Lyon: journée d'étude 03/12/2016. François Christophe Introduction

Je suis très heureux de lancer cette journée de travail à Lyon dont je vais dire quelques mots avant de laisser la place aux intervenants.
-Tout d’abord à propos du format que nous avons voulu « allégé », avec deux interventions le matin et deux l’après midi, ceci afin de laisser le plus de temps possible à la discussion.
-A propos du thème ensuite, qui comme vous l’avez repéré, s’inspire largement du  thème annuel de notre association AF qui est la guérison.

Parler de la guérison, c’est décliner toute une série de questions concernant l’analyse comme:
Quelle est sa finalité ?
Doit-elle guérir ?
Si oui, de quoi ?
De quelle manière ?
Quels sont les moyens pour y parvenir ?
Quand est ce qu’elle s’arrête ?
Quand le patient est-il guéri ?
Quand ses symptômes ont disparus ?

Le terme de guérison ne fait pas partie du corpus lexical des analystes.
C’est rare d’entendre un psychanalyste dire que son patient est guéri, ou pas…
Il dira plus volontiers « qu’il va mieux, qu’il a repris goût à la vie, qu’il souffre moins…ou dans un langage plus académique, qu’il a trouvé les coordonnées de son désir en renonçant à sa jouissance… »
De la guérison il en parlera donc mais sans jamais la nommer.
Est ce qu’il y a un tabou autour de ce signifiant ?
Est ce une figure de style chez les analystes que d’afficher une forme de détachement sur la question de la guérison ?
S’agit il d’autre chose ?
Qu’est ce qui peut rendre timide à ce point les analystes quand il s’agit de parler de guérison ?

C’est pour essayer de lever cette inhibition que nous avons choisi d’aborder la guérison  par le biais du symptôme, qui, contrairement à la guérison,  est un concept opérant de la psychanalyse.

 
            Alors : Que faire des symptômes ?

Bien souvent, du coté du patient, la réponse est on ne peut plus claire, du moins si on aborde la question de manière schématique.
On peut dire que lorsqu’ un patient s’adresse à un psychanalyste, il demande à être débarrassé de ses symptômes qui lui empoisonnent la vie, et il vient avec quelques idées pour y parvenir :(je vous en propose deux parmi sûrement bien d’autres)
-il veut comprendre ce qui lui arrive et il vient donc chercher un savoir sur la cause de ses symptômes.
Sa question est : Pourquoi je souffre de telle ou telle chose dans ma vie ?
-ou encore, il vient chercher des solutions à ses symptômes, autrement dit en langage médical, il vient chercher un remède à sa souffrance.
Sa question devient : dites moi ce qu’il faudrait faire pour ne plus souffrir ?

Quoi qu’il arrive, il vient avec le présupposé que l’analyste saura répondre à sa demande.
Il a aussi l’intuition que parler pourra l’aider à arrêter de souffrir et que la disparition de ses symptômes améliorera son quotidien.
La logique qui organise son discours est celle ci :
La guérison passe par la disparition des symptômes, et c’est à cette condition qu’il ne souffrira plus.

Du coté de l’analyste, il écoute bien sûr avec attention les symptômes causes de la demande, mais avec le présupposé que ses symptômes servent à la causerie des premiers entretiens.
Il est pas trop pressé que ses symptômes disparaissent.
Il sait aussi que les symptômes servent une économie psychique qui répond à ne logique de structure, qu’il convient d’analyser.
C’est ce qui fonde sa pratique (il est analyste) et soutient son désir.

A propos des symptômes il aura appris avec l’expérience plusieurs choses à leur sujet :
-les symptômes quels qu’ils soient, sont déjà des solutions trouvées par le patient à un moment de sa vie et qu’à ce titre, le symptôme n’est donc pas le problème que l’analyste a à analyser.
-les symptômes c’est comme avec les trains, un symptôme peut toujours en cacher un autre.
-ou encore, mettez un symptôme à la porte, il reviendra par la fenêtre.
De façon générale, l’analyste est plutôt bienveillant et prudent avec les symptômes,.
Il n’en a pas que faire mais à vrai dire il ne sait trop quoi en faire.
Il a cependant  la conviction que la parole peut aider le patient à trouver d’autres solutions à ses difficultés, autrement dit à se construire d’autres symptômes…
Il a à tenir ce cap dans la direction de la cure.

Cet écart entre la demande du patient ( se débarrasser de ses symptômes) et la réponse de l’analyste ( laisser un peu tranquille les symptômes) est le lieu de  malentendus, d’ incompréhensions, de tensions voir de conflits entre eux.
Il y a donc bien un écart entre la demande du patient et le désir d’analyste, un écart entre la demande de guérison et le désir d’analyser les logiques inconscientes à l’œuvre dans les symptômes.

Revenons maintenant à cette question de la guérison qui, nous allons le voir a traversé l’histoire de la psychanalyse.
A son époque, Freud qui était médecin, voulait faire de la psychanalyse une discipline médicale.
Dès 1895, dans « Les études sur l’hystérie » il parlera de réussite thérapeutique en transformant la « misère hystérique » en « malheur banal ».
En 1904, dans « La méthode psychanalytique » il affirme « que le but à atteindre dans le traitement sera toujours la guérison pratique du malade, la récupération de ses facultés d’agir et de jouir de l’existence. »
La guérison vise un retour antérieur à la maladie grâce à la disparition des symptômes,…un état antérieur où le patient avait donc ses facultés d’agir et de jouir.
Freud s’inscrivait naturellement dans la filiation du discours médical qui depuis Hippocrate prône la guérison sans toutefois la nommer comme telle.
En effet, dans le serment d’Hippocrate le mot guérison n’apparaît pas.
Il y est question « de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé…de soulager les souffrances ».
Hippocrate a peut être voulu rompre ici avec la tradition des « Dieux guérisseurs » comme Asclépios, alors Dieu de la médecine.
Avec Hippocrate, le médecin n’était plus un guérisseur, mais devenait un homme de sciences porté par un savoir médical et non plus par une faculté ou un don divin.
Le médecin n’a jamais eu l’obligation de guérir ses patients, il a une obligation de moyens, c’est à dire une obligation de leur offrir les moyens de parvenir à sa guérison.
Enfin, la médecine a appris depuis longtemps que la disparition des symptômes ne signait pas nécessairement la guérison de la maladie.
Freud, homme de science, avait découvert que le symptôme avait un sens caché, refoulé, oublié.
La levée du symptôme, sa disparition passait par la découverte du sens caché, refoulé, oublié, et pour se faire, la « talking cure » ou cure par la parole était au cœur de la technique psychanalytique.

La clinique de Freud allait lui enseigner au fil des années que la question de la guérison n’était pas aussi simple que ça.
Autrement dit, il suffisait pas de vouloir guérir pour aller mieux !
Il inventera plusieurs concepts clefs pour rendre compte de la complexité
Il précisera en 1923 in « Théorie de la libido » :
«L’ élimination des symptômes n’est pas recherchée comme but particulier, mais à la condition d’une conduite rigoureuse de l’analyse, elle se donne comme bénéfice annexe ».(in Théorie de la libido 1923).

Lacan, qui était égal
ement médecin, a abordé la question de la guérison à plusieurs moments de son enseignement en reprenant à sa manière la position de Freud.
Il écrit dans un article intitulé « Variantes de la cure type » paru en 1955 dans l’Encyclopédie Médico chirurgicale, deux choses à propos de la guérison :
– « la psychanalyse n’est pas une thérapeutique comme les autres…la guérison survient comme bénéfice de surcroît ».
-il mets en garde les analystes de tout « abus de désir de guérir »
En 1960, il énonce dans son séminaire sur « L’éthique  de la psychanalyse » que le désir de l’analyste était « un non désir de guérir » sauf à « guérir le patient de ses illusions qui le retiennent sur la voie de son désir. »
En 1962, il reviendra sur son aphorisme « la guérison de surcroît »qui  avait fait scandale, en précisant qu’il n’affichait pas là du dédain pour la guérison de ses patients, mais plutôt une indication quand à la méthode analytique.

Aujourd’hui les temps ont changés, c’est une évidence pour la psychanalyse.
Nous sommes à l’heure des discours qui rangent les « bonnes pratiques soignantes recommandables » en fonction de leur efficacité.
On peut bien sûr dénoncer ces logiques, s’y opposer, essayer de faire entendre notre spécificité et la tache est bien difficile, voir impossible si l’on tend l’oreille du coté des débats qui se tiennent à propos de l’autisme.

Les demandes adressées aux analystes ont changées.
Si, comme à l’époque de Freud, elles restent imprégnées de l’imaginaire social, il me semble qu’aujourd’hui la psychanalyse a à répondre à ce qui est porté presque comme des exigences dans le discours du social et la parole des patients.
Je vous en propose 3 (il y en a peut être d’autres…) à savoir :
-Guérir bien sûr.
-Guérir de tout.
-Guérir au plus vite.

On peut se demander si nous ne sommes pas en train de revenir à des pratiques soignantes d’avant Hippocrate, celles des dieux guérisseurs, où le cabinet du psychanalyste deviendrait un sanctuaire d’où il pourrait, à partir des songes, prescrire tout un tas de recommandations pour la guérison de son patient ?

Alors selon vous, ce 21ème siècle: il sera religieux ou scientifique ?
Je vous remercie.
 

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