METZ Philippe Wolosko, Séminaire
Séminaire des associations « A propos » et « Analyse Freudienne »
SÉANCE 1/10/15
Pour ce 1er séminaire de cette nouvelle saison, je me propose de commencer à déplier l’argument que probablement vous avez tous lu. j’ai travaillé deux points qui m’ont semblé centraux dans ce texte: la question du sujet et celle du réel.
On peut dire que dans la psychose, il n’y a pas d’équivoque signifiante. Pourquoi? Le principal élément de la clinique psychanalytique permettant de poser le diagnostic de psychose est l’absence de métaphore. Qu’est-ce qu’une métaphore? C’est la substitution d’un signifiant par un autre signifiant. Ainsi, dans la psychose, il n’y a pas de substitution d’un signifiant par un autre signifiant. Comment entendre ceci? Une métaphore, c’est justement la possibilité, pour un sujet, de passer d’une chaine signifiante à une autre; l’effet métaphorique dans une analyse, cette surprise du surgissement d’un sens nouveau, ou d’un pas de sens dans les 2 significations de « pas », est un effet métaphorique. Ainsi, un sujet névrosé, qui peut utiliser les deux lois du langage, métaphore et métonymie, peut passer d’une chaine signifiante à une autre par la possibilité qu’il a d’utiliser une métaphore, il n’est pas rivé à une chaine signifiante. Ce qui veut dire que pour un sujet psychotique, le seul glissement possible est le glissement métonymique le long d’une seule chaine, à laquelle il est finalement, en quelque sorte « enchainé ». Un exemple clinique, l’an dernier, lors de la journée Apertura, Jean-Richard Freymann a parlé de l’automatisme mental, dont je vous en avais déjà touché quelques mots lors d’un précédent séminaire. Alors voici, une patiente, dont le fils est très probablement très psychotique, les psychiatres « scientifiques » diraient autiste, présente cette particularité de dire à voix haute tout ce qu’elle pense, ce qu’elle dit et pense en même temps, c’est le défilement d’une chaine signifiante, c’est justement cet automatisme mental, un discours qui n’est rien d’autre qu’une longue suite métonymique, qu’aucune métaphore ne vient arrêter ou en modifier le cours. Il n’y a là, chez elle, qu’une suite infinie de mots, liés entre eux par des mécanismes métonymiques, c’est à dire assonance, continuité, contiguïté; quelque chose comme comment vas-tu yau de poêle à frire etc.. Un discours sans énonciation, qu’elle produit continuellement en présence de son fils, ce qui ne peut que l’égarer. Ce n’est pas le discours qu’elle produit en séance, là c’est beaucoup plus structuré, mais en y regardant de prés, il n’y a pas de métaphore.
Cela me permet d’avancer deux questions: l’importance du diagnostic de psychose, qui chez elle, ne peut se faire qu’en remarquant l’absence de
métaphore. L’équivoque qui permet à un sujet névrosé de faire un pas de sens, n’existe pas chez un sujet psychotique. La cure ne peut donc pas être la même.
La 2ème question, ceci pour reprendre et en expliciter un des éléments de l’argument, est que si un sujet est ce qui est représenté par un signifiant pour un autre signifiant; on peut s’interroger sur ce qu’est un sujet psychotique, tel que l’articulation d’un signifiant à un autre signifiant, ne peut pour lui, qu’être d’ordre métonymique. Pour le dire autrement, comment un sujet psychotique, rivé à une chaine signifiante, fait pour passer d’une chaîne à une autre? Il doit changer de sujet. Ce que je viens de faire est-ce une équivoque signifiante? Ainsi, vous pouvez appréhender, lorsqu’on parle d’un sujet psychotique ou d’un sujet névrosé ou pervers, que ce n’est pas le même sujet. Cela amène certains à avancer qu’il n’y a pas de sujet chez un psychotique ou un enfant trop jeune pour avoir accès à la métaphore. Il n’y aurait pas de sujet au sens défini par Lacan, tel que un signifiant est ce qui représente le sujet pour un autre signifiant, ou pour faire simple le sujet en tant que sujet de l’inconscient. Certains vont même avancer la question de savoir si un sujet psychotique a un inconscient.
A ce moment, se pose la question de quoi parlons-nous quand nous parlons de sujet? Car, si la subjectivation consiste à ce qui est défini entre 2 signifiants, mêlant métaphore et métonymie, ou même sujet de l’inconscient, on ne définirait que des concepts psychanalytiques qui ne viseraient qu’à justifier la psychanalyse, donc à s’auto-justifier. Ce serait faire comme la « psychiatrie scientifique » ou coco qui définit des pathologies correspondantes aux traitements qu’elles utilisent. Par exemple, et sans caricaturer trop outrançièrement les choses, les comportementalistes réduisent les pathologies plutôt névrotiques (et encore!) à une problématique phobique; ils traitent alors la phobie. la disparition de la phobie est équivalente à la guérison, merci Docteur tout va très bien. La question du sujet spécifie la psychanalyse en ceci qu’elle s’intéresse à ce qui est et à ce qui fait la singularité de chacun. Cette singularité est précisément déterminée en ce lieu qui est celui du sujet, non pas le sujet philosophique, celui qui dit « je », mais celui à l’oeuvre dans l’énonciation, celui qui à l’instar des empreintes digitales, est unique, singulier et se trouve cliniquement dans le lieu d’une articulation unique, singulière des signifiants. Dire que la psychanalyse soutient le sujet, comme cela est écrit dans l’argument, c’est soutenir que chaque être humain ou être-parlant est unique, singulier et inassimilable à quelque autre que ce soit. Et que face au réel, c’est ce sujet là, sujet de l’inconscient etc. qui souffre, qui manifeste cette souffrance par des symptômes, reflet de la singularité de ce sujet, mise à mal.
Venons-en maintenant à la question du réel, que je ne vais, aujourd’hui, qu’effleurer. Je vais prendre un exemple, que j’ai déjà utilisé ailleurs. Germaine a 72 ans et depuis près de 50 ans arrose tous les matins ses géraniums sur le rebord de sa fenêtre. Aujourd’hui, pour la première fois, un pot de géranium bascule et tombe. Justement, c’est ce jour là, que vous avez décidé d’aller faire une course que vous reculiez depuis quelque temps; ainsi, vous qui ne passez quasiment jamais dans cette rue, vous vous trouvez sous la fenêtre de Germaine, pile au mauvais moment, le pot de fleur broie votre épaule. Vous avez fait une rencontre avec le réel.
Cette rencontre est un impossible, impossible à comprendre, à intégrer dans un quotidien, à dire comme tel etc.. C’est un vide, au sens où on dit que la nature a horreur du vide. Alors, il « faut bien » y mettre quelque chose, pour les primitif c’était les mythes, pour les religieux la volonté divine, pour les scientifiques un calcul de probabilité ou un algorithme, pour les paranos de tout genre une victime. La question réside finalement à y mettre du sens, de remplir ce vide insoutenable. Ce qui revient à mettre du signifiant, qui dépend de la culture, des origines, des croyances, etc. ce sont des signifiants issus du discours public, du grand Autre. Ainsi, s’il s’agit de plaquer des signifiants quelconques sur le réel, la clinique nous montre quotidiennement que ces signifiants quelconques, c’est à dire qu’ils ne représentent pas le sujet pour un autre signifiant, ne peuvent aider le sujet à faire face à ce réel. Plaquer des signifiants, que j’ai désignés comme quelconques, produit des effets d’identification à ce signifiant. Ainsi, on devient une victime, l’objet d’une malédiction, un chiffre dans une statistique comme un pourcentage d’erreur, une fois de plus un malchanceux etc..
La psychanalyse, seule, peut rendre compte des remaniements du sujets dans ses rencontres avec le réel. Ces rencontres ont lieu tout le temps, sans cesse un sujet y est conf
ronté. Ce que j’observe, c’est que quand un sujet arrive à intégrer ce réel dans sa structure, c’est à dire à y mettre des signifiants tels que etc.. il est changé, évidemment, mais cela ne crée pas un traumatisme. Aujourd’hui, tout devient traumatisant: on n’y a pas été préparé, on n’a pas été bien pris en charge. C’est l’irruption du Réel qui provoque le traumatisme.
SÉANCE 12/11/15.
Le sujet en questions.
Je vais essayer d’avancer sur ce qu’est un sujet dans le champ de la psychanalyse; et ainsi poursuivre sur ce que j’avais dit la dernière fois. Cela va se faire à partir de différentes questions, qui seront plus ou moins ouvertes, de façon à permettre à chacun d’approfondir, de s’interroger et d’en faire part s’il le souhaite lors de la discussion.
Rappelons la définition du sujet: il s’agit de ce qui est représenté par un signifiant pour un autre signifiant. Cette définition a déjà le mérite d’être absolument obscure, lorsqu’on l’énonce ainsi. Alors, 6 ou 7 questions, un peu dépliées, vont nous amener à essayer d’y entrevoir peut-être quelques lueurs.
1- Le sujet entre langage et parole.
Freud, quand il découvre l’inconscient, nous donne une perception de cet inconscient telle qu’on peut se le représenter. Par exemple, sous une forme d’espaces, avec une limite entre conscient, préconscient et inconscient. On pourrait presque en faire des dessins, ce qu’il fait dans l’interprétation des rêves, avec son système perception-conscience. Cela donne une idée de l’inconscient qui se trouverait dans un autre lieu que le conscient. Puis, avec la 2ème topique, dans les années 20, il développe le Moi, le Ca et le surmoi et avance cette formule bien connue: » Wo es war, soll Ich werden ». Il y a une ambiguïté, concernant le sujet avec la traduction de « Ich ». En effet, « ich » peut se traduire par « je » et par « moi », en français on parle du moi, mais on pourrait tout aussi bien parler du « je ». La difficulté est telle, qu’en anglais ou le « I » est l’équivalent du « je », le « ich » allemand a été traduit par « ego » ce qui a donné les dérives anglo-saxonnes de l’ego-psychologie. ainsi, la question du sujet était déjà problématique au temps de Freud, cela est remarquable avec la question de la fin d’analyse, où chez les post- freudiens, le moi de l’analysant doit s’identifier au moi fort de l’analyste. La capture imaginaire y est prédominante. Quand vous pouvez voir des analystes, vous étant débarrassé de l’amour de transfert, avez-vous envie de leur ressembler?
Lacan, lui, se place dans une autre perspective. L’inconscient ne se trouve pas dans un autre lieu chez le sujet, il est chez l’Autre. C’est-à-dire dans le trésor des signifiants, donc dans le langage qui pré-existe au sujet. On peut dire que l’Autre c’est le langage. C’est là qu’arrive cette trouvaille de Lacan lors du séminaire XIX « ou pire.. » en 1971-72 de la « lalangue ». J’y reviendrai plus longuement tout à l’heure. Disons pour l’instant que c’est la langue de la mère pour l’enfant. L’enfant ou peut-être même l’infans, va y trouver ses signifiants propres et y fonder son inconscient. Ce changement de perspective est majeur, le refoulement n’apparaît plus comme un
changement de lieu d’un signifiant, mais comme le fait qu’un signifiant 5
disparaît du discours d’un sujet. Cela se repère par des trous dans le discours. L’inconscient se manifeste par les formations de l’inconscient, des trous, élisions, des mots à la place d’autres etc. L’inconscient est ainsi un effet du langage et non un lieu, un coffre-fort, où seraient enfermés des signifiants, à « libérer ». L’inconscient se manifeste toujours dans le discours du sujet, quoiqu’il dise. D’où l’intérêt de l’association libre. Ca pousse, la résistance n’est pas une barrière à franchir, mais la capacité à entendre, elle n’est pas chez le sujet, mais chez l’analyste.
Donc l’inconscient se dit quoiqu’on dise, et ce qui vient se dire est l’effet d’un sujet qui est le sujet de l’inconscient. C’est un effet de langage, tel que ce qui pousse à dire est justement ce sujet, sujet de l’inconscient. Ce qui se dit, ce sont des paroles dans le discours. Le sujet parle, le moi énonce un discours. Ainsi, entre la parole et le langage, dans leur opposition, la parole apparaît comme le lieu de la vérité du sujet.
2- Le Réel et la lalangue.
Le Réel, dont je vous ai parlé lors du dernier séminaire, a des effets sur le sujet. Son aspect traumatisant se manifeste, dans ce qu’on appelle les accidents de la vie, sur le fantasme. Le fantasme dont la formule est: S/ ◊ a, organise les relations d’un sujet au monde. Il fait interface entre le sujet et le Réel. Cette formule montre que le fantasme consiste en toute relation du sujet à l’objet. Alors, un traumatisme peut agir sur l’un des trois éléments de ce triptyque, ce qui aura des conséquences sur les deux autres éléments.
Par exemple un décès ou un divorce peut faire disparaitre l’objet, le travail de deuil consistera alors à remplacer l’objet perdu. Ce remaniement subjectif va prendre un certain temps; comme de mettre en place un ou d’autres objets. Mais il arrive, pour certains, que cette perte d’objet puisse avoir des effets sur le sujet et/ou sur la relation du sujet aux objets, que ce soit dans une structure mélancolique ou que cet objet a une place particulière pour un sujet. La disparition de l’objet laisse un espace béant où le Réel s’engouffre. Le fantasme ne remplit plus son office et il s’en suit une désubjectivation. On peut dire que là, la parole et le langage sont disjoints; ils se juxtaposent sans se rencontrer. Le traumatisé produit un discours en rapport avec le traumatisme, où le sujet est absent.
3- La castration et la lalangue.
C’est ici qu’intervient la lalangue. Lacan dans le séminaire XIX (P43) dit: « Fonction et champ de la parole et du langage… …le champ est constitué par ce que j’ai appelé l’autre jour avec un lapsus : « lalangue ». C’est la lalangue qui arrime la parole au langage. Par quel mécanisme? La parole de la mère fonde le père en l’inscrivant comme Nom dans l’inconscient de l’enfant. Cette parole est précisément la lalangue, celle qui inscrit dans l’enfant les signifiants qui seront les siens et tout particulièrement le signifiant du Nom-du-père. C’est le point de capiton de la parole dans le langage.
Il est possible de déterminer le moment où la lalangue vient s’inscrire chez l’enfant. C’est celui de la castration (symbolique). De quoi s’agit-il? C’est un temps pré-oedipien; celui que Lacan nomme « la loi de la mère ». Le désir de l’enfant est soumis au bon vouloir de la mère, à son caprice; celui de la bonne ou mauvaise mère. Le désir de l’enfant dépend ainsi du désir de la mère; lequel est lui-même médié par le père. C’est-à-dire que le père ( comme Nom-du-père ) prive la mère de l’objet de son désir qui est le phallus. Il apparaît, ici, comme le médiateur de ce qui est au-delà de la loi de la mère et de son caprice, c’est-à-dire comme la Loi elle-même. Ce moment détermine le rapport de l’enfant, du sujet, à sa castration, qui est avant tout castration de la mère. Je pense qu’il s’agit de la castration de l’entrée dans l’univers du langage, tel que le sujet s’en trouve divisé. Cela ne me semble pas être la même chose que la castration de l’Oedipe, sortie de l’Oedipe pour le garçon, entrée dans l’Oedipe pour la fille. C’est le temps de l’existence ou non pour un sujet du signifiant phallus, signifiant unique en tant qu’il n’a pas de signifié.
Et c’est là, que l’enfant accepte ou pas le père comme celui qui prive ou ne pr
ive pas la mère de l’objet de son désir, du phallus. C’est ce temps de la lalangue qui va être déterminant quant à la structure du sujet. Soit Le Nom- du-père n’apparaît pas, il est forclos et la structure est psychotique. Soit la castration de la mère est déniée et la structure est perverse. Soit le sujet accepte la castration de la mère et le Nom-du-père et ainsi sa propre castration et c’est l’entée dans la névrose.
4- Un discours sans sujet : le discours de la science. (Pour cette question je me suis largement inspiré du livre de Philippe Julien. Psychose, perversion, névrose. Erès. 2001.
Un nouveau discours est né au XVIIème siècle, celui de la science. Il s’est développé lentement et a déterminé la civilisation dite scientifique. Il produit un savoir universel et objectif qui permet une communication sans frontière. En effet, il n’y a de science que d’un savoir qui se communique sans limite interne. Ainsi, le conflit entre groupe ou entre individus s’explique par une communication insuffisante de savoirs; si on parle plus clairement le malentendu cessera. L’universel s’oppose au singulier; il s’agit là d’un universel du langage qui vient occulter le sens particulier de l’existence. L’homme s’y oublie dans une forme de forclusion sur son être, comme « que
suis-je dans tout cela? » La question ne se pose même pas. Naissance et 7
mort sont désubjectivées. L’énigme du désir de l’Autre: che vuoi? s’écrase en soucis techniques d’autoconservation, de promotion bureaucratique et de rendements chiffrés. Le pouvoir poétique et particulier de la langue s’efface au profit d’un pouvoir instrumental et universel de pure transmission d’informations. Le triomphe de l’universel s’effectue par l’effacement de la parole du sujet; qui se manifeste par des ratages, des bévues comme le dit Lacan. Pour éviter ces ratages, il faut exclure le sujet, et comme je le disais tout à l’heure, empêcher que langage et parole se croisent. Le discours de la science cherche à évirer le sujet et produit ainsi un discours sans sujet.
5- A propos de la psychose.
Vous avez sans doute remarqué une ressemblance entre ce discours de la science et la psychose dans ce fait que pour l’un comme pour l’autre « le sujet y est parlé plutôt qu’il ne parle ». Ce n’est pas pour autant que le discours de la science est un discours de psychotique. Si le premier est un discours de savoir(s) visant la communication universelle d’informations; le second est un discours visant à donner le change. Le sujet du premier vise à éliminer tout sujet au sens psychanalytique, à produire un sujet sans histoire propre, sans généalogie marquée par les ruptures inter-générationnelles, sans désir, sans interrogations sur l’être; le second vise justement à produire un sujet, ou plutôt un semblant de sujet, par quelque chose de purement imaginaire. Dans la psychose, l’autre n’existe que sur le plan imaginaire, c’est-à-dire par identification. En effet, le psychotique se construit à partir d’identifications, donc quelque chose de complètement imaginaire, qui lui permettent de tenir. Cela lui donnera le sentiment de ce qu’il faut faire pour être. Pour être un homme ou une femme, pour avoir une identité.
C’est précisément là, que l’irruption, la rencontre du Réel vient faire rupture avec les significations acquises, telle que ce Réel ne peut être appréhendé avec la lalangue, ou pour le dire autrement filtré par le fantasme. C’est là que l’on peut voir apparaître des délires. Un exemple clinique: une patiente maniaco-dépressive qui fait de temps en temps des accès maniaques, assez bien contrôlés par la chimiothérapie, se trouve être enceinte; pour une grossesse souhaitée et prévue. Le lendemain de la confirmation de cette grossesse, elle présente un accès maniaque, pour lequel je prescris un traitement neuroleptique comme je l’ai déjà fait à plusieurs reprises. Habituellement, chez elle, l’accès maniaque se réduit en quelques jours, ce qui se produit également cette fois-ci. Quelle ne fut pas ma surprise de voir apparaître, derrière le côté maniaque, un délire que je n’avais jamais observé chez elle. Un délire avec des hallucinations acoustico- verbales, des signes qui font sens pour elle, c’est-à-dire qui lui sont adressés. Je l’ai perçue comme si elle était schizophrène, un tableau mêlant des
aspects maniaques et schizophréniques, ou pour le moins un automatisme mental. Que s’est-il passé? Une rencontre avec le Réel, cette fois différente, qui déclenche un accès psychotique, maniaque et en même temps quelque chose de radicalement nouveau pour elle: un délire. Que lui est-il arrivé? Cette grossesse était attendue, et je m’attendais à la possibilité d’un accès maniaque. Mais, en l’écoutant, autre chose m’est apparu. Il y avait un autre en elle, un autre réel, et non plus seulement imaginaire, qui existe pour elle à partir d’une parole, celle de son gynécologue. Cela me permet de montrer, avec cet exemple clinique, sur une question posée lors du précédent séminaire, qu’un sujet psychotique a bien accès au symbolique, à la parole, mais que la faille se situe pour lui ailleurs. C’est-à-dire au point d’accrochage entre le symbolique, le langage et la parole d’un sujet; c’est ce qu’on nomme le signifiant du Nom-du-père ou comme dit précédemment la lalangue.
6- Le fantasme.
Le fantasme apparaît comme une entité, (comment dire autrement? Une fonction? Un opérateur?) dont la fonction est d’être l’interface entre le sujet et le monde, c’est-à-dire le réel. C’est avec son fantasme qu’un sujet peut faire face, appréhender, intégrer le Réel. Le fantasme est le rapport d’un sujet aux objets, donc il organise le désir. Le petit enfant sera protégé par le fantasme de sa mère, le relai sera pris par son propre fantasme. Alors je pose la question: à partir de quand peut-on parler de fantasme chez l’enfant? Je laisse cette question ouverte. Un élément pour avancer est celui-ci: il n’y a pas de fantasme sans sujet.
7- Un être-parlant est-il un sujet?
Je termine par cette dernière question, qui est une variante de la précédente. A partir de quand un être-parlant peut-il être sujet, c’est-à-dire à partir de quand se constitue t-il un sujet de l’inconscient? Ou bien y a-t-il un sujet dans la psychose? Ou bien la psychose est-ce une autre position du fantasme? Qu’en est-il dans la perversion?
Voici, en quelque sorte, là où j’en suis sur ces questions. Lors des prochains séminaires, sauf si l’un ou l’autre d’entre nous souhaiterait, ce qui sera très bienvenu, exposer son questionnement, je poursuivrai ce travail avec vous.
SÉANCE 10/12/15
La psychanalyse est thérapeutique
Pourquoi est-on si frileux à affirmer que la psychanalyse est thérapeutique? Pourtant Freud, quant à lui, n’hésite pas. En effet, en 1904, dans une conférence faite aux médecins viennois, il parle de la psychanalyse comme étant une psychothérapie, et la plus efficace et profonde. C’est, dit-il, l’aspect thérapeutique de la psychanalyse qui en fait l’intérêt médical. Et il poursuit : » La psychothérapie est la plus ancienne thérapie dont se soit servie la médecine. (…) Nous autres médecins, vous tous, nous pratiquons donc constamment la psychothérapie, même là où vous ne savez pas et n’en avez pas l’intention; le seul inconvénient, c’est que vous abandonnez ainsi totalement au malade le facteur psychique inclus dans l’action que vous exercez sur le malade. » De même, dans un texte de 1913, traduit par Paul- Laurent Assoun, intitulé : » L’intérêt de la psychanalyse » il commence par cette phrase: » La psychanalyse est un procédé médical qui tend à la guérison de certaines formes de nervosité (
névroses) au moyen d’une technique psychologique. » Alors qu’aujourd’hui la psychanalyse est attaquée de toute part, nous hésitons à prendre en compte cet aspect thérapeutique, voire même entre nous, comme si cela était hérétique.
Bien sur, nous sommes pris dans cette affirmation de Lacan, comme quoi la psychanalyse n’est thérapeutique que de surcroit. Il semble ainsi nécessaire de reprendre cette affirmation. Dans son texte sur la « Laïenanalyse » ( l’analyse profane) Freud avance que les médecins seraient des charlatans en ce qui concerne l’exercice de la psychanalyse. En effet, ceux-ci sont formés et déterminés à soigner, ce qui impose une position incompatible avec celle de l’analyste dans le transfert. Si l’analyste est animé par le désir de guérir, c’est ce désir qui peut présider au désir d’analyste. Rappelez-vous ce qui avait été avancé, le 26 novembre dernier, à savoir que le désir d’analyste ne peut-être, dans la cure, que sans raison d’être; là il y en a une et une bonne, celle de guérir. C’est une des raisons, à mon sens, pour laquelle, Lacan a pu dire que la guérison ne survient que de surcroit. Enfin, quand même, si des sujets viennent rencontrer un analyste, c’est bien parce qu’ils vont mal et souvent souhaitent se sentir mieux dans leur vie. Nos patients ne terminent pas leur cure de la même façon qu’ils y sont entrés. Et puis, on parle bien de cure, la psychanalyse si elle n’est pas une cure hâtive, elle n’en reste pas moins curative, et nous allons le voir en dépliant ce texte sur l’intérêt de la psychanalyse, la seule véritable psychothérapie du sujet.
Prenons comme exemple, ce qui est très présent pour chacun de nous:
les attentats du 13 novembre. Cela a été un véritable choc collectif. Le 10
collectif, on s’y identifie, comme cela a été le cas pour les événements de janvier, avec cette phrase: » je suis (ou pas) Charlie ». Là, en novembre, cela a été plus difficile; tout d’abord on a été confronté à un impossible à penser, quelque chose pour laquelle il n’y a eu aucune anticipation possible. Personne ne s’attendait à ce que l’horreur arrive dans nos rues; cette horreur quotidienne dans des pays du Moyen-orient et d’Afrique. On ne peut pas penser le meurtre pour rien. Autant lors des attentats de janvier, cela a visé des autres: juifs, musulmans en uniforme, jeunes ou vieux; les autres ce sont ceux qui meurent. En novembre ont été visés des jeunes qui sont nos enfants, même si ce ne sont pas nos enfants. Les autres sont devenus l’autre. Ensuite, il y a eu un deuil collectif. C’est là qu’il y a lieu de distinguer entre le collectif et l’individuel, le singulier: il n’y a pas de syndrome post- traumatique collectif. La psychanalyse en tant que clinique du sujet se différencie des autres psychothérapie sur ce point. Nous avions montré la dernière fois que la psychanalyse se différenciait des autres thérapies sur la place du fantasme du thérapeute dans le transfert, son corolaire consiste à indiquer que le traumatisme consiste en une effraction du fantasme. Or, il n’y a de fantasme que singulier et donc de traumatisme qu’individuel.
C’est ce que chacun a pu observer dans sa clinique. Chaque sujet a été atteint, ou pour certains traumatisé, à partir de son fantasme toujours singulier, unique. S’il y avait un traumatisme collectif cela voudrait dire qu’il y a un Réel collectif, or le Réel est individuel, personnel, et ne peut être collectif. Il n’est que pour un sujet en particulier, afin que se constitue un syndrome post-traumatique. Pour chacun c’est pris différemment selon son histoire. Les TCC et l’EMDR travaillent, eux, sur un traumatisme collectif, comme s’il y avait un Réel collectif. Comment expliquer, alors, qu’un sujet soit traumatisé et pas son voisin?
Par exemple, sur la position de l’analyste dans le transfert dans ce deuil collectif, tout le monde, ou presque, a été touché. Quand un patient vient déplier dans la cure de quelle façon il a été atteint par ces attentats du 13 novembre, il va articuler son discours en rapport à son propre fantasme, qu’il soit ou pas traumatisé. D’une certaine façon, on peut dire aussi que lors des témoignages entendus sur les média, chacun ne parlait que de lui-même, de la place où il était ou est. Si l’analyste partage la peine avec son patient, ce n’est plus de l’analyse; il n’y a pas de peine partagée. L’analyste doit travailler pour lui-meme des bouts de Réel; le Réel de l’un ne peut être le Réel de l’autre. Ainsi, une même peine est un point d’aveuglement du côté de l’analyste. Toute peine personnelle partagée rend toute thérapeutique impossible.
Après cette longue introduction, venons en à ce texte de Freud où il affirme que « la psychanalyse est un procédé médical qui tend à la guérison », comme cité tout à l’heure. Il amène cette idée que la psychanalyse s’affirme en s’opposant aux autres sciences, comme la médecine, en les subvertissant et s’impose en se différenciant: « la psychanalyse revendique l’intérêt d’autres que des psychiatres, dans la mesure où elle effleure différents autres domaines de savoir et établit des relations inattendues entre celles-ci et la pathologie de la vie psychique. »
Si pour lui, pour la première fois dans l’histoire de la médecine, la psychanalyse permet d’obtenir un résultat sur l’origine et le mécanisme des psychoses et des névroses, il ne néglige pas la biologie. Selon Freud, elle est cause d’une moitié de l’origine de ces maladies avec les causes mécaniques, toxiques, organiques et infectieuses. Il conviendrait alors, après l’analyse de faire la jonction avec la biologie, l’organique. C’est ce qui est actuellement fait par les neurosciences.
Pour Freud, l’origine des névroses consiste en l’opposition entre instinct du moi et instinct de conservation. L’objet de la psychanalyse est la libido qui a pour objet l’objet du désir, ce qui ne se résout pas avec le biologique. Remarquons, ici, que Paul-Laurent Assoun parle de la libido comme d’un objet introuvable, ce qui ne va pas sans évoquer la fonction de l’objet a, inventé par Lacan.
Il y a dans ce texte, une idée sous-jacente qui le parcourt, qui est celle d’une continuité entre le normal et le pathologique. Il n’y a pas de frontière, mais identité des mécanismes d’une part; et d’autre part ce qui est « pathologique » consiste en la manifestation de l’inconscient par des « actes psychiques »; quand cela concerne la psychologie et non pas l’organique. Il va plus loin encore, en avançant cette idée, qui est en opposition avec la médecine, que le pathologique se comprend et se traite en partant de l’étude du normal. En effet, la médecine s’intéresse au pathologique et a pour objet le symptôme qui est à la fois le signe du pathologique de même qu’il participe de ce qui le cause. Pour la psychanalyse, le symptôme est signe de l’inconscient et n’est pas nécessairement pathologique, puisqu’il existe tout aussi bien chez l’homme normal.
Freud organise sa démonstration à partir des actes manqués et des rêves. Il commence par les actes manqués qui contiennent aussi, ici, les lapsus, oublis et diverses formations de l’inconscient. Il écrit: « Les actes manqués sont des phénomènes psychiques complets et ont toujours un sens et une tendance. » Il précise que : « L’élucidation psychanalytique des actes manqués apporte toujours avec soi quelques légères modifications de l’image de l’univers, si insignifiants que puissent être par ailleurs les phénomènes observés. Nous trouvons ainsi l’homme normal mû par des tendances contradictoires beaucoup plus fréquemment que nous ne pouvions nous y attendre. » On peut entendre que d’une part ces changements dans l’image de l’univers participent du processus de g
uérison, et que d’autre part, l’homme normal est l’objet de bien plus de contradictions que ce à quoi l’on pouvait s’attendre, c’est à dire qu’il a un inconscient qui se manifeste.
Il poursuit à propos du rêve dont il dit que « Le travail du rêve est un processus psychologique dont on n’a pas jusqu’ici connu l’équivalent dans la psychologie. » L’étude des rêves permet de découvrir des processus d’un nouveau genre comme la condensation et le déplacement qui ne sont pas découverts dans la pensée vigile en général ou seulement comme base de ce qu’on appelle les défauts de pensée. Il ajoute : « Le travail du rêve nous contraint d’admettre une activité psychique inconsciente qui est beaucoup plus importante que celle qui nous est connue et reliée à la conscience. » L’existence de l’inconscient devient dès lors irréfutable et déduite de phénomènes psychiques normaux.
Ainsi, les nouveautés psychologiques inférées des rêves et des actes manqués deviennent utilisables pour l’explication d’autres phénomènes. Il écrit alors: « En effet la psychanalyse a montré que les hypothèses d’une activité psychique inconsciente, de la censure et du refoulement, de la déformation et de la formation de substitution qui ont été obtenues par l’analyse de ces phénomènes normaux nous rendent possible également la première compréhension de phénomènes pathologiques, nous mettant en main en quelque sorte la clé de tous les mystères de la psychologie névrotique. Qui comprend le rêve peut aussi percer le mécanisme psychique des névroses et des psychoses. » Cela veut dire que d’une part de nombreux phénomènes de la pathologie dont on croyait pouvoir donner une explication physiologique, ou aujourd’hui neuro-scientifique, sont des actes psychiques, au même titre que les actes manqués; et d’autre part que les processus qui nous livrent des résultats anormaux peuvent être ramenés à des forces pulsionnelles psychiques.
Le rêve devient le paradigme normal de toute la vie psychologique. Le pathologique n’est pas une rupture de la construction psychique. Un contre- exemple: que propose l’EMDR concernant le traumatisme qui a fait l’actualité récente? On agite un stylo devant les yeux du patient au moment où se présente l’élément de réminiscence traumatique pour que, je cite, « le cerveau permette l’intégration dans un oubli donc thérapeutique de l’événement traumatique. » De quoi s’agit-il? Si on parle d’oubli, c’est donc de refoulement dont il est question. Il s’agit de produire du refoulement, l’EMDR est ainsi une production de refoulement sans participation du sujet. Cela signifie que ce ne sont pas des signifiants, ou pour parler selon les mots de Freud des représentants de représentation qui sont refoulés, ce qui est refoulé ce ne sont que des représentations, c’est à dire des éléments vides, évidés du sujet; des images en quelque sorte. La conséquence est que cela ne marche pas, cela ne peut pas tenir dans le temps; on reste dans l’imaginaire, le symbolique et le réel ne sont pas impliqués.
Or, sujet et névrose sont concernés, intriqués. Si on évacue l’un on évacue l’autre. Il n’y a ni névrose ni structure à traiter; au plus des symptômes. S’il n’y a pas de sujet, il n’y a pas histoire. Il n’y a pas d’inconscient sans névrose, ni de névrose sans inconscient, puisque l’inconscient c’est le refoulement.
Les signifiants utilisés témoignent de la place du sujet; indépendamment de la chronologie et de la représentation. Peu importe qu’on ait le sens pourvu qu’on ait les signifiants. Ce qui fonde le lien entre construction psychique et symptôme ou entre sujet et névrose, c’est pour Freud oubli de noms de choses de sujet, actes manqués, lapsus, égarement de choses qui deviennent introuvables etc. Les actes manqués sont des actes psychiques complets, qui révèlent des intentions qui ne peuvent s’exprimer autrement, la tendance psychique sous jacente est réprimée et trouve une voie d’expression indirecte. L’acte manqué est toujours réussi, et, comme le rêve se construit avec la censure et la culpabilité. Comme le dit Freud: « notre maladresse devient le voile de nos intentions secrètes ». Ce que Freud découvre c’est que ce qui importe n’est pas la vérité de l’énoncé, mais celle de l’énonciation. La vérité a structure de fiction à déchiffrer en savoir d’une texture. La réalité matérielle importe peu; puisque que ça soit vrai ou que ça soit faux, ce qui compte c’est les effets d’après-coup et ce qui fait souffrir le sujet, ce sont les réminiscences du retour du refoulé.
Névrose Psychose et Perversion, là Freud y nomme de 3 façons l’inconscient, et nous pouvons y repérer et mesurer les conséquences. Il ne peut pas concevoir l’inconscient sans qualifier la psychanalyse de procédé médical. En effet, elle participe d’un projet médical, mais à l’aide d’un savoir original, sans allégeance au savoir médical. Quel procédé: en voici les coordonnées:
1- procédé pour l’investigation de processus mentaux non accessibles autrement.
2- une méthode fondée sur cette investigation pour le traitement de désordres névrotiques.
3- une série de conceptions psychologiques acquises par ce moyen et qui s’accroissent ensemble pour former progressivement une nouvelle discipline scientifique.
La guérison n’est pas un retour à un état antérieur, mais une transformation dynamique pour la guérison du malade, comme l’énonce Freud dans son article de 1904: « rétablir ses facultés d’agir et de jouir ». Ainsi, la médecine soigne la vie et la psychanalyse l’existence.
La psychanalyse ne guérit pas les âmes comme la religion. Elle reprend à la physiologie les actes manqués et les rêves, elle n’est pas un exercice de transposition du normal sur le pathologique, elle travaille sur le normal avec des règles communes entre le normal et le pathologique. Voilà le point de jonction entre les structures Névrose Psychose et Perversion, mettant en évidence le continuum entre normal et pathologique. Si on reprend la question du premier trauma dans l’histoire d’un sujet (Freud), retirer à la psychanalyse les structures Névrose Psychose et Perversion c’est retirer la notion même de l’inconscient, donc tout repérage du sujet. Ce que font les TCC en retirant le sujet de toute conception du traumatisme, c’est à dire un premier temps du trauma dans l’histoire d’un sujet. Le DSM a transformé ce syndrome post-traumatique en la confrontation d’une personne (et non d’un sujet) au réel sans aucune question, comme quelle est la place du traumatisme dans l’histoire et la construction d’un sujet, ou pourquoi une personne se trouve traumatisée par quelque chose et pas le voisin. Cela vient en rappel avec l’opposition entre trauma collectif et individuel. On sait que cliniquement c’est faux.
Pour conclure. La force pulsionnelle des actes psychiques comme les attaques hystériques ( comme éruption d’affects), représentation mimiques ou hallucinatoires de fantasmes témoignent du conflit psychique et de la lutte contre de telles motions désirantes. A savoir la liaison d’un affect et d’une représentation, qui a été déplacée d’une autre représentation. Quel est le statut de la vérité que l’on choisit? La vérité c’est celle de la parole actuelle qui témoigne de ce qui a été écarté du passé, où l’événement traumatique a eu lieu. Parler c’est dire sans cesse quelque chose d’un passé qui ne se dit pas à quelqu’un, seulement à celui qui veut bien l’entendre. Donc Névrose Psychose et Perversion sont nécessaires, non pas en rapport avec la séméiologie psychiatrique, mais dans le sens d’une continuité obligatoire entre la construction même de
l’appareil psychique et de ses effets, c’est pas une pathologie mais un continuum qui rend compte à un bout ou à un autre de la chaîne de ce qu’est une construction psychique. Ainsi on peut affirmer qu’une cure est curative.
SEANCE 14/01/16
Du sujet toujours en question. Ici l’Autre.
Je vous propose de continuer à travailler cette question de ce qu’est le sujet, et en particulier aujourd’hui, à partir de la question du grand Autre, tel que Lacan l’amène dans ce texte des Ecrits: « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien ». Je m’appuierai sur ce texte et sur ce qui en a été dit lors d’un séminaire d’Analyse Freudienne à Paris. ( Surtout en ce qui concerne l’exemple de la mère et de son enfant « bouchon » que je dois à Robert Lévy).
Après un abord théorique, nous verrons, concernant les questions du thème de cette année, comment l’apport de Lacan redessine la clinique et permet de dépasser ce que Freud a amené quand il a énoncé que « enfant = pénis » en allant au-delà du roc de la castration.
La question du signifiant : qui est ce qui représente le sujet pour un autre signifiant. Un exemple clinique. Il s’agit d’un homme de 55 ans qui a eu il y a plus de 20 ans un très grave accident et où on lui a plusieurs fois dit qu’il avait échappé de justesse à la mort. Il répétait souvent des phrases stéréotypées comme « ce que je vis c’est du rab, je suis un mort en sursis etc. ». Il est amené à remplacer au dernier moment lors d’une pièce de théâtre un acteur dont le seul dialogue est « je meurs ». Cela produit un effet considérable sur lui immédiatement après la représentation, dont en particulier de très fortes émotions, des pleurs etc. Il souligne l’importance du fait que certains spectateurs étaient au courant de son histoire, dans, dit-il, un effet miroir. Ce qui s’est passé là est une expérience de subjectivation. En effet, il y a production d’un signifiant, mourir, qui le représente comme sujet pour un autre signifiant, dans un effet de parole. Quand il prononçait ce mot avant, ce n’était pas un signifiant, mais un mot qui ne le parlait pas. Là, il s’est parlé dans tous les sens de cette expression. C’était, dit-il, la première fois qu’il a réalisé qu’il aurait pu mourir.
Qu’est ce A? On peut le définir à la fois comme un lieu et en opposition au petit autre (qui n’est pas l’objet a).
Entre A et a: nous n’avons pas affaire au même registre. Le petit autre est d’ordre imaginaire. L’enfant se constitue à partir d’identifications imaginaires c’est-à-dire à l’image de l’autre, et c’est l’altérité qui tend à se dissoudre dans l’identification, les partenaires tendant à se ressembler de plus en plus. C’est la construction de l’image. Cela s’observe aisément pour les enfants à l’égard de leurs parents ou à l’intérieur d’un groupe. Ainsi, l’instance du Moi, instance éminemment imaginaire se forme en fonction de ce qui fait défaut dans l’Autre.
Le A est le lieu où la psychanalyse situe, au-delà du partenaire imaginaire, ce qui, antérieur et extérieur au sujet, le détermine néanmoins(1). Donc avant tout A est un lieu; et c’est impressionnant tout ce qu’on peut y trouver. C’est lieu du langage, le trésor des signifiants, du symbolique et aussi le lieu de la jouissance. Le symbolique est troué, comme une maille ou une résille. C’est dire que A est manquant. Ainsi, on parle du grand Autre, donc un Autre d’une altérité radicale et non pas imaginaire, ce que j’entends comme une instance symbolique et non pas un être. Il n’y a pas d’être dans le A, et ainsi pas d’Autre de l’Autre; l’Autre se caractérise par le manque à être ce que Lacan désigne par cet algorithme : S(Ⱥ). Dans ce texte de « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien » Lacan nomme cet algorithme S(Ⱥ): le signifiant du manque dans l’Autre.
Après ce rapide rappel venons-en à notre propos sur ce qu’est le sujet. Revenons sur l’exemple clinique de toute à l’heure. Pour analyser la structure de ce qui s’est passé pour ce patient, il faut introduire ici le graphe du désir, et en particulier le graphe 1 ( P805 des Ecrits). Nous avons
la ligne S-S’ qui est la chaîne signifiante; et la ligne ou
vecteur ∆-$ qui celle de l’intention que l’on peut entendre,
pour simplifier, comme la parole. Le recoupement de ces 2
lignes en 2 points, que Lacan nomme « point de capiton »
arrête le glissement indéfini de la signification, ce qui avait
été évoqué lors d’un précédent séminaire. Ce point de
capiton est un signifiant, qui comme tel représente le sujet
pour un autre signifiant. Il s’y produit une métaphore, c’est-
à-dire qu’un signe est élevé à la fonction du signifiant. S’il
n’y a pas de métaphore, si ces 2 lignes ne se croisent pas,
il n’y a pas de signifiant. Ce qui s’est passé pour notre patient, pour qui c’est, il me semble, la première métaphore que j’ai pu entendre chez lui, cela a été un effet d’interprétation. Il est en scène face à un ou plusieurs sujets supposés savoir, tels qu’ils savent que cet énoncé le désigne, c’est en tout cas ce qu’il anticipe; et il décrit avec précision ce qu’il appelle un effet-miroir dans lequel son énoncé est subjectivé; de ce fait cet énoncé est devenu pour lui (et aussi évidemment pour moi qui l’écoute) une énonciation subjectivante, pour faire un euphémisme. Les 2 lignes du graphe 1 sont sur le même plan et peuvent ainsi se recouper.
Cet effet de subjectivation, tel que ce patient le décrit, avec ce phénomème de miroir, renvoie évidemment au stade du miroir, à la formation du Je de l’énoncé donc du moi. Ce schéma illustre la rétroversion ou le futur-antérieur ( il aura été) dans lequel le sujet se reconnaît (de se méconnaître). La vérité a ici structure de fiction et c’est la parole qui donne à la vérité sa garantie. Pour en venir rapidement au Graphe 2, il y a une boucle qui va de A à s(A) et revient en A. A est le lieu du trésor des signifiants
donc un lieu et l’autre s(A)( à entendre comme effet de signifié ou signification) un moment ou une ponctuation, telle que la signification se constitue comme un produit fini. La boucle ici est finalement une scansion. Dans ce schéma nous sommes au niveau de la chaîne consciente. Dans le graphe complet, remarquons simplement, que le fantasme, qui organise le rapport du sujet au monde, a la même position au niveau de la chaîne de l’inconscient que le Moi, produit des identifications, a au niveau du discours conscient. Ainsi le fantasme détermine la position subjective, la position du sujet comme le fait le Moi en tant que c’est celui qui dit Je dans l’énoncé. Ce qui permet à Lacan de dire : « Le fantasme est proprement l’étoffe de ce Je qui se trouve primordialement refoulé, de n’être indicable que dans le fading de l’énonciation »(2) .
Après avoir posé ces jalons théoriques, un peu difficiles, nous pouvons dire qu’il n’y a du sujet que s’il y a du symbolique, que tant que tient le symbolique. Le symbolique, quant à lui, repose sur un signifiant particulier qui est S(Ⱥ), signifiant d’un manque dans l’autre. C’est ce que dit Lacan: « S(Ⱥ) est un signifiant. (…) Ce signifiant sera donc le signifiant pour quoi tous les autres signifiants représentent le sujet: c’est dire que faute de ce signifiant, tous les autres ne représentent rien3 ». Comme la batterie des signifiants est complète, A est l’ensemble des sig
nifiants ou le trésor des signifiants, cela nécessite que ce signifiant particulier S(Ⱥ) ne soit symbolisable que par un (-1). On reconnaît là la castration. La castration imaginaire est écrite par Lacan par le (-) ( petit phi), et la castration symbolique par φ (grand phi).
Ainsi, c’est par l’opération de la castration que l’Autre, le A est barré: Ⱥ. Ce qui reste de cette opération est précisément l’objet petit a. A l’inverse, alors, un a peut venir débarrer le Ⱥ.
Cela reste toujours théorique et donc compliqué. Je vous propose un exemple clinique, que tout le monde a pu sinon observer, au moins en entendre parler. Il s’agit de ces mères qui n’ont plus de rapport sexuel après la naissance d’un enfant. De quoi s’agit-il? Il y a pour elles une complétude du A. En effet, l’enfant est devenu un bouchon de petit a qui vient lui permettre une jouissance phallique telle qu’une mère sera toute entière dans
cette jouissance phallique. C’est ce qu’on appelait quand j’étais étudiant l’enfant phallus; expression qui doit courir encore, mais à l’origine de malentendus. Un enfant qui complèterait une mère, serait-ce alors parce qu’il est le phallus ou parce qu’il l’a? La question de l’être et de l’avoir est consubstantielle de celle de l’enfant phallus, Lacan nous a montré que cela résultait d’une confusion entre frustration de l’objet réel et castration de l’objet imaginaire. Le penis n’est pas le phallus. Et Lacan d’ajouter : «Et c’est ce caractère du φ (phallus) qui explique et les particularités de l’abord de la sexualité par la femme, et ce qui fait du sexe mâle le sexe faible au regard de la perversion « (4). On dit souvent que la perversion est du côté des hommes et pas des femmes. Nous allons voir que les choses ne sont pas aussi simples. S’il n’y a pas de perversion du côté des femmes, pour lesquelles une autre jouissance est possible, il peut y en avoir pour des mères. Rappelons que l’an dernier dans notre travail sur les avatars du sexuel, nous en étions arrivé à dire que la différence entre homme et femme se faisait sur le mode de jouissance; jouissance phallique côté homme et autre jouissance (ou jouissance autre) côté femme. Ainsi, une femme toute dans la jouissance phallique peut avoir accès à la perversion.
Continuons à partir de cet exemple de l’enfant bouchon a. Cette complétude n’est pas celle d’une femme à qui il manquerait un penis retrouvé, mais celle du symbolique; et l’enfant représente alors un petit a, qui complète le symbolique. Cette mère va jouir d’une jouissance phallique qui a ceci de particulier, à savoir que cette jouissance phallique est complétée par la jouissance de a. Et cette jouissance fait rapport sexuel, une jouissance phallique est pervers si elle fait rapport sexuel; et ceci par l’entremise du A complet. Comment?
Revenons à notre Ⱥ, barré, incomplet; cela veut dire que cela détermine un impossible du rapport sexuel. L’impossible d’un rapport entre deux jouissances: celle d’un homme et celle d’une femme. L’homme ne jouit pas du corps de la femme, sa jouissance est phallique, ainsi ce dont il jouit c’est de la jouissance d’organe. C’est ce qu’écrit Lacan: «Seule notre formule du fantasme permet de faire apparaître que le sujet ici (dans la perversion) se fait l’instrument de la jouissance de l’Autre « (5) . La jouissance de l’Autre peut s’entendre, ici, comme la jouissance du corps de l’Autre, ce qui n’a rien à voir avec l’Autre jouissance qui est définie comme une jouissance non-phallique.
Mais pour cette mère, qui ne veut plus de relation sexuelle, si elle est tout entière dans la jouissance phallique avec cet enfant, c’est une jouissance qui se produit à l’exclusion de toute autre jouissance. N’est-ce pas là une définition de la perversion? Jouir à l’exclusion de toute autre jouissance, ce qui permet de penser la perversion comme complétude là où le rapport sexuel est manquant.
Lacan dans le triomphe de la religion, nous dit que : » la féminité est soumise à l’expérience primitive de la privation pour en venir à souhaiter de faire être symboliquement le phallus dans le produit de l’enfantement, que celui-ci doive ou non l’avoir « . Ainsi, s’il n’y a pas de perversion féminine, il pourrait y en avoir chez une femme dans sa version mère. Cette formule évoque ce que disait Lacan de la père-version, en tant que version du père, donc là une mère-version? Cela consiste en la jouissance phallique de la mère avec son enfant, où l’enfant est pris comme un fétiche soumis à un contrat ou en tant qu’objet a de la mère qui la fait jouir ( le A n’étant pas barré).
Alors, qu’en est-il de cet enfant pris dans cette position dans cette relation d’être ou de représenter l’objet a qui fait jouir sa mère? Devenu adulte, pour un homme nous pourrons observer la soumission au désir d’une femme, et pour une femme l’impossibilité d’accepter le désir d’un homme. En clinique, comment aider un enfant à sortir de la soumission au fantasme des parents? Il s’agira de dénouer au sens propre du terme, en tant que noeud borroméen, l’enfant de cette place d’objet a qu’il est pour certaines mères; objet de leur jouissance phallique. Cela permet de d’appréhender la résistance de certaines mères à la guérison de leur enfant, car cela leur impose de renoncer à leur jouissance phallique. Ce n’est pas le symptôme de l’enfant, mais l’enfant qui devient le symptôme de la mère, car il se trouve en place d’objet a pour la mère, ce qui assure pour cette mère de nouer avec l’enfant comme objet a les trois instances Réel, Symbolique et Imaginaire, là où sans le recours de l’enfant comme objet a, elle ne le pourrait pas. C’est là qu’on peut voir apparaître des moments dépressifs ou même délirants, s’il y a un dénouage. Ceci met en évidence une fonction sinthomatique de l’objet a.
Alors se pose la question de ce dénouage. On peut entendre que ce nouage se produit chez la mère, mais aussi chez l’enfant; ce qui n’est pas la même configuration pour l’un ou pour l’autre. En pratique, il est assez exceptionnel de voir une mère demander et faire un travail effectif pour « lâcher » son enfant. Je n’ai accompagné que 2 ou 3 fois dans ma pratique des mères dans ce travail, qui à chaque fois s’est révélé très difficile et pénible pour la mère. Il lui faut à la fois renoncer à une jouissance phallique très importante en quantité et vivre une modification dans la structuration du sujet en rapport avec sa jouissance, donc accepter un bouleversement dans sa position de sujet, c’est-à-dire dans son fantasme. Le renoncement à cette jouissance phallique ne peut se faire que par la substitution d’une autre jouissance, ce qui me semble être une jouissance Autre. C’est, pour le dire autrement, accepter d’être une femme, dans son mode de jouissance. C’est
le rapport à la castration qui doit évoluer; c’est-à-dire passer de la castration de l’objet imaginaire, qui est ici l’enfant, à la castration de cette mère. Je dirais qu’il s’agit d’un don, oblatif, d’amour de cette mère pour son enfant; sans toutefois s’effacer comme sujet tel que le fait un obsessionnel, qui tente là d’annuler son désir. Elle lui donne sa castration pour accéder à une autre jouissance qui n’est pas la jouissance de l’Autre, celle qui se réfère à S(Ⱥ). Pour reprendre la formulation lacanienne, le -, fonction imaginaire de la castration, qui chez elles est glissé sous le a du fantasme ($<> a) doit passer sous le $, et alors pouvoir aller d’un terme à l’autre de la formule du fantasme. Ceci est ma lecture de ce dit Lacan: « Ce dont l’expérience psychanalytique témoigne, c’est que la castration est en tout cas ce qui règle le désir, dans le normal et l’anormal.
A condition qu’elle oscille à alterner de $ à a dans le fantasme, la castration fait du fantasme cette chaîne souple et inextensible à la fois par quoi l’arrêt de l’investissement objectal qui ne peut guère outrepasser certaines limites naturelles, prend la fonction transcendantale d’assurer la jouissance de l’Autre qui me passe cette chaîne dans la Loi 6». En effet, la perversion se caractérise par la fixité du fantasme. Ces femmes alors, acceptent de ne pas être assurées de l’Autre, que le Ⱥ soit débarré, tel que S(Ⱥ) soit assumé en tant manque constitutif dans l’Autre ce qui veut dire qu’il n’y a pas de garantie de la vérité; à entendre ici comme pas de garantie que l’Autre, l’enfant dénoué, ne demande pas sa castration. Cela n’est possible, pour un sujet que si, entre autres, cette position de l’enfant n’est pas un sinthome évitant l’effondrement psychotique, c’est-à-dire que cette position pervers n’est pas pour ce sujet un sinthome.
Par contre, nous recevons tous, nombre d’enfants ou d’anciens enfants pris dans cette position. Je n’ai pas d’expérience dans la clinique avec les enfants, je ne peux, ainsi, que parler de ces « anciens enfants ». Si j’ai donné cette citation de Lacan, c’est en particulier pour la référence à la Loi. En effet, ce que doit entendre le sujet, c’est qu’à cette Loi, nous sommes tous soumis. Cela nous amène à redéfinir la fonction du père, et ceci avec ce que Lacan nous ouvre dans ce texte: « Au-delà de la Mère, Autre réel de la demande dont on voudrait qu’elle calme le désir ( c’est-à-dire son désir), se profile l’image d’un père qui fermerait les yeux sur les désirs. Par quoi est plus marquée encore la vrai fonction du père qui foncièrement est d’unir (et non pas d’opposer) un désir à la Loi 7». La vrai fonction du père est d’unir le désir à la Loi, c’est-à-dire que ce père, dans cette fonction symbolique, peut soutenir une certaine position. Avec les enfants, l’analyste ne peut évidemment pas prendre cette position, mais indiquer la place où un père peut entrer en fonction. Alors comment un père peut-il entrer en fonction?
Cela se fait à partir d’un non, au sens d’un renoncement à une jouissance, d’une acceptation de la Loi, d’un non du père ( et pas d’un Nom-du-Père) à la jouissance phallique de sa femme (ou mère). Ainsi, un père peut renoncer à faire père pour assurer la jouissance phallique de sa femme (ou mère) ou assumer la fonction symbolique pour son enfant. Ce qui lui permet de ce fait une nouvelle entrée dans le symbolique pour cet homme/père. Ceci est indiqué pour faire remarquer que certains sujets psychotiques, en devenant père, peuvent faire sinthome. Cela se voit quand ces sujets psychotiques par exemple arrêtent de délirer en devenant père. Le non du père peut ainsi remplir une fonction du Nom-du-Père seulement s’il est dit en lieu et place de la castration du père, de celui qui l’énonce.
Et comme conclusion, citons cette phrase de Lacan qui clôture ce texte: « La castration veut dire qu’il faut que la jouissance soit refusée, pour qu’elle puisse être atteinte sur l’échelle renversée de la Loi du Désir(8) ».
SÉANCE 25/02/16
Doute et certitude: la religion.
Je commence par une citation de Freud: « Il est facile de voir où se situe la ressemblance entre le cérémonial névrotique et les actions sacrées du rite religieux : angoisse de conscience en cas d’omission, isolation complète par rapport à tout autre occupation (interdiction de toute perturbation), et scrupulosité dans l’exécution minutieuse(9) ».
Plus loin, il écrit: « D’après ses concordances et analogies, on pourrait se risquer à concevoir la névrose de contrainte comme pendant pathologique de la formation-de-religion, à qualifier la névrose de religiosité individuelle, et la religion de névrose de contrainte universelle. La concordance la plus essentielle résiderait dans le renoncement sous-jacent à l’activité des pulsions constitutionnellement données. « (10)
La question de la religion est d’actualité en particulier dans ses formes radicales. Ce n’est pas un phénomène passager, mais au contraire destiné à durer et à s’amplifier. L’entreprise de déshumanisation à l’oeuvre dans notre monde, permet de moins en moins la subjectivation, et ainsi, d’affronter le Réel. Les religions bouchent les trous du Réel, elles proposent un système de défense très élaboré contre les pulsions sexuelles et leur avatar de la différence irréductible des sexes. Ce point commun avec la névrose obsessionnelle n’est pas le seul. Dans « Totem et Tabou » Freud soutient que la religion correspond à la névrose obsessionnelle à un niveau collectif. Cela m’amènera à un long développement sur la névrose obsessionnelle. En effet, en 1875 Henri Legrand du Saulle la décrit sous le nom de : « folie du doute et délire du toucher ». Je terminerai par une évocation rapide de la paranoïa et des convictions délirantes.
Le référentiel religieux est au fond le pur et l’impur, le sacré et la femme, rejetée pour sa jouissance supposée, et l’interdit de l’inceste comme structure. Cela implique tabou, expiation, ambivalence des sentiments, interdiction de prononcer certains noms. Ces éléments sémiologiques conduiront Freud à parler de Tabou dans les populations primitives, comme ce qui peut se dire au niveau individuel, ce qu’il appelle la maladie du tabou. Il écrit ainsi dans Totem et Tabou: « Si celui qui aborde le problème du Tabou à partir de la psychanalyse n’était pas habitué à qualifier ces personnes individuelles de « malades de contrainte » ( Névrose obsessionnelle) il devrait forcément trouver adéquat à leur état le nom de « maladie de tabou“. Et plus loin: L’interdit capital et nucléaire de la névrose est, comme dans le tabou, celui du toucher; d’où le nom : angoisse du toucher, délire de toucher. « (11)
Cela renvoie au meurtre du père primitif comme origine de la morale, c’est ce qui a créé le totémisme et le Tabou. Il y est aussi question du meurtre du père primitif, de la question des femmes et de l’appropriation de leur jouissance qui ne cesse d’échapper du côté homme. D’où toutes ces tentatives de s’approprier leurs corps sous toutes les formes en particulier les plus violentes : viols, burka, harem, infibulation, excision, réduction à l’esclavage, en préservant toujours la place de la mère (toutes des putes sauf ma mère).
Le désir est ce qui cloche dans le symbolique et c’est ce que hait l’obsessionnel plus que tout en lui-même. Il tente désespérément de pourvoir s’en préserver avec toute sa symptomatologie, visant à chaque fois à pouvoir éradiquer ce désir. C’est donc le désir qui rend nécessaire la religion, ou au moins ses prières afin de trouver une solution à cette hainamoration, à cette ambivalence des sentiments qui consume tout obsessionnel : tu aimeras ton prochain comme toi-même, à entendre à l’envers tu haïras ton prochain comme toi-même.
Dans l’univers de l’obsessionnel, le père n’interdit le désir que parce qu’il est mort, que parce que il ne le sait pas lui-même qu’il est mort. C’est ce que révèle la thèse de Totem et Tabou. Lacan ajoute que les Dieux sont les métaphores vivantes du désir. Le père interdit le désir parce qu’il est mort, et qu’il ne le sait pas ( qu’il est mort). Pour l’homme moderne, Dieu est mort, et le désir n’en est que plus menaçant; Dieu est mort plus rien n’est permis. Le résultat est l’identification à ce deuil du père, identification qui s’appelle le Surmoi, en d’autres termes le reproche à soi-même. C’est au nom du Père, Dieu ou Allah, figures concentrant sur elles l’amour et la haine, que toutes les exactions
du pire sont rendues possibles, toutes religions confondues, religions qui introduisent un impératif : « Tu dois ».
Ce « Tu dois » est au centre de la contrainte obsessionnelle. Pour travailler la question de la névrose obsessionnelle, je me suis appuyé sur Philippe Julien(12).
Commençons par quelques éléments concernant la direction de la cure. Déjà concernant la névrose obsessionnelle, la libre association fait problème : « Tous, nous avons fait l’expérience, le sujet atteint de névrose obsessionnelle rencontre une difficulté particulière à suivre la règle fondamentale de l’analyse. « (13) En effet, très vite l’obsessionnel va contourner la règle fondamentale pour ne rien dire. C’est la raison pour laquelle, Lacan a inventé les séances non pas courtes, mais à durée variable, comme condition de l’acte analytique. En effet, la neutralité immuable se fait complice de l’obsessionnel qui n’attend que ça pour montrer l’impossible : « Vous voyez bien ! C’est bloqué ! ». Ce qui amène Lacan à dire en 1958 : « C’est dans une direction de la cure que se situe l’horizon où à Freud se sont livrées les découvertes fondamentales, sur lesquels nous vivons encore concernant la dynamique et la structure de la névrose obsessionnelle. Rien de plus, mais aussi rien de moins ».(14)
Quelles ont été les avancées de Freud sur la névrose de contrainte, comme il la nomme. Avant 1905, où il élabore les trois essais sur la vie sexuelle, Freud théorise la névrose obsessionnelle par analogie avec la névrose hystérique. Il construit cette névrose selon deux temps. Le premier temps est d’ordre étiologique, il y eut dans l’enfance une excitation sexuelle précoce. Si ce trauma est subit passivement dans hystérie, par contre il y a eu activité avec plaisir dans la névrose obsessionnelle. Le second temps, les affects inconciliables avec le Moi se détachent de leurs représentations premières pour opérer une fausse liaison avec de nouvelles représentations par déplacement. Cette substitution est une défense du Moi.
Puis, les trois essais sur la théorie sexuelle en 1905 marquent un tournant en montrant l’importance capitale des zones érogène et des pulsions partielles, avec un Lustgewinn (un Plus-de-jouir traduira Lacan). Il parle de l’érotisme anal et fait le lien entre l’objet anal et la névrose obsessionnelle avec les symptômes de soucis d’ordre et de propreté et avec ceux d’entêtement. C’est dans cette perspective que prend place en 1909 l’analyse de l’homme aux rats. La révélation à celui-ci d’une « horreur d’une jouissance par lui-même ignorée » advient lors du fameux récit par le capitaine X d’un supplice oriental d’ordre anal. C’est contre cette représentation que surgissent injonctions et serments : « Tu dois … ». En 1913 dans l’article « les dispositions à la névrose obsessionnelle » Freud fait un lien entre cette névrose et les pulsions érotico-annales et sadiques.
À partir de 1913, et l’élaboration de la deuxième topique, Freud met en évidence un rapport entre la névrose obsessionnelle et la fonction du Surmoi. Dans le « Moi et le ça », Freud avance que le déclin du complexe d’Oedipe vient de l’intériorisation de l’interdit paternel. La domination du Surmoi sur le Moi apparaît ainsi en tant que conscience morale. Mais d’où vient la force de cet impératif catégorique tourné contre le Moi? Dans le chapitre 5, Freud parlant de sadisme ajoute : « Ce qui règne dans le Surmoi, c’est une pure culture de la pulsion de mort « (15). Et il ajoute : « Le Surmoi peut devenir hyper-moral, et alors aussi cruel que seul le Ça peut l’être ».(16)
Ainsi, ce qui concernait le sadisme de l’érotisme anal est appliqué au Surmoi. Ceci reste relativement énigmatique, en 1926 dans « Inhibition, symptôme et angoisse » Freud avoue sa perplexité concernant la névrose obsessionnelle : « Il faut avouer que si nous voulons pénétrer plus avant sa nature, nous ne pouvons encore nous dispenser d’avancer des hypothèses incertaines et des suppositions dépourvues de preuves17 ». On peut dire que dans cette dernière période, Freud nous présente un double phénomène : l’un de démesure, l’autre de retournement. La démesure, lors du déclin de l’Oedipe, il y a création ou consolidation du Surmoi. Or, dans la névrose obsessionnelle, ces processus dépassent la mesure normale. À la destruction du complexe d’Œdipe, s’ajoute la dégradation régressive de la libido. Le Surmoi devient spécialement sévère et dur, tandis que le Moi se développe sur l’ordre du Surmoi d’importantes formations réactionnelles, qui prennent la forme du scrupule, de la pitié et de la propreté. Le retournement : il y a un retournement du sadisme de l’érotisme anal, il se renverse en masochisme, c’est-à-dire en agression contre soi-même. Tel est le Surmoi en son sadisme: une application à soi-même d’une destruction ancienne dirigé contre l’autre. On peut remarquer que Freud souligne que le Surmoi est une instance qui parle au-dedans, qui donne sans cesse de la voix, celle même qu’on attribue à la conscience morale. Or, cet objet vocal ne relève t-il pas d’une pulsion, la pulsion invoquante? N’est-il pas dans ce cas à distinguer de l’érotisme anal ? Cette question sera dépliée et explicitée par Lacan, ce que nous verrons tout à l’heure.
Avant d’en venir à Lacan, voyons ce qu’une lecture insuffisamment approfondie de Freud a pu donner comme impasses dans le maniement des cures chez les post-freudien, concernant la névrose obsessionnelle.
En effet, l’interprétation orthodoxe de la névrose obsessionnelle repose sur la triade suivante :
1: les symptômes viennent d’une frustration subie dans l’enfance.
2: cette frustration a provoqué chez le sujet une agressivité dirigée contre ce qui est supposé être à l’origine de la frustration.
3: cette agressivité engendre à son tour une régression avec retour à des stades prégénitaux, qualifiés d’oral ou d’anal.
Ainsi, la thérapeutique consistera de la part de l’analyste à supprimer cette cause qu’est la frustration en la remplaçant par son contraire grâce aux transfert: donc, objectivité, générosité, accueil de la demande, bref être une bonne mère ou un bon père. Alors, l’agressivité baisse et, la régression en n’ayant plus de raison d’être, le stade génital devient possible. Souvent, les analyses se sont arrêtés à ce moment-là, l’agressivité étant diminué, on s’en contente. On peut noter ici que l’agressivité est finalement dirigée contre celui, l’autre, qui a le phallus. Je me demande si cette façon de diriger la cure, où l’analyste en place de père ou de mère, donc susceptible d’avoir le phallus, ne s’expose pas à l’agressivité de son analysant.
Lacan permet par son enseignement d’envisager tout à fait autrement la problématique du sujet obsessionnel. En effet, la question d’avoir ou pas le phallus ne se pose pas. Comme nous l’avons vu lors d’un des derniers séminaires la question se pose en termes de l’être ou non. En effet, Freud découvre que l’accès au désir suppose la castration, celle concernant la position du fils ou de la fille qui est par son image le phallus de la mère, c’est- à-dire ce qui lui manque. Ceci étant le versant imaginaire de la question. Si on prend la question du côté symbolique, on peut dire que le phallus symbolique comme signifiant du désir de la mère lui a été transmis. C’est ceci qui permet au sujet, d’être le phallus comme Gestalt de l’image désirable pour la mère. C’est la position primordiale à partir de laquelle dans un temps
second la castration pourra s’accomplir. C’est-à-dire : « tu n’es pas le phallus de celle qui t’a conçu(e) ! » La névrose obsessionnelle ne vient pas d’une frustration de ne pas avoir le phallus, mais d’une castration non admise, non subjectivité, non reconnue en son énon
cé en terme d’être. Ceci permet de percevoir, comment Lacan, lisant au plus près le texte freudien, nous amène à une clinique et une écoute différentes. Le ressort de la névrose obsessionnelle, n’est pas une frustration de laquelle découle une agressivité, mais une haine du désir agrémentée d’une agressivité envers celui qui suscite le désir. Nous retrouvons de nouveau, comme nous en avions parlé lors d’un précédent séminaire, la question de la confusion entre frustration de l’objet réel et castration de l’objet imaginaire, qui recouvre la question entre l’avoir et l’être.
Finalement, la découverte de l’Oedipe par Freud se résume ainsi: c’est sur le fond de n’être pas le phallus de l’Autre que le sujet peut ensuite accepter : soit de l’avoir, côté masculin, avec le risque de péril et crainte de le perdre. Soit de ne pas l’avoir, côté féminin, comme manque et absence. Le problème de l’obsessionnel est celui de son agressivité culpabilisante à l’égard de son semblable supposé avoir le phallus. Or, la résolution de ce problème est l’effet d’un déplacement de la question : comment pouvoir renoncer à l’être, de telle sorte qu’ensuite l’avoir ou ne pas l’avoir en découle sans angoisse ni revendication ? Or, ce passage de l’être à l’avoir ou non est déterminée par l’interprétation de l’analyste. S’il la rate, l’analyse s’arrête à mi-chemin, ou demeure sans fin. Pour résumer ce que je viens de vous dire, la névrose obsessionnelle ne vient pas d’une frustration de la demande, mais une castration non réalisée quant à être ce qui manque au désir de l’Autre. Il y a, ici, une autre confusion, finalement contingente, celle entre la demande et le désir, qui est exactement le symptôme de l’obsessionnel. Donc confusion entre frustration de la demande d’avoir et désir, d’une certaine façon, de l’être. C’est cette confusion qui détermine chez le sujet obsessionnel le Surmoi comme figure obscène et féroce qui s’adresse au sujet sous la forme de cette voix insistante de la conscience morale.
Quant à la religion, au contraire, elle permet de croire que l’on peut être ce qui manque au désir de l’Autre, en particulier avec son corps, ce qui se voit par exemple dans les sacrifices religieux. Ceci est un élément supplémentaire où la religion vient riveter la névrose obsessionnelle. En effet, avec la religion, un sujet n’est pas responsable de son désir, c’est un Autre (Dieu) quelque soit la religion. On peut entendre ainsi que ne pas céder sur son désir est l’antidote à toute tentation à se débarrasser de la responsabilité de son désir. Mais pour tous ceux qui croient, c’est comme l’indique Lacan, croire en un savoir, savoir qui règle son compte au doute et enfin acquérir une certitude. Peux-t-on alors penser la religion plus comme une certitude que comme un doute? Le religieux ignore le doute; le doute ne porte pas tant sur l’existence de dieu, mais que la croyance au dogme, en tant que certitude, qui vient combler le manque du symbolique. A n’est plus barré, comme je l’avais développé, lors du dernier séminaire. Rappelons que S(Ⱥ), signifie le « manque à être de l’Autre » ce qui entraine qu’il n’y a pas de garantie de la vérité. Ce qui amène Lacan à dire que les seuls véritables athées sont ceux qui ne doutent pas de l’existence de Dieu. Le passage du doute à la certitude est fondamental dans toute religion et dans la névrose obsessionnelle. Ce passage dans la religion ouvre au fondamentalisme, au radicalisme; et concernant la névrose obsessionnelle, à la décompensation qui peut aller jusqu’à la psychose paranoïaque; d’autant plus que souvent une névrose obsessionnelle vient suturer ou masquer une psychose.
Pour terminer, quelques remarques à propos de la question de la certitude. Il y a bien sûr la psychose paranoïaque, qui est une position extrême de la certitude. Mais finalement, on peut s’interroger sur la différence entre la certitude du délirant qui entend des voix et celle de la religion où le Dieu dit « tu dois ». Dans les deux on retrouve le « c’est pas moi qui.. ». C’est aussi ce que nous avons entendu au procès de Nuremberg: « ce n’est pas moi qui … j’ai obéi aux ordres. Le sujet délirant doit faire admettre que ce n’est pas moi, car cela vient de mes sensations; comme ces malades dans les hôpitaux psychiatriques qui ont bien compris qu’il faut dire que cela vient d’eux pour pouvoir sortir de l’hôpital, ce qu’on appelle la critique du délire.
Dans ces différentes modalités de la croyance, on voit bien l’oscillation entre le doute et la certitude, d’une certaine façon on pourrait bien aussi classer la caractéristique mentale de l’extrémisme du côté de la certitude absolue et en faire aussi le socle d’une définition qui permettrait d’englober le phénomène, le paranoïaque n’est-il pas en quelque sorte un extrémiste? Ceci permettrait d’invoquer contre l’homme ordinaire, celui de la banalité du mal décrit par Hannah Arendt, le monopole de la certitude et ainsi l’inconditionnalité de l’adhésion à une valeur. Il en va ainsi de la certitude chez l’obsessionnel, dont Lacan peut dire :« il est inconcevable qu’un obsessionnel ne puisse donner le moindre sens au discours d’un autre obsessionnel. C’est même de là que partent les guerres de religion. »(18)
Pour clore cet exposé, je ne résiste pas au plaisir de vous lire les 10 commandements de la Zwangneurose, donnés par Philippe Julien, telle que
les injonctions de la voix de la conscience morale (le Surmoi) les ordonnent19. 1: Ne demande rien. Que ta demande meure pour réaliser ainsi ta demande qui est d’être un sujet mort, évanoui, effacé. Voilà ce que tu dois exposer.
2: Ton désir est en vérité de déprécier, d’annuler, de détruire le désir de l’Autre. En effet c’est le tien ou le sien. C’est pourquoi tu parles ainsi : « ce que je pense ce n’est pas tellement parce que c’est coupable qu’il m’est difficile de m’y soutenir et d’y progresser, c’est parce qu’il faut absolument que ce que je pense soit de moi, et jamais du voisin, d’un autre »20.
3: Attends d’être demandé(e). Attends que l’Autre comprenne ton silence. En effet, pour parer à l’angoisse du désir de l’Autre, tu dois la recouvrir de sa demande : une demande anale de donner. En retour, soit oblatif(ve), tu n’en feras jamais assez pour que l’autre se maintienne dans l’existence.
4: Ne jette rien, accumule jusqu’à l’encombrement. On ne sait jamais, ça peut toujours servir ! Aimer, c’est d’avoir toujours de quoi donner. Et pour avoir de quoi, retiens ce que tu as, serre les fesses ! Serre les dents !
5: Ton propre désir, tu l’engageras demain, après-demain, plus tard. Tu as le temps : fais le mort. Ainsi tu sauras faire attendre l’Autre longtemps, puisqu’il n’y a de désir que dans l’impossible.
6: En attendant, fais tes preuves. Surmonte l’inhibition par l’espoir, la prestance, l’esbroufe, la bouffissure, à l’image de la grenouille qui se voulait aussi grosse que le bœuf. Oui, mais toi, tu n’éclateras jamais !
7: Ne fais rien de définitif ou d’exclusif : pas de pied dedans sans un pied dehors ! Pas d’avancée sans l’assurance d’un retrait ! « À la fois » et « en même temps » sont les mots qui doivent traverser tes paroles.
8: A L’impératif du Surmoi qui t’ordonne : « jouis ! », fais de ton impuissance à le réaliser une demande adressée à un maître supposé savoir si le rapport entre jouissance et maîtrise est de l’ordre de l’impossible ou non.
9: Soumets-toi à l’ordre de fer, de faire ceci ou cela. Tu dois te surcharger avec un programme sans faille, sans vide, sans répit pour éviter l’interrogation sur le désir de l’Autre.
10: Arrête ton analyse le jour où tu pourras alléger ta culpabilité en culpabilisant autrui. À ton tour, que
ta propre voix de transmette cet ordre de fer à ton entourage, sans explication ni murmure: c’est comme ça parce que c’est comme ça ! Fin de l’analyse !
SÉANCE 17/03/16
Au sujet de l’amour et de la haine.
Cette cession du séminaire part d’une question. Lors des meurtres de masses et génocides, comme lors des attentats de janvier et novembre 2015, les sujets meurtriers ne montrent aucune culpabilité, ni même d’implication dans l’acte meurtrier en tant que sujets de cet acte. C’est-à-dire que s’ils tuent, ce ne sont pas des semblables qu’ils exterminent, mais des autres auxquels ils ne reconnaissent pas la qualité d’êtres humains. Cela est parfaitement illustré par la controverse de Valladolide, où le dominicain Bartolomé de Las Casas et le théologien Juan Ginés de Sepúlveda ont porté dispute pour savoir si les amérindiens avaient ou non une âme; ce qui revient à dire s’ils avaient ou non la qualité d’êtres humains, donc de semblables. Ainsi tuer devenait un meurtre, avec son corolaire de culpabilité, aujourd’hui on dirait de névrose post-traumatique. Hannah Arendt a décrit la banalité du mal, en particulier a propos du procès d’Eichmann qui a programmé la Shoa comme un simple acte administratif. Ainsi, ces sujets qui commettent des génocides ou des meurtres en masse, ne le font qu’à ceux à qui ils ne reconnaissent pas cette qualité d’êtres humains. Alors se pose la question, sont-ils motivés par la haine? Ce que l’on sait de la haine est qu’elle s’adresse à un sujet. Alors, il ne s’agirait pas de haine? Ou y-a-t-il de la haine sans investissement libidinal?
Ainsi, pour avancer sur cette question, il a semblé utile d’aller voir de plus près ce qu’il en est de la haine, ce qui amène aussi à travailler ce fameux couple amour-haine.
Freud a présenté l’amour comme étant essentiellement narcissique. Il écrit » Pour introduire le narcissisme? » en 1914, texte qui prépare la deuxième topique, avec » Au-delà du principe de plaisir » où il amène la pulsion de mort. Alors, si l’amour concerne le narcissisme, la haine doit-elle être conçue comme strictement objectale? Y-a-t-il lieu d’opposer amour et haine, comme Freud a pu mettre Eros et Thanatos en opposition? De cette façon de penser en a découlé, le concept d’ambivalence, où un sujet oscillerait entre ces opposés que semblent être amour et haine. Comme si, soit dans le même temps, soit alternativement, un sujet aimerait puis haïrait un autre, un objet. Cela amène à cette idée que, dans l’ambivalence, un sujet serait doué d’ubiquité. Il serait dans le même temps devant et derrière le miroir. Il verrait de façon synchrone le reflet, c’est-à-dire un semblant, et l’image réelle de l’objet.
Il est déjà perceptible dans mon propos qu’il y est question du stade du miroir avec son semblant d’image unifiée du corps de l’infans; qui s’oppose à l’image réelle. Autrement dit: si la haine est l’inverse de l’amour, ils s’opposeraient dans un plan de symétrie comme dans un miroir, avec une image vraie et une image de semblant. De la même façon que lorsqu’on se regarde dans le miroir, ce qu’on voit est l’inverse de ce que voient les autres, puisque dans le miroir la gauche est à droite et inversement, et là, je ne parle pas de politique. Ainsi, dans cette forme d’équivalence mise en place par la notion d’ambivalence, l’amour et la haine, auraient le même objet. C’est dire que si on sait ce qu’est l’amour, il suffirait de lui donner un coup de miroir pour savoir ce qu’est la haine. Par ce tour de passe-passe, serait résolues tout un tas de questions à propos de l’amour et la haine, fin de cet exposé et du même coup fin de l’analyse. Tout va bien se passer. Il suffit de mettre le bon item dans la bonne case.
En 1973, lors du séminaire « Encore », Lacan invente le néologisme d' »hainamoration ». Il propose un bloc sémantique à la place de deux mots séparés. Dès lors, on n’est plus dans une forme d’équivalence ou d’alternance mais dans un recouvrement, au moins pour une part. Là, amour et haine ne s’opposent pas, ne sont plus distinguables l’un de l’autre ou antagonistes. L’ambivalence ne sert donc qu’à mieux penser qu’amour et haine restent parfaitement différenciés. Nous reviendrons plus tard sur ce qu’est ce point de recouvrement; sur cette imbrication qui rappelle l’intrication des pulsions, telle que Freud la décrit dans « Au-delà du principe du plaisir »; où ces deux pulsions sont indifférentiables.
Freud ne différencie pas toujours haine, agressivité et pulsion de mort. Ce que Lacan fera. Tout d’abord par la mise en évidence de l’agressivité en inventant le stade du miroir en 1936. C’est là que se produit la naissance du Moi par identification à l’image du semblable. Il en découle l’amour narcissique: ce que j’aime en l’autre, c’est ce que j’y vois de mon propre Moi, anticipé en tant qu’imago. Mais, l’autre reste autre, un semblable mais devant moi, hors de moi ce qui déclenche l’agressivité. Il se voit hors de lui, ce qui le met hors de lui, comme on dit, donc agressif. C’est l’archétype de la relation duelle, où se produit une oscillation sans fin entre amour et agressivité. Cette relation duelle peut être illustrée par ce que Freud décrit dans le chapitre 6 de « Psychologie collective et analyse du Moi » avec l’histoire des porcs-épics en hiver: pour se tenir chaud ils se rapprochent, mais alors ils se piquent; pour ne pas se piquer ils s’éloignent, mais alors ils ont froid; ils se rapprochent donc mais se piquent à nouveau. C’est La question de l’Invidia, que Lacan décrit en 1938, dans le livre de la famille. Invidia est la déesse de la jalousie et de l’envie, ce qui est la signification en latin d’invidia: jalousie,
envie. Lacan y définit la jalousie comme l’archétype des sentiments sociaux,
la genèse même de la sociabilité; et ainsi de la fraternité. Il cite Saint Augustin: « J’ai vu de mes yeux et bien observé un tout-petit en proie à lajalousie: il ne parlait pas encore et il ne pouvait sans pâlir arrêter son regard au spectacle amer de son frère de lait ». (Confessions,I,VII) . Il s’agit là de l’agressivité.
Le sujet anticipe dans l’image de l’autre ce qu’il n’est pas, c’est-à-dire son Imago. C’est dire que l’agressivité se situe dans le registre imaginaire, l’agressivité est toujours purement d’une consistance imaginaire.
Quant à la haine, c’est bien autre chose; on peut la différencier de l’agressivité en clinique. Elle « s’adresse à l’être, à l’être qui n’est pas forcément Dieu »(22.) L’agressivité, elle s’adresse à l’objet. Il apparaît que la haine se manifeste dans le la dimension symbolique, c’est-à-dire celle de la parole.
Lacan dit lors du Séminaire sur « Les écrits techniques »: « C’est uniquement dans la dimension de l’être, et non pas du réel, que peuvent s’inscrire les trois passions fondamentales dont vous avez peut-être entendu l’énumération et le registre, et qui font que nous sommes dans le plan humain qu’en […] s’institue l’analyse du seul fait qu’il s’agit de l’être et pas de l’objet. Ainsi se créent :
-à la jonction du symbolique et de l’imaginaire la passion ou la cassure, si vous voulez, ou la ligne d’arête qui s’appelle l’amour,
-à la jonction de l’imaginaire et du réel, celle qui s’appelle la haine ,
-et à la jonction du réel et du symbolique, celle qui s’appelle l’ignorance. »23
On est passé de la logique duelle ou binaire qui est celle de la relation imaginaire de l’agressivité à celle ternaire des trois passions prises entre Réel, Symbolique et Imaginaire. On ne peut évoquer la haine sans la mettre en tension avec l’amour et l’ignorance, qui est la question du savoir inconscient. Cela nous concerne t
out particulièrement en tant qu’analystes, en effet, Lacan l’indique, concernant l’analyse. Et cela se rencontre lors de moments déterminants de la cure, quand ces « passions » vont s’imbriquer (terme que j’emprunte à Guy le Gaufey). Ce que Lacan indique dans ce séminaire, tout d’abord concerne l’ignorance: » Le sujet qui vient en analyse se met comme tel dans la position de celui qui ignore. Il n’y a pas d’entrée possible dans l’analyse sans cette référence, et elle est absolument fondamentale (24).Cette imbrication des passions va se manifester par exemple dans ce que Freud a appelé « La réaction thérapeutique négative » où la haine se manifeste par la désupposition de savoir au sujet supposé savoir.
Concernant l’amour, Lacan dit: » L’amour, dans son don actif, vise, au-delà de cette captivation imaginaire, toujours l’être, cette particularité du sujet aimé. (…) Il y a un point qui justement ne se situe, et ne se signifie, que dans la catégorie de l’être « .(25) Il y a, ici, franchissement d’une limite, telle que à la place de l’amour la haine apparaît. Le semblant ne suffit plus, et ce qu’engage alors le sujet se rapporte à une dimension du vrai, ce qui dans la cure renvoie l’analyste à son désir d’analyste.
Quant à la haine, Lacan en dit ceci: » elle est une passion qui ne se satisfait pas de la disparition de l’adversaire. Ce qu’elle veut, c’est très précisément le contraire de ce développement de son être dont je vous parlais à l’instant à propos de l’amour : ce qu’elle veut, c’est son abaissement, c’est son déroutement, sa déviation, son délire, sa subversion. Et c’est en cela que la haine, comme l’amour, est une carrière sans limite, […] , c’est la négation développée, détaillée, de l’être qu’il hait « 26. On peut ainsi différencier la xénophobie, qui est imaginaire, de la haine par exemple contre les juifs, où les antisémites vont jusqu’au révisionnisme, à la négation de l’existence de la Shoa. Et nous retrouvons la désupposition de savoir.
En reprenant le séminaire XX, « Encore », il apparaît que Lacan n’amène pas fondamentalement beaucoup plus d’éléments concernant cette question de la haine. Évidement, en 19 ans d’élaborations il a considérablement développé et étoffé son son appareil conceptuel et permet de penser l’articulation du Réel, du Symbolique et de l’imaginaire autrement, à la lumière de la jouissance et de l’impossible du rapport sexuel. Il va être question maintenant de montrer ce qu’il en est en 1973.
Il s’appuie sur Empédocle qui affirmait » Que Dieu devait être le plus ignorant de tous les êtres, et Lacan d’ajouter, de ne point connaître la haine « 27. Ce qui amène la question du savoir, et ainsi de l’ignorance. Il continue en disant : » On ne connaît pas d’amour sans haine « . Dans cette courte phrase, les trois passions sont évoquées. Ainsi, cela amène à se demander si le rapport de l’amour, de la haine et de l’ignorance ou du savoir n’a pas une structure de noeud borroméen.
Reprenons, alors, ce que Lacan avance de la haine, puisque c’est la question abordée, à la lumière de cette éventuelle articulation borroméenne. Pour faire vite, appelons, ici, amour, haine et ignorance par leurs initiales: A, H et I, ce qui fait AHI! AHI s’adresse, sous différentes modalités à l’être. L’amour vise l’être; mais il s’adresse à son semblant, à un semblant d’être. C’est-à-dire à un sujet supposé, qui peut être supposé savoir dans l’amour de transfert. Dans le discours de l’analyste, en place du semblant, nous trouvons l’objet a, cause du désir, qui comme tel, rend l’Autre manquant, barré, S(Ⱥ), signifiant du manque à être. Évidemment il y a toute la dimension imaginaire de l’amour, qui est l’aspect le plus spectaculaire dans la passion amoureuse, ce n’est pas, ici, notre propos, mais concernant la dimension symbolique, l’amour trouve sa limite dans la rencontre avec le « manque-à-être » de l’aimé. Cela peut se traduire ainsi: » C’est dans la mesure où l’être aimé, à un certain point, va trop loin dans la trahison de lui-même que l’amour ne suit plus « .(28) Trahir/haïr, ainsi au-delà de cette limite c’est de la haine qu’il s’agit.
C’est dans ce ratage de la rencontre avec l’être dans l’amour, dans cette hainamoration, qui est le contraire du bien-être de l’autre, où amour et haine se confondent; que la haine prend en quelque sorte le relais de l’amour, comme dans une équipe où on passe le relais, ainsi amour et haine sont dans la même équipe, sont en continuité. C’est ainsi que nousentendons cette phrase de Lacan: » La vraie amour débouche sur la haine »29. Et là, la haine ne rate pas l’être. Ce que cherche la haine, comme l’amour c’est d’atteindre l’être, mais là, pour ne pas le rater et ainsi permettre à l’amour d’aborder l’être. Il s’agit d’un abordage au sens maritime, comme de prendre un bateau d’assaut. On peut alors percevoir, que c’est « l’être en tant que tel qui provoque la haine » 30. Dans son extrême, l’amour vise le contraire du bien de l’autre, ce qui justifie l’écriture d’hainamoration.
Alors, le AHI, tel que nommé tout à l’heure, a-t-il une structure borroméenne? Telle que le dénouage de l’un dénoue les deux autres consistances. C’est le cas entre amour et haine, il n’y a pas d’amour sans haine, c’est ce que répète Lacan. Nous pensons qu’il n’y pas non plus de haine sans amour, dans le sens où la « haine » telle que décrite par Saint Augustin, est plus du ressort de l’agressivité et ainsi du registre imaginaire. « Avec le le nœud borroméen, ce que nous avons à notre portée, c’est ceci (..) que j’ai énoncé comme vérité première, à savoir que l’amour est « hainamoration » (h.a.i.n.a.m.o.r.a.t.i.o.n.) » 31.
Toutefois, concernant ce qu’il en est de l’ignorance. L’amour n’a rien à faire avec la question du savoir inconscient, quand « l’amour rend aveugle » c’est le signe de la capture imaginaire.
Par contre, dans le transfert, on ne peut pas ne pas évoquer cette structure borroméenne, de AHI, même si évidement cela ne l’est pas, nous voulons dire par cette référence borroméenne que les trois passions sont liées entre elles; le sujet venant en analyse se met dans la position de celui qui ignore, c’est une condition nécessaire, indispensable. Finalement, il faut être fou ou passionné pour faire une analyse, et pourquoi pas fou d’amour. Un sujet ne peut s’engager dans une telle démarche sans y mettre sa passion, passion d’être et être de passions, et comme nous venons de tenter de le montrer, une passion ne va pas sans les autres. On peut s’attendre dans toute analyse, quand une analyse se produit, à l’irruption de la passion sous au moins l’une de ses trois formes. Et, de plus, un sujet analysé, est susceptible d’être plus encore sujet de passions qu’avant son analyse. En témoigne ce fait que les associations analytiques, sont des lieux où le calme, la tranquillité ne règnent pas souvent, mais où AHI y circule plus qu’ailleurs.
On en arrive à notre question du début. Ces sujets qui commettent des meurtres de masse ou des génocides, sont-ils motivés par la haine? Ce que montre cette étude de la haine, c’est que la haine est le fait d’un sujet qui s’adresse à un ou des autres sujets. Or, dans absolument tous les comptes- rendus de ces faits, dont nous avons pu avoir connaissance, il y a deux invariants. D’une part, tous disent qu’ils ont obéi aux ordres, qu’ils n’y sont pour rien en tant que sujets, qu’ils n’éprouvent ni remords ni culpabilité, ni responsabilité ce qui signifie qu’ils n’ont pas à en répondre. Est-ce là le fait d’un sujet? Et d’autre part, nous pouvons observer également toujours, que ces actes ne se sont pas adressés à de
s sujets, des êtres-humains mais à des cloportes, des insectes, des parasites. Pouvons-nous penser qu’il s’agit alors d’actes haineux? D’un sujet à un ou des autres sujets?
De notre point de vue d’analyste, c’est par sa parole que le sujet s’engage de tout son être; dans sa vie, ses amours et passions, son analyse. Or, dans ces actes, il n’y a pas de place pour la parole. Est-ce pure jouissance?
Pour ce travail, nous avons parcouru une partie de la littérature analytique, sur cette question de la haine. Chacun y va de ses hypothèses, citons-en quelques unes: Pascale Hassoun: « La haine se pose donc comme preuve du savoir: la preuve qu’il y a du savoir c’est ma haine. La haine vise donc à désupposer le savoir ».(32) Philippe Julien: « L’enjeu, grâce a la haine, n’est pas le bien de l’autre ni du mien. La haine est négation, chute de la supposition d’un savoir sur le bien. L’amour ne ménage pas, ne protège pas ce bien, et en cela il hait ». Puis: « Puisqu’il n’y a pas de savoir du rapport sexuel, il n’y a pas de deux sexes, mais un et un qui ne s’additionne(nt) pas . Il n’y a pas « deux comme tel ». Il reste alors entre un et un ce que Lacan note : objet petit a, cause du désir ».(33) Marie-Claire Boons: « L’essence de la haine n’est-ce pas la destruction de l’Autre au sens strict, c’est-à-dire de tout lieu de parole ? Que ce lieu même cesse d’être puisqu’il a cessé de répondre ! Puisqu’il ne répond pas, autant qu’il ne soit pas ! Point paroxystique où l’autre et l’Autre sont voués par la haine à l’abolition ».(34) Jacques Hassoun: « Ainsi, pas à pas, nous aboutissons à ceci : que la haine tente de reconstituer sans cesse non pas de l’Autre mais de l’un. (…). Or dans la haine, l’Un abolirait l’Autre. (…) Du même coup, toute manifestation de l’autre comme Autre représente une mise en danger du sujet. La haine s’efforcerait d’engranger à l’infini du Un non sériel pour constituer de l’Autre absolument haïssable »(.35) Guy Le Gaufey : « Mais la haine ne saurait être satisfaite par la disparition de l’image. (…) Il s’agit donc d’attenter non plus à leur vie, mais au fait qu’au-delà de leur vie, ils continuent d’appartenir à un ordre symbolique qui, de par sa nature même, les inscrit aussi bien morts que vivants. C’est cette possibilité de représentation que la haine cherche à anéantir. (…) Dans la brutale clarté de la tragédie antique, la haine se donne pour ce qu’elle est : une radiation de l’ordre symbolique »(36) . Terminons par Jean Allouch: « La haine, contrairement à ce qui s’imagine, ne pousse pas à l’acte ». A propos du crime des soeurs Papin, il écrit: « Christine de bout en bout n’a cessé d’affirmer que son crime n’était pas l’effet d’une haine envers ses patronnes » (37).
On voit, à travers ces extraits choisis, que ce qui est visé par la haine est d’éradiquer le défaut du symbolique, de débarrer le A du S(Ⱥ) en déniant l’existence du a, de dénier l’impossible du rapport sexuel, de dénier la division du sujet, soit ce qui revient de dire la même chose de plusieurs façons. C’est évidement le but de ces génocides et meurtres de masse. Mais concernant les sujets qui accomplissent ces actes, le font-ils dans une espèce d’état pseudo-hypnotique dans lequel ils seraient déjà de l’autre côté de la haine, c’est-à-dire de la haine déjà effectuée? Au moment où ils commettent ces actes, ce serait dans une Spaltung, une division du sujet, où la part active d’eux serait au-delà du symbolique ou dans ce qu’il reste du symbolique après sa destruction?
SÉMINAIRE 04/05/16
Entre hystérie et obsession
Freud invente la psychanalyse en soignant des hystériques. Ce sont ses patientes qui lui apprennent d’une part à les écouter et d’autre part sur l’inconscient. Les hystériques lui disent : » Ecoutez-nous, ce dont nous souffrons se dit dans nos paroles, nous ne savons pas ce que nous disons, mais nous savons que nous le disons, et qu’à travers nos paroles, notre inconscient vient se dire ».
L’hystérie apparaît dès le départ comme la voie royale de la psychanalyse. C’est-à-dire que la théorie et la pratique de la psychanalyse sont fondées sur le discours des hystériques.
A mon sens, distinguer la théorie et la pratique, n’a de sens que didactique. Il s’agit d’une seule et même chose: la théorie est issue de la pratique, et en particulier de sa propre cure, et la pratique est fonction de la façon de penser la théorie, qui se renouvelle à chaque cure. C’est ainsi que nous apprenons de nos analysants, quand nous les laissons parler, quand nous ne les faisons pas taire. Les avancées dans les pratiques font progresser la théorie et réciproquement. Ainsi, un analyste, qui dans sa propre cure n’a pas pu analyser une question qui fait problème pour lui, ne pourra pas l’entendre chez ses analysants, il pourra l’entendre évidemment si cela ne fait pas symptôme pour lui. Par exemple, si l’analyste, dans une problématique obsessionnelle n’a pas accepté la castration, qui consiste à ne plus être le phallus de sa mère, ce dont je vous rabats les oreilles depuis quelques temps, il ne percevra pas cette problématique chez son analysant; et l’analyse risque alors d’être interminable. De même, concernant la théorie: Freud a buté sur le roc de la castration, et toutes ou la plupart des analyses se sont alors arrêtées à cette question. Ce qui fait par exemple, que ces analyses, par exemple d’obsessionnels vont tourner autour de la question de l’agressivité et se terminer quand l’agressivité sera suffisamment réduite.
Lacan a permis une avancée théorique sur la question de la castration. En effet, la question se posait entre l’avoir ou ne pas l’avoir; Lacan a montré que, comme je l’ai déjà à plusieurs reprises énoncé ici, la question se posait de l’être ou pas, ceci agrémenté d’une confusion entre frustration de l’objet réel et castration de l’objet imaginaire. Cette avancée a permis de modifier les cures des sujets obsessionnels et de remettre à sa place de symptôme, l’agressivité chez les obsessionnels; nous y reviendrons tout à l’heure.
Ainsi, chaque avancée théorique permet une avancée dans les cures, qui elles-même vont révéler de nouveaux points de butée etc.. Ces avancées théoriques sont souvent bien difficiles à accepter par les analystes, qui alors préfèrent approfondir, s’appuyer sur une théorisation antécédente. C’est ce qu’il s’est passé avec la deuxième topique de Freud. Non pas concernant le Moi et le ça, mais à propos de la pulsion de mort, dont Lacan a pu donner une extension avec la question de la jouissance. Ceci est une des façons d’entendre ce que dit Lacan quand il énonce que la résistance vient de l’analyste.
Il en va de même pour chaque analyse; où l’analyste doit, comme l’avait dit Freud il me semble, réinventer la théorie pour chaque cure. Ceci est une façon de dire que à chaque cure, il doit accepter d’entendre des paroles inouïes par lui, d’accepter une nouveauté radicale, la singularité propre à chaque sujet sans lire ce qu’il entend à travers le prisme de son savoir théorique. Il y a lieu de reconstruire à chaque fois sa propre théorie et de ne l’opposer à la théorisation à laquelle l’analyste se réfère que dans l’après- coup. Ceci peut se faire par exemple dans une élaboration théorique comme la production d’un texte, d’un séminaire ou dans la réflexion suite à la participation à un séminaire ou d’une autre forme de travail: groupe de lecture, conférence etc. , lors desquels il ne s’agit pas d’absorber un savoir, mais d’élaborer son savoir inconscient en se servant des mots d’un autre dans un ensemble théorique, par exemple. C’est ce que j’essaye de faire ici. C’est toute la diffé
rence entre un cours, où ce qui se transmet est de l’ordre d’un savoir universitaire, dans lequel se transmet un savoir constitué, par un orateur qui est sinon en position de maître, au moins en position de fixer les limites de ce qu’il y a à savoir (ce qui est précisément le discours de l’universitaire); et d’autre part de transmettre une recherche, où l’orateur est en position d’analysant (ce qui est le discours de l’hystérique). C’est dire aussi, que ce qui fonde ce dernier discours est pour chacun référencé à sa propre cure. Je pense que cela s’entend assez bien lorsqu’on écoute un analyste, s’il nous sert un discours universitaire ou s’il énonce un travail que je nomme d’analysant. Par exemple, il apparaît clairement que la dernière fois, Paola nous a présenté un travail dans lequel elle était impliquée comme sujet, et que cela nous permet d’acquérir un savoir sur l’inconscient plus qu’un savoir constitué qui vient s’empiler sur un autre savoir déjà constitué, sans avoir vraiment d’intérêt réel quant à la conduite d’une cure, et qui permet par contre de faire de brillantes conférences. Je reviendrai la prochaine fois sur les différents discours, je vous en ai déjà donné une illustration.
Si Freud a eu dans sa théorisation de la psychanalyse deux évolutions que l’on peut caractériser pour la première par: conscient, préconscient et inconscient, et pour la deuxième, appelée deuxième topique, moi, surmoi et ça; on peut dire que Lacan a amené trois évolutions. La première est souvent appelée: le primat du signifiant, avec l’invention de l’objet a, la formalisation du Réel, Symbolique et Imaginaire, et la définition du sujet comme étant représenté par un signifiant pour un autre signifiant. La seconde consiste en le développement des quatre discours ainsi que de l’objet a représentant le plus-de-jouir, dont je vais vous parler au séminaire de du 14 juin. La troisième étant la topologie et les noeuds.
Je vous parlerai de là où j’en suis aujourd’hui dans les quatre discours et a en tant que désignant le plus-de-jouir. Avant cela il me faut reformuler ce qu’il en est de la névrose hystérique et de la névrose obsessionnelle, telles que Lacan nous a permis de le faire. Cela sera l’essentiel de cette séance du séminaire.
Ce qui caractérise les hystériques c’est une certaine forme de forçage à se faire entendre dans leur énonciation. Elles (ou ils) ne cessent d’insister jusqu’à avoir été entendu(e)s. De tout temps, l’homme, l’humain a rivalisé d’imagination pour les faire taire, en étant toujours dépassé par les capacités d’expression des hystériques. Que ce soit en les brûlant, les torturant, les insultants: « de toutes façon ce ne sont que des femmes, et on ne peut rien comprendre des femmes, nous les hommes ne somment pas hystériques », ou en les mutilants: allez donc voir ce qu’il se passe dans les services de chirurgie!, en les réduisant en esclavage etc.. la liste ne prêtant pas être exhaustive. Quoiqu’il en soit, les hystériques poussent à faire entendre quoi? Ce qui est donné à entendre, c’est le désir, désir inconscient. Ceci est la règle dans toute énonciation, dans toutes les formes de névrose. En effet, l’inconscient fait rupture avec le passé, puisqu’il n’a pas fonction seulement d’accueillir le retour du passé, dans ce sens on peut dire que l’inconscient c’est l’irruption du passé dans le présent, mais aussi de maintenir une certaine forme de jouissance, par exemple par la répétition. Cette jouissance n’est toutefois pas suffisante pour combler les lacunes de l’homme moderne, pour réduire le malaise dans la civilisation, ce qui maintient la persistance du désir. En effet, on ne peut vivre sans jouir, l’inconscient amène bien des jouissances, comme la jouissance du symptôme, de la répétition comme dit précédemment, sans parler de celle du lien transférentiel qui permet aux cures de se poursuivre.
Ce qui différencie l’hystérie des autres névroses c’est qu’il s’agit ici du désir en tant que désir de désir. C’est cela qui rend l’hystérie particulièrement actuelle, dans ce monde moderne qui propose des objets pour satisfaire au désir, pour accéder à la jouissance. Le désir de désir s’oppose au désir de l’objet.
De quoi s’agit-il quand on parle de désir de désir? Il s’agit d’un désir signifié par un autre désir. Cela peut s’entendre, selon moi, de deux façons. La première est le désir d’avoir un désir insatisfait. C’est ce que montre Freud avec le rêve de la belle bouchère dans la Traumdeutung. Le désir insatisfait maintient le désir, à ce titre il y a toujours du désir tant que le désir demeure insatisfait. L’hystérique dit ainsi: « ce n’est pas ça! Il n’y a pas de réponse satisfaisante à mon désir, autre qu’un désir ». La seconde consiste en ce que le désir du sujet est substitué par un autre désir, par un mécanisme typiquement hystérique. Ce mécanisme est l’identification hystérique: le sujet se saisit d’un trait de désir afin d’y situer le sien. L’identification se fait toujours à partir d’un trait, ce qui est particulier dans l’identification hystérique, c’est que ce trait n’est celui d’un objet, ( Objet désigne dans ce qui est le vocabulaire psychanalytique un autre, un semblable, tout autant qu’un objet au sens commun du terme) mais celui d’un désir d’un ou de plusieurs autres. C’est ce que Freud avait repéré d’un mécanisme hystérique dans les pensionnats de jeunes filles; ce qui aujourd’hui se voit lors « d’hystéries collectives » à propos de stars, d’acteurs(trices), d’images « désirables »; ou même à propos du don-juanisme: un homme est désiré parce qu’il est désiré par d’autre(s), je vous laisse le soin de découvrir d’autres applications de cette identification hystérique. Là, on est dans l’imaginaire, tel qu’il y a homologie entre le plan imaginaire et celui du fantasme. Alors qu’advient-il du réel et du symbolique? Toujours est-il que dans cette situation le sujet se repère dans ses modalités identificatoires et fantasmatiques.
Je pense que maintenant vous percevez plus clairement que le désir de l’hystérique n’est pas le désir d’un objet, mais un désir de désir. Il s’agit là du désir de l’Autre avec tous les petits autres où elle (ou il) peut savoir quelque chose de son propre désir. Quand l’hystérique dit : « ce n’est pas ça », elle (ou il) énonce que son désir n’est pas un désir d’objet, qu’il n’y a pas d’objet du désir; qu’en fait l’objet n’a aucune importance. C’est dire aussi que ce qui est appréhendé comme l’objet du désir, à savoir le phallus, n’est qu’un leurre, un donné-à-voir. Encore une fois, il apparaît que l’avoir ou pas n’est pas la question. Les hystériques ne cessent de nous le donner à entendre. Ainsi, cette fameuse séduction des hystériques, si présente dans la nosographie psychiatrique, n’est là que pour signifier que ce qui compte c’est le maintient du désir en tant que désir de désir ou désir de l’Autre, ce qui est la vérité du désir. C’est ce que formule Lacan quand il dit dans la lettre d’amur: « je te demande de refuser ce que je t’offre parce que ce n’est pas ça ». C’est ce que nous apprend l’hystérie, que ce n’est pas l’objet, que l’objet est sans consistance, que n’importe quel objet peut venir à cette place où s’organise le désir et qui est celle de l’avénement du sujet,. Il apparaît ainsi que le phallus n’est qu’un semblant.
Il y a un objet qui a un statut particulier, c’est l’objet a. Pour mon propos de ce soir, il présente deux particularités. Tout d’abord c’est un objet qui n’est pas symbolisable. Cela est lié à son origine et qui est aussi celle de la c
onstitution du sujet. En effet, quand le sujet en devenir entre en relation avec l’Autre, qui est la mère ou la personne qui en fait fonction. Ce qui est en jeu pour l’infans, pris dans son impuissance originelle, c’est le besoin. Dans un deuxième temps, le sujet pour se manifester comme sujet s’appuie sur la demande de l’Autre. C’est à cet endroit que le sujet se constitue, et pour ce faire, il est nécessaire que quelque chose se détache de l’Autre. Ce quelque chose est l’objet a, qui n’est pas un objet spécularisable c’est-à-dire représentable. Une autre façon de dire l’objet a : dans son entrée dans le langage le sujet se trouve divisé par le signifiant, tel que le mot ne correspond plus à la chose. Dans cette opération quelque chose choit qui est l’objet a. Lacan parle dans le première partie de son élaboration de l’objet a comme objet cause du désir, puis il deviendra le plus-de-jouir à partir du Séminaire : D’un Autre à l’autre, en 1968, puis il représentera la lettre à partir du séminaire R.S.I. en 1974 et l’écriture des noeuds borroméens.
La seconde particularité est que l’objet a intervient à la fois dans la constitution du sujet, et comme représentant le sujet. Comme dit tout à l’heure à propos de la demande de l’Autre, on peut entendre que l’objet a est le premier support de la subjectivation dans le rapport à l’Autre. Le sujet entre dans le monde comme reste, reste irréductible à la symbolisation; donc en tant qu’objet a.
Ceci étant posé, je vais vous parler de la névrose obsessionnelle. Je commence par une illustration de ce qui vient d’être énoncé. Vous savez probablement que les sujets obsessionnels symbolisent tout, ou presque; ceci se perçoit dans des paroles d’analysants: « j’ai besoin de comprendre »; ce qui témoigne la difficulté pour les sujets obsessionnels face à ce qui n’est pas symbolisable, ce qui fait trou, ainsi que de l’investissement de l’objet dans la problématique de l’obsessionnel. Ainsi, cet objet chu est ce qu’il y a à donner à cette demande de l’Autre, ce qui détermine le stade anal. Ainsi,cet objet caractérise par ceci: à savoir qu’il est déjà donné, déjà produit par cette demande; il est donc choisi pour sa qualité d’être spécialement cessible, d’être originellement un objet lâché(38). Lacan nomme joliment cet objet a » le fruit anal », qui apparaît alors comme une pure métaphore du don, car évidemment le sujet ne donne rien, il ne donne qu’un objet déjà donné. En effet, l’objet a apparaît comme un manque, d’où il est de ce fait objet cause du désir. Cet objet cessible, comme morceau séparable, porte en lui quelque chose de l’identité du corps, du corps qui aurait été avant la constitution du sujet.
Il est là, perceptible, que l’objet a représente le sujet. Le sujet se manifeste ici en qu’il a à donner, il a à donner à l’Autre ce qu’il est (39). C’est cet objet, ce « fruit anal » qui va l’identifier au désir de retenir. Cela amène, notamment, deux conséquences:
-1: Le don apparaît comme une castration symbolique, en particulier dans la symbolisation du désir génital. De telle sorte que la castration du sujet obsessionnel est incomplète, ou, comme le dit Philippe Julien, non- subjectivée. Le chemin pour être le phallus de la mère lui est frayé, ouvert. Ainsi, pour qu’il puisse ne plus être le phallus, il devra interroger la fonction de l’objet a.
-2: Je vous avais parlé lors d’un précédent séminaire, de « l’enfant bouchon », qui vient colmater l’Autre pour la mère. On peut saisir comment l’objet a représente, ici, le sujet; et ainsi, que cet objet anal a fonction de bouchon pour l’Autre. Cela se produit à ce point précis où l’objet vient à manquer, ce qui est le lieu de l’angoisse de castration. Chez l’obsessionnel cela est dû à l’entrée en jeu d’un autre désir.
J’ai rapidement introduit la notion que le désir de l’obsessionnel est un désir de retenir. Si pour l’hystérique, le désir est désir de désir, pour l’obsessionnel le désir est désir de retenir ( ou son opposé de lâcher); il n’en reste pas moins que le désir est essentiellement désir de l’Autre. La question que je vais développer maintenant est d’articuler le désir de l’Autre chez le sujet obsessionnel.
Pour le sujet obsessionnel, le désir de l’Autre est d’emblée source d’angoisse. Comme l’objet a est cause du désir, pour lui, se pose la question à propos de l’Autre: «je ne sais pas quel objet petit(a) je suis pour ce désir(40) ». Ceci sur le modèle d’un objet anal essentiellement cessible, auquel il s’identifie. Ainsi, le sujet obsessionnel, qui étant le phallus ne peut l’avoir, va se trouver : « fondamentalement, dans la relation sexuelle et par la relation sexuelle, châtré 41». En effet, s’il s’identifie au phallus, qui lui-même est identifié comme un objet excrémentiel, on peut percevoir, ici, ce que cette question de savoir « quel objet a il est pour ce désir » peut avoir d’angoissant.
C’est cela qui le met en danger en tant que sujet; il est alors amené à défendre le désir, dans les deux sens de défendre: de maintenir et d’interdire. Il ne peut donc défendre son désir qu’en tant qu’impossible, il ne le maintient, ne le soutient qu’au niveau des impossibilités du désir. Ce qui lui permet en même temps de le maintenir et de l’interdire à la fois. Son désir de retenir est ainsi toujours empêché. Il ne peut s’empêcher de retenir comme de ne pas se retenir; ceci est une façon, à entendre façon au sens du tailleur, de façonner, de parler des rapports du sujet obsessionnel à l’objet a.
Au niveau du désir sexuel, comme évoqué plus tôt, l’objet a représente la castration, en tant qu’objet chu, cessible, et donc l’angoisse de castration. Pourquoi le sujet obsessionnel ne peut-il choisir la voie hystérique du désir comme désir de désir, avec son corolaire où l’objet n’a aucune importance? Il lui faudrait pour ce faire à la fois traverser son fantasme qui détermine son désir, ( la traversée du fantasme est ce qui est à l’époque ou Lacan élabore ce dont je vous parle, il s’agit du séminaire : l’Angoisse, ce qu’il théorise comme la fin de l’analyse) afin de se dégager du poids énorme qu’il donne à l’objet; et renoncer à la fonction de l’angoisse au sein de son désir.
Contrairement à ce que l’on peut souvent penser, l’angoisse n’est pas quelque chose à éradiquer, à supprimer. L’angoisse est définie par Freud comme le signal d’un danger, elle est toujours présente dans la vie de chacun et nécessaire. Quand elle est trop importante, elle fait symptôme et manifeste alors un danger pour le sujet, quand il s’agit d’un danger manifeste, matériel, elle est consciente et s’appelle alors la peur, l’angoisse est inconsciente, elle n’est pas sans objet, et ne se manifeste que par des réactions du corps, qui peuvent être les mêmes que dans la peur. Alors, on peut entendre que le sujet en danger est le sujet de l’inconscient, ou pour le dire plus précisément le sujet tel qu’un signifiant le représente pour un autre signifiant.
Pour en revenir à notre obsessionnel dont on sait à quel point il est encombré par la jouissance, ce qui apparaît comme une donnée majeure de la problématique de l’obsessionnel. Cela est manifeste chez » l’homme aux rats ». Freud publie en 1909 l’analyse de l’homme aux rats. Dans celle-ci la révélation d’une « horreur d’une jouissance par lui-même ignorée » advient lors du fameux récit par le capitaine X d’un supplice oriental d’ordre anal. L’obsessionnel est envahi par la jouissance, de telle manière qu’il ne sait pas différencier la jouissance du désir. C’est tout à fait une problématique obsessionnelle, par exemple l’incapacité de savoi
r si lors d’une séparation sa douleur est celle de la perte d’un objet dont il jouit ou celle de son désir en souffrance. Donc l’obsessionnel ne peut savoir si ce qui l’émeut est de l’ordre du désir ou de la jouissance étant donné qu’aucun de ces deux processus ne parvient à sa conscience, en tout cas pour le désir il n’est peut être conscient que sous une forme disons pour le moins très tourmentée. Il ne peut le faire autrement que par l’angoisse. En effet, l’angoisse est le signe de la mise en danger du sujet. Il n’y a que le désir qui met en jeu le sujet, c’est le sujet qui désire, ceci étant déductible du fantasme qui détermine le désir. Le fantasme étant l’autre façon de définir le sujet, autrement que par: le sujet est ce qui est représenté par un signifiant pour un autre signifiant, cela peut s’effectuer par la formule du fantasme : $ <>a. Ainsi le sujet désirant est celui du fantasme dans son rapport avec l’objet a. Par contre la jouissance est hors sujet, elle se produit dans un autre champ que celui du sujet, elle se produit au champ de l’Autre. Ainsi, l’angoisse est le signe du désir, et de ce fait remplit une fonction essentielle chez le sujet obsessionnel.
Alors, comment le sujet obsessionnel va supporter son désir, en tant que, je vous le rappelle, le désir est le désir de l’Autre? Il lui faut alors faire entrer en jeu un autre désir: » dis-moi que tu me désires pour que je puisse te désirer ». Le désir de l’Autre est réduit à un autre désir, et ne se présente pas chez le sujet obsessionnel, si je puis dire, comme le fondement de son désir. Au désir de l’Autre est substitué un autre désir dont la fonction est de l’autoriser à son désir. Ainsi, il va supporter son désir en s’appuyant soit sur le désir d’un autre, soit sur un autre de ses propres désirs qu’il est capable de supporter. Prenons un exemple que je construis: un sujet présente un désir de travail qu’il satisfait en travaillant beaucoup, il ne peut supporter un désir sexuel que si ce désir est articulé au travail, par exemple en choisissant un objet sexuel en rapport avec le travail ou son opposé, un objet sans rapport possible avec son travail. Dans le chemin labyrinthique de son désir, cela donne au niveau génital cette position excentrique que nous pouvons constater quotidiennement en clinique. Comme cet homme qui dit à sa femme: » je ne peux avoir du désir pour toi que si d’abord tu me montres que tu as du désir pour moi ». Ce que l’on peut entendre comme: « tu me montres que c’est moi qui a le phallus, ce qui me permet pour l’acte sexuel de ne pas l’être, et ainsi de ne pas être châtré ».
Pour conclure, j’avance que l’obsessionnel maintient et défend le désir de l’Autre, comme autre désir, en tant qu’il l’autorise à son désir. L’hystérique maintient et défend le désir de l’Autre, en tant que pour lui (elle) le désir est désir de désir, l’objet n’ayant aucune importance. L’obsessionnel évite la question du désir comme désir de l’Autre, et s’attache à l’objet un peu comme un déplacement phobique, en effet l’obsessionnel se situe comme sujet dans l’objet, perdre l’objet devient un équivalent de la castration. Une conséquence de ceci revient à dire que son rapport à l’Autre n’engage pas, pour lui, le rapport à la castration, qui est supportée par l’objet, qui compte et qu’il compte. Ce qu’il compte, et vous savez qu’un obsessionnel compte tout le temps, c’est le défilement métonymique des signifiants où il se compte comme non-divisé par la castration symbolique. Je reçois un sujet obsessionnel qui compte par exemple le nombre d’heures où il a fait le ménage depuis plus de vingt ans qu’il est marié, comme le nombre d’heures qu’il a passées à son travail et je vous en passe…
Dans cet exposé, vous avez pu constater comme je suis passé d’un « Autre à l’autre » qui est le titre du séminaire où Lacan a théorisé l’objet a comme plus-de-jouir et les quatre discours. Cela permet d’anticiper sur la prochaine séance où je tenterai de déplier ces questions et en particulier celle-ci: que le dispositif analytique a pour but d’hystériser le discours de l’analysant, afin que l’analyse puisse se faire.
SÉMINAIRE DU 02/06/16
Entre hystérie et obsession, il y a le discours de l’hystérique.
Je vais essayer de poursuivre le travail entamé la dernière fois. Pour ceux qui n’étaient pas là, je vais résumer ce qui a été avancé; pour ce faire je vais prendre les questions dans un autre sens.
Lorsque l’on parle de psychanalyse, on peut le faire avec deux types de discours, avec tous les mélanges possibles entre les deux. Je développerai les différents discours amenés par Lacan à partir du séminaire XVI plus loin. Le premier de ces discours est le discours de l’universitaire. Ce discours détermine un savoir, un savoir constitué. L’université définit ce qu’il faut savoir et donc les limites de ce savoir; ce que fait le professeur. Par exemple, il nous apprend ce que nous avons « besoin » de savoir dans un domaine. Aujourd’hui, il n’y a plus de maître, cela signifie que ce savoir se réfère au savoir d’autres, ce qui donne la valeur d’une publication par le nombre de fois où elle est référée par d’autres publications. Ce sont des énoncés, sans sujet de l’énonciation. Ainsi, nous en arrivons à ce qu’un savoir ne peut être reconnu que s’il est validé par l’université; un savoir-faire est reconnu par un diplôme, ce que l’on voit avec la VAE (validation des acquis de l’expérience), la seule a être monnayable sur le marché, et qui devient de plus en plus la norme légale. Cela a été spectaculaire il y a quelques années avec la question des psychothérapies. Le marché du savoir tend à englober tout le savoir, qui est formaté scientifiquement sur le modèle universitaire; et qui détermine un mode de penser.
Pour en revenir à la psychanalyse, ce discours universitaire, auquel personne ne peut véritablement échapper, produit un savoir sur l’inconscient. La théorie psychanalytique s’apprend, est validée par un diplôme universitaire, et peut donner comme je l’ai entendu un psychanalyste diplômé qui n’est jamais allé sur un divan, est-ce cela la promotion des petits canapés pour les analystes, qui sortent par promotion? Je ne prétends pas qu’il n’y a pas d’intérêt à suivre un tel enseignement, par exemple pour confronter les théories, pour préciser des concepts etc. Mais je n’en perçois pas l’utilité quant à la conduite d’une cure. Il s’agit d’un savoir qui ne peut être connecté à la clinique autrement que dans l’après-coup d’une cure. En effet, je pense que la clinique et la théorie ne sont pas dissociables. Chaque pratique est singulière, tant par le psychanalyste que par l’analysant, ainsi l’analyste est amené, pour chacune des cures qu’il mène à inventer une théorisation propre à cette cure. Ceci est à entendre dans le sens non pas de réinventer toute la théorie, mas d’adapter et de modifier sa vision de la théorie à chaque cure et pas l’inverse qui serait d’adapter la cure à la théorie. En effet, chaque analyste à sa propre vision, son propre rapport au corpus théorique en fonction de sa propre cure et des différents transferts qu’il a pu nouer. C’est à partir de cette base qu’il va continuer d’élaborer sa théorie et sa pratique à chaque nouvelle cure qu’il conduit. Sa pratique est le reflet de sa théorie et inversement. Ainsi, la pratique analytique se noue à la théorie à partir du transfert, que ce soit le transfert dans la cure, ou ce que Lacan a nommé les transferts de travail, dans des cartels, groupes de travail, séminaires et pour ce faire il y faut une énonciation, c’est-à-dire un certain type de
discours.
Nous en arrivons donc au second discours que j’évoquais tout à l’heure. Il s’agit de ce que Lacan a appelé le discours de l’hystérique. Parmi les quatre discours déterminés par Lacan, seul le discours de l’hystérique est celui permettant une énonciation. Il est le seul où la place de l’agent, c’est-à-dire la place d’où s’énonce un discours est occupé par un sujet: $. Dans les trois autres discours cette place est occupée par respectivement: pour le second: le discours de l’universitaire: S2, c’est-à-dire le savoir; tel que je l’ai décrit tout à l’heure. Pour le 3ème discours, qui est discours du maître par S1 c’est-à-dire le signifiant maître, mais il n’y a guère plus de maître ailleurs que dans la religion, où le maitre est dieu et peut-être quelques uns de ses représentants. Je ne vais pas developper plus cette question maintenant, ce n’est pas mon propos. Sauf à rappeler qu’aujourd’hui le discours du maitre ne produit essentiellement pas autre chose que de la certitude et sa conséquence de fanatisme que l’on ne connaît que trop douloureusement. Le discours du maître est devenu aujourd’hui le lieu d’une énonciation que l’on peut qualifier de mythique. Et finalement le 4ème discours: le discours de l’analyste, où cette place est occupée par l’objet a, c’est dire que cette place est vide, on peut noter que le discours de l’analyste n’a d’existence que dans le cadre de la cure, et non pas lorsqu’un analyste prend la parole en public.
Ainsi, j’affirme, qu’aujourd’hui, le seul discours apparaissant comme produit d’une énonciation d’un sujet, tel que le sujet est ce que représente un signifiant pour un autre signifiant, est le discours de l’hystérique. Cette affirmation a pour corollaire logique que, lorsqu’on parle de psychanalyse, cela se fait soit sur le modèle du discours de l’universitaire, soit sur celui du discours de l’hystérique. C’est de cette façon que j’entends ce que disait Lacan lors de ses séminaires, à savoir qu’il y parlait en tant qu’analysant. Ce qu’il a dit n’est pas à prendre comme un discours de maître, rappelez-vous ce que je viens d’en dire, mais comme un discours d’hystérique. Ainsi, il ne s’agit pas d’ânonner un dogme, où la moindre déviation peut alors être qualifiée d’hérétisme, mais de s’approprier la théorie pour alimenter sa propre réflexion. N’oublions pas que Freud a découvert la psychanalyse avec des hystériques, et que les hystériques ne cessent de nous en apprendre sur la psychanalyse. Ceci est ce que je vous avais annoncé lors du précédent séminaire en disant que « ce qui caractérise les hystériques c’est une certaine forme de forçage à se faire entendre dans leur énonciation ».
Il y a une autre façon de parler de psychanalyse, qui n’est pas de l’ordre du discours de l’universitaire, qui est celle quand un psychanalyste parle à un autre psychanalyste d’un ou de ses patients. C’est ce que j’appelle l’analyse de contrôle, que je différencie de la supervision. En effet, lors d’une analyse de contrôle, il ne s’agit pas de déplier un cas ou une vignette clinique, mais d’une libre association d’un analyste à propos du transfert dans une cure à un autre analyste. Il ne s’agit pas de comprendre ou de poser un diagnostic, ce qui peut aussi se faire, mais l’analyse de contrôle se caractérise par cette énonciation qui du fait même de l’énonciation adressée à un sujet, produit un effet sur le sujet qui parle, comme cela peut se produire lors d’une cure. Il se produit alors un savoir, qui est un savoir de l’inconscient d’un sujet . Ainsi, il n’est pas nécessaire que l’analyse de contrôle se fasse avec un analyste qui en sait plus, qu’il en sache plus nourrit le transfert sur le sujet supposé savoir, mais n’apporte rien de plus à cette analyse (de contrôle). Cette forme de « supervision », proprement analytique, ne constitue pas un discours de l’universitaire, mais un discours de l’hystérique. Cette façon de décrire l’analyse de contrôle montre toute la difficulté de cet exercice, pour ne pas se laisser ravaler à une supervision, qui ressort plutôt du discours de l’universitaire. Les pratiques de supervision sont toutes inspirées des pratiques analytiques, et risquent alors de perdre leur acuité en dérivant dans l’exercice d’un savoir, voire d’un savoir-faire, ou pire d’un savoir-être (psychanalyste ou psychothérapeute). L’analyse de contrôle se rapporte alors plutôt à une forme de transmission d’un savoir de l’inconscient d’un sujet, et non-pas d’un savoir sur l’inconscient.
Lacan s’est posé la question si, à partir de cette forme de transmission de la psychanalyse, il n’était pas possible d’avancer sur ce qui fait qu’un analysant désire exercer le travail de psychanalyste, donc d’une question sur le désir inconscient. Pour ce faire, il a inventé la procédure de la passe. Je la résume très rapidement: un analysant (le passant) va parler individuellement à deux autres analysants (les passeurs) de son analyse. Les passeurs rapportent à un jury ce qu’ils en ont entendu. Le jury peut rendre une nomination etc. Lacan lui-même dira que cette procédure a été un échec. Ce que j’entends comme un échec à rendre compte de ce moment de passage du divan au fauteuil, un échec à entendre ce qu’il se passe à propos de ce changement du désir. Par contre je pense que ce dispositif présente un intérêt dans le déploiement d’autres espaces transférentiels et la production de savoirs inconscients sur les sujets qui y participent. Sur ce modèle, l’association analytique Analyse Freudienne, entre autres, a maintenu la passe, et a développé différents dispositifs sur la pratique analytique: Equinoxe, le trait du cas. Cela ne manque de produire des effets intéressants sur les sujets qui s’y engagent. Ces dispositifs ressortissent également au discours de l’hystérique.
Pour tenter d’approcher un peu plus sur ce qu’il en est du discours de l’hystérique, revenons-en à ce qui a constitué le titre de cette séance du séminaire. Le mois dernier, je vous avais parlé de l’hystérie et de l’obsession, afin d’introduire la notion des différents discours, et de cette évolution dans la théorisation de Lacan. Ceci dans le but d’avancer sur ce qui me questionne, à savoir que Lacan a dit que pour l’analyse se fasse il faut hystériser le discours de l’analysant. Je me contenterai de me limiter à ce qui concerne la névrose ou les névroses. Pour ce faire, je me suis intéressé à l’hystérie et à l’obsession, qui sont pour moi les deux névroses. En effet, la troisième névrose, la névrose phobique, est appelée par Freud, l’hystérie d’angoisse, et pour le dire rapidement, on peut la rapprocher de la névrose hystérique.
Je vais résumer ce que j’avais dit pour ceux qui n’étaient pas présents, pour les autres cela remettra quelques idées en place. J’avais travaillé à partir de deux idées: le rapport de ces deux névroses à la question du désir et à celle de l’objet, représenté, ici, par l’objet a.
Ce que les hystériques cherchent à faire entendre, c’est ce qu’il en est de leur désir, désir inconscient. J’ai suffisamment parlé cette année de l’Autre, pour que vous puissiez commencer à entendre quelque chose à cette affirmation de Lacan que le désir, c’est le désir de l’Autre. Je vais tenter de le faire entendre par deux abords. Quand l’Autre apparaît à l’infans, au-delà du besoin, c’est par sa demande. Par exemple, la mère en proposant des signifiants à son bébé, exprime une demande: « tu me souris parce que tu m’aimes; tu pleures cela signifie que tu as faim; tu grognes pour me dire de changer tes couches, ou mieux pour que je te change.. ; reveille-toi toutes les nuits pour me montre
r que tu es vivant malgré les idées de mort pour toi que je ne veux pas entendre; je veux que tu soit sage ou le plus fort; c’est toi qui donne un sens à ma vie; donne-moi tes excréments au moment et dans le support qui me convient. Etc.. » C’est à partir de cette demande de l’Autre que l’infans se constitue comme sujet, et comme sujet du désir inconscient. En effet, cela l’amène à dire : « je me demande ce que tu veux ». C’est à travers les signifiants de cette demande que le sujet se constitue, tel qu’un signifiant vient représenter le sujet pour un autre signifiant. Ces signifiants sont les signifiants de l’Autre, mais le sujet, lui, n’est pas dans l’Autre. Comprendre ceci permet de penser différemment la question qui se pose dans la clinique avec des petits enfants, du moi et de l’autre, ou dans une formulation alternative: celle du dedans et du dehors. Ce n’est que quand le sujet est constitué qu’il peut se repérer dans cette question, à savoir que le sujet n’est pas dans l’Autre. L’intérêt de cette formulation est de sortir de l’imaginaire, sinon on peut discuter à l’infini, en restant dans l’imaginaire, de ces questions du dedans et du dehors ou du moi et de l’autre. Ceci est possible par l’apport de ces fameux quatre discours, on y reviendra.
Donc, le désir est le désir de l’Autre. Pour l’hystérique, le désir comme désir de l’Autre, s’articule en: désir de désir. Cela s’oppose au désir d’objet. En effet, l’hystérique s’efforce à maintenir le désir comme essentiellement insatisfait, et dit sans cesse : « Ce n’est pas ça! Il n’y a pas de réponse satisfaisante à mon désir, autre qu’un désir ». Elle (ou il) met en place le désir de l’Autre avec tous les petits autres pour dire que l’objet n’a pour elle (lui) aucune importance, qu’il n’y a pas d’objet du désir, qu’il n’y a que désir de désir. On dit justement que l’hystérique cherche un maître pour le dominer. Mais n’est-ce pas pour lui signifier que sa queue de paon qu’il exhibe n’est que(ue) ridicule, que ce phallus ce n’est pas cela qu’elle désire. L’objet cause du désir, à savoir l’objet a, ne vient aucunement représenter pour elle (lui) un phallus imaginaire. L’objet de son désir, de son fantasme: $<>a, n’est qu’un reste, un rien du tout, c’est un manque, un défaut dans l’Autre. C’est cela qui l’intéresse: ce manque, ce défaut dans l’Autre qui constitue ce désir désiré.
Quant à l’obsessionnel, j’en ai déjà longuement parlé lors des précédentes séances de ce séminaire, pour lui (elle) aussi le désir est désir de l’Autre; mais cela s’articule bien autrement. Pour lui (elle) l’objet nommé par Lacan « le fruit anal », représente le sujet. Le sujet se manifeste ici en ce qu’il a à donner, il a à donner à l’Autre ce qu’il est[1]. L’objet de son désir, déterminé par son fantasme: $<>a, le représente, il n’est pas dénué d’importance, bien au contraire, il ne peut pas le donner. Son désir se constitue alors en désir de retenir. Ainsi, son désir est bien désir de l’Autre, mais pour lui (elle) dans le désir de l’Autre, le sujet obsessionnel: « ne sais pas quel objet petit(a) (il est) pour ce désir[2] ». Cela produit chez lui (elle) l’angoisse, ce qui l’amène à haïr le désir; alors que l’hystérique ne cesse de présentifier, d’appeler à ce désir, de le maintenir. L’obsessionnel ne supporte pas le manque, le défaut dans l’Autre. Son désir est désir de l’Autre en tant que l’Autre ne manque pas, ce qui revient à dire que l’Autre ne peut pas représenter ce désir désiré. Le sujet obsessionnel ne va maintenir le désir qu’au niveau des impossibilités de ce désir. Si l’hystérique substitue au désir de l’Autre, le désir de désir; l’obsessionnel y substitue un autre désir dont la fonction est de l’autoriser à son désir en zappant la question de la castration.
Quant au statut de l’objet a, pour l’obsessionnel, il n’est pas rien, il représente la castration en tant qu’objet chu, cessible. A ce titre l’objet a est le phallus imaginaire. Pour le sujet obsessionnel, l’objet cause du désir est bel et bien le phallus imaginaire sur lequel il s’appuie, se fonde comme sujet.
Au cours de l’année 1968/69 Lacan commence à élaborer les quatre discours et à parler de l’objet a en tant plus-de-jouir. C’est une avancée dans la théorisation de la psychanalyse. Ces quatre discours, auxquels il ajoutera plus tard un 5ème: le discours du capitaliste, définissent les liens sociaux.
Je ne vais pas rentrer dans le détail et déplier ces discours. Mon propos est de tenter d’en montrer l’intérêt sur la question d’hystériser le discours de l’analysant, à partir de ma lecture des quatre discours. Le discours de l’hystérique représente le discours de toutes les névroses, c’est le même discours. La différence se fait sur les « termes » qui sont à lire différemment en fonction de la structure. En fait, il apparaît que les quatre discours permettent de passer au-delà de la notion de structure, lors de l’énonciation d’un sujet; et que c’est l’analyse de ce que représente chacun des termes ($, S1, S2 et a) dans le discours de l’analysant qui permet aussi de se repérer dans la conduite de la cure, et de ne pas penser ou entendre essentiellement en rapport avec la structure.
Ainsi, le discours des névrosés ressortit toujours au discours de l’hystérique, et ceci nous intéresse particulièrement dans la cure, c’est-à-dire dans le transfert. Qu’est-ce que le discours de l’hystérique? C’est l’écriture de son symptôme. De cette façon, on peut lire le discours de l’hystérique: en place d’agent du discours: nous trouvons le sujet: $ qui s’adresse au signifiant maître S1 en place de l’autre. S1 représente le maître, tout le monde connaît cette affaire que l’hystérique cherche un maître pour le dominer, cela peut très bien être un sujet supposé savoir, ce qui indique la place où l’hystérique met l’analyste dans le transfert. Ce discours produit, en place de la production, un savoir S2, un savoir de l’inconscient, et pas un savoir sur l’inconscient. Et quel est-il? Il est ce qui apparaît en place de vérité, ici a est le plus de jouir, il s’agit alors d’un savoir sur la jouissance. Voilà, comme annoncé je ne déplie pas, ce n’est pas l’objet de ce séminaire. On peut dire que le discours de l’hystérique est l’écriture de son symptôme, et que ce symptôme est le désir en tant que le désir est désir de désir, ici comme écriture du désir comme désir de l’Autre.
Pour illustrer ceci, en tant que le discours représente le lien social, c’est-à-dire la relation aux autres; si, comme je l’ai dit plus tôt, la relation de l’hystérique à l’Autre peut se formuler ainsi: « je me demande ce que tu veux » cela devient dans le discours de l’hystérique: « je te demande ce que je veux ». Ceci est précisément ce que demande l’hystérique à l’analyste dans le transfert. A mon sens, c’est ainsi que j’entends l’hystérisation du discours de l’analysant.
Pour l’obsess
ionnel son symptôme serait l’agressivité, Lacan nous rappelle que pour l’obsessionnel l’angoisse est cause de son symptôme, ainsi le discours de l’obsessionnel serait une écriture de son rapport à l’angoisse.
En voici l’illustration, telle que ce travail m’a permis de l’entendre, concernant un analysant obsessionnel. Il a mis en place un personnage idéal, qui répond parfaitement à tout ce qu’on peut attendre de ce personnage; mais comme il y a des ratés, il déprime et vient consulter. Je cite ses paroles: » Que vont penser mes collaborateurs si j’ai des états d’âme? » Ainsi, articuler la question obsessionnelle, non plus en tant que structure mais en tant que discours, montre, à partir de ce petit exemple clinique, ce que sont les liens de ce sujet aux autres, et où il se situe par rapport à l’angoisse.
Je me suis amusé à écrire le discours de l’obsessionnel, dans une écriture imaginaire. Ce n’est pas à prendre au pied de la lettre, mais cela donne une idée de la notion de discours, telle que je la perçois.
a: qui peut se différencier en i(a), représente aussi le phallus imaginaire: -?, ici en place de vérité.
$: le sujet peut s’écrire à partir de la formule du fantasme: $ <> a; si a représente -?, ce sujet alors viendrait de la formule: $ <> -?, un sujet qui ne subjective pas la castration, en place d’agent.
S1 reste le signifiant du trait unaire, signifiant maître, en place de l’autre, l’obsessionnel prend en exemple le maître pour sa façon d’échapper à la mort, et finalement à la jouissance.
Et pour S2 : A non barré, en place de la production. Un Autre qui ne manque pas.
Cela donne comme discours de l’obsessionnel:
S(/) S1
— —
-? A
Cela me sert à montrer que le discours de l’obsessionnel est particulièrement difficile à analyser, et qu’il met en place des impossibilités pour l’analyse. En effet, quelle est l’énonciation d’un sujet pas tout à fait castré; qui est encombré par la nécessité impérative de se compter comme non-divisé par le signifiant. Lors du dernier séminaire, je vous avais dit: « Ce qu’il compte, et vous savez qu’un obsessionnel compte tout le temps, c’est le défilement métonymique des signifiants où il se compte comme non-divisé par la castration symbolique ». Il y a dans le discours de l’obsessionnel une parole qui tourne sans cesse sur elle-même, avec une grande difficulté à faire arrêter ce mouvement infini par une métaphore, ce qui est impossible chez un sujet psychotique qui peut se présenter avec un discours obsessionnel, et souvent seule une écoute analytique permet de faire la différence, quand il n’y a pas de production délirante. Comme dit précédemment le discours de l’hystérique, insiste à faire entendre son énonciation, et dans le discours de l’obsessionnel à noyer son énonciation. On entend souvent des discours de l’obsessionnel : « je n’arrive pas à dire, j’aurais du dire ceci ou cela ».
Quant à la place de la production, si le discours de l’hystérique produit un savoir sur la jouissance, celui de l’obsessionnel produit un savoir absolu (A) qui n’est pas coupé par la castration, c’est-à-dire une jouissance du savoir. Rappelez-vous, Lacan avait introduit les séances à durée variable pour faire coupure dans cette jouissance, pour faire tomber (du A) le a, ici le plus-de-jouir; il en a dit que la chute du plus-de-jouir est la seule occurence où on peut faire apparaître quelque chose de cette « jouissance par lui-même ignorée ». Cela met en évidence toute la difficulté de la cure d’obsessionnels.
Quant au 3ème terme, et je me limiterai à ce terme, j’ai mis la castration imaginaire en place de vérité. Une des difficultés de la cure d’obsessionnel est justement de faire tomber la castration imaginaire, qui occupe tout le champ des relations sociales de l’obsessionnel. En effet, le sujet obsessionnel s’effondre, terrassé par l’angoisse, dès qu’il pense percevoir cette castration imaginaire: c’est-à-dire qu’il ne convient pas, qu’il n’est pas à la hauteur, qu’il n’incarne pas le phallus imaginaire.
C’est là qu’on peut apercevoir tout l’intérêt de quatre discours, qui par l’écriture qu’ils sont, permettent d’aller au-delà de la dimension imaginaire.
Ainsi, pour conclure, je ne pense pas qu’un sujet change de structure dans une cure. Un sujet obsessionnel restera structuré de la même façon. Un sujet est fixé dans sa structure, pas dans son discours. Ainsi, dans une cure, et même au cours d’une séance, je pense qu’un sujet peut changer de discours, et passer du discours de l’obsessionnel au discours de l’hystérique; ces moments de passage au discours de l’hystérique sont, à mon sens, des moments féconds de cette cure. Cela permet à ce sujet obsessionnel, non pas de ne plus être obsessionnel, mais d’être guéri de la non-subjectivation de sa castration selon l’expression de Philippe Julien qui parle de castration non-subjectivée. Cela est permis par l’hystérisation du discours, ce que peut amener l’analyste dans sa conduite de la cure.
Parler de guérison par la psychanalyse pose beaucoup de questions. Le thème de l’année prochaine sera, à Analyse Freudienne, et donc pour ce séminaire: « le concept de guérison en psychanalyse »
Notes
1Dictionnaire de la psychanalyse. Sous la direction de Roland Chemama. Larousse.
2 Ecrits. P816.
3 Ibid. P819.
4 Ibid.P823.
5 Ibid. P823.
6 Ibid. P826.
7 Ibid. P824.
8 Ibid. P827.
9 S. Freud. Actions de contrainte et exercices religieux. Œuvres complètes. T VIII. P.U.F. Paris 2007. P139. ( Actes obsédants et exercices religieux in Avenir d’une illusion.)
10 Ibidem. P145.
11 S. Freud. Totem et Tabou. Oeuvres Complètes. T. XI. P.U.F. Paris. 1998. P228 et 229.
12 Philippe Julien. Psychose, perversion, Névrose. Erès. 2001.
13 S. Freud,Inhibition, symptômes, et angoisse. Paris, PUF, 1968, P 44.
14 J. Lacan. Ecrits.Le seuil. Paris. 1966. P598.
15 Essais de psychanalyse,Paris, Payot, P268. 16 Ibid. P269.
17 Inhibition, symptôme et angoisse. P34.
18 In « Introduction à l’édition allemande des Écrits », Paris, Le seuil, Silicet 5, P16.
19 Philippe Julien. Op. Cit. P136.
20 Lacan, Séminaire le Transfert, Paris 1991, P300
21 Jacques Lacan. Les complexes familiaux.Navarin Editeur. 1984. P36.
22 Jacques Lacan. Encore. Séminaire XX. Version Valas. P209.
23Jacques Lacan. Ecrits Techniques de Freud. Séminaire I. Version Valas. P 742/3.
24 Ibid.
25
Ibid. P757.
26 Ibid. P 758.
27 Op. Cit. P 193.
28 Op. Cit. Sem I P757.
29 Op. Cit.Sem XX P304.
30 Ibid. P 208.
31 Jacques Lacan. R S I. Séminaire XXII. Version Valas. P 188
32 Pascale Hassoun. La pulsion er l’écart. Littoral 15/16. EPEL. P122.
note : objet petit a, cause du désir ».
33 Philippe Julien.Hainamoration et réalité psychique. In Littoral 15/16. EPEL. P16. 34Marie-Claire Boons. Dire la haine. In Littoral 14/15. EPEL. P148.
35Jacques Hassoun. L’obscur objet de la haine. Aubier. Paris. 1997. P32.
36Guy Le Gaufey. Le dés(à)ïr. Littoral 14/15.EPEL. P133.
37Jean Allouch. So what ? Littoral 14/15.EPEL. P38.
38Séminaire X; L’angoisse. Version Valas. P605.
39 Ibid.
40 Ibid. P 600.
41 Ibid. P 564.