Robert Lévy "Projet d’accueil des personnes en grande difficulté sociale"
Paris journée institutionnelle du 4/10/14
Il n’est pas si fréquent d’envisager un tel projet dans nos institutions Psychanalytique. Gageons que celui-ci soit le résultat de nos travaux de ces deux dernières années sur la question de la politique de la psychanalyse. Vous entendrez déjà comment le mot ‘social’ vient rendre difficile notre repérage ; en effet l’accent est d‘emblée mis sur la place du Psychanalyste dans la société.
Une place qui ne peut se suffire d’un enfermement entre son fauteuil et son activité institutionnelle d’autant qu’il est souvent pris dans d’autres lieux de soins, d’autres institutions que son institution de référence psychanalytique. Nous assistons depuis quelques années au spectacle d’un effondrement des figures de l’Autre car la mondialisation n’en assure plus le relai. L’effet produit est la désagrégation de certaines modalités symboliques qui mettent à rude épreuve les référents existants dans le lien social traditionnel. Pour suivre ici Marcel Gauchet , disons que pour la première fois le sujet se trouve pris dans une société où se trouve rompu ce lien fondé sur l’identification de l‘individu au collectif. Si l’individu ne réfère plus son identité à un rapport au collectif alors nous assistons à un véritable renversement anthropologique.
Si l’analyste n’a pas de conception du monde, il a en revanche une conception du sujet, voire même pour fonction de le produire là où il disparait. Nous savons que certaines formes d’organisation sociales concourent aujourd’hui à faire disparaitre le sujet, n’est-ce pas alors là la tâche du Psychanalyste que de lui permettre de se (re)trouver ?
Bien entendu il faut pour cela une demande et une rémunération, aussi ténue soit elle, car sans cela de quelle jouissance le psychanalyste se payerait-il ? Il serait bon que le demandeur qui s’adresse au dispositif paye ce qu’il veut, ce qui lui laisse à la fois la possibilité de désirer et aussi de ne pas être ‘pris en charge’. UN seuil minimum pourra être proposé.
Je voudrais donner là un petit exemple clinique d’une supervision dans laquelle l’analyste se trouvait en difficulté avec le départ supposé d’une de ses patientes. Finalement, sa patiente ne vient pas à une séance et l’analyste alors très dépitée l’attend à la suivante à laquelle la patiente se rend finalement. La question se pose alors du payement de cette séance manquée, et l’analyste ne peut se résoudre à la lui faire payer. Il ressort alors de la séance de supervision que le payement a été en fait effectué par la jouissance de l’analyste à ne pas ‘perdre ‘ cette patiente. Sa patiente l’a donc payée de sa réassurance contre une perte en revenant : sans payer …..Je n’évoquerais pas ici à quoi cette perte renvoie l’analyste pour elle-même.
Je crois que ce petit exemple situe très bien la dimension de la jouissance de l’analyste, partagée en cette occurrence avec sa patiente dans ce couple imaginaire pris dans une perte impossible.
Il faut en effet pouvoir risquer la perte pour pouvoir faire advenir du sujet. J’ajouterai que tout acte de non payement dans la cure renvoie l’analyste à une place de jouissance, comme on vient de le voir, mais qui plus est le situe à la place du maitre.
Il ne s’agit donc pas d’une relation d’aide, car ce serait forcément une position de maître, et la perte dont il s’agit dans l’analyse n’est jamais équivalente, remplaçable donc, par la perte dont certains sujets peuvent faire l’objet dans ce qu’ils ont perdu sur le plan social, celui des démunis.
L’analyste n’est donc pas censé vouloir quelque chose pour son patient, ni désirer à sa place, ni à plus forte raison l’aider .On pourrait dire que si l’analyse s’instaure même avec des personnes en grande difficulté sociale, la guérison, et l’aide ne pourront se produire que ‘de surcroit’ si, et seulement si, du sujet, voire même du nouveau sujet est produit …
Il ne s’agit donc pas de tirer une quelconque jouissance de la misère par une relation d’aide, mais au contraire de permettre à ce que du sujet advienne par une perte autre mise à l’épreuve dans le transfert, perte qui encore une fois n’a rien à voir avec celle dont il est question dans le champ de la grande difficulté sociale.
Il s’agit bien pour l’analyste de reconnaitre cette réalité d’une emprise du sujet dans la difficulté sociale pour mieux en accueillir le réel dont il est l’objet. Une chose en effet est d’assumer à titre personnel une fonction d’accueil de ces personnes ou encore de faire une feuille de sécurité sociale ou de les recevoir dans une structure de soins gratuite ; autre chose est le dispositif que nous proposons .
Cette tâche, celle que propose AF est donc celle de l’accueil d’un réel au un par un pris dans une demande issue d’une réalité collective de grande difficulté sociale.
C’est pourquoi cette proposition que nous appellerons dispositif ne peut se référer qu’à une institution psychanalytique, Analyse Freudienne en l’occurrence, qui en assure l’effectuation comme nouveau dispositif.
Toute demande doit donc passer par son secrétariat qui tiendra la liste de ceux qui souhaitent en faire l’expérience. Ce n’est pas une obligation pour tous les membres d’AF, mais une décision qui doit être ‘déclarée par ‘ceux qui le souhaitent ‘ auprès du secrétariat qui dispatchera selon les possibilités de chacun au dispositif et tiendra cette liste à jour.
Il serait bon qu’une réunion privée ait lieu régulièrement entre les membres de ce dispositif pour travailler les questions qui se posent, assortie une fois par an d’un passage au public par ceux qui voudront bien apporter leur témoignage …
C’est le bureau et les coordonnants de l’association qui auront la responsabilité du bon fonctionnement du dispositif ainsi que la tâche de le faire connaitre et de veiller à ce que les réunions prévues entre les analystes participants se déroulent comme prévu.
Il va sans dire que ce nouveau dispositif d’accueil des personnes en grande difficulté sociale devra être inscrit dans les statuts d’analyse Freudienne et que, de ce fait, il sera un des éléments supplémentaires de ‘l’éthique qu’Analyse Freudienne considère etc….’