Ségolène Marti "Témoignage de passeur"
Je remercie Analyse Freudienne de m’avoir invitée à témoigner de mon expérience de passeur. Cela m’a permis de repérer à distance les effets de cette expérience et surtout de la partager ; vous en faire un retour pour boucler quelque chose.
Témoigner d’une expérience sans trop en révéler sur le contenu mais tout en disant quand même un peu pour exposer ce que cette passe a produit de manière claire est un exercice très délicat. Je me limiterai au strict nécessaire par respect pour le passant.
Effet de l’annonce de la désignation:
J’ai été contactée par le passant à un moment très particulier, juste quelques jours avant la dernière séance d’une première tranche avec mon analyste. La passe en tant que passeur arrivait donc à un moment de passage, celui d’analysant à non- analysant. La première idée que j’ai eu en recevant ce coup de fil était que cette passe viendrait comme m’accompagner dans cette transition-là. Dans l’après coup je pense que cette passe a produit un autre passage pour moi, celui d’analysant à analyste. En préparant cette intervention j’ai réalisé que c’est quelques mois après cette passe que j’ai pu décider de m’installer en libéral, projet que je nourrissais depuis longtemps. Est-ce que quelques part la désignation par mon analyste m’a permis de m’autoriser ?
La désignation comme une forme d’autorisation ?
Les rencontres :
L’appel du passant a été une surprise, j’ai d’emblée répondu positivement avec enthousiasme et curiosité.
IL y a eu 4 rencontres. La deuxième et la troisième à ma demande, la quatrième à la demande du passant. La troisième ayant eu un effet important pour lui.
Dès la première rencontre, je dirai que le passant s’est adressé à moi comme à un analyste : « je viens vous voir pour que vous m’aidiez à y voir plus clair dans mon parcours » ou encore, « en vous parlant, je retrouve le plaisir que j’avais de parler en séances »….
Etre investie à cette place était plutôt satisfaisant, me faisant goûter à autre chose que ce que je connaissais dans ma pratique hospitalière, et à ce vers quoi j’aspirais depuis longtemps : le libéral avec une clinique autre. Pour autant il s’agissait de ne pas être dupe et de rester à ma place de passeur. Il me fallait « résister » d’autant plus que j’avais à faire au déni du passant concernant le cadre du dispositif de la passe et ma fonction de passeur: le passant me soutenait qu’il n’était pas prévu que je rencontre le jury mais que seul l’autre passeur irait témoigner. A telle point que je me suis mise à douter et que j’ai rappelle C. Delarue. Il niait aussi que la passe à AF est dissociée de la nomination.
Au bout 3 rencontres j’ai formulé que je m’en tiendrai là, que j’irai rendre compte au jury de ce dont il m’avait fait part » et que je me tenais à sa disposition s’il souhaitait me revoir. Le fait de tenir ma position et de l’énoncer a eu un effet pour le passant qui a très rapidement sollicité une autre rencontre : Le passant me dit qu’il a repéré un point de jouissance non analysé au cours de ses 2 tranches d’analyse.
Mon vécu :
Lors ce processus, je me suis sentie très seule et mal à l’aise : ce que j’entendais lors des rencontres du rapport à la perversion et à la Loi me dérangeait.
Mon malaise a été renforcé par des éléments de réalités concomitants à cette passe qui entraient en résonnance directement avec ce qu’ j’entendais :
-D’une part le passant était de la même ville que moi et nous nous croisions dans des groupes de travails d’AF. Dépositaire d’éléments intimes de son histoire, il y avait un trop de rapproché pour moi ;
-d’autre part, lors d’un séminaire auquel d’ailleurs nous assistions tous les 2, un membre interpelle un autre participant en lui reprochant plutôt violement d’avoir révélé dans un groupe de travail des éléments personnels déposés ailleurs à AF. Silence, personne ne dit rien, le référent du séminaire membre d’AF non plus;
Donc l’ensemble de ces éléments :
Ce que j’entendais lors de rencontres,
La proximité avec le passant,
L’épisode en séminaire
m’ont fait vivre quelques chose de l’ordre de l’incestuel, comme si tout pouvait circuler, tout pouvait se savoir au sein d’une institution analytique. Je me questionnais sur la place de l’institution, sur son rôle de tiers et sur sa capacité à garantir un cadre de travail assurant notre sécurité psychique.
La phrase de conclusion du passant lors de la 4ème rencontre vient mettre en lumière de manière assez remarquable, je trouve, à la fois mon mal aise et ce qui s’est mobilisé pour lui : « Et oui » , me dit-il, « vous êtes passeur et pas sœur » (vous êtes passeur mais pas ma sœur). Lors de cette dernière rencontre, le déni est levé : je suis reconnue comme passeur par le passant et il reconnait que la passe à AF ne nomme pas.
Ce que la passe a produit pour moi
De mon côté, c’est dans l’après coup que je peux dire que c’est probablement cette expérience de passeur qui m’a amenée à revenir sur la question de la perversion dans mon histoire en engageant une 2ème tranche. Je trouve très intéressant de voir comment le processus de la passe a produit des effets des 2 côtés, passeur /passant, à partir de ce qu’a amené le passant.
Ségolène MARTI