’ qui provient d’une question du sujet et un ‘se laisser faire’ qui contredit le désir du sujet [15].
Mais je voudrais traiter maintenant cette remarque très importante selon laquelle :
« Là où le céder n’est pas un consentir , là où le corps cède à quelque chose , alors que le sujet ne dit plus mot »[16].
Nous avons tous entendu ces récits traumatiques au cours desquels la personne violée , disons en général une femme, se trouve paralysée , pétrifiée par l’effroi que suscite cet acte et subit donc en son corps un émoi, un effroi sans y consentir ..
Et c’est ici que Clotilde Leguil nous propose une lecture très intéressante qu’elle écrit de la façon suivante : « le céder est une réponse du corps là où il y a une non réponse du sujet (…) quelque chose se fend se brise se fracture . Le sujet est en cendre »[17].
Nous avons déjà avancé que le traumatisme était l’effet produit par l’effraction du fantasme et ici , Clotilde Leguil nous apporte une spécificité ‘corporelle’ si je puis dire de ce rapport entre l’effraction du fantasme , du sujet qui disparaît, et du corps qui cède là où il n’y a plus de mots pour le dire ..
Le ‘céder’ est donc une réponse du corps que le sujet qui disparaît laisse en otage ou plus exactement en pâture au violeur ou à l’abuseur …
Mais peut être ,pouvons – nous faire en tout cas l’hypothèse que céder au désir de l’abuseur en lui cédant son corps est plus tôt une façon de ‘ne pas céder’ sur son désir , distinction qu’introduit encore Clotilde Leguil avec tout autant d’intelligence mais qui nécessite de préciser alors de quel désir il s’agit quand on ne cède pas sur son désir …
Pour ce faire :
Je voudrais ici faire état d’une histoire au cours de laquelle trois patientes racontent des évènements traumatisants ..
L’une qui coincée dans une chambre avec des garçons qui sont ses copains s’endort et se réveille après qu’elle ait supposée avoir été violée et ne se souvient de rien .
Cette disparition d’elle comme sujet en laissant son corps en pâture s’en étant absentée comme sujet est-ce une façon de ne pas céder sur son désir en laissant à l’autre la jouissance d’un corps dont elle s’est absentée comme sujet?
La seconde est une jeune femme désirant un homme qui ne la regarde pas depuis longtemps et qui se trouve un beau jour invitée chez lui et alors que des préliminaires à un acte sexuel démarrent , elle s’endort aussi vite dans le lit de l’homme pourtant tant attendu sans qu’il ne se soit manifestement rien passé . Aussi justement le garçon gentleman ayant respecté son sommeil , son absence donc au rdv sexuel prévu réclame néanmoins son dû le matin au réveil et lui demande de lui faire une fellation , ce qu’elle accepte instantanément se sentant dit – elle coupable de s’être endormie …
A-t- elle cédé au désir de cet homme tout en se garantissant de ne pas avoir cédé sur son désir en s’endormant ?
Enfin une patiente qui après une enfance au cours de laquelle elle s’était sentie obligée sans cesse de veiller contre les abus de son père sur ses soeurs, elle – même prétendant toujours ne pas en avoir été l’objet .
Elle se trouve aujourd’hui prise dans une répétition au cours de laquelle chaque fin de semaine elle rentre avec un nouvel homme , consomme un coït avec lui , et ne le revoie plus jamais . D’autre part , alors qu’elle a de grandes difficultés avec son corps nu, à la plage par exemple ; elle évoquera au cours de son analyse que ce corps qu’elle offre pourtant au regard de l’autre dans ces coït de fin de semaine n’est pas son intimité (on pourrait presque dire que ce n’est pas son corps alors qu’étrangement le sien c’est bien celui qu’elle ne peut pas montrer à la plage ) ..
L’intime avec un homme ce serait pour elle comme elle le dit engager une relation à plus ou moins long terme ; ce qu’elle refuse absolument en éconduisant systématiquement toute proposition de bis répétita avec ses hommes du vendredi et ce , même si un certain nombre d’entr’eux la re-sollicitent ..
Ces trois histoires me semblent illustrer parfaitement cette remarque selon laquelle ‘céder n’est pas consentir’ mais surtout combien les corps permettent aussi de ‘ne pas céder sur son désir’ .
C’est à dire de maintenir au fond un niveau éthique du désir et c’est bien ce à quoi Lacan nous amène dans son séminaire sur l’éthique [18]:
« La seule chose dont on puisse être coupable au moins dans la perspective psychanalytique, c’est d’avoir cédé sur son désir ».
Très important de remarquer ici que Lacan ne dit pas coupable de ‘céder au désir’ mais de ‘céder sur son désir’ .
Ce qui amène justement Clotilde Leguil à souligner qu’il donne ici une nouvelle fonction au verbe céder ; en effet , ‘ne pas céder sur son désir’ c’est exactement l’inverse de ‘céder au désir’ et par conséquent il ajoute de ce fait une nouvelle signification au désir qui devient autre chose que plaisir ou pulsion, même s’il peut rencontrer ces deux dimensions .
Le désir dont il s’agit ici , c’est ce qu’il y a de plus intime dans le sujet qui demande d’y mettre du sien .
Je crois que cette dernière remarque nous fait entendre ce que cette patiente dit et qui était resté pour moi très énigmatique , à savoir que donner son corps à un nouvel homme chaque fin de semaine n’est pas intime pour elle car ainsi elle ‘ne cède pas sur son désir’ elle ne le’ lâche pas’ , comme elle ne lâchait pas ses frères et soeurs face au père violeur..
Lacan considère la dépression comme une faute morale une ‘lâcheté’ donc où le sujet abandonne , lâche son désir .[19]
Ainsi ‘se laisser faire ‘ à une relation plus établie serait alors pour cette patiente renoncer à son désir, le trahir ; ce serait pour elle en tout cas, laisser l’autre décider de ce que ‘je’ veux ..
En ce sens avec l’apport de Lacan sur l’éthique on peut dire que : JE DESIRE DONC JE SUIS ; or je suis seul à pouvoir faire de mon désir une valeur pour mon existence ; personne ne peut le faire pour moi – ainsi on comprendra en quoi une analyse n’apporte pas le bonheur ni même , comme on le croit souvent , ne permet d’accéder à ses désirs , mais une analyse rend possible l’accès à ce désir constitutif du sujet .
Il faut souligner que bon nombre de nos collègues ont interprété cette phrase du ‘ne pas céder sur son désir’ comme une façon de se soustraire à l’impossible ou à la loi alors que comme l’écrit encore Clotilde Leguil : « c’est même en faisant une place à ce qui n’est pas possible , donc à l’impossible que le désir peut trouver à se frayer une voie dans l’existence d’un être , compte tenu des contingences qui se présentent à lui »[20].
Pourtant y avons-nous accès seulement en repassant les notions d’ordre symbolique , de castration , de manque ou encore de déclin du père ?
C’est pourquoi on ne peut pas traiter de ces questions de consentement sans tenir à la lecture introduite par les féministes qui ont pu rejeter une certaine psychanalyse comme discours idéologique essentialisant la différence des sexes ..
Donc sortir du ‘continent noir’ , de l’énigme de la féminité qui ne contribue qu’à hiérarchiser en fait la différence .
Il s’agit donc de déconstruire sur le divan ces différentes essentialisations d’une identité sexuelle .
Lacan nous rappelait déjà qu’« Il y a des normes sociales faute de toute norme sexuelle , voila ce que dit Freud »[21]
En effet le corps le sexe et la sexualité restent indisciplinés et ne relèvent pas si simplement des catégories binaires , comme nous l’avons vu tout au long de cette année de travail .
Pouvoir penser donc une différence des sexes dans une perspective où la libido ne serait pas exclusivement décrite à partir de la libido masculine est une façon de revenir à la question d’une écriture Signifiante du manque chez tout sujet que Lacan introduit avec la question du Phallus de façon indépendante de tout genre de la libido .
Et ce n’est pas pour rien ou plutôt c’est pour cela justement que j’évoquais que deux des mouvements originaux actuels féministes en passaient par l’écriture notamment sur le corps comme les femen (femen contraction de female -men).
Alors je reposerai à nouveau la question : quels sont les effets de ces avancées sur la pensée de la différence ? C’est à dire sur la notion d’autre ?
En d’autres termes comment sortir de cette dualité en réintroduisant le corps pour chacun comme autre inapropriable , celui qui se divise essentiellement du sujet et dont on constate en plusieurs circonstances qu’il peut être délesté , pour ne pas dire abandonné pour sauver l’éthique du désir …Ce corps – là n’est pas celui de la science qui, lui, se dissèque par morceaux et qui, surtout, est hors libido.
Le corps dont je parle c’est celui qui, en tant que signifiant ,est irréductible à un quelconque signifié si ce n’est la manifestation du symptôme qui permet peut- être quel que soit le sexe biologique, de réintroduire ou tout bonnement d’introduire la différence nécessaire à la conflictualité nécessaire à toute pensée ..
Reconnaître donc que si l‘enfant repère la différence des sexes très tôt c’est avant tout par ce qu’il repère le masculin et le féminin dans les coordonnées sociales dans lesquels il est projeté .
Dans les crèches où les jeux ne sont pas genrés les enfants jouent depuis longtemps à la dînette ou aux voitures indépendamment de leur sexe biologique ..
En revanche ce qui fait de suite conflictualité et différence pour l’enfant c’est le corps tout d’abord de sa mère auquel il n’a accès peu à peu que par petits bouts , puis le sien ensuite auquel il n’accède que par oppositions ou conflictualités auxquelles il est soumis par le réel de ses manques par rapport auxquels il se sent totalement dépendant à commencer par la faim ..
C’est ce corps érogène , polymorphisme qui brouille toute référence au masculin ou au féminin .
Par conséquent le premier autre auquel un sujet a affaire ce n’est pas celui de la différence des sexes , c’est celui de son propre corps c’est celui qui naît de cette inquiétante étrangeté qu’il présente pour chaque sujet . Un corps sexué en effet au contraire du corps de la science qui est asexué et qui n’est atteint quant à lui que par livre de chair ..
C’est ce qu’on retrouvera de façon démultipliée à l’occasion de l’adolescence , ce moment ‘ chapeau claque’ du corps comme l’intitulait déjà Françoise Dolto .
Adolescence au cours de laquelle il faut encore inscrire avec scarifications multiples sur ce corps nouveau pour se l’approprier puisqu’il me devient à nouveau étranger par la biologie qui le pousse à la transformation .
J’y vois là également le succès sans précédent des tatouages en ‘tout genre’ .
Je crois que c’est ce qu’ont apporté les discours féministes et ceux associés aux gender théories : sortir du corps de la science pour remettre du corps sexué dans la question de la différence des sexes et sortir ainsi de l’hétéronormativiré et de l’héthéronormativation qui nie le corps au profit d’une différence des sexes biologique centrée sur une différence déficitaire pour l’une des deux parties en présence ..
[1] Chomsky et Herman La fabrication du consentement de la propagande médiatique en démocratie ED Agone 2008 2009
[2] Robert Vincent Joule et jean -léon Beauvois La soumission librement consentie P.U.F 7e 2dition 2017
[3] Clotilde LEGUIL Cèder n’est pas consentir ED PUF 2021 P.9
[4] opus cité P.99
[5] Ecrits champ Freudien Kant avec Sade 1995 P.765. cité par C Leguil P.96 OPUS déjà cité
[6] S FREUD Malaise dans la civilisation SEUIL 2010 P.119
[7] Gene vieve Fraisse DU CONSENTEMENT ED LE SEUIL 2017 P.13
[8] ECRITS SEUIL 1995P. 765
[9] SEMINAIRE P.96
[10] Caroline Eliacheff et Celine Masson Lafabrique de l’enfant transgenre ED L’observatoire Fevrier 2022
[11] Bulletin officiel d l’éducation nationale N 36 30 SEPT 2021
[12] Cité par Caroline Eliacheff opus cité P.17
[13] Idem P.20- 21
[14] Ibidem P .24
[15] LEGUIL OPUS déjà cité P.87
[16] iidem
[17] ibidem
[18]Jacques Lacan l’éthique de la psychanalyse le seuil 1986 P.368 cité par Leguil
[19] Jacques LACAN television le seuil 1974
[20] ibidem P.91
[21] J LACAN interview à France culture en 1973 reproduite dans le coq héron nà 46 – 47 1974 P. 3-8 cité par Laurie Laufer vers une psychanalyse émancipée La découverte 2022 P. 27