Philippe Wolosko "Guérison, fiction, métaphore"
La question dont je voudrais traiter ce soir est celle de savoir ce qui fait qu’un sujet guérisse par la psychanalyse. Quels sont les mécanismes à l’œuvre dans le processus de guérison?
Tout d’abord, pour ceux qui n’étaient pas là la dernière fois et pour ceux qui l’ont oublié, je fais un bref rappel de quelques idées qui ont été abordées à la précédente séance de ce séminaire. La guérison est présente entre les deux protagonistes d’une cure analytique. Mais si l’analyste est pris d’un désir de guérir, cela constitue une des, voire peut-être même la principale résistance à la guérison, il faut alors distinguer pour le psychanalyste entre ses désirs propres que l’on peut nommer désir de l’analyste et ce qui le guide dans le maniement de la cure, à savoir le désir d’analyste, lui permettant d’être là sans raison d’être.
Ainsi, l’objet de la cure n’est pas, ne peut pas être la guérison. Celle-ci n’adviendra que par surcroît. On peut d’ailleurs souligner ici que d’après le Robert «de surcroît» ne désigne pas, comme on le pense parfois «un supplément accessoire et secondaire» mais bien «un apport supplémentaire, naturel et nécessaire». Ceci devrait aplanir beaucoup les difficultés suscitées par cet aphorisme. L’objet de la cure est de lutter contre les résistances, qui sont des résistances à la guérison.
Ces résistances sont tout autant du côté de l’analyste que du côté de l’analysant. Elles sont donc à analyser dans le transfert, ce qui a amené Freud à dire qu’une cure analytique consiste à analyser la névrose de transfert. Ainsi, pour aboutir à une guérison, le rôle de l’analyste est de permettre à la cure de se dérouler. C’est à dire qu’il a à analyser les résistances qu’il peut offrir, ceci peut se penser à partir du concept de désir de l’analyste, qui détermine sa position dans le transfert. Nous y reviendrons. Il a aussi à proposer des interprétations. Nous y reviendrons également.
Ainsi, on peut déjà avancer que le chemin vers la guérison est celui qui fait tomber les résistances, ce qui a comme effet de faire tomber les symptômes, au moins ceux qui peuvent disparaître sans dommages pour le sujet. Je vous rappelle que la guérison psychanalytique n’est pas de faire disparaître les symptômes, mais pour reprendre ce qu’en a dit Freud : » le but à atteindre dans le traitement sera toujours la guérison pratique du malade, la récupération de ses facultés d’agir et de jouir de l’existence1. »
Mon idée, mon hypothèse consistent à dire que la guérison psychanalytique est la guérison du sujet. En effet, comme nous l’avons vu lors du travail de l’an dernier, la psychanalyse se spécifie d’être la seule technique à soutenir le sujet. Guérir le sujet est une formulation complexe, ce que l’on entend le plus souvent, ce sont des expressions comme « renforcer la position du sujet », ou « changement dans la position du sujet ».
Je vais donner un exemple clinique très court, qui nous servira de fil conducteur pour nous repérer dans les méandres de ce que j’ai élaboré. Une analysante après avoir travaillé longuement des questions en rapport avec certaines insuffisances de son père dit lors d’une séance : » Mon père est décédé, il y a deux ou trois ans. En fait, c’est mon grand-père, celui qui m’a élevée qui est décédé il y a deux ou trois ans. Finalement, mon père est décédé. Maintenant, tout ce qui a à voir avec mon père est devenu léger « . Après avoir énoncé cela, cette analysante a pu non seulement, comme elle le dit, être soulagée de questions lourdes et insistantes en rapport avec son père, mais cela a aussi été un tournant dans sa cure, où elle a pu travailler des questions restées jusqu’alors inabordables pour elle. C’est un moment de guérison, où la cure aurait pu se terminer, mais le travail n’était de loin pas fini. Cet extrait a tout d’une interprétation exemplaire, en tant qu’elle relance les associations. Alors, que s’est-il passé? C’est ce que je vais tenter de déplier dans la suite de mon exposé.
Quand on dit que la psychanalyse soutient le sujet, cela signifie que le sujet est au centre de la cure, sujet de l’inconscient, sujet de l’énonciation et non pas sujet de l’énoncé, d’une part et d’autre part il s’agit tout autant du sujet divisé. Le sujet n’est pas le Je ni le Moi. On peut dire que le sujet est ce qui ordonne le discours; à entendre ordonner dans ses deux sens, comme le donneur d’ordres autant que ce qui règle l’ordre des signifiants. Le sujet n’apparaît pas comme ce qui est du côté du sens, du signifié, de l’échange d’informations ou de données, du : » ce que je voulais dire » comme on peut se reprendre après un lapsus, mais justement ce qui ordonne le lapsus. Ainsi, le sujet choisit les signifiants utilisés dans le discours. Par exemple, quand est énoncé un signifiant à une place inattendue, cela signe la présence du sujet, c’est le cas dans la vignette clinique où cette analysante dit père alors qu’elle voulait dire grand-père. Elle substitue un signifiant à un autre signifiant, ce qui est la définition de la métaphore. Cela permet de comprendre la définition donnée par Lacan du signifiant, qui est en même temps une définition du sujet quand il dit que : » Le signifiant est ce qui représente le sujet pour un autre signifiant ». Le sujet est ainsi ce qui est représenté par un signifiant pour un autre signifiant.
Le sujet divisé: le sujet se trouve divisé par son entrée dans le langage, c’est à dire à partir du moment où le langage se différencie du signe, de ce qui n’est qu’une désignation. Le mot ne correspond plus à la chose. Quand je dis une chaise, chacun y verra une chaise différente, même si je parle de la chaise sur laquelle je suis assis. Ce mot est un signifiant et renvoie chacun, en tant que sujet, à un autre signifiant. Ainsi, l’entrée dans le langage s’accompagne d’une perte, qui ne se résume pas à une perte de signification, mais telle qu’il apparaît un hiatus irréversible entre le mot et la chose. Ce qui est perdu, ce qui tombe est désigné par Lacan comme l’objet a, qui n’est pas un signifiant. La division du sujet se présente sous la forme de tout un tas de manifestations dans le discours et la vie de chacun. Il s’agit des manifestations de l’inconscient, inconscient est une façon de dire que le sujet ne s’y reconnaît pas. Cela va du: » Le clivage du moi et les mécanismes de défense » ouvrage de Freud en 1938, à ce qu’a nommé Lacan « rectification subjective » dans son texte » la direction de la cure » en 1958. De quoi s’agit-il dans la rectification subjective? Il s’agit pour le sujet de découvrir son implication dans ce dont il se plaint, sa responsabilité dans le désordre qu’il dénonce et ainsi la part de son désir dans ce qu’il condamne. Il s’agit de son implication en tant que sujet, de son désir. C’est un moment important de la cure, un virage qui replace le sujet au centre de la cure. Et comme cela se produit dans la cure, donc dans le transfert il ne va pas sans dire que ce désir, cette implication sont aussi du côté de l’analyste. Je pense qu’il s’agit, aussi, d’une modification dans le rapport du sujet au savoir inconscient. Quelque chose du savoir inconscient devient conscient, comme par exemple, un désir de ne pas guérir devenu conscient, dans lequel le sujet s’y reconnaît. Il y a là une double opération: le devenir conscient, et que le sujet en vienne à s’y reconnaître comme sujet. Le devenir conscient ne suffit pas à produire un effet pour le sujet, contrairement à ce qui est pensé dans le domaine public ou montré dans les films de Hitchcock. Il apparaît, ici, qu’il s’agit bien d’un changement de position du sujet, d’un renforcement du sujet ou d’un soutien du sujet, donc d’un élément de guérison du sujet; dans le sens où le sujet se recon
naît comme divisé. C’est cela mon idée de la guérison, c’est quand le sujet d’une part a pris conscience de ce qui était inconscient et que d’autre part il se reconnaît, comme divisé, dans ce dont il a pris conscience. Car prendre conscience ne suffit pas.
Reprenons ceci à partir de la vignette clinique. Qu’est-ce qui me permet de parler de guérison du sujet? Et en particulier du sujet au regard de sa division signifiante? Elle a pu dénouer la dimension imaginaire qu’elle projetait sur son père. Finalement, cette énonciation lui a permis de se déplacer en tant que sujet et de différencier père imaginaire, père réel et père symbolique; en mettant en place le père mort, c’est-à-dire le père symbolique, elle fait chuter le père imaginaire pour voir le père réel. On peut
formuler cela autrement: elle a substitué au signifiant « père » le signifiant « grand-père ». En tant que sujet, elle était aliénée au signifiant « père » auquel elle était rivée, rivetée. Ce qu’elle énonce sur le divan lui permet de se désaliéner de ce signifiant « père » et ainsi d’être représentée différemment , de changer de place comme sujet pour ce signifiant par rapport aux autres signifiants. Elle a produit une métaphore. Qu’est-ce qu’une métaphore? C’est la substitution d’un signifiant par un autre signifiant. Que cela veut-il dire? Les chaînes signifiantes sont des suites ininterrompues de signifiant ordonnés de façon métonymique comme: comment vas-tu yau de poêle etc. J’en avais parlé l’an dernier lors du premier séminaire de l’année. Ainsi, l’aliénation d’un sujet à un signifiant est, tel que je l’entends, l’impossibilité pour un sujet de métaphoriser ce signifiant. C’est à dire que lorsque ce signifiant entre en jeu dans le discours, il conduit inévitablement au signifiant contigu de la chaîne signifiante dont le sujet ne peut pas décoller. La métaphore est l’opération qui permet au sujet de passer d’une chaîne signifiante à une autre et ainsi au sujet de se déplacer par rapport à ce signifiant, en quelque sorte. Cela se passe nécessairement avec une modification pour le sujet de son rapport au savoir, savoir inconscient: c’est précisément en ceci que la division signifiante du sujet est mobilisée. Une métaphore est précisément la substitution d’un signifiant par un autre, avec création d’un sens nouveau. Ce sens nouveau est justement ce changement de chaîne signifiante qui s’accompagne de l’acquisition d’un savoir. Pour illustrer ceci, reprenons la vignette clinique: le sens nouveau pour cette patiente pourrait être: » mon père est mort » , le père réel est bien vivant, celui qui est mort est le père imaginaire, donc celui du fantasme pour ce sujet là, fantasme dont je vous rappelle la formule: $ <> a. Ce qui change pour elle, c’est la consistance de l’objet dans son fantasme, le fantasme ne change pas. L’objet perd sa consistance imaginaire, il n’est plus le père imaginaire, il reste le père symbolique et le père réel qui est ce qu’il est, un homme, celui qui l’a engendrée. La conséquence de ce que j’ai identifié comme une interprétation a été un travail devenu possible sur la relation particulière, imaginaire à un enfant. Une relation imaginaire est nécessairement déterminée par le fantasme. Ainsi, elle peut « lâcher » cet enfant. La relation de ce sujet à l’objet a été modifiée par cette énonciation, celle de la vignette. La position du sujet, sujet divisé n’est plus tout à fait la même dans le rapport à l’objet. Le savoir qu’elle acquiert est que l’objet n’est pas important quant à son désir et que finalement le désir ne dépend pas de l’objet parce que le désir est le désir de l’Autre.
Il y a là quelque chose de très compliqué dans cette question du désir comme désir de l’Autre, relatif à l’impossibilité du rapport sexuel (sur lequel je reviendrai plus tard à propos du désir d’analyste). Disons pour l’instant que cette formule du désir comme étant le désir de l’Autre représente le seul savoir qu’un sujet peut obtenir sur la réalité sexuelle, sur le non-rapport
sexuel. Que signifie qu’il n’y a pas de rapport sexuel: pour le dire vite, vraiment vite, c’est l’impossibilité de faire du UN, c’est qu’un sujet n’est pas UN, unifié; c’est qu’il est fondamentalement divisé. Ainsi, le sujet va chercher chez l’Autre ce qui va lui permettre de se compléter, de se compter un, comme tente de le faire cette patiente dans la relation fusionnelle avec un enfant. Or, je vous en ai rebattu les oreilles l’an dernier, le symbolique est incomplet, il n’y a pas de consistance de l’Autre, tel qu’un sujet puisse s’unifier. C’est ce fameux S(Ⱥ).
Maintenant se pose la question de ce qu’est le désir? Lacan en donne une définition particulièrement éclairante quant à notre propos dans le séminaire XII : » Que le désir est ce qui surgit de la marque, de la marque du signifiant sur l’être vivant 2 « . J’entends ceci que le désir est l’effet de la division signifiante du sujet. Le sujet se constitue par l’entrée dans le langage, comme je l’ai évoqué tout à l’heure, ainsi, le signifiant marque l’être vivant en le divisant. Et cela produit le désir, cette béance de l’être vivant. Les sujets passent leur vie à rechercher à fermer cette béance, à effacer cette marque, à retrouver cette complétude, à faire UN, à retrouver un état antérieur qui n’a pas existé puisqu’il n’y avait pas de sujet avant, c’est d’une certaine façon cela le désir, cette recherche de ce qui n’existe pas, il n’y a donc pas de rapport sexuel. Le rapport sexuel serait quelque chose qui viendrait annuler cette division subjective, ce qui reviendrait à annuler le sujet. Ainsi, ce que je nomme guérir le sujet consiste à permettre à un sujet : » la récupération de ses facultés d’agir et de jouir de l’existence « , comme le disait Freud, malgré sa division irrémédiable. Ce que promeuvent la médecine et les psychothérapies, c’est justement le retour à un état antérieur. Mais comme dit précédemment, il n’y a pas de rapport sexuel, pas possible de faire un avec un sujet déjà divisé. Il s’agit donc de mobiliser le sujet dans la reconnaissance et l’acceptation ou l’assomption de sa division, ce que j’appelle faire bouger la barre.
En effet, guérir le sujet est une abstraction, il est difficile de concevoir de guérir ce qui est représenté par un signifiant pour un autre signifiant, définition du sujet comme dit plus tôt. C’est ce qui amène à parler plutôt de position du sujet etc. Une autre définition princeps du sujet donnée par Lacan est celle de la formule du fantasme: $ <> a. La barre représente la division du sujet, c’est la même barre qui sépare le signifiant du signifié: S/s. L’idée consiste, pour représenter une action sur la division signifiante du sujet, à bouger la barre dans l’écriture du sujet $. En reprenant la formule du fantasme, $ <> a, que peut-on mobiliser? Le poinçon signifie, pour le dire vite, tout mode relationnel à l’objet, ce n’est pas là que porte mon propos de ce soir. Alors, l’objet: nous avons vu tout à l’heure, l’effet de l’objet sur la division; finalement il ne reste que le $, le sujet dans sa division. Ainsi, « bouger la barre » est l’écriture de la mobilisation (reconnaissance et acceptation) de la division du sujet, selon moi.
Souvenez-vous de notre vignette clinique, il y a eu interprétation, par la production d’une métaphore. Cette métaphore s’effectue dans le cadre du transfert, c’est-à-dire à l’intérieur de la relation entre deux sujets: l’analysant et l’analyste, mais il y a un troisième protagoniste dans le transfert qui est : « la réalité de la différence sexuelle »3 telle que Lacan en parle en 1965, ce qu’il va préciser en 1973 (Séminaire Encore) en parlant de «
l’impossibilité du rapport sexuel ».
Quel est la place, le rôle de l’analyste dans la production de cette métaphore? Pour déplier cette question, je vais vous donner ma lecture des séances du mois de mai 1965 du séminaire de Lacan: « Problèmes cruciaux pour la psychanalyse ».
Il n’a qu’un seul transfert; c’est à dire une seule relation où analyste et analysant ne sont pas dans une symétrie. Il ne s’agit pas d’une confrontation entre deux sujets, avec chacun ses propres désirs, fantasmes et la nécessité de défendre quelque chose de soi, en tout cas pour l’analyste. L’analyste, dans cette relation occupe une place particulière. Il n’est là qu’en tant que sujet qui occupe une fonction, c’est à dire que son moi et toutes les composantes imaginaires de sa personnalité n’ont pas leur place dans cette relation que Freud a appelée la névrose de transfert. S’il est psychanalyste, sa fonction est d’entrer dans le jeu signifiant. Cela veut dire qu’il prend une fonction qui est celle d’un signifiant. Ce signifiant est un signifiant du patient, ce n’est pas l’analyste qui le choisit, c’est le signifiant du symptôme. On peut dire que la névrose se constitue par le refoulement d’un signifiant et que le symptôme est la conséquence de ce refoulement, le retour du refoulé. Ainsi, le transfert analytique consiste en l’instauration de la névrose de transfert, au sein de laquelle le sujet supposé savoir, l’analyste, occupe la place, supporte lui-même le statut du symptôme. En effet, « le symptôme est quelque chose qui se signale au sujet comme un savoir déjà là »4, ce qui revient à dire que le symptôme est un savoir supposé, alors que l’analyste est un sujet supposé savoir. Si le psychanalyste n’est plus dans la position de supposé savoir, quand il sait, il cède sur son désir d’analyste, alors le sujet analyste sort du jeu signifiant, évoqué tout à l’heure. Son désir est là désir du psychanalyste, son désir est issu d’un fantasme, il cède sur son désir d’analyste et laisse un frayage où peut s’engouffrer la jouissance. Ainsi, dire que l’analyste soutient son désir d’analyste, c’est dire que l’analyste est dans « une position radicale comme sujet 5 ».
Le désir d’analyste est l’opérateur de cette position radicale comme sujet, en tant que dénué de tout imaginaire, de tout fantasme, en particulier celui de guérir.
Pourquoi l’analyste ne peut pas savoir? Parce que le savoir est inconscient. C’est ce qui amène Lacan dans ces séances du séminaire XII, à dire que la division du sujet s’effectue précisément dans le rapport du sujet au savoir : « Le sujet s’institue d’un signifiant rejeté – Verworfen – d’un signifiant dont « on » ne veut rien savoir 6». Ce que le sujet ne veut pas, ne peut pas savoir, c’est la réalité sexuelle, » car cette réalité du sexe, elle n’est pas supposée savoir 7″. Verworfen renvoie à quelque chose d’assez archaïque, presque de l’ordre du refoulement originaire, mais là il s’agit d’un signifiant, alors que dans ce que je vous ai raconté à propos de l’entrée dans le langage, ce qui tombe est l’objet a. Cela semble contradictoire. En fait, on ne parle pas des mêmes lieux. Le signifiant est rejetée de la chaîne signifiante d’un sujet, fût-il en train de se constituer, la chaîne signifiante est dans l’Autre et il en va de même pour le signifiant rejeté; le a, qui n’est pas un signifiant, tombe du trésor des signifiants c’est à dire de l’Autre, on pourrait dire dans sa globalité, le a n’est pas dans l’Autre, c’est ce qui le rend incomplet, inconsistant.
Donc, le savoir est inconscient, il s’agit même d’un signifiant rejeté en tant qu’il s’agit d’un savoir sur la réalité sexuelle. Tous ceux qui se sont essayés à écouter des patients ont pu éprouver que ce qui fait problème est le sexe. Ainsi, ce qui résiste est nécessairement relatif de plus ou moins près à la question sexuelle, à l’impossibilité du rapport sexuel. Il y a bien sur d’autres éléments qui font de la résistance, je l’avais évoqué au précédent séminaire: la jouissance que le sujet n’est pas prêt à lâcher, le besoin de punition etc. Je veux parler, ici, de ce qui est intrinsèque au sujet lui-même; de ce dont le sujet ne peut s’approcher. C’est quelque chose qui ne dépend pas du vécu ou de l’histoire d’un sujet. Ceci est ma deuxième hypothèse. Il y a une impossibilité de savoir ce qu’il en est de la réalité sexuelle, et cette impossible se manifeste par une résistance autant du côté de l’analysant que de l’analyste. C’est du réel; la pointe ultime du savoir se situe dans le réel, ce qui n’est aucunement appréhendable, symbolisable ni imaginable. Peut-être est-ce ce que Freud a appelé : « le roc de la castration ». Lacan a pu aller au- delà de ce que Freud avait pu en élaborer, mais reste lui-même arrêté sur cette butée du rapport sexuel. Le sujet ne peut, ne veut rien savoir sur ce qui le divise, sur finalement : «ce qui est par essence incompréhensible à savoir sa condition humaine 8».
Il y a aussi une question que je ne fais qu’évoquer, concernant la division subjective. C’est la jouissance, où le sujet ne se reconnaît pas, il n’est pas ici question de la jouissance sexuelle, mais de jouissances comme celles du symptôme, celles de la répétition, de la servitude volontaire etc. En effet, la où le sujet jouit, il n’est pas; car dans la jouissance, il y a abolition du sujet, ce qui rend encore plus difficile pour le sujet de se reconnaître, là où il jouit.
Après avoir introduit le concept de désir de l’analyste et le rapport entre savoir et division du sujet, je vais tenter d’établir la troisième idée ou hypothèse de ce travail. Je pense que c’est par le truchement du désir de l’analyste que le sujet peut zapper l’impossible du rapport sexuel et poursuivre son analyse sans butter sur ce que Freud a appelé : « le roc de la castration » et qu’ainsi des métaphores puissent être produites.
Si l’analyste cède sur son désir d’analyste, il laisse la place à ses désirs. Alors, dans la cure, le désir de l’analyste occupe la place pour le patient, d’un désir du surmoi ou des parents. Il s’agit d’un désir qui se constitue à partir d’un fantasme. Le désir d’analyste, quant à lui, ne se supporte d’aucun fantasme. D’où mon idée serait que le désir d’analyste aurait la fonction d’une cupule9 prête à accueillir un signifiant du patient, précisément le signifiant du symptôme. Le désir d’analyste désigne une place vide dans le transfert, le a du côté de l’analyste, ce qui permet l’instauration de la névrose de transfert, mais aussi chez l’analysant, celle où vient se mettre cette cupule, qui est celle d’un signifiant de l’analysant. Comme je l’ai déjà évoqué, cette place qui est celle de l’analyste dans le transfert est celle du symptôme. Ainsi, l’analysant peut mettre à cette place vide un signifiant, le signifiant du symptôme. Si cette place est vide, et cela constitue le cœur de mon hypothèse, c’est parce qu’il manque un signifiant, le signifiant rejeté, verworfen, celui » dont on ne veut rien savoir ». Il s’agit alors d’un signifiant dont le signifié serait quelque chose comme l’impossible du rapport sexuel. Ce signifiant, désigné par la place qu’occupe l’analyste dans le transfert, se caractérise en tant qu’il représente pour un autre signifiant le sujet analysant,
Wikipedia: En archéologie, une cupule est une dépression circulaire effectuée par un être humain à la surface d’une dalle ou d’un rocher. Une telle pierre est désignée comme « pierre à cupules » ou « pierre à écuelles ».son signifié étant rejeté, non-su. Il se substitue au signifiant rejeté de la réalité sexuelle.
Ceci con
stitue une métaphore, métaphore particulière en ce que : est substitué un signifiant à un signifiant rejeté. Ceci est ma lecture de ce que Lacan affirme en 1978, soit à la fin de son enseignement: » C’est un fait qu’il y a des gens qui guérissent de leur névrose, voire de leur perversion. Comment est-ce que c’est possible? Malgré tout ce que j’en ai dit à l’occasion, je n’en sais rien. C’est une question de truquage. Comment est-ce qu’on susurre au sujet qui vous vient en analyse quelque chose qui a pour effet de le guérir, c’est là une question d’expérience dans laquelle joue un rôle ce que j’ai appelé le sujet supposé savoir. (…). Le sujet supposé savoir, c’est quelqu’un qui sait. Il sait le truc, puisque j’ai parlé de truquage à l’occasion ; il sait le truc, la façon dont on guérit une névrose »10. C’est peut-être cela le « truc » dont parlait Lacan, cette métaphore particulière. Ce que l’analyste susurre au sujet, serait, si cela se passe comme j’essaye de le dire, la cupule, la possibilité offerte par le désir d’analyste, d’effectuer cette métaphore qui permet au sujet de se déplacer dans sa division, et ainsi de bouger la barre.
Les quatre discours:
Discours du maître S1 → S2
↑— ⤱ —↓ $ a
Discours de l’hystérique $ → S1
↑— ⤱ —↓
Discours de l’université S2 → a
↑— ⤱ —↓ S1 $
Discours de l’Analyste a → $
↑— ⤱ —↓
les places sont: L’agent L’autre ——— ———
Lavérité Laproduction
Les termes sont:
S1: le signifiant maître S2:lesavoir
$: le sujet
a: le plus de jouir
a S2 S2 S1
Je vais essayer de reprendre la question du désir de l’analyste permettant la métaphore à partir des quatre discours. Dans le discours du psychanalyste la place du a est celle de l’agent, du semblant ; et dans le discours de l’hystérique, de l’analysant, le a est en place de vérité. Ainsi, dans le discours du psychanalyste, le a représente la place du désir de l’analyste qui est celle du signifiant du symptôme, et n’est ici, que le reste, la trace du signifiant refoulé, rejeté (Verworfen) ou plus précisément son substitut. Cette place du a est ce que j’ai nommé la cupule. Et ainsi, dans le cadre de la névrose de transfert, le discours de l’hystérique place la vérité du sujet comme se trouvant au lieu du désir d’analyste, qui est le désir de l’Autre, rejeton de la réalité sexuelle.
Cette place du désir de l’analyste, incarné par l’analyste mais accueillant ce signifiant de l’analysant qui représente le sujet analysant pour un autre signifiant. Dans le discours du psychanalyste, la place de l’autre est occupée par le sujet $, l’analysant. Ainsi, cela vient dire qu’il n’y a qu’un seul transfert, par le truchement de cette fonction du désir d’analyste. Ce serait ce qui tel de l’huile dans les rouages, permet à la cure de se dérouler sans buter ni rebuter sur le mur infranchissable du non-rapport sexuel. On peut remarquer que ce a, l’agent dans le discours du psychanalyste, n’est pas sans relation avec le a qui a chu lors de l’entrée dans le langage, cause de la division du sujet, et cause du désir, rappelons : » Le désir est ce qui surgit de la marque du signifiant sur l’être vivant 11 « , bien que lors de l’élaboration des quatre discours, Lacan ne donnait plus la même fonction au a, qui est le plus de jouir, mais continue à représenter une perte.
Je pense que c’est à cet endroit que le désir d’analyste opère : le a
(position de l’analyste en place du semblant, dans le discours du
psychanalyste) permet que ce signifiant se substitue à la réalité de la relation
sexuelle. Ainsi, ce qui « ne peut être su » fait résistance à l’analyse, au désir
de savoir, et va être représenté par l’analyste. Alors, la résistance à la
guérison est à entendre non pas comme une réaction thérapeutique négative
en opposition à l’analyste, mais comme une résistance du sujet sur le savoir
de la réalité sexuelle, ceci s’alliant à la jouissance du symptôme. Ainsi, si
l’analyste se prête à cette : » ruse du meneur du jeu (qui) ne peut être que de
ceci : d’en faire aboutir, d’en dégager, de cette défensive, une forme toujours
plus pure. Et c’est cela qui est le désir de l’analyste dans l’opération12″ ; il
permettra au sujet d’être confronté à sa division, à l’impossible du rapport
sexuel. De façon à ce qu’il apparaisse à l’analysant que le désir est le désir
de l’Autre » non pas parce qu’au patient est dicté le désir de l’analyste, mais 13
parce que l’analyste se fait le désir du patient » affirme Lacan en 1965. Ne dit-il pas quelque chose de similaire quand l’analyste se fait le désir du patient en élaborant le discours du psychanalyste et en mettent le a en place de semblant?
De plus, Lacan ajoute: » C’est seulement dans cette visée et dans la mesure où l’analyste y est absolument assoupli, que peut passer quelque chose de ce qui constitue, à proprement parler, le seul gain concevable14″. Donc, pour Lacan, » le seul gain concevable » est quand l’analyste se fait » le désir du patient « . C’est-à-dire quand l’analysant peut éprouver dans le cadre du transfert, dans la névrose de transfert, son désir comme étant le désir de l’Autre. Ceci n’est possible que si l’analyste se prête au semblant d’incarner la place d’un signifiant de l’analysant, « signifiant » du désir d’analyste, du symptôme et aussi représentant du désir de l’Autre.
Ainsi, la guérison du sujet apparaît comme la reconnaissance et
l’acceptation de la division entre d’une part le sujet et d’autre part le savoir, le
savoir sur le sexe. Je parle, ici, de guérison psychanalytique, en tant que
Lacan affirme que c’est le seul gain concevable ; à entendre comme étant
spécifiquement psychanalytique, en ce qui concerne la guérison par la
psychanalyse, et pour nous peut-être la seule guérison concevable. L’analyse
apporte une métaphore particulière renforçant ou déplaçant la position du
sujet, en tant que » sujet divisé : d’un côté sujet, et de l’autre côté savoir, mais 15
pas ensemble « . Cette opération n’est possible que par la singulière position de l’analyste soutenue par son désir d’analyste.
Dans mon titre j’ai annoncé fictions. Mais pour ce soir, on va s’en tenir là. Cela sera probablement le sujet du prochain séminaire.
Philippe Woloszko. Metz le 24 novembre 2016.
Notes :
1 S. Freud. La méthode psychanalytique de Freud. in La technique psychanalytique. P.U.F. 1977. P6.
2 J. Lacan. Séminaire XII. Problèmes cruciaux pour la psychanalyse. Version Valas. P555.
3 J. Lacan. Séminaire XII. Problèmes cruciaux pour la psychanalyse. Version Valas. P598. 4 Ibid. P 556.
5 Ibid. P561.
6 Ibid. P570.
7 Ibid. P599.
8 Patrick Landman. Freud antithérapeute? In Par surcroît? Symptômes, vérité, guérison. Actes du colloque du cercle freudien du 12-13 octobre 2012. L’harmattan.
9 Littré: (Terme de botanique) Assemblage de petites bractées, soudées entre elles par la base, formant une espèce de coupe ou godet qui entoure les fleurs et persiste autour du fruit. Le gland, la noisette, la fève, la châtaigne, se développent dans une cupule.
10Conclusions du IXème congrès de l’école freudienne de Paris. (1978). In Petits écrits et
conférences
. P176.
11 J. Lacan. Séminaire XII. Op. Cit. P555.
12 Ibid. P598.
13 Ibid. P598.
14 Ibid. P598.
15 Ibid. P598.