Laura Vaccarezza "Validité de la psychanalyse dans le traitement des psychoses"

La question de la pertinence de la psychanalyse est toujours posée ; nous savons bien que la psychanalyse a été remise en question dès ses origines.
La découverte de Freud remet en question le savoir établi qu’il soit scientifique, religieux ou politique. Elle propose un nouveau savoir, un abord de la subjectivité humaine, une découverte dont, paradoxalement, personne ne veut rien savoir.
Il en a été ainsi depuis des années mais il est certain qu’à chaque moment, à chaque époque, cela s’est manifesté de manières différentes. Les symptomatologies se présentent également sous différents aspects qui correspondent à un malaise dans la culture prépondérante. Nous pouvons nous demander si ce qu’on appelle “les nouveaux symptômes” répondent à la découverte de nouvelles pathologies, de nouvelles structures ou si tout simplement ce ne sont que des actualisations symptomatiques en accord avec une époque particulière.

Ce que nous pouvons dire de l’époque actuelle, c’est que la perversion du discours régnant favorise une prolifération d’états limites, ce qui fait que les patients que l’on appelait borderline, deviennent aujourd’hui des troubles de la personnalité limites ou bien des troubles narcissiques, etc.
Je crois que nous pouvons interpréter ces modalités symptomatiques comme une mise à l’épreuve de la loi, comme un appel au rétablissement de la Fonction Paternelle ou comme une demande de limite de jouissance.
Pour revenir à la question concernant la validité de la psychanalyse, précisons qu’il s’agit d’un thème tout à fait pertinent. Car c’est de la responsabilité de l’analyste (en tant qu’il s’agit de sa formation permanente) de s’interroger sur les effets de sa pratique face à ces nouvelles formes de malaise, et de se demander comment les aborder.
La psychanalyse ne semble pas particulièrement reconnue dans le discours social actuel, même par ceux qui viennent nous consulter, puisqu’ils nous disent bien souvent: “Je ne veux pas faire de psychanalyse. C’est long et démodé, je ne pense pas m’allonger là (désignant le divan), je viens pour une chose bien précise, je veux des résultats rapides, je ne veux pas parler de mon enfance, de ma mère, de mon père, j’ai un problème et c’est ce que je veux résoudre”.
Ce sont pourtant les mêmes qui, lorsqu’on les invite à parler, le font en expliquant leur histoire familiale, leurs théories sur ce qui leur arrive, et donnent un sens à leurs symptômes en les interprétant. Ce paradoxe entre ce qu’une personne dit vouloir et ce dont elle parle est l’essence même de la psychanalyse qu’elle prétend refuser.
On voit ainsi que cette supposée espèce en voie d’extinction qu’est le psychanalyste est encore en vigueur dans la mesure où un sujet s’interroge sur les raisons de sa souffrance et qu’un autre l’écoute. Il est possible que les demandes prennent des formes nouvelles, aussi paradoxales que “je vais voir un psychanalyste pour lui dire que je ne veux pas faire de psychanalyse”. Le psychanalyste sera sans doute amené à faire autrement étant donné la prolifération de certaines pathologies qui l’exigent mais cela ne signifie en aucun cas de changer son écoute, et de faire autre chose que de la psychanalyse.
Comment faire connaître notre pratique sans se laisser écraser par la perversion d’un discours social qui propose toutes sortes de court- circuits alternatifs et des explications scientifiques pour tout?
Comment écouter le sujet de l’inconscient chez ceux qui ont été démembrés par le diagnostic du DSMV qui les dilue en de multiples troubles qui les déstructurent?
Comment aborder la complexité des psychoses et faire savoir ce que peut faire la psychanalyse dans ces cas-là?
Comment rivaliser, dans le traitement de l’autisme, les dauphines et avec les tenants des nouveaux apports diagnostiques du DSMV?
Il ne s’agit pas de remettre en question chacune des différentes thérapies possibles avec lesquelles nous ne sommes pas d’accord, comprenant même certains traitements qui se disent psychanalytiques. Il s’agit selon moi d’approfondir, de faire de recherches et de chercher à soutenir le discours psychanalytique dans différents milieux, en acceptant la castration qu’implique “ne pas être bien vu”, “ne pas être aimé” ou “ne pas être cru” par les autres. Ceci est un point important car il ne s’agit pas de se sentir bien, ce n’est pas une question d’amour, ni de foi, mais un travail qui peut avec d’autres soulager la souffrance humaine.
Ma question sur la validité de la psychanalyse dans le traitement des psychoses a reçu une réponse de la part d’une femme dont je me suis occupée pendant assez longtemps en deux phases de traitement.
Dans la première phase, elle se présentait, d’un point de vue phénoménologique, comme une hystérique ayant des problèmes de couple, de travail, de famille qui furent résolus d’une façon acceptable pour elle. Je peux dire à présent qu’en fait il s’agissait d’une psychose non déclarée.
Et dans une deuxième phase, elle vient me parler de ses relations de couple, de ses problèmes avec les hommes. “C’est toujours la même chose avec eux, ils ne se décident pas”. Elle dit qu’à la fermeture de l’entreprise qu’elle gérait, elle a décidé de se rapprocher d’un groupe auquel elle avait été invitée depuis longtemps sans s’être décidée à y participer.
Il s’agissait d’un groupe de connaissance de soi, où la méditation, le reiki, les constellations, les énergies et certaines substances faisaient partie de l’expérience. C’est là qu’elle a fait la connaissance d’un homme et elle vient me parler de cette relation.
Lors d’une séance où elle commença à me parler de lui, elle me dit qu’en sortant de la séance précédente, ils s’étaient disputés. Je lui ai demandé : il est venu avec vous à Barcelone? (puisqu’ elle habitait dans un autre pays). Elle me répondit: “Oui, il est ici”. “Ah! à Barcelone, lui dis-je. Ce à quoi elle répondit : “Non, ici avec moi en me montrant son ventre. Je t’ai déjà parlé de lui… je ne t’ai jamais rien dit par peur que tu ne me croies pas, que cela t’effraie, personne ne le sait. Si ma famille l’apprend, on va m’enfermer, mais à présent nous ne nous entendons pas bien et il me maltraite psychologiquement…” À ma grande surprise nous avons commencé à être trois lors des séances.
L’enseignement que m’a transmis cette femme, habitée dans ses entrailles par l’homme qu’elle aimait, dont la voix lui disait de ne pas parler avec moi, de n’écouter que lui puisque c’était moi la folle et qu’il était le seul à pouvoir la guider… un homme qui la poussait à acheter compulsivement, à s’endetter, à se disputer et à agresser autrui, à m’ignorer. Il fallut ne pas reculer, l’écouter, les écouter. Ne pas avoir recours à la médication pour faire taire cette voix, soutenir le lieu de l’analyste au-delà de la surprise et de la crainte produites par la situation. Écouter cette demande aussi folle qu’elle soit : résoudre sa relation de couple.
Elle avait compris que cela la faisait souffrir. Elle disait qu’elle voulait être tranquille, avoir des amis et être constructive.
Que faire avec un délire si nous savons qu’il est stabilisant, à sa façon ? Comment passer de ce moment-là à une production dont le sujet puisse se soutenir ? Je sais que c’est très difficile et que l’on n’y parvient pas toujours mais il s’agit de parier pour le sujet.
Il y a eu des moments dans la cure où nous étions trois: elle, moi et lui (la voix) qui lui dictait ce qu’elle devait dire. Ils parlaient entre eux, me tenant à l’écart. Elle parlait aussi avec moi en l’excluant lui, chose qui le fâchait énormément.
Elle n’a pourtant pas cédé, elle est venue aux séances et pour que je comprenne elle m’apportait des textes qu’elle écrivait et qui disaient: “il continue à me harceler, il essaye de me déformer mentalement, i
l change des parties de mon corps d’une manière artificielle, il veut que je le suive, lui et quelquefois ils sont plusieurs, ils me font mal”. Elle est parvenue à le calmer, aidée par des voix qui la protégeaient et a pu reprendre une vie plus ou moins “normale”.
Au bout d’une longue période où elle avait cessé de venir à ses séances, elle m’écrivit de son pays:
“Merci pour votre fermeté et votre conviction, vous m’avez transmis le savoir être à sa place qui est ce qui me convient et ce à quoi je peux me raccrocher. L’être qui parlait quelquefois et qui n’était pas moi, me perturbait. Il continue cependant à entrer. JE NE PEUX RIEN LAISSER OUVERT. C’est ce que j’ai appris”.
 

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