Robert Lévy 4-"Peut-on décider de sa sexualité?"

Peut-on décider de sa sexualité?
Je voudrais commenter et répondre à un certain nombre de questions qui se sont posées la dernière fois et sur lesquelles Radjou est revenu également dans le séminaire enfant.
Pour introduire le débat, j’ai voulu donner ce titre : « Peut-on décider de sa sexualité ?» Mais on aurait pu tout autant le substituer par : « Quelles sont les limites qu’impose le réel à la subjectivité ? Et peut-on en dresser les contours et les conséquences lorsqu’il est transgressé ? » « Ce dont il s’agit, quand il s’agit du sexe, c’est de l’autre, de l’autre sexe, même lorsqu’il préfère le même »(1)

En effet, c’est très certainement le règne contemporain de l’image qui impose petit à petit cette pente vers l’uniformisation et qui, en particulier dans le registre du sexuel, promeut des regroupements identitaires basés sur l’insigne commun comportemental (homos, travestis, pédophiles, lesbiennes, transsexuels etc…) et plus sur des regroupements basés sur un trait homme/femme.

C’est une définition dont il faut bien reconnaître que la préséance est basée sur l’imaginaire dans la définition de l’identité.
D’ailleurs, pourquoi ne pas décider du choix de son sexe, laissant ainsi au libre-arbitre de chacun le soin de décider, en laissant le soin aux « droits de l’homme » de statuer, puisque la science permet en effet de modifier l’image et l’apparence extérieure. C’est effectivement le cas puisque la Cour Européenne des Droits de l’Homme a statué depuis 1979 pour que le sexe d’un sujet soit considéré comme un élément de sa vie privée, qui lui appartient donc, et doit être respecté comme tel, jusqu’aux modifications qui pourraient être demandées par son propriétaire (1)… Etre « propriétaire de son sexe » est effectivement le discours que l’on peut entendre du transsexuel qui a le mérite de poser plus que tout autre la question de l’identité sexuelle. C’est en ceci qu’il nous intéresse particulièrement puisqu’il (ou elle) amène la mise en jeu d’un réel à prendre à la lettre comme ce que la psychanalyse apporte comme l’impossible à ne pas être ou un homme ou une femme . Un impossible qui se double d’un autre, comme l’écrit Czemark : « quelle que soit la modification extérieure apportée et le propre vœu du sujet, il est impossible de modifier cette appartenance, l’apparence seule sera changée, le sujet restant qu’il le veuille ou non pour lui-même et pour l’autre homme ou femme. »

C’est bien cette appartenance à l’ensemble des femmes ou à celui des hommes qui détermine l’identification sexuelle et ne tient son origine que d’une altérité réelle qui procède de l’organisation sexuée de l’espèce humaine. Ensuite, l’orientation sexuelle est une autre question et ne nécessite pas, comme dans l’appartenance, la conjonction de deux éléments appartenant à deux ensembles disjoints pour qu’il y ait reproduction …
La psychanalyse nous apprend que ce qui s’établit d’une relation entre deux êtres parlants, et plus spécialement entre un homme et une femme, ne tient que grâce à un tiers que l’on appelle phallus et que loin de se confondre avec quelque pénis que ce soit, c’est un signifiant dont il s’agit, c’est-à-dire quelque chose d’essentiellement tributaire de l’ordre du langage et qui n’est pas réservé à la moitié mâle de l’humanité. Il s’agira donc toujours d’un ménage à trois puisque, que le sujet soit d’un sexe ou d’un autre, c’est par ce lien énigmatique qu’il entretient avec ce signifiant privilégié que va se définir sa place dans la sexualité et la sexuation et déterminera ainsi la relation avec son partenaire .

Le sexuel est un peu ce qui supplée de cet impossible entre homme et femme qui ne peuvent s’entendre, ni comme complémentaires, ni comme supplémentaires mais qui n’existent que de partager leur rapport à chacun au Phallus comme tiers introduit par le langage, ce que l’on peut également dire sous la forme de cet aphorisme Lacanien : « Il n’y a pas de rapport sexuel ». Est-ce pour autant un choix ? A-t-on le choix de ne pas partager ce signifiant tiers phallique ? A-t-on le choix, lorsqu’on parle de pouvoir partager autre chose ? A-t-on le choix de décider que ce n’est pas de ce tiers phallique dont on pourrait disposer ?

Comment comprendre dès lors la différence entre identification sexuelle et position sexuée ou sexuation qui se réfère chacun pourtant au Phallus symbolique comme tiers, mais pas de la même façon ?

L’identification sexuelle implique une reconnaissance phallique du sujet, c’est peut-être ce que l’on peut repérer chez Freud dans les termes de la première identification, Vateridentifizierung. Ou encore c’est ce qui se noue à la scansion d’une présence absence que symbolisent les éléments du langage, les signifiants donc qui permettent au sujet d’y être représenté. Mais ceci ne présume pas pour autant du choix de sexuation dans lequel le sujet se déterminera.
La sexuation met en jeu le désir du sujet et articule la manière selon laquelle, en se situant par rapport au phallus symbolique accepté comme tel, il va inscrire sa jouissance du côté homme ou du côté femme. A ce niveau, il y a une sorte de choix mais qui se situe plus du côté de la jouissance que de l’identification sexuelle qui elle se détermine dans le signifiant qui la représente.

Autrement dit, il y a une double articulation entre identité sexuelle et choix sexué qui n’est pas réglé par les conduites du sujet ni par son image corporelle mais par l’articulation que, pour chacun, le langage doit réaliser avec le corps, articulation dont le phallus est l’ordonnateur (2) .
Le point crucial qui en ressort c’est que, faute de ce nouage du symbolique et du réel (par l’imaginaire), il est impossible pour un être parlant d’occuper une position arrimée à la communauté de ses semblables. Par conséquent, pour ce qui concerne l’identité, s’il n’est pas arrimé, il en est remis alors à la fragilité d’identifications dès lors réglées sur l’imaginaire du corps en l’occurrence. Et c’est très exactement ce à quoi nous renvoie le transsexuel dans l’erreur dont Lacan disait que c’est celle de prendre l’organe pour le signifiant c’est-à-dire de confondre le pénis réel avec le phallus symbolique (3). Mais après tout ce n’est pas le privilège du transsexuel que de montrer un trouble de l’identité sexuelle puisque cela existe dans toute psychose statu nascendi. Prenons comme exemple les grands troubles qui apparaissent précisément à l’adolescence ou dans tous les moments de confrontation sexuelle…

Maintenant je voudrais revenir sur le choix de la jouissance en faisant remarquer tout d’abord que toute jouissance est sexuelle même si elle ne se présente pas sous une forme accomplie dans ce champ. C’est ce que jean-Luc Nancy(4) nous fait remarquer puisqu’il nous fait remarquer que Freud renvoie explicitement la jouissance esthétique à la jouissance sexuelle et va même expliquer l’une par l’autre une fois dans le mot d’esprit et l’autre dans les Essais sur la théorie de la sexualité. Il fait remarquer que le point de passage c’est le plaisir comme tension. En effet, Freud analyse le rapport sexuel comme séduction et suit l’ordre des stades en indiquant que le rapport commence par le regard, puis l’ouïe, puis le toucher ; ce qui n’est ni plus ni moins qu’une façon de revisiter les zones érogènes et d’indiquer ainsi, d’une part que le corps entier peut être érogène mais que, de plus, s’arrêter à une de ses composantes est de la perversion non pas comme pathologie, mais comme déviation par rapport au but, but génital. L’idée principale reposant sur le fait que toute tension suppose une détente et que par cons
équent le sexuel est une forme de tension qui est supposée se détendre. Là-dessus Lacan pose la question du paradoxe ; mais l’important me semble que le sujet sait que le plaisir advient parce que la tension va se résoudre en satisfaction finale. Et c’est dans le texte du Mot d’esprit que Freud explique que le mot d’esprit, modèle esthétique, procure du plaisir en faisant passer une décharge pulsionnelle sous forme agréable. On sait comment Lacan reprendra cette question sous la forme de la dritte Person… Mais Jean-Luc Nancy fait remarquer que « Freud n’explique pas vraiment ce lien entre plaisir et tension. Il omet de voir, du côté esthétique d’abord, que la tension qui correspond à la production de la forme, le geste esthétique (pensez au geste du dessinateur), est par lui-même plaisir, il est le plaisir du désir. Le désir se plait à lui-même…

Alors le plaisir ou la jouissance comme choix est au fond une question très actuelle puisqu’elle est revendiquée par le communautarisme « gay » , « lesbien » , « trans » , « queer » sous forme de « dépasser les corsets du genre pour accéder à un plus de plaisir », face à l’hétéronormativité encastrée au « cœur même du dispositif de sexualité, expression d’un ordre politique qui assigne aux hommes et aux femmes des places spécifiques et asymétriques » . Évidemment on entend l’influence de Michel Foucault qui dès 1976 distingue disp(5)ositif d’alliance (système de mariage, de fixation et développement des parentés, de transmission des noms et des biens) et dispositif de sexualité créé au XVIII ème : « le dispositif de sexualité est lié à l’économie par des relais nombreux et subtils, mais dont le principal est le corps, corps qui produit et qui consomme.»(6)

Il s’agira donc de « transgresser les frontières du genre » en mettant en exergue une population qui traverse classes, origines ethniques, âges, catégories socio-professionnelles et qui partage une même communauté de désirs au-delà des spécificités culturelles, cultuelles, économiques.
Transgresser donc, comme si cela était un choix du sujet déterminant ainsi une nouvelle définition de lieu que Foucault appelle hétérotopie : « Des lieux réels, des lieux effectifs, des lieux qui sont dessinés dans l’institution même de la société, et qui sont des sortes de contre-emplacements, sortes d’utopies effectivement réalisées dans lesquelles les emplacements réels, tous les autres emplacements réels que l’on peut trouver à l’intérieur de la culture sont à la fois représentés, contestés et inversés, des sortes de lieux qui sont hors de tous les lieux, bien que pourtant ils soient effectivement localisables. »(7)

Dès lors nous sommes au seuil de ce qui s’entend maintenant de la part des LGBT (Lesbiennes, Gays, Bisexuels, Trans…) comme un choix de vie : révolutionnaire. Le travesti est alors revendiqué comme une identité socioculturelle voire une identité professionnelle s’il est en plus prostitué. Ainsi au Brésil, il revendique des droits de pleine citoyenneté basés, comme on l’a vu en début du séminaire, sur l’idée qu’aujourd’hui on pouvait décider de son sexe et par extension définir son identité via son orientation sexuelle…
Mais il est vrai qu’elles viennent chambouler nos représentations du masculin et du féminin, de l’ordre de genre donc de l’hétéro norme. Pourtant ce qui est présenté comme choix militant, n’est-il pas seulement l’effet produit par la perversion dont le but ultime est toujours de montrer aux névrosés que la référence au phallus symbolique n’est qu’illusion ? Une illusion que le pervers se charge de faire pour chuter dans la rencontre de sa scène de prédilection… Pourtant Foucault présente les choses comme un vrai choix voire même comme la nécessité de devenir « queer » pour se donner l’occasion d’une transformation de soi, une invention de soi : « le fait de faire l’amour avec quelqu’un du même sexe peut tout naturellement entraîner toute une série de choix, toute une série d’autres valeurs et de choix pour lesquels il n’y a pas encore de possibilités réelles. Il ne s’agit pas seulement d’intégrer cette petite pratique bizarroïde qui consiste à faire l’amour avec quelqu’un du même sexe dans des champs culturels préexistants; il s’agit de créer des formes culturelles.»(8)
L’invention de soi pour les gays et les lesbiennes n’est pas un luxe ou un passe-temps mais une nécessité. Foucault pousse très loin cette définition qui passe essentiellement par la tentative de démontrer que l’on peut détacher le plaisir sexuel de la sexualité. Il s’appuie, et ce n’est pas par hasard, sur le rapport sado-maso, pour montrer comment dans ce cadre, le genre et l’orientation sexuelle du partenaire perd une bonne part de son importance dans les conditions préalables de l’excitation sexuelle dans la mesure où il a pour objectif de libérer le plaisir physique de toute limitation à un organe spécifique et notamment les organes génitaux. Un nouveau rapport entre le corps et le plaisir devient alors possible. Conclusion : la pratique sado-maso a donc pour conséquence de modifier le rapport de l’individu à son propre corps … Le seul problème, me semble-t-il c’est qu’il n’est jamais question du fantasme ni du fait encore une fois que ce type de rapport n’est pas le résultat d’un choix.

Pourtant il soutient le nouveau concept de désexualisation : « En érotisant ce corps, je pense que nous avons là une sorte de création, d’entreprise créatrice dont l’une des principales caractéristiques est ce que j’appelle la désexualisation du plaisir. L’idée que le plaisir physique provient toujours du plaisir sexuel et l’idée que le plaisir sexuel est la base de tous les plaisirs possibles, cela, je pense, est vraiment quelque chose de faux. Ce que les pratiques S/M nous montrent, c’est que nous pouvons produire du plaisir à partir d’objets très étranges, en utilisant certaines parties bizarres de notre corps, dans des situations très inhabituelles. »(9)
Ainsi ce n’est pas sur le terrain de la différence des sexes que Foucault porte le combat mais sur l’indifférence du plaisir selon les sexes dans la pratique S/M pour mieux mettre de côté la différence justement et en particulier celle que le phallus symbolique confère aux côtés de la sexuation, en désolidarisant le plaisir de la génitalité. C’est ce qu’il nomme désexualisation… En effet en désexualisant le plaisir, c’est-à-dire en décentralisant le plaisir corporel, les pratiques S/M gays rendent possible, selon lui, la création d’une identité sexuelle masculine qui n’a plus besoin d’être centrée sur le pénis : «La masculinité peut alors être réélaborée sous une forme dévirilisée, c’est à dire qu’elle peut être constituée symboliquement ou performativement et non phallocratiquement. »(10)

Il s’agit donc de désapparier désir et plaisir.
« Il est très intéressant de remarquer », déclare Foucault, « que depuis des siècles, les gens en général, mais aussi les médecins, les psychiatres, et même les mouvements de libération ont toujours parlé de désir et jamais de plaisir. « Nous devons libérer notre désir » disent-ils. Non ! Nous devons créer des plaisirs nouveaux. Alors peut être, le désir suivra-t-il.»(11)
En mettant le désir en second par rapport au plaisir Foucault suit cette pente du choix dont le sujet disposerait pour organiser donc sa sexualité et ce pour autant qu’il décide en effet de séparer génitalité de sexualité ….

Qu’entend Foucault par plaisir ? « Alors il me semble qu’en utilisant le mot de plaisir, qui à a limite ne veut rien dire, qui est encore me semble-t-il assez vide de contenu et vierge d’utilisation possible, en ne prenant le plaisir pour rien d’autre que, finalement, un événement, un événement qui se p
roduit hors sujet, ou à la limite du sujet, ou entre deux sujets, dans ce quelque chose qui n’est ni du corps ni de l’âme, est ce qu’on n’a pas là, en essayant un peu de réfléchir sur cette notion de plaisir, un moyen d’éviter toute l’armature psychologique et médicale que la notion traditionnelle de désir portait en elle ? »(12)
Je crois que c’est suffisamment clair pour entendre ce que Foucault essaie de définir en terme de plaisir. C’est quelque chose qui n’aurait absolument aucun rapport avec le fantasme. Quelque chose qui viendrait comme purement imaginaire, c’est-à-dire quelque chose d’avant le fantasme pour produire un plaisir local, sur une zone du corps hors tout. Hors rapport génital, pas dans un rapport au corps constitué comme tel, une partie du corps.
On a quelque exemples, notamment dans la psychose, de la façon dont ce genre de plaisir peut advenir, voire même durer. On a aussi quelques façons de pouvoir repérer cette définition du plaisir chez les enfants très petits…
Tout ceci pour essayer de montrer comment, me semble-t-il, loin d’être révolutionnaire, même si cela nous déloge de notre position hétéro normé, il ne me semble pas que cette façon d’aborder le sexuel ne soit autre chose qu’une façon assez masquée de résoudre la question de la perversion… A savoir, comment faire en sorte que le désir ne soit plus lié au phallus, le référentiel ne soit plus celui du Nom-du-père, à savoir quelque chose que Lacan, dans la façon de développer la situation, réfère tout à fait, pour les nouveautés, tantôt du côté du phallus et tantôt du côté père. D’ailleurs ils sont souvent assez liés l’un avec l’autre. On voit bien comment, pour Foucault, il y a une tentative de théoriser ce nouveau soi qui serait désapparié de ce rapport au phallus symbolique.

Mais enfin, cela n’est pas du tout une nouveauté… Même si cela n’a pas été théorisé comme le fait Foucault, cela a quand même été une façon de démontrer que pour la perversion, la loi est un contrat et que l’on peut en changer à partir du moment ou un autre pourrait accepter la loi que lui impose le scénario pervers. On trouve là une façon de vouloir faire un tour de « passe-passe » sur la question de la loi, en désarrimant le rapport du sujet au phallus symbolique. Il me semble qu’il y a là quelque chose de tout à fait pervers.
Alors cela fait vaciller notre rapport au phallus symbolique, mais est-ce pour autant que cela produirait de la nouveauté ? Est-ce pour autant quelque chose qui produirait, politiquement, une nouvelle façon d’envisager les rapports entre les êtres parlants ? Je ne suis pas persuadé de ça. Non pas que je ne pense pas qu’il y ait des choses à traiter de ce côté-là mais cette façon d’envisager le sexuel, c’est quand même ce que l’on peut entendre en filigrane de la volonté, derrière cette désexualisation, de trouver un plaisir et surtout une distance, qui ne se référerait plus au phallus symbolique.

Alors un autre sujet que je n’ai pas traité ce soir mais que j’essaierai de traiter une autre fois est à propos du choix de sa sexualité : a-t-on le choix de sa sexualité, à quel réel la subjectivité est-elle confrontée ? Cela concerne les abus sexuels. Parce que c’est une forme que l’on rencontre plus tard, dans laquelle un vacillement se produit à un moment donné sur la dimension d’une orientation sexuelle et où se mélangent beaucoup l’identification et le désir. En particulier chez les petits garçons abusés par des hommes, il y a quelque chose qui vacille beaucoup et qui est rendu très difficile dans le choix d’une orientation sexuelle mais avec des questions sur des pseudo-homosexualités, voire sur des sexualités transitoires mais qui ne sont pas, me semble-t-il, du même ordre que celui de l’homosexualité névrotique ou perverse que l’on peut rencontrer par ailleurs.
Chez les petites filles des moments d’homosexualité transitoires se produisent aussi parfois mais ils sont d’une nature un peu différente de celle du petit garçon. D’ailleurs, et c’est assez intéressant, ils sont plutôt de l’ordre d’une homosexualité, je dirais, réactionnelle contre l’homme ou contre les hommes plus que chez le petit garçon où c’est plutôt quelque chose qui est touché dans l’organisation de sa sexuation. Je ne crois pas que ce soit équivalent chez les petites filles. D’ailleurs certains abus ne donnent pas forcément lieu à ce genre de problématique.
Voilà ce dont je voulais vous parler ce soir en répondant un peu à ce que Radjou avait évoqué la dernière fois.

Discussion

Françoise FABRE .- Dans ce que tu nous amènes de Foucault à propos de choix, ce n’est pas du même choix dont on parle chez l’analyste…

Robert LÉVY . – Bien-sur ! C’est pour cela que je dis ça !
Françoise FABRE . – Parce que ça s’apparente à la volonté tandis que nous, on parle de choix inconscient. Il peut y avoir un certain nombre de déterminismes quelque part par le réel qui fait que même s’il y a le choix au niveau inconscient, cela ne participe pas de la volonté de la personne. C’est là où, avec ces volontaristes, on n’est pas du tout sur le même registre. Je pense que par rapport à ce que tu nous citais de Foucault, cela révèle pour lui qu’il n’en veut rien savoir… Quand tu dis que cela amène des choses révolutionnaires, d’une certaine manière, oui… Si ce qu’est l’idée, c’est le phallus… Un contrat… Mais s’il n’y a plus de phallus symbolique, là on arrive au chaos. Plus que révolutionnaire, c’est destructeur…

Robert LÉVY . – D’ailleurs il dit que la relation idéale entre deux hommes serait celle qui consisterait à entrer de façon séparée en ne se connaissant pas dans un back room, d’avoir une relation sexuelle et ensuite de sortir comme on est entré sans d’autre forme de lien que l’événement qui se produit au moment où il se produit. C’est ce qu’il promeut, c’est ce qu’il pense comme étant la référence d’une vraie nouvelle relation. Là où les choses sont présentées dans une espèce de théorie du choix, en fait on s’aperçoit qu’il n’y en a pas tellement et c’est plutôt invariant, plutôt répétitif, plutôt quelque chose qui ne bouge pas tellement…
Je pense à quelqu’un en particulier sur le plan de son scénario : il s’agit d’aller vers une femme qui se refuse à lui et c’est à ce moment-là que se situe sa jouissance. Il passe alors en revue sur le net toutes les spécialités de thématiques de cette nature… Il peut même payer des couples pour réaliser cette scène et cela fait vingt ans que ça dure… L’analyse, sur ce plan là n’a pas modifié quoi que ce soit… Ce que cela a modifié est qu’il peut maintenant faire autre chose que ça. Avant, il ne faisait que ça… Cela continue a être un invariant et je ne vois pas pourquoi cela s’arrêterait. On en parlait la dernière fois, je ne connais personne qui modifie sa jouissance. Elle est liée une fois pour toute à un certain objet et à une certaine forme de réalisation. Alors peut-être que ce que peut apporter une analyse, c’est la plasticité de sa forme de réalisation ou sa réalisation par un autre chemin. Mais quant à modifier sa jouissance, je n’y crois pas, en tout cas dans le domaine de la perversion. Un patient dans une forme d’homosexualité très poussée, en pleine période du sida, il parlait de son impulsion à faire l’amour sous toutes ses formes sans préservatif… Il disait ne pas arriver à faire autrement jusqu’au jour où il a teint son pénis en rouge pour y penser, pour revenu ensuite en disant que finalement cela n’a pas marché.

Serge GRANIER . – C’est l’équivalent de mettre un nœud à son mouchoir… Cela peut paraître assez amusant mais ça ne l’est pas du tout puisqu’à cette époque, on mourrait beaucoup du sida…Mais il
était dans cette impulsion et je dois dire qu’au delà de question du rapport homosexuel c’était quand même ça qui le menait c’est-à-dire la présence de la mort au moment de l’acte.

Françoise FABRE . – J’ai une question : est-ce que tu serais d’accord pour dire que ce genre de scenario obligatoire ne serait pas l’équivalent du fantasme manquant et la nécessité du passage à l’acte là où quand le fantasme est construit cela donne une possibilité d’agir pour que quelque chose tienne. Parce que ces passages à l’acte-là permettent au sujet de tenir…

Chantal HAGUÉ . – C’est la distinction que fait Freud entre les névrosés et les pervers à savoir la question du passage à l’acte. Ce qu’il dit est que les fantasmes sont inconscients chez les névrosés et que derrière le passage à l’acte des pervers, c’est un fantasme conscient. Ils parlent des fantasmes conscients… Comme s’il y avait des fantasmes conscients

Robert LÉVY . – Tout le problème est que l’on ne peut pas parler de fantasme au sens freudien… Ce que dit Françoise c’est plutôt une tentative de construire du fantasme mais on voit bien que cette tentative est toujours avortée car dans sa mise en place, elle est tellement statique et mono-idéique qu’elle est à chaque fois l’antithèse du fantasme selon Freud. Ou justement une construction poly-idéique avec des scénarios multiples et c’est ce qui fait toute la plasticité de ce que l’on appelle le fantasme et qui n’a pas nécessité de se produire ou de se mettre en acte. On peut jouer inconsciemment suffisamment de cela sans avoir besoin de le mettre en acte. Les névrosés arrivent à se faire prendre dans des histoires comme celles-là où plutôt par identification hystérique, ils se mettent à réaliser quelque chose qui, dans leur fantasme aurait mieux fait d’y rester et, à ce moment-là, il y a quand même une sorte d’effondrement qui se produit précisément… Parce que quelque chose de l’objet a été touché du réel se produit, comme une espèce de transgression du réel qui produit des moments comme ça…

Serge GRANIER . – Un effondrement qui peut se produire aussi chez les pervers ?

Robert LÉVY . – Et bien je ne suis pas sûr qu’il y ait de l’effondrement chez les pervers… A chaque fois que j’ai pu en recevoir, ce n’est pas dans des moments d’effondrement mais de séparation d’une ou d’un partenaire. Donc on pourrait penser qu’il s’agit de dépression, mais c’est difficile à dire..

Serge GRANIER . – C’est plus difficile car leur construction leur donne à penser que l’objet peut être atteint.

Robert LÉVY . – Surtout qu’il existe… Je crois que c’est plutôt ça…

Serge GRANIER . – C’est quelque chose de cet ordre-là et c’est d’autant plus grave… Par rapport à la théorie de Foucault, je me demandais si on pourrait dire qu’il n’entend pas du tout cette distinction entre pulsion et besoin. Donc il y a une distance qui n’existe plus avec cette théorie qui est la nôtre, de l’objet que l’on n’atteint pas…

Robert LÉVY . – Et puis il y a une part de déni qui est, me semble-t-il, importante dans la mesure où il peut parler d’un acte sado-masochiste comme d’un acte isolé, quelque chose qui viendrait sans aucun enrobage, sans aucun entourage que nous appelons le fantasme… Qui viendrait comme quelque chose qui enrobe tout cela… Or, lui en parle comme quelque chose de naturel où deux personnes se procureraient du plaisir par une partie du corps sans aucune référence à quelque imaginaire que ce soit ou à quoi que ce soit. C’est quand même une personne plus qu’intelligente et je pense que là, il se moque du monde…

Philippe WOLOSKO . – Ou est ce que ce n’est pas plutôt une façon de vouloir mettre quelque chose d’un acte créatif qui viendrait donner d’autres figures différenciées au scénario.

Robert LÉVY . – Sauf que le scénario, il ne le donne pas… Il dénie le fait qu’il y en ait un… Du coté Foucault, le déni porte sur le fait qu’il présente les choses comme étant non liées à toute forme imaginaire. Ce serait mécanique et cela procurerait du plaisir mécaniquement.

Radjou SOUNDARAMOURTY . – Foucault était un activiste et engagé sur plusieurs sujets. Est-ce que ce n’est pas rapide de dire que Foucault est pervers…

Robert LÉVY . – Ce n’est pas Foucault, c’est son discours qui est écrit en particulier tome IV et qui concerne plus particulièrement la sexualité. Je ne parle pas du tout de l’ensemble de son œuvre , loin de là… J’apprécie beaucoup Foucault… C’est sur ce point-là, précisément.

Radjou SOUNDARAMOURTY . – Je trouve très intéressant le point que vous faites sur la différence entre identification sexuelle et choix sexué. Alors maintenant, toute jouissance est sexuelle, c’est essentiellement à partir de Freud et pas du tout de Lacan. Or il me semble que pour Lacan, ce n’est pas ça du tout… Toute jouissance phallique est sexuelle. Et c’est bien encore cette question hétéro-normée, phallocentrée… Et puis la question de la jouissance n’est pas que sexuelle. Ne serait-ce que la jouissance des déplaisirs…

Robert LÉVY . – Alors ça, ça se discute…
Notes

 

[1] Préface de Marcel Czermak et Henry Frignet Sur l’identité sexuelle : à propos du transsexualisme  LE DISCOURS PSYCHANALYTIQUE ED de l’association Freudienne Internationale Paris 1996

 

[2] Idem P.15

[3] Idem .P.16

[4] Ibidem cité par CzermakP.17

(5)Adèle Van reeth et Jean Luc Nancy LA JOUISSANCE ED PLON France Culture Paris 2014  

[6] Daniel Welzer Lang Propos sur le sexe  ED PAYOT 2014 P. 47

[7] Michel Foucault, l’Usage des plaisirs, Paris Gallimard 1984 P. 140   142

[8] Michel Foucault Dits et Ecrits IV ED Gallimard 1980  1988 Gallimard 1994 P. 755

[9]M Foucault le triomphe social du plaisir sexuel Dits et Ecrits tome IV P. 308 309

[10]M Foucault sexe pouvoir et la politique de l’identité Dits et Ecrits T.IV P.737 738

[11]David Halperin   Saint Foucault ED EPEL 2000 P. 102

[12] M Foucault opus cité Sexe pouvoir P.738

[13] M Foucault l gai savoir, la revue h N° 2 P.44  45

 

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