Jean-Jacques Leconte

CARTEL SUR LE TRIPODE

Journée institutionnelle du 4/010/14

Un des enjeux de notre travail m’est apparu, quand s’est posée la question de savoir comment nous allions  intervenir ce matin. Cette intervention comme toutes celles qui sont prévues, doit tenir compte des impératifs économiques qui nous privent d’une traduction simultanée. En conséquence, chaque texte a dû être écrit assez tôt pour être traduit, et lisible sur un écran   au moment où il sera lu. Ce dispositif ne permet pas d’intervention improvisée comme cela se passe lors de nos rencontres. Elles favorisent la parole et ce qui en émerge d’imprévisible dans le transfert, et dans l’adresse à l’autre, à savoir des formations de l’inconscient, lapsus notamment. Après  y avoir renoncé, je me suis résigné à écrire mon texte.

La première phrase  commençait ainsi : «Comment écrire ce qui ne cesse de nous échapper, tout en ne cessant  de nous réunir, depuis des mois, dans le cadre d’un cartel du protocole. Un cartel du protocole? A peine avais-je renoncé à l’imprévu qui surgit dans la parole qu’il se manifestait sous sa forme écrite. Cette première phrase que j’ai écrite d’une traite, ou plutôt d’un trait, me renvoie  au trait du cas, si j’envisage que  le cas c’est moi. Un moi entamé par un lapsus, qui laisserait sa place au sujet de l’inconscient.  L’instant de voir, ce que j’avais écrit n’a eu lieu que plusieurs jours après. Après le temps pour comprendre, que ce qui était en jeu  avec le cartel du tripode, nouveau venu, devait prendre en compte ce qui l’avait précédé. Notamment le cartel du protocole institutionnel,  et le moment était venu de conclure, après que le travail dans les différents de jury de passe avait conduit à la suspension d’une nomination analyste, de reprendre les questions de la didactique, de l’institutionnel, de l’institué et de l’instituant. Vaste programme. Question : Comment écrire ce qui ne cesse de nous échapper ? Réponse : en faisant un lapsus calami. Ce qui ne cesse de nous échapper, c’est une liste. La liste des membres d’analyse freudienne, que l’association se propose de reconnaître et dont la pratique clinique et théorique relèverait de l’éthique psychanalytique telle que l’association la soutient à travers son expérience. C’est ce qui ne cesse de nous échapper. Il faut que je vous raconte une anecdote. Nous sommes plusieurs à la connaître  et le fait dont il est question,  qui concerne la liste dont je vous parle, est spectaculaire. Il y a quelques années au cours d’une réunion de bureau, et dans la pièce même où nous réunissions habituellement, en toute quiétude, une explosion soudaine accompagnée par quelques volutes de fumées, flottant au-dessus de l’ordinateur de l’association, ne fit d’autre victime que le dit ordinateur qui venait de rendre l’âme. Beaucoup de documents furent définitivement perdus notamment les  listes qui avaient été  proposées  jusque-là par les cartels du protocole.  

  Après la dissolution de l’EFP, un cartel d’analystes  fondait une association pour l’analyse. Elle différait des autres, en ne proposant pas, comme cela se faisait alors, une liste d’analystes fondateurs,  à laquelle venaient s’adjoindre par cooptation d’autres analystes. Donc pas de liste d’analystes au départ, ce qui orientait le désir de reconnaissance de tout un chacun vers des questions et un travail qui devrait aboutir à une élaboration qui cerne le vide de cette liste.

 Il s’agissait de réintroduire la question de la liste.En effet il est légitime que l’engagement dans une association psychanalytique suscite un investissement fut-il imaginaire de se voir un jour inscrit sur une liste. Qu’il soit par avance barré par une règle de fondation ne va pas de soi. Les membres du cartel  à l’origine de la fondation de l’association, étaient  inscrits sur la liste des AE,  de l’EFP, et assuraient la pérennisation d’une liste implicite. La fonction du protocole a eu le mérite en ouvrant les questions autour de la nomination de dissoudre cette liste.

L’existence du protocole part d’un présupposé, à savoir qu’une majorité de membres pense qu’il y a lieu de qualifier des psychanalystes. Il y a une disjonction entre le s’autoriser analyste et le être nommé analyste. Du fait même de la structure on ne saurait être nommé que par un autre. Ce mode de nomination ne s’inscrit ni dans la filiation (analysant de untel) ni dans la cooptation avec ses effets imaginaires.

Certains ont fait leurs preuves à des titres divers. L’association comporte une ou plusieurs listes implicitement connues ou admises. Il s’agit d’élaborer un savoir écrire ces listes déjà existantes, il s’agit d’en trouver une modalité d’écriture. Il s’agit de produire conjointement un travail théorique écrit et argumenté concernant la question de la nomination, et simultanément nommer, l’acte de nommer faisant partie du travail de recherche lui-même. Une élaboration sur ce que veut dire nommer dans le registre de l’acte. Oui il parle de psychanalyse.

 Le moment de conclure s’achève par ce rappel historique, et la question de la nomination, toujours actuelle. Mais il comporte aussi la question posée par l’apparition  du cartel  du tripode,  balayé par ce lapsus et remplacé par le cartel du protocole. Nous ne savons pas encore ce que c’est qu’un  cartel du tripode. Et c’est sans doute pourquoi nous avons pu travailler avec autant d’allant et de plaisir en ne sachant rien de cette apparition qui flottait au-dessus de nos échanges. Un cartel fantôme encore dans les limbes, peut –être en train de naître, et qu’on ne trouve  mentionné nulle part ailleurs que dans cette initiative du conseil d’administration. Une initiative qui nous vient de l’institutionnel et qui n’est pas encore instituée. Peut-être est-elle instituante? Le cartel du  tripode est presque tombé du ciel, et nous l’avons accueilli avec  bienveillance et intérêt, d’autant plus  que nous ne savions pas  de quoi il s’agissait, avec le sentiment que la voie était libre pour que nous puissions travailler sans trop d’a priori.

Je me suis demandé d’où venait le signifiant tripode. Dans le dictionnaire, que  ce soit le terme de tripode ou celui de trépied,  la racine latine tripes pedis est la même et signifie : « à trois pieds » A l’ origine c’est un support métallique qui permet de mettre un ustensile de cuisine au feu. C’est aussi un meuble à trois pieds, un guéridon ou un tabouret. Il désigne aussi, le tourniquet à trois banches qu’on actionne chaque fois qu’on prend le métro.  On le fait tourner, ou on l’enjambe, selon son statut social, pour accéder au quai. Quant à la  dernière définition elle désigne le siège à trois pieds où la Pythie rendait l’oracle d’Apollon. Au cours de cette investigation, l’objet se libère peu à peu de ses fonctions utilitaires,  se  métamorphose et en voisinant avec les objets sacrés voués au culte d’Apollon, et finit lui-même par gagner l’olympe. Phénomène de transsubstantiation, changement complet d’une substance en une autre, qui  confère aux trois pieds du tripode, le statut de signifiants noués au mythe d’’Œdipe (pieds enflés)  et occupant la place de l’énigme. Celle que la sphinge propose à  qui veut entrer dans la ville de Thèbes.  Qui  marche le matin sur quatre pieds, à midi sur deux pieds et le soir sur trois pieds ?

«  Nommer quelqu
’un analyste, personne ne peut le faire, dit Lacan, et Freud n’en a nommé aucun. D’où ma proposition que l’analyste ne s’hystorise que de lui-même : fait patent. Et même s’il se fait confirmer d’une hiérarchie. Quelle hiérarchie pourrait lui confirmer d’être analyste, lui en donner le tampon. Ce qu’un Cht me disait, c’est que je l’étais, né. Je répudie ce certificat : je ne suis pas un poète mais un poème. Et qui s’écrit, malgré qu’il ait l’air d’être sujet. »

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