Radjou Soundaramourty

D’une dénégation.

Radjou Soundaramourty

En octobre 2013, lors d’une rencontre du cartel au moment du congrès, j’étais sous le coup de ma désignation comme nouveau coordonnant par mes collègues du bureau. De nombreuses personnes m’ont gentiment félicité, certains m’ont même dit : « ça y est ! tu y es arrivé ». Mes réactions furent défensives voire offusquées : « Mais pas du tout, je n’ai jamais cherché à être coordonnant », voire « j’aurais bien évité cette charge » ou « oh tu sais, c’est par la force des choses, il n’y avait pas vraiment d’autres choix. » Je n’allais pas jusqu’à dire que c’était par défaut, mais presque. Ou encore. « Tu sais, ce n’est pas un titre, c’est juste une fonction. C’est plus une corvée qu’autre chose. C’est pas une sinécure. Rien d’honorifique. »

Quand des collègues d’autres associations pour lesquels « coordonnant » nécessitait une traduction me disait que « coordonnant » c’était comme « président ». Je leur disais que non, ce n’était pas vraiment cela. En plus nous étions deux coordonnants et pas un président, peut-être aussi pour parer aux risques d’enflure imaginaire.

J’ai aussi tenu ces propos à mes collègues du cartel du protocole institutionnel. Devant leurs sourires amusés et moqueurs, force m’a été d’admettre que c’était de la dénégation. Oui, bien sûr, je ne m’étais pas trouvé à occuper cette fonction par hasard. Assurément, c’était une reconnaissance par mes pairs que j’étais sans doute en mesure d’occuper cette fonction. Cela était arrivé dans un temps logique que j’ai accepté et saisi dans une nécessité logique. Deux ans avant, cela aurait été inopportun, aujourd’hui le moment était sans doute venu.

Alors, cet événement éclaire d’un certain jour des remarques déjà entendues.

Concernant la passe sans nomination corrélée au protocole institutionnel qui traite de la nomination par la formule alambiquée de la reconnaissance par l’association (« L’Association se propose de reconnaître ceux de ses membres dont la pratique clinique et théorique relèverait de l’éthique psychanalytique telle que l’association la soutient à travers son expérience.« ), des collègues d’autres associations m’ont souvent dit que nous évitions le tranchant de la question de la nomination, dans sa dimension de coupure, de castration institutionnelle. Tout l’enjeu du protocole institutionnel est pourtant de relever ce défi, essentiel pour le dispositif de la passe lui-même.  » Chaque cartel est à la tâche d’établir une liste de noms. Il aura à en soutenir l’enjeu par un travail écrit. A terme, les listes sont réunies et rendues publiques en même temps que les textes produits par les 2 cartels. » dit l’article 8 des statuts. La liste de noms est parfois tournée à la dérision, elle ne serait pas si importante. La preuve c’est qu’elles sont régulièrement perdues. Si certaines ont disparu parce que le disque dur de l’association avait grillé par exemple, je ne crois pas aux actes manqués des ordinateurs. C’est le signe même de cette dénégation qui consiste à dire que ces listes de noms ne sont pas importantes, tout au plus des prétextes pour écrire des textes sur cette question de la nomination.

Au sein de l’association, il n’y a officiellement qu’une seule catégorie de membre, mais certains disent avec raison que dans les faits il y en a plusieurs. Ceux qui sont sur la liste et surtout ceux qui n’y sont pas, les parisiens et les espagnols ou les provinciaux, les membres fondateurs (même s’il n’en reste plus beaucoup), ceux du bureau et les autres, ceux qui ont des analysants membres de l’association d’un côté et puis les autres, ceux qui ont la responsabilité d’un séminaire ou d’un groupe de lecture, ceux qui prennent la parole ceux qui parlent peu, ceux qui représentent l’association ici ou là, etc… La dimension du transfert, des transferts de travail font qu’on retrouve d’autres divisions, d’autres différenciations.

Nous avons cherché des critères pour établir cette liste. D’abord il nous est apparu que la liste n’était pas exhaustive car elle dépendait des rencontres et des effets de déplacement qui ont pu opérer de façon contingente sur tel membres du cartel qui a pu ou non en transmettre quelque chose aux autres membres de ce cartel. Qu’en était-il du désir d’analyste et de la manière dont tel ou tel collègue nous avait semblé en soutenir quelque chose en extension dans les différents lieux d’énonciation de l’association? Outre le narcissisme de chacun, registre imaginaire qui n’est assurément pas négligeable dans les revendications ou les dénégations (c’est du même ordre), il m’est apparu que si nous ne voulons pas nous enfermer dans une perspective égalitariste, « une seule catégorie de membres » ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de différences faites entre les membres au sein de l’association. « Une seule catégorie de membres », « l’institution si elle existe n’est autre que la cure elle-même », sont autant de principes écrits dans les statuts mais qui sont à travailler comme des fictions. C’est ce qui nous met précisément au travail dans ce cartel, avec des effets dans le réel de l’association qui sont attendus.

SHARE IT:

Leave a Reply