« LA PSYCHANALYSE EST ELLE SEXISTE ? » Robert Lévy, séminaire 2. Paris, 17/11/2021

LA PSYCHANALYSE EST ELLE SEXISTE ?

Séminaire II 

Robert Lévy

17/11/2021

Dans un article paru sur le site slate.fr, certains développements ont été donnés sur Cette question que finalement tout le monde se pose et que le titre de notre travail de cette année vient renforcer .

En effet , c’est un fait , la psychanalyse est aujourd’hui attaquée de toute part et notamment depuis un long moment déjà sur le fait que ses théories seraient discriminatoires en matière de sexe …

Pourtant Freud découvrant l’inconscient , et Lacan le ré-interprétant, insistent bien sur l’idée que la différence entre homme ou femme ne relève d’aucun programme biologique ou culturel et que Freud dans sa conférence sur la féminité insistait sur le fait que , ni l’anatomie et pas plus la psychologie , ne permettaient de dire ce qu’est une femme ; ce   qui amènera sans doute un peu plus tard Lacan à conclure dans les années 1970 que personne ne sait très bien ce qu’est une femme ni ce qu’est un homme et que la seule chose que l’on puisse en dire c’est que ce sont des signifiants .

Une réponse est très vite apportée dans l’article critique de slate.fr ,qui conclue:

  • Oui la psychanalyse est sexiste  puisqu’elle se fonde sur la différence sexuelle et 
  • Non , elle n’est pas sexiste  puisqu’elle n’établirait pas de hiérarchie entre le masculin et le féminin . 

Il est tout à fait certain qu’on ne peut guère en rester sur cette définition un peu « à l’emporte-pièce » et ce, d’autant que le dernier séminaire nous a montré grâce à Annick Hubert Barthélémy que cette « différence » si elle existe, serait avant tout une affaire de langue et qu’aujourd’hui on ne peut même plus s’appuyer sur ce point puisque le « neutre » est venu déstabiliser dans la langue même ces questions de différence des sexes, au niveau du  signifiant …

D’ailleurs nous aurons sans doute un débat important avec elle lors de son prochain séminaire du 15 décembre prochain car pour Monique Wittig[1] qui critique le terme de genre en raison de son imprécision ,c’est à dire  de ce qui pourrait s’entendre facilement comme le sexe en tant qu’il serait naturel et du genre en tant qu’il serait l’interprétation culturelle du sexe , puisque pour elle « le genre est la mise en vigueur de la catégorie du sexe dans le langage »[2].

Ce que Clotilde LEGUIL traduit de façon Lacanienne comme « la façon dont le corps en tant que sexué entre dans le registre du symbolique »[3].

Mais peut-être serait-il bon de revenir sur quelques-unes de nos certitudes psychanalytiques afin d’envisager si nous pouvons encore aujourd’hui nous appuyer sur elles et il ne suffit peut-être pas de reconsidérer la question de la différence des sexes dans le langage pour pouvoir s’en sortir.

D’ailleurs je crois avoir compris qu’avec la question du neutre comme Annick Hubert Barthelemy nous l’a bien démontré  la dernière fois, cela va bien plus loin et sans doute Monique Wittig elle- même, dans sa pensée guerrière requalifie les choses également : 

« les lesbiennes ne sont pas des femmes »[4]…. ..

Si j’insiste un peu sur ces points c’est que la question même d’avoir un pénis ou pas , ne semble plus du tout d’actualité puisque toujours la même Monique Wittig écrivait ceci :

« il faut détruire , politiquement, philosophiquement symboliquement les catégories d’homme et de femme »[5]. Dans cette grande guerre il faut rejeter l’inconscient puisque pour elle « l’inconscient est hétérosexuel »[6].

Ainsi supprimer le genre et le sexe et par conséquent « rejeter toutes les sciences qui les utilisent comme leur fondement »[7] La psychanalyse faisant partie en tout premier lieu de cette suppression car « la science du langage a envahi d’autres sciences : l’anthropologie, la psychanalyse avec Lacan et toutes les disciplines qui travaillent à partir du structuralisme »[8].Mais elle n’est pas la seule , puisque actuellement le candidat de la France insoumise  jean Luc  Mélenchon à l’occasion d’une conférence à l’université Lille II, a proposé d’inscrire la liberté du genre dans la Constitution :

«Le but, c’est que plus personne ne souffre à cause d’une raison purement administrative. Nous garantirons la liberté de changer de genre», a assuré le candidat LFI. «Si c’est votre intime conviction que vous êtes une femme ou un homme, vous avez le droit de l’affirmer contre la réalité des apparences et de votre corps. La seule chose que peut espérer la société, c’est que vous soyez bien dans votre peau. Ça ne concerne pas des milliers de gens. Il n’y a pas des centaines de milliers de gens qui sont torturés par cette question. mais ceux qui le sont, ils souffrent», a-t-il ajouté.

Mais au-delà pour tous et en dehors de la critique spécifique et argumentée de Monique Wittig ; 

La critique essentielle repose sur l’idée que Freud aurait fondé la psychanalyse en se référant à La présence du pénis et à son absence ; critique associée bien sûr directement à l’insupportable idée de l’existence d’une sexualité infantile .

Sur le point de l’insupportable sexualité infantile  un article récent de Médiapart faisait la remarque :

‘Pour les adversaires acharnés de la psychanalyse, il y a là quelque chose qui ne passe toujours pas et qui mobilise indéfectiblement un rejet primaire, sans même chercher à comprendre de quoi l’on parle. Oser accoler « sexualité » et « infantile » cela suffit pour déclencher, encore, sur un mode réflexe, des cris d’orfraie. Pourtant, Sigmund Freud, en tant que représentant d’une certaine bourgeoisie patriarcale, ne venait finalement qu’énoncer ce que toutes les mères, nourrices, éducatrices, savaient depuis la nuit des temps…

A savoir que les enfants ont une sexualité, plastique, polymorphe, qui renvoie à leur interface avec le monde, avec les autres, au fonctionnement de leur sensorialité, à leur appétence pour rechercher du plaisir, à travers certains fonctionnements d’organe, etc. 

Cependant, ce que les inquisiteurs n’ont toujours pas compris, ou feignent de ne pas comprendre, c’est que cette sexualité infantile est prégénitale, non superposable ni comparable avec la sexualité adulte. D’ailleurs, Freud théorise un développement diphasique de la sexualité, à travers notamment le phénomène d’après-coup pubertaire. En arrière-plan, la sexualité génitale, quoique d’une nature différenciée, est toujours infiltrée de la source vive de la sexualité infantile, de son polymorphisme, de son histoire, de ses réorganisations successives et de ses déplacements ou substitutions…. »

Qu’en est-il vraiment dans le texte de Freud 

intitulé  La vie sexuelle [9] dans le chapitre  la « différence anatomique entre les sexes » on trouve le développement de ce que Freud appelle « les configurations psychiques que prend la vie sexuelle chez l’enfant » dont il dit , un peu à titre d’excuses  d’ailleurs , qu’« il avait jusqu’à présent considéré qu’à partir de ce qui se passait pour le petit garçon on pouvait en déduire ce qu’il en était pour la fille  ».

Mais finalement il n’en est rien puisque c’est « grâce »  à La question œdipienne qu’il va remanier les choses en constatant déjà que  pour le petit garçon :

« C’est que le complexe d’œdipe ,est doublement orienté, activement et passivement, ce qui correspond à sa constitution bisexuelle. Le garçon veut aussi se substituer à a sa mère comme objet d’amour du père , ce que nous caractérisons comme une attitude féminine »[10].

Le recours aux idées d’actif et de passif n’est pas anodin non plus car c’est ainsi que Freud va également qualifier cette différence   pendant un temps .

 Mais Philippe Woloszko nous fait également remarquer que 

«  ce qu’écrit Freud sur le complexe d’œdipe en 1923 dans « Le moi et le ça »[11]est le texte dans lequel il développe le complexe d’œdipe complet. Il est tout à fait surprenant de voir à quel point à ce qu’il avance sur la « bisexualité originelle », ce sont ses mots, il s’arrête, voire n‘en tient pas compte ou  en élude les implications et à quel point cela n’a pas été repris par ses élèves, dont Lacan lui-même. Avec l’éclairage porté par des théoriciennes féministes et/ou LGBT, on peut voir et ouvrir là où il n’a pas pu pousser plus loin sa pensée.  »

Je ne voudrais pas dévoiler ici les hypothèses que soutient Philippe à propos du-dit ‘complexe d’oedipe’ par rapport à la bisexualité , mais je pense que nous aurons l’occasion d’en discuter sur le fond tant cela m’a semblé intéressant lors de son exposé …et j’expliquerai tout à l’heure comment cette question a été reprise par les spécialistes des ‘gender théories’.

Mais revenons au texte de Freud

Ainsi déjà 2 constats : 

1/ Le petit garçon est bisexuel

2/ Ce n’est qu’avec l’introduction du complexe d’œdipe que l’on peut différencier les sexes à partir de leur position subjective à l’égard du couple parental ..

Point qui aura des destinées différentes si on considère la validité ou non du complexe d’œdipe, ce qui semble aujourd’hui très fortement remis en question .

En tout cas c’est dans un premier temps, au moment de la succion, que le garçon et la fille découvrent « (…) la zone génitale source de plaisir (pénis ou clitoris). »[12]

Il laissera d’ailleurs le soin au lecteur de réfléchir sur le fait que ces plaisirs ne soient qu’un ‘substitut au téton ‘

Et ce n’est qu’à la phase dite phallique « qu’échoit à la petite fille de lourdes conséquences »

Avant de les envisager notons quand même que parler de plaisir du clitoris n’était absolument pas commun à cette  époque voire était  source de conflits dans le milieu bourgeois et médical de Freud  – conflits dont il a effectivement pâti déjà à son époque ..

Mais ce qui nous intéresse évidemment bien plus c’est la façon dont Freud décrit ensuite que la petite fille  :

« remarque le grand pénis d’un frère ou d’un camarade de jeux , le reconnait de suite comme la réplique supérieure de son propre petit organe caché et dès lors elle est victime de l’envie du pènis »[13] « La réplique supérieure de son propre petit organe caché . »

Voila le problème dont il faut bien  se demander qu’est- ce qui a pris à Freud de remarquer ce point alors que dans un premier temps clitoris chez la fille et pénis chez le garçon représentaient pour chacun un rapport , une relation au plaisir suffisante …?

Pourquoi donc ce pénis constaté devrait-il faire « envie » à la petite fille au point d’en vouloir un identique alors qu’avec son clitoris elle s’en sortait très bien à moins que ce que Freud qualifie « d’envie du pénis » soit mal interprété ?

C’est à dire, non pas l’envie d’en avoir un pareil mais au contraire l’envie d’un pénis qui puisse la compléter au sens d’en être remplie et non pas au sens d’en avoir un pareil ?

Mais c’est avec l’introduction de la castration « réelle » qu’il décrit ce qui se passe pour le garçon qui ne faisait pas cas de sa différence d’avec les filles mais qui dès lors que le complexe de castration intervient « se trouve en proie à une tempête émotionnelle se met à croire à une menace dont il se riait jusqu’à présent »[14]

Croyance qui ne sera pas sans conséquence puisque ça pourra aller jusqu’à l’ « horreur de ces créatures mutilées ou mépris triomphant à leur égard »[15].

Ce qui amènera Freud à parler non pas tant de complexe de castration chez la femme mais de complexe de masculinité :

« Il en va autrement de la petite fille , d’emblée elle a jugé et décidé Elle a vu cela , sait qu’elle ne l’a pas et veut l’avoir. C’est ici que se branche ce qu’on appelle le complexe de masculinité de la femme , complexe qui peut éventuellement lui préparer de grandes difficultés dans son développement singulier si elle ne réussit pas à le surmonter rapidement . »[16]

Et la suite se gâte encore plus puisque Freud persiste et signe :

« L’espoir , d’obtenir un jour un pénis ,et ainsi de devenir un jour semblable aux hommes peut se maintenir jusqu’à une époque incroyablement tardive et devenir le motif d’actes étranges qui sans cela seraient incompréhensibles . »[17]

Le problème est donc  le suivant :

Une chose est de considérer que les garçons sont dans une meilleure place  par exemple sociale et à ce titre enviable en tant que sexe ( c’est ici la confusion puisque ce n’est pas avoir un pénis mais être à cette place enviable) et autre chose est  « l ‘espoir d’obtenir un jour un pénis » comme le signifie Freud dans ce texte… 

Je crois que Philippe Woloszko précise  le nœud de ce problème dans sa première  intervention à Metz:

« Pour  Freud, il s’agit dans sa conception, avec cette identification primordiale, de ce qui sera la matrice du surmoi, de la culpabilité, et cela se produit avec le père. Qu’est-ce que le père à cet endroit ? Celui qui incarne la Loi ? Est-ce celui qui a un pénis ? N’y a-t-il pas une confusion entretenue entre une fonction et le porteur d’un pénis ? C’est bien la question que soulève Freud; il y a bien, dans ce texte, cette confusion. En effet, Freud précise dans une note en bas de page: 

« Peut-être serait-il plus prudent de dire: avec les parents, car père et mère, avant la connaissance sûre de la différence des sexes, du manque de pénis, ne se voient pas attribuer de valeur distincte » (.  Freud le moi et le ça opus déjà cité ). 

Il dit bien que « le père de la préhistoire personnelle » peut être aussi bien la mère que le père, qu’il s’agit effectivement d’une fonction, qu’il attribue au père, suivant là, le discours dominant de son époque. Et c’est seulement de nos jours que ce discours commence à vaciller, c’est-à-dire à une époque où le patriarcat est remis en question .

 En effet, il ne peut pas penser autrement que l’attribution de sexe soit liée à l’attribut, au pénis. D’ailleurs Il y a encore aujourd’hui des psychanalystes qui ne font pas la différence entre la fonction et l’attribut quand ils disent qu’un enfant doit avoir un père et une mère, dont les fonctions seraient directement corrélatives d’avoir ou pas un pénis. 

Quelle confusion entre symbolique et imaginaire, prouvée, certifiée par le « réel » de la biologie ?

N’y a-t-il pas là  en effet une confusion liée en bonne partie à la traduction française ou en tout cas au fait que ni les psychanalystes et encore moins leurs détracteurs ont lu correctement ce texte et en particulier cette petite note en bas de page à laquelle Philippe Woloszko fait allusion et qui change tout en effet,  car en allemand c’est la première identification à  une entité que Freud a bien du mal à cerner (Vater und Mutter zusammen gesetzen ) c’est à dire « père et mère ensemble confondus » : ainsi pas de pénis à l’horizon ! 

Confusion en effet entre père et mère comme personne et père et mère comme fonction, ce que j’avais déjà fait remarquer lors du premier séminaire en citant l’article de Lacan à Jenny Aubry dans lequel il définissait père et mère justement  comme  des fonctions :

« La fonction de résidu que soutient (et du même coup maintient) la famille conjugale dans l’évolution des sociétés, met en valeur l’irréductible d’une transmission – qui est d’un autre ordre que celle de la vie selon les satisfactions des besoins – mais qui est d’une constitution subjective, impliquant la relation à un désir qui ne soit pas anonyme.

C’est d’après une telle nécessité que se jugent les fonctions de la mère et du père. 

De la mère : en tant que ses soins portent la marque d’un intérêt particularisé, le fût-il par la voie de ses propres manques. Du père : en tant que son nom est le vecteur d’une incarnation de la Loi du désir »[18].

On ne peut être plus clair :  la mère ,comme fonction, contribue donc à la constitution subjective du petit parlêtre  et éventuellement par ses manques dans la satisfaction de ses besoins ce qui parait tout à fait en rupture avec toute conception d’une ‘bonne  ou mauvaise mère ‘ qualificatif très moraliste ; et le père ,comme fonction , par le vecteur de son nom comme incarnation de la loi du désir ..

Ici  encore pas de pènis à l’horizon … Ici  encore pas de pènis à l’horizon.

Mais revenons à Freud d’autant plus que l’on peut considérer les termes « avoir » et « envie de » de plusieurs façons ..

Ce que l’on constate le plus souvent dans la clinique des tout petits c‘est que d’une part la différence anatomique n’est pas du tout une question avant longtemps et que d’autre part cela devient un problème lorsque les filles et les garçons se rapprochent, c’est à dire lorsque la dimension du désir (amoureux ) se fait sentir …

Par ailleurs  le même constat est possible en analyse chez les femmes qui le plus souvent rêvent non pas tant d’avoir un pénis même si cela peut arriver; ce dont elles rêvent surtout  c’est bien d’avoir un enfant ou d’être enceinte – ce qui sera un point supplémentaire de discussion ………

Une petite parenthèse pour dire également que F. Dolto considérait que la passion des garçons pour le football était un déplacement de l’idée d’être enceint en d’autres termes  : d’ « avoir le ballon »…

Mais toujours dans le texte Freudien les choses ne s’arrangent pas puisque Freud insiste :

« La petite fille refuse d’accepter  le fait de sa castration, elle s’entête dans  sa conviction qu’elle possède bien un pénis et est contrainte par la suite à se comporter comme si elle était un homme . »[19]

La petite fille ne s’en sort d’ailleurs que grâce au complexe d’œdipe puisque c’est en renonçant à l’envie  du pénis pour avoir un désir d’ enfant qu’elle peut ainsi rencontrer le père comme objet d’amour et changer de position  et ainsi reconnaître une différence anatomique entre les sexes ce qui  comme l’écrit encore Freud « écarte la petite fille de la masculinité et de l’onanisme masculin et la met sur de nouvelles voies qui conduisent au développement de la féminité »[20]. Mais c’est un peu sans espoir pour Freud car, alors que l’on croyait la petite fille enfin sortie de cette envie du pénis , en fait il n’en est rien puisqu’il poursuit  :

« Même lorsque l’envie du pénis a renoncé à son objet particulier , elle ne cesse pas d’exister, elle persiste dans le trait de caractère : jalousie avec un léger déplacement »[21] .

Il est vrai qu’à vouloir absolument sauver la   différence des sexes , Freud devient l’objet de toutes les critiques actuelles de genre et en particulier celle , à nouveau , de Monique Wittig qui veut creuser une nouvelle place dans la civilisation et dans la langue pour celles qui ne sont pas hétérosexuelles , pour les lesbiennes qui ne sont  pas des femmes selon elle ; Et récuse ainsi ce qu’elle appelle « le principe illogique de l’égalité dans la différence »[22].

Il me semble que ce principe « illogique de l’égalité dans la différence » qui est battu en brèche avec l’introduction du terme de phallus par Lacan dont Claude Comté et Moustapha Safouan donnent une définition dans l’encyclopédia universalis :

« Se distinguant du terme « pénis », qui désigne l’organe sexuel mâle dans sa réalité anatomique, le terme de phallus s’est imposé dans la théorie psychanalytique pour connoter une fonction symbolique dont la mise en place est essentielle à la juste position du sujet humain quant au désir et dont les avatars sont du ressort des différents types de névroses et de perversions. La fonction phallique occupe une place essentielle dans le destin subjectif tant de l’homme que de la femme, et c’est justement ce qui, d’emblée, marque que l’ordre symbolique se détache chez l’homme de la réalité biologique pour lui imposer sa détermination propre.

La prééminence du terme phallique est, en fait, impliquée dès la découverte faite par Freud, très précocement, de l’étiologie sexuelle des névroses et du rapport électif de la sexualité avec le refoulement et donc avec l’inconscient comme tel : c’est presque d’emblée que la sexualité s’est révélée à Freud comme étant à l’origine du symptôme, dans la mesure même où elle est pour le sujet impasse, aporie et lieu de foncière insatisfaction. La notion prend sa pleine importance à mesure que la théorie freudienne est amenée, voire contrainte par l’expérience même, à centrer toute la dynamique de la névrose et de la cure psychanalytique sur le paradoxe que Freud n’hésite pas à mettre au cœur du « malaise dans la civilisation » : l’être humain, quel que soit son sexe, ne peut tenir son rôle dans la relation du couple que s’il a rompu son identification imaginaire au phallus, c’est-à-dire s’il a été marqué de la castration, et l’organe ne peut rejoindre sa fin biologique qu’en passant par cette condition qui l’élève à la fonction de phallus symbolique. C’est à titre de symbole que le sexuel trouve accès au monde humain, mais au prix, dès lors, d’un sacrifice  […] ». 

Il semble donc que ce recours au Phallus , cette fois présentant une sortie  possible de cette « illogique de l’égalité dans la différence » permette d’envisager un autre horizon à ce qui taraude les hommes comme les femmes et ce , quelle que soit ainsi leur différence anatomique ..

Mais on entend bien que Safouan et Comté sauvent les meubles par rapport à la lecture que je viens de vous faire de cet article fondamental de Freud sur « la différence anatomique entre les sexes .»

Aussi les auteurs de l’encyclopédie Universalis sauvent- ils le ‘soldat rayan’ , en nous proposant de passer  de la certitude d’une anatomie qui serait le destin , à l’incertitude de la réussite pour chacun des protagonistes de la rupture de son identification imaginaire au Phallus ; ce qui permet peut être de reprendre la question de l’incertitude telle que peut l’évoquer François Jacob [23] :

« La biologie a perdu aujourd’hui nombre de ses illusions . Elle ne cherche plus la vérité . La réalité apparaît  alors comme un équilibre toujours instable . Dans l’étude des êtres vivants , l’histoire met en évidence , une succession d’oscillations, un mouvement dependule , entre le continu et le discontinu , entre la structure et la fonction, entre l’identité des phénomènes et la diversité des êtres . ».

Mais n’y a t il pas déjà avec l’introduction de la notion d’inconscient un bouleversement de la notion du genre aussi bien que de celle de l’être ?

En effet , comme l’écrivait déjà Lacan en 1960 [24]

 « le rapport du sujet à son être est toujours de « travers »

puisque tout être  sexué fait inévitablement dans chaque rencontre l’expérience amoureuse ou sexuelle de ce qui lui échappe ..… »

Pourtant Monique Wittig veut supprimer l’inconscient car hétérosexuel[25] mais aussi la différence des sexes , la culture , l’histoire et le désir et également la jouissance comme concepts au service de l’hétérosexualité et en ce sens oppresseurs .Pour finir elle en appelle par conséquent à la rupture du contrat hétérosexuel [26].

Il y a donc une visée éminemment politique chez Butler et Wittig dans la mesure où des représentations performatives et des représentations causale les risquent de remettre en cause les droits à la parole des minorités sexuelles ou raciales  LGBT , RAP , etc ..[27]

Mais la bonne nouvelle c’est que des auteurs  comme Gayle Rubin  considèrent que le schéma Freudo-Lacanien doit être retenu comme une clef théorique pour penser le genre .

En effet elle considère comme les psychanalystes  que le Phallus  comme symbolique « dé-naturalise » le sexe et offre des conditions épistémologiques pour concevoir le genre et lui permet ainsi un accès à toutes les ambivalences qu’interdit précisément une vision naturaliste des sexes ..[28]

De ce fait on peut dissocier Phallus au sens symbolique et  le Phallocentrisme 

« Le schéma montre en effet par cette plasticité Phallique comment la petite fille peut s’approprier le symbole Phallique pour l’offrir à sa mère, mais comment en devant y renoncer ( comme le petit œdipe) , la petite fille renonce également à établir un rapport de désir à la femme : de ce fait le tabou de l’inceste  dont elle est victime l’amène contrairement au garçon , à renoncer à toutes les femmes »[29].

Alors évidemment si le petit garçon a une ouverture sur toutes les femmes et que la petite fille met les femmes en place de tabou c’est ici que la question lesbienne est relancée.

Ce qui n’empêche pas  Gayle Rubin d’avoir une conception du genre très différente de Judith Butler puisqu’elle considère que la centralité du phallus chez Freud et Lacan est une théorie du genre et ne doit donc pas être rejetée ..[30]

Pourtant , alors que l’on croyait avoir sauvé les meubles avec l’introduction du Phallus et s’être mis d’accord avec au moins une féministe importante , Gayle Rubin , on s’aperçoit qu’à la lecture des Ecrits en 196O Lacan [31]écrit les lignes suivantes très problématiques :

« Si l’on part de l’homme pour apprécier la position réciproque des sexes , on voit que les filles phallus (…) prolifèrent sur un vénusberg à situer au – delà du « tu es ma femme » et par quoi il constitue sa partenaire  en quoi se confirme que ce qui resurgit dans l’inconscient du sujet , c’est le désir de l’Autre , soit le phallus désiré par la mère ».

Nous voila donc aux prises avec une lecture pour le moins masculine qui donne le point de vue de l’homme comme régissant l’équation qui commande le lien du sujet féminin à la fonction Phallique[32].

Lacan considère pourtant le Phallus comme pièce maîtresse de  la structure ce qui pourtant est assez tardif dans son œuvre puisque dans les complexes familiaux c’est le complexe de castration qui est  encore un fantasme qui « consiste essentiellement dans la mutilation d’un membre, c’est-à-dire dans un sévice qui ne peut servir qu’à châtrer un mâle »[33] C’est à cette étape encore un phallus imaginaire que l’enfant attribue à sa mère .

Et il va donc falloir pour Lacan lui – même un long processus de « maturation » de ce concept qui reste emprunt, même  s’il devient clairement issu du symbolique, d’une certaine dose anatomique :

Dans l’enseignement de Lacan, le phallus est introduit à partir de son statut symbolique donc, ce qui non seulement le différencie de sa représentation imaginaire, mais surtout rend impossible la confusion entre phallus et organe pénien. Ce statut symbolique ne va cependant pas de soi. Dans Le séminaire, Livre II (10 juin 1955), Lacan affirme que, dans le Penisneid, c’est non pas le pénis dont il s’agit « mais le phallus, c’est-à-dire quelque chose dont l’usage symbolique est possible parce qu’il se voit ». 

Et ce n’est que le 4 juillet 1956 avec la notion de ‘phallus baladeur ‘ Lacan peut enfin battre en brèche le phallicisme . Ainsi ce n’est que de 1956 à 1959 que se constitue le socle sur lequel le concept de phallus va s’établir , je dirai de façon vraiment indépendante de  celui de pénis .

Ainsi tout d’abord dans le séminaire ‘ la relation d’objet’  avec les 3 modalités du manque 

AgentManqueObjet
Père réelCastration symboliquePhallus imaginaire
Mère symboliqueFrustration imaginaireSein réel
Père imaginairePrivation réellePhallus symbolique

C’est un tableau qui témoigne du fait que sans lui on ne pourrait pas rendre compte de la différence sexuelle avec la différence introduite dès lors entre phallus imaginaire et phallus symbolique ; le second naissant de la négativation du premier ..En notant que le père réel reste et restera l’argent de la castration ..

Puis dans  Les formations de l’inconscient, l’élaboration se poursuit. 

D’une part, le phallus symbolique, dans la mesure où il se présente comme absent, est, de par sa nature, « voilé ». C’est à partir de là que le rapport de la femme au phallus est primairement situé : «: « En tant que femme, elle se fait masque. Elle se fait masque pour, précisément, derrière ce masque, être le phallus[34] » 

D’autre part, il s’agit pour Lacan de déterminer la signification du phallus dans la cure. Si nous nous reportons au graphe du désir[35],  nous observerons que , le phallus symbolique, se situe au point de départ, à gauche, de la flèche du deuxième étage, c’est-à-dire de la flèche qui présentifie le transfert, et non la suggestion .

Dans le séminaire sur l’identification qui révolutionne les conceptions et notamment celle du phallus  puisque dans ce séminaire l’identification Lacan va élaborer une topologie susceptible d’offrir  non plus une démonstration comme il avait pu le faire jusqu’alors mais une monstration .

 Cette monstration a notamment lieu dans la leçon du 23 mai 1962 et dans les leçons qui suivent en juin. Notons préalablement qu’en recourant de cette façon à la topologie, Lacan effectue une révolution épistémique. Il s’agit non plus en effet de construire des schémas, des graphes ou des modèles susceptibles de rendre compte de la clinique analytique, mais de se laisser guider par l’expérience topologique elle-même, qui devient la référence.

Cette monstration présentifie la division, qui est masquée dans le cross-cap en tant que fantasme, entre $ et a.

Dans cette séquence, le plus décisif est de noter que ce point-trou qu’est le phallus , est ce qui abolit la signifiance de l’Autre, c’est-à-dire pose la limite sans laquelle le signifié ne serait jamais subjectivable, tout en faisant ressortir un reste, l’objet a, qui n’est pas symbolisable.

 Enfin, cette élaboration confirme le statut de la privation. En effet Lacan, en s’appuyant sur la case vide du quadrant de Peirce, démontre la nécessité, pour tout un chacun, homme ou femme, de cette privation du phallus, à partir de laquelle va pouvoir être construit le tableau de la sexuation.

C’est pourquoi je retiendrai pour ma part la définition suivante que l’on trouve dans le séminaire sur le transfert où Lacan propose une formule « abrégée » du phallus  : « Symbole à la place où se produit le manque de signifiant [36]»

Je terminerai sur ce dernier point en effet puisqu’arrivé au tableau de la sexuation  et à cette définition on peut à nouveau se poser la question suivante :

Reste -t – il encore des éléments pour qualifier le phallus de pénis et par conséquent pour donner une quelconque prise à la psychanalyse comme sexiste ????? [37] 


[1]Monique Wittig – (1935-2003) Romancière, philosophe française, théoricienne et militante féministe, autrice d’une théorie féministe : “le contrat hétérosexuel”, ainsi que de nombreux ouvrages.

[2] Monique Wittig La pensée striant Paris ed Amsterdam 2001 P.59 

[3] Clotilde LEGUIL L’etre et le genre ED PUF 2020 P 27

[4] Monique Wittig opus cité P. 67

[5] idem P.11

[6]Monique Wittig opus cité P.11

[7] idemP.56

[8] IDEM P.57

[9] S FREUD PUF 1973

[10] opus cité P.125 

[11] S. Freud. Le moi et le ça. O.C. TXVI. P.U.F. Paris 1991. P275. 

[12] opus P. 1駠

[13] Idem

[14] IBIDEM P.127

[15] IDEM

[16] ibidem

[17] idem

[18] J. Lacan, « Notes sur l’enfant », dans Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 373. 

[19] Freud idem P.127

[20] idem P.128

[21] idem

[22] Monique Wittig opus cité P.52

[23] La logique du vivant ED GALLIMARD 1970 P.24 

[24] Lacan les Ecrits P.799 Subversion du sujet et dialectique du désir 

[25] Lapensée straight P.60 

[26] idem P.66 

[27] Cité par Eric Marty  Le sexe des modernes  Le seuil P. 65 

[28] Gayle Rubin l’économie politique du sexe  cahier du CEDREFF N 7 P.1998 §79 ;  Cité par E.MARTY in Le sexe des Modernes p .167

[29] Eric Marty opus cité P. 167 citant Gayle Rubin 

[30] IBIDEM

[31] LACAN ECRITS P. 733 Pour un congrès sur la sexualité féminine .

[32] Remarque de Marty P. 168 opus déjà cité ..

[33] 1

J. Lacan, Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 48.

[34] Lacan Les formations de l’inconscient p. 380

[35] Lacan Les formations de l’inconscient p.392 

[36] Lacan Séminaire livre VII  Le transfert p.278

[37] Bon nombre de ces élaborations sur le Phallus sont tirées de l’excellent article 

Phallus et fonction phallique chez Lacan in  Psychanalyse 2007/3 (n° 10), pages 95 à 103

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