Groupe de recherche : accompagner autrement avec la psychanalyse
A la suite lire un texte de Radjou Soundaramourty: Le “Tout-venant d’une demande” un dispositif pour la psychanalyse”
Actuellement nous construisons un réseau avec les associations et institutions qui accueillent ceux qui sont dans la détresse et l’isolement, et ne peuvent s’adresser directement à un psychanalyste.
Que ce soit symptômatique ou que cela relève de circonstances extérieures la grande difficulté sociale porte ses effets au cœur de la subjectivité. Nous réfléchissons à comment leur offrir une écoute, un lieu d’élaboration de leurs difficultés dans nos cabinets.
Renseignements auprès du secretariat d’Analyse freudienne
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Texte de Radjou Soundaramourty:
Le “Tout-venant d’une demande” un dispositif pour la psychanalyse”
Il existe déjà sur Paris un numero de telephone qui permet à ces personne de joindre directement un psychanalyste
Il s’agit d’un dispositif pour la psychanalyse, pour permettre à des psychanalystes dans une association psychanalytique de mettre au travail leurs résistances à la psychanalyse. Le fait de se trouver dans de « grandes difficultés économiques et sociales » peut éventuellement être un symptôme pour un sujet. Qu’un psychanalyste ne soit pas en mesure de recevoir le « tout venant d’une demande » est assurément une résistance d’un psychanalyste à la psychanalyse.
C’est d’abord la résistance de l’analyste qui nous intéresse. Il n’y a en effet pas un transfert de l’analysant sur l’analyste et un contre-transfert de l’analyste sur l’analysant, mais du transfert pour autant qu’il s’agit de se déprendre de l’intersubjectivité. De même, bien qu’il y ait des tas de symptômes au sens de la sémiologie psychiatrique ou psychopathologique, le symptôme d’un sujet est ce qui vient singulièrement s’actualiser dans une cure avec le transfert, c’est-à-dire avec l’analyste. Voilà pourquoi, il n’y a pas d’interprétation hors transfert, pas d’analyse des résistances sans d’abord considérer la résistance de l’analyste. Cette éthique du désir d’analyste inscrit l’acte de l’analyste dans une logique de l’inconscient, une pratique avec le réel qui fonctionne à l’envers d’une logique psychiatrique et psychologique. C’est là assurément la subversion radicale d’une pratique psychanalytique de la cure qui ne se laisserait pas réduire à une technique parmi d’autres de psychiatrie ou de psychologie sociale au service du souverain bien. C’est pourquoi ce dispositif n’est pas tant un dispositif pour des « personnes en grandes difficultés sociales » qu’un dispositif pour la psychanalyse. Il est en effet bien plus intéressant de prendre la question par son envers. Une question qu’il s’agira d’interroger régulièrement dans l’association pour mettre au travail ce que ce dispositif produit chez les analystes qui voudront bien s’y engager.
Le terme de « tout-venant de la demande » avait une connotation péjorative pour certains d’entre nous. Le « tout-venant », c’est tout ce qui se présente, sans triage, sans classement préalable. C’est l’extrait brut de la carrière ou encore un mélange provenant de déblai. « Nuit et jour, à tout-venant, je chantais » dit aussi la cigale à la fourmi. Alors oui, ce terme à une connotation équivoque, évoquant la pauvreté, le déchet, mais aussi une certaine liberté, le non calibré, ce qui vient au premier abord.
Cette dernière acception n’est pas sans nous évoquer la règle fondamentale (dire tout ce qui vient, sans effectuer de tri préalable), ou encore l’attention flottante de l’analyste. L’analyste est en effet parfois encombré de sémiologie psychiatrique ou psychopathologique ou de théories diverses qui brouillent l’écoute. Pas si facile de se laisser aller au tout-venant des associations, ou de l’attention flottante.
L’enjeu de ce dispositif est de formaliser une offre et de le faire savoir. Il est possible de consulter directement un psychanalyste et de convenir avec lui du prix des séances. Combien chacun singulièrement veut mettre dans son analyse, est prêt à y consacrer, quelle valeur accorder à ses séances. « De chacun selon ses moyens à chacun selon son désir » pourrait-on dire pour subvertir la formule que l’on retrouve à quelques variantes près chez Saint Simon, Louis Blanc ou Kropotkine sous la forme : « de chacun selon ses moyens (ou ses capacités) à chacun selon ses besoins ». Cette question du prix des séances étant, comme beaucoup d’autres questions que pose ce dispositif, une manière de réinterroger des pratiques parfois un peu trop automatisées chez chacun de nous. Quel est le prix que nous sommes prêt à mettre pour rencontrer la question de notre désir si fréquemment contrarié ? Ne serions-nous pas prêts à vivre alors au-dessus de nos moyens psychiques si nous parvenons à faire un sort à la passion de l’ignorance ?
Les analystes ne sont pas de bons samaritains, l’amour du prochain n’est pas ce qui les guide. Il s’agit au contraire de considérer « ce qui se présente à l’analyste », c’est ce que Lacan nomme « le tout-venant d’une demande » dans la « Préface à l’édition anglaise du séminaire XI[1] ». Il s’agit aussi pour l’analyste non pas d’accueillir une demande, nous précise Lacan, mais d’une offre qui est antérieure à la requête d’une urgence. Enfin, il faut d’emblée considérer la jouissance de l’analyste : « interrogeons comment quelqu’un peut se vouer à satisfaire ces cas d’urgence. »
La question n’est pas « pourquoi les pauvres ne viennent pas consulter un psychanalyste ? » autrement que dans des dispensaires où l’état rétribue les cliniciens qui les reçoivent, mais « pourquoi les psychanalystes ne reçoivent pas aussi les pauvres dans leurs cabinets ? ». N’est-ce pas les analystes eux-mêmes qui réservent leur cabinet aux personnes riches ? Serait-ce parce que la psychanalyse est une science définitivement bourgeoise et qui ne s’adresserait qu’aux bourgeois viennois, parisiens, madrilènes, grenoblois, etc. ? L’argent est censé faire tiers, faire coupure dans la jouissance, inscrire dans le registre du symbolique la question de la dette, de l’amour autrement que de façon passionnellement imaginaire. Être pauvre peut être une particularité, un symptôme parfois d’un analysant, ne pas recevoir de pauvres peut aussi être un symptôme de la psychanalyse ou de psychanalystes.
Soit les analystes sont avant tout intéressés par l’argent, soit ils considèrent que leur offre ne s’adresse pas aux pauvres et il faudra dire en quoi, soit ils considèrent ceux (ce) qui se présentent à eux comme des sujets. Pour le public, une psychanalyse coûte cher. Alors pas question d’adresser un pauvre ou d’aller consulter quand on est pauvre. Voilà pourquoi, il est important de faire savoir, de faire part que des analystes sont prêts à traiter de leurs résistances concernant cette question. Il est donc possible de leur adresser le tout-venant d’une demande. Il sera néanmoins nécessaire de rencontrer ceux qui côtoient quotidiennement des personnes qu’il ne leur venait pas à l’idée d’adresser à un psychanalyste, du fait par exemple de « leurs grandes difficultés sociales », pour leur indiquer qu’un analyste peut en fait recevoir ceux qui se présentent à lui.
La question q
ue pose ce dispositif est d’abord politique. Comment l’analyste se débrouille-t-il pour opérer les différents quarts de tour nécessaire pour revenir au moins furtivement au discours psychanalytique ? Quid d’une éthique du désir et d’une prise en compte du sujet, de la dimension du réel et de l’impossible, là où le discours capitaliste viserait à ce que çà tournerait rond au prix de la forclusion du sujet ?
Voilà pourquoi les principes de faire de la demande avec une offre préalable, d’accueillir le tout-venant d’une demande d’un sujet toujours supposé et non comme un bon samaritain dans l’amour du prochain et de la charité chrétienne semblent des préalables à tout dispositif. Pas d’accueil en fonction d’un symptôme, d’analysants pauvres ou de pauvres analysants, de types pauvres ou de pauvres types. Un dispositif qui traite d’abord la résistance de l’analyste face à ce réel de « personnes en grandes difficultés sociales ». Et pour commencer, il est important que le fait d’écouter un sujet démuni, sans argent, pouvant être vu ou se faire voir comme un rebut ou un déchet ne nous entraîne pas d’emblée dans une relation imaginaire, de jouissance dans l’acceptation ou le rejet apriori. La règle fondamentale de ce dispositif serait de prendre en compte ce qui se présente à l’analyste, le tout-venant d’une demande. Pour le reste, y compris le manque d’argent, la pauvreté ou tout autre particularité, il s’agira comme toujours de le mettre au travail en acceptant d’être déplacé d’un cadre, qui à être normalisé peut vite virer à un confort petit-bourgeois.
Radjou Soundaramourty
[1] « Préface à l’édition en langue anglaise du Séminaire XI », paru dans Ornicar ?, n°12/13, 1977, p.124-126 et dans Autres Écrits, p.571-575, Édition du Seuil, avril 2001.