2-Paris-Michela Marzano autour de son livre "légère comme un papillon" présenté par Robert Lévy
Robert Lévy : J’ai le plaisir d’accueillir Michela Marzano à propos de son dernier livre « Légère comme un papillon », Michela est agrégée en philosophie et membre du CNRS. J’ai eu l’occasion de la rencontrer, avec grand intérêt il y a presque une dizaine d’année nous avions à cette époque fais des interventions à propos des problèmes prostitutionnels.
Michela a écrit deux livres, non pas sur la prostitution mais sur des sujets qui concernent le corps et ….
Michela Marzano: Sur la pornographie et l’accomplissement du désir et j’ai dirigé un dictionnaire du corps.
Robert Lévy : c’est une gageurs ce soir d’essayer d’introduire le séminaire de cette année sur l’inactualité de la logique de l’inconscient et en même temps d’introduire le travail de Michela . Je trouve que c’est un travail ce livre au sens de l’inconscient dont elle nous fait part avec beaucoup de générosité, c’est rare de rencontrer des auteurs qui sont capables à la fois de tenir une position éthique dans leurs paroles et en même temps de transmettre quelque chose d’un parcours. D’un parcours de vie mais aussi d’un parcours d’analyse et c’est la raison pour laquelle je lui ai demandé de bien vouloir venir ce soir. Je vais essayer dans un premier temps de reprendre quelques éléments de son livre pour introduire ce séminaire et dans un deuxième temps, si Michela veut bien prendre un peu les balles au bond sur les points de son choix et de discuter avec vous.
Il n’est pas très facile de rendre compte d’emblée de ce veut dire la proposition selon laquelle l’inconscient ignore le temps. En effet c’est à la fois un constat que nous faisons tous les jours et une difficulté structurale. Alors ne serait ce pas parler de ce commencement qui n’en finit pas et je crois que Michela Marzano nous en donne un très bon exemple avec son remarquable livre, « Légère comme un papillon », quand elle évoque à la fin de son ouvrage, et je la cite : « Le piège infernal dans lequel je me suis retrouvée pendant tant d’années a été celui-ci : croire que je n’avais pas le droit d’être « autre »; continuer malgré tout à donner raison à mon père .Au point de préférer l’idée de la mort à celle de le décevoir comme s’il n’existait aucune alternative »
Peut être peut on rappeler tout de suite comme éclairage la thèse Freudienne de l’intemporalité de l’inconscient prise dans l’article « l’INCONSCIENT » P.97
« Les processus du système inconscients sont intemporels, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas ordonnés dans le temps, ne sont pas modifiés par l’écoulement du temps, n’ont absolument aucune relation avec le temps .La relation au temps, elle aussi est reliée au système conscient »
C’est ce qui amène d’emblée Michela à faire le constat que « Le passé ne passe jamais » et nous dit-elle « j’ai au moins appris cela car l’inconscient ne connaît pas le temps. »
On peut, peut-être tout de suite dire quelque chose de cette approche avec deux éléments fondamentaux de la cure analytique : le début et la fin.
Si nous pouvons aborder dans les entretiens dits préliminaires quelque chose dont nous savons que ce sont déjà les éléments en présence de ce qui se déroulera dans l’analyse, c’est que nous supposons que le temps dont il s’agit dans le discours n’est pas le temps chronologique.
De la même façon si dans une fin d’analyse il se dit encore des choses fondamentales qui n’ont, le plus souvent, pas été abordées au cours de la cure, c’est encore parce que la chronologie du temps n’est pas non plus à l’œuvre dans le déroulement d’une analyse. Au point même que dans ces fins d’analyse, on a bien du mal à y mettre un terme en considérant ce qu’il peut encore se dire d’absolument nouveau. Pourtant il est bien question de la fin, une fin qui n’a d’ailleurs pas forcément nécessité de s’écourter ou de trouver un terme rapide car si cela était le cas, alors assurément on escamoterait des éléments fondamentaux de l’analyse.
Là encore Michela nous renseigne sur sa façon de mettre un terme à ses tourments et sans doute à son analyse ; elle se demande comment on peut arrêter de courir après quelque chose qu’on n’arrive de toute façon jamais à obtenir. Voilà comment elle y répond : « La solution est ailleurs .Il faut briser le cercle, rien de plus, et regarder d’un autre coté .Faire face à la montagne et décidez de laisser tomber et de ne pas l’escalader. »
La mère d’un adolescent se plaignait de ce que son fils, ayant rapidement réalisé dans le début de la cure les vœux d’amélioration pour lesquels il était venu consulter, entendons il était guéri de ses symptômes, il devrait alors arrêter car sans cela ça n’a pas de fin! me disait-elle. En effet en quoi consiste une fin d’analyse dans une perspective où ce n’est pas la chronologie qui est de mise ?
Le temps logique suit il une trajectoire si différente ?
Le temps de l’inconscient c’est aussi le temps de la séance que nous devrons bien aborder également cette année dans une perspective qui ne peut être que celle d’un rapport structural au temps psychique si non cela n’aurait aucun sens.
La séance est en effet un laps de temps où il s’agit que s’établisse un certain rapport avec la dimension de l’inconscient avec ce paradoxe que justement l’inconscient ignore le temps …
Le terme de ‘patient ‘ fait entendre que le temps de l’analysant est bien celui de l’attente ; le temps de l’analyste serait-il alors celui d’un savoir déjà là qui extrait la parole d’un devenir pour l’inscrire dans un présent ?
En tout cas c’est assurément l’interprétation par son effet de surprise qui réinscrit l’évènement hors de son champ traumatique dé-temporalisé.
N’oublions pas dans cette petite fugue temporelle la temporalité libidinale qui se réduit le plus souvent à l’intermittence du désir et à ses variations.
La scansion ou encore la variation du temps de la séance serait elle de nature à pouvoir faire apparaître l’objet ?
Faire du temps donc le produit d’un acte, acte analytique, qui comme ponctuation d’une temporalité assure l’approche de ce que l’on appellera après Freud et Lacan : le réel du temps.
L’intemporalité de l’inconscient fait donc place à une nouvelle dimension : le réel du temps.
Mais cela m’amène de suite à revenir sur le début d’une analyse et interroger ce que l’on appelle le début d’une cure ; en effet quand peut-on considérer que l’analyse commence, si l’on considère que l’inconscient ignore le temps ?
Pour l’auteur, Michela, c’est sans doute cette impression de lien entre le temps et son symptôme qui la pousse à entrer en analyse me semble-t-il et elle dit ceci : « Plus le temps passe et plus j’ai la sensation de n’être qu’un entonnoir par lequel transite la nourriture, prêt à se remplir et à se vider à la demande …un récipient inutile…Une ombre à la dérive. »
Alors quelle place donnons-nous à la nosologie ? Au diagnostic ? au temps des préliminaires pouvons nous parler d’indication ou de contre indication?
Désir d’analyste et demande de l’analysant sont ils suffisants pour rendre compte de ce temps d’établissement d’un début d’analyse ?
C’est toute la question du savoir clinique et de sa référence qui se pose et Lacan répond très clairement en critiquant sans cesse l’évidence de la nosologie clinique par le savoir : « un sujet est psychanalyste, non pas savant, bardé derrière des catégories dans lesquelles il y aurait des tiroirs à ranger des symptômes psychotiques, névrotiques ou autres mais pour autant qu’il entre dans le jeu du signifiant »
C’est dire si Lacan répond déjà très clairement à notre première interrogation : l’inconscient ignore le temps, pourquoi ? Parce qu’il est structuré comme un langage.
Langage qui ouvre à une toute autre catégorie de savoir que ce
lle de la médecine ou de la psychiatrie : « La catégorie du savoir c’est là que git ce qui nous permet de distinguer radicalement la fonction du symptôme , si tant est que le symptôme nous puissions lui donner son statut comme définissant le champ de l’analysable, la différence d’un signe, d’une matité qui nous permet de savoir qu’il y a hépatisation d’un lobe et d’un symptôme au sens ou nous devons l’entendre, comme symptôme analysable qui justement définit, isole comme tel le champ psychiatrique et qui lui donne son statut ontologique, c’est qu’il y a dans le symptôme l’indication qu’il est question de savoir. »
Ce dont témoigne Michela avec beaucoup de précision à propos de l’anorexique : « c’est précisément là que je voulais en venir. Pureté et maitrise de soi. Savez vous que c’est justement cela le problème qui se cache derrière l’anorexie ? Au delà du corps, ce que l’on cherche à contrôler et à éliminer, c’est la faim, les émotions, les besoins …Tout ce qui échappe à cette fameuse maitrise de soi et qui, de ce fait, effraie. C’est là que nait le sentiment d’omnipotence .Dans leur corps émacié, les anorexiques défient la mort, alors même qu’elles la portent comme une médaille. Elles défient leurs désirs, en niant les besoins les plus élémentaires de leurs corps, alors même que le désir n’arrive plus à émerger. Elles défient les normes sociales pour se sentir libres, alors même qu’elles érigent un système de lois intransigeantes à ne transgresser sous aucun prétexte. C’est pour cette raison que plus elles essaient d’attirer l’attention des autres en se contraignant, se prenant presque pour dieu, plus elles s’emprisonnent dans une cage dorée dont il leur est bien souvent impossible de sortir. » Je trouve que c’est là une magnifique description de la problématique anorexique.
D’où la conclusion très momentanée que c’est parce que l’inconscient est structuré comme un langage qu’il ignore le temps et que le symptôme représente donc le sujet pour un autre signifiant. C’est véritablement ce que développe Michela tout au long de son livre ; à savoir comment passer de l’anorexie mentale à : « un symptôme d’une parole qui ne parvient pas à s’exprimer autrement. Un désir perdu dans la tentative désespérée de s’adapter aux attentes des autres ». Cette catégorie de personnes, Michela les nomme d’un très beau nom : les « NO-L-ITA ».
Michela : Ce n’est pas de moi, c’est la publicité … (inintelligible)
Robert Lévy :Par conséquent la temporalité n’a plus de raison d’être dans une chronologie lorsque Lacan cite deux exemples qu’il puise chez Freud : l’aphonie de Dora la représente pour le signifiant « madame K toute seule ». Sa toux la représente pour le signifiant « père fortuné, sans fortune ».
De la même façon l’amaigrissement de l’homme aux rats le représente pour le signifiant « Dick » son rival au près de la dame de ses pensées. Ainsi, dans ces deux exemples, le deuxième signifiant S2 est un signifiant pour qui un autre signifiant S1 représente le sujet
C’est pourquoi dans un début d’analyse ce n’est pas le temps qui compte mais la lecture de l’énoncé du symptôme comme énonciation de la chaine des signifiants dans la parole du patient.
Aussi le symptôme comme S2 est un des premiers repères théoriques de la clinique psychanalytique mais ce n’est que parce qu’il y a du psychanalyste que le texte du symptôme peut se trouver déployé complètement.
Dès lors on comprendra que ce n’est pas en revenant au point de départ chronologique de la constitution du symptôme qui interprètera celui-ci en vue de la guérison et donc : « ce n’est pas l’effet de sens qui opère dans l’interprétation mais l’articulation dans le symptôme des signifiants (sans aucun sens) qui s’y sont trouvés pris »
C’est donc toute la structure du langage que l’expérience psychanalytique découvre dans l’inconscient bien plutôt que le siège des instincts comme nous le fait remarquer Lacan dans l’instance de la lettre.
Pour Freud la question de l’inconscient est une question métapsychologique et sa : « contribution la plus valable au savoir humain ».
C’est un système psychique doté de propriétés spécifiques dont le principal est que : « si la pulsion ne s’attachait pas à une représentation ou si elle ne venait pas à jour comme état d’affect, nous ne pourrions rien en savoir ».
Il faut ajouter à cela un élément essentiel : l’affect ne peut pas être refoulé, se maintient donc en l’état et se transforme en angoisse ou se trouve réprimé.
Par conséquent l’affect et sa représentation sont disjoints : la représentation ou plus exactement le représentant représentatif est refoulé et l’affect continue quant à lui à exister en s’appropriant si je puis dire d’autres formes de représentations plus actuelles.
Je cite encore Michela : « A deux reprises, alors que je suis entrain de parler, le mot se déforme dans ma bouche. Je sais très bien que pour prononcer la diphtongue eu, il faut entrouvrir légèrement les lèvres. A la différence du è de « père » ouvert et sonore. Mais par deux fois je commets la même erreur. Les deux mots se confondent. Je ne peux rien y faire. Peur ne veut pas sortir. Je n’arrive pas à le prononcer. Je bute sur père. Mon père s’est immiscé et il ne veut pas s’en aller, comme la peur qui ne veut pas s’en aller »
On peut alors déterminer quatre caractéristiques du système inconscient :
Absence de contradiction et de négation
Processus primaire comportant la mobilité des investissements
Atemporalité, l’inconscient ignore le temps
Réalité psychique qui remplace la réalité extérieure dans l’inconscient.
On peut remarquer ici l’inflexion proposée par Lacan du terme inconscient :
En Allemand « Unbewusste »veut dire « inconscient » ; mais traduit par « l’une bévue » ça veut dire tout autre chose, un achoppement, un trébuchement, un glissement de mot à mot.
Et c’est bien de cela dont il s’agit : « quand nous nous trompons de clé pour ouvrir une porte que, précisément, cette clé n’ouvre pas, Freud se précipite pour dire qu’on a pensé qu’elle ouvrait cette porte mais on s’est trompé. »
La conception du temps en Psychanalyse est une conception de la mémoire et cela sera d’emblée la thèse de Freud sur la séduction qui postule que la théorie de la séduction est un trouble de la mémoire. Amnésie et refoulement : c’est à dire un évènement traumatique du réel.
Mais elle sera abandonnée très vite et fera place à la prise en considération des fantasmes (cf. lettre 59) et permet grâce au lien supposé entre l’évènement traumatique et le refoulement de faire place à une conception de l’appareil psychique tout à fais novatrice.
S’en suivent trois thèses qu’Annette Laget qualifie à juste titre de thèses banales :
1°le refoulement affectant les souvenirs est affecté à la mémoire
2°Il n’y a pas d’autre problème de la mémoire que celui du refoulement
3°La cure comble les lacunes de la mémoire.
Il y a donc une assimilation de l’inconscient à une mémoire et la mémoire à une reproduction de tout.
Par conséquent ces thèses Freudiennes princeps supposent la correspondance entre la temporalité du sujet dans sa mémoire et l’histoire du sujet.
Ce sont les études sur l’hystérie qui nous apportent quelques précisions sur le temps dans la cure, via la question du symptôme :
« Il est tout à fait impossible de réaliser tout d’un trait l’analyse d’un symptôme ou de répartir les interruptions du travail de façon qu’elles coïncident justement avec les pauses dans la liquidation. Les interruptions inévitables que dictent les circonstances accessoires du traitement, les heures de séances modifiées, etc….surviennent plus tôt aux moments les moins favorables, au moment où on espérait se rapprocher d’une décision, où un nouvel évèn
ement allait surgir.
Ce sont là des désagréments comparables à ceux qui gâchent pour le lecteur d’un journal la lecture des chapitres quotidiens du feuilleton quand immédiatement après le discours décisif de l’héroïne, après le déclic de l’arme à feu », etc., vient « la suite au prochain numéro » » .
Pour Freud la mémoire est bien ordonnée et donc stratifiée, il détermine trois ordres de stratification. L’une n’échappe pas à une vision chronologique de la stratification.
« Tout se passe comme si on dépouillait des archives tenues en ordre parfait. C’est d’ailleurs là un fait ordinaire et qui se présente dans toutes les analyses. L’ordre chronologique est aussi rigoureux que l’est celui des jours de la semaine ou des mois de l’année chez les personnes mentalement normales. »
Mais Freud n’hésite pas à mettre un peu de déstabilisation dans ce bon ordre de la mémoire et par conséquent du temporel introduisant la particularité temporelle de l’après coup, nachträglisch, nachtäglischkeit. « Nous ne manquons jamais de découvrir qu’un souvenir refoulé ne s’est transformé qu’après coup en traumatisme »
Freud introduit la résonnance de deux instants du temps, c’est une forme en rupture avec les présupposés ordinaires du déterminisme et du temps de l’individu. La névrose n’est plus causée par la séduction mais par le trauma. Ce nouveau concept permet de différencier les névroses actuelles (neurasthénie et névrose d’angoisse) des psychonévroses ; les premières sont à entendre sur un aspect quantitatif et économique alors que les secondes s’expliquent par l’après coup de deux ou plusieurs traumas s’articulant comme un évènement du passé qui a un effet qui s’ajoute avec celui d’un évènement d’un autre temps ; ce qui introduit maintenant un autre nouveau concept : la répétition.
C’est avec cette dernière conception que Freud est au point d’abandonner sa thèse sur la séduction et c’est en introduisant la question du fantasme que cela est enfin rendu possible.
Le fantasme porte en lui la temporalité de l’après coup. Ce sont des choses que l’enfant a entendues de bonne heure et dont il n’a que longtemps après saisi le sens.
C’est-à-dire au cours de l’année 1897 ou encore entre l’Esquisse et le chapitre VII de l’interprétation des rêves.
Il découvre donc l’incidence des fantasmes et peut passer ainsi d’une théorie de la séduction privilégiant le schème de la décharge différée d’un trauma à une théorie du désir mettant en jeu des fantasmes et concevant dès lors un appareil cette fois véritablement psychique.
Aussi la mémoire devient la preuve que le temps est bien engrangé dans le cerveau et la cure permet de refaire une mémoire au patient. Le fantasme s’intercale donc entre souvenir et symptôme. Par l’introduction de la mémoire nous sommes d’emblée au fait d’un modèle associationniste. Comme l’écrit si bien Michela : « Quand la parole oublie les êtres chers, elle se vide de sens. L’alliance se brise. Le pacte s’effrite et l’être tombe malade. Malade d’un désir qui s’ignore .Malade d’un silence qui le tue. »
Il y a une sorte d’enregistrement automatique dans la mémoire, enregistrements successifs ; la mémoire et l’inconscient se confondent donc comme une sorte de même structure identique à celle du refoulement.
Apparaît chez Freud, le thème de l’écriture, les enregistrements de cette mémoire sont donc écrits, « niederschrifte », les remaniements « umschrifte ».
« les enregistrements [Niederschrifte] successifs représentent la production psychique d’époques successives de la vie. C’est à la limite de deux époques que doit s’effectuer la traduction des matériaux psychiques, je m’explique les particularités des psychonévroses en supposant que la traduction de certains matériaux ne s’est pas réalisée. Tout nouvel enregistrement gène l’enregistrement précédent et fait dériver sur lui-même le processus d’excitation. Si aucun enregistrement nouveau ne se produit, l’excitation s’écoule suivant les lois psychologiques gouvernant l’époque précédente et par les voies alors accessibles. Nous nous trouvons en présence d’un anachronisme : dans une certaine province des fueros existent encore, des traces du passé ont survécues »
La théorie de la mémoire en psychanalyse est surtout une théorie de l’oubli. En allemand deux mots pour définir cela : Gedächtnis et Errinerung, littéralement mémoire et souvenir. Pourtant comme nous l’indique Michela Marzano « En réalité on ne se libère jamais de son passé. Même lorsque le mal obscur s’éloigne. Ce n’est qu’en le retraversant qu’on arrive à donner sens à notre douleur »
Freud postule tout de même qu’il y a un tri sélectif dans la mémoire et seul ce qui a été perçu a été retenu. (Bloc note magique et Le moi et le ça) C’est un changement très important par rapport à l’élaboration d’une couche de base que l’on rencontre tout au long du texte de la métapsychologie.
Reste maintenant à concevoir la notion de traces ….. Des traces de mémoire.
Michela, concernant la question des traces y répond par l’amour, amour pour un homme qu’elle aimerait encore. A la question de savoir si elle aime encore un homme qui a disparu de sa mémoire momentanément en tout cas, elle répond ceci : Tu voudrais savoir si je l’aime encore ?
« Dans quelle langue veux-tu le savoir ? En Français, non, je ne l’aimais plus. En italien, c’est plus compliqué. Je ne pense pas pouvoir aimer un autre homme que lui en italien. Alessandro continue d’incarner ce que j’ai cherché désespérément quand j’étais petite. Il reste l’idée que je me fais de l’amour impossible. Celui qui pourrait donner un sens à tout. Celui qui devrait pouvoir résoudre chaque problème et chaque angoisse, mais qui n’existe pas, justement par ce qu’il est impossible. »
Michela : je suis un peu embarrassée parce que je n’ai pas l’habitude de parler devant des psys, en fait j’avais l’habitude devant la mienne et voir toute cette salle pleine de psychanalystes je me dis que très vite cela va pouvoir déclencher des interprétations. Pourtant j’ai l’habitude de parler en public car mon travail c’est celui d’enseigner, je suis professeur à l’université, en plus ce n’est pas une excuse mais aujourd’hui j’ai eu 6 heures de cours, donc j’ai beaucoup parlé, donc ce que j’avais à dire je l’ai dis entre mes heures de cours et mon livre !
Je vais essayer de dire quelque chose : Ce livre je l’ai écrit en italien et pendant longtemps je n’avais pas écrit en italien, je n’avais pas parlé en italien, j’avais coupé les ponts avec l’Italie et l’italien. Je suis venue en France en 1998, j’ai recommencé mon analyse en 1999, j’avais déjà fais deux tranches en Italie mais cela n’avait pas donné grand-chose. Moi, je viens de loin, j’avais commencé une analyse en Italie car j’étais coincée dans mon symptôme de l’anorexie et au niveau du symptôme cela allait mieux mais j’étais arrivée à contrôler mon symptôme au terme de 5 à 6 ans d’analyse en Italie….. et je perds le fil !
Robert : tu parlais de faire avec ton symptôme…
Michela : Ah oui, voilà ! Tout à l’heure j’étais en train de dire que les espérances que j’avais en Italie avec la sortie de mon livre mes échanges avec les psychiatres et les psychanalystes n’ont pas été très brillants. A chaque fois que j’ai discuté avec eux il était toujours question de mon symptôme ou ce que je disais n’était pas entendu. Quand je dis que l’on peut très bien apprendre à contrôler son symptôme une psychiatre m’avait rétorqué que ce que je disais pouvait être dangereux. Pourtant c’est la vérité, rien n’est plus facile que de contrôler son symptôme et de vivre toute sa vie avec son symptôme. Ce qui est plus difficile c’est de lâcher c’est-à-dire aller regarder ce qui se trouve derrière le symptôme. Donc quand je suis arrivée ici je contrôlai
s parfaitement mon symptôme mais finalement je ne contrôlais rien du tout car ce qui n’allait pas c’est que je n’avais pas forcément envie de vivre. Je ne nuance pas du tout mais vous pouvez comprendre.
J’ignorais pour quelles raisons aux yeux des autres j’avais tout mais à mes propres yeux je n’avais rien et tout cela me faisait souffrir j’ai donc décidé, malgré moi, de refaire une analyse. Je dis malgré moi car déjà en Italie cela avait été très douloureux mais loin par rapport à la souffrance qui était la mienne quand j’ai commencé mon parcours ici et qui n’est pas complètement terminé. Je continue encore, je suis en fin d’analyse …. Vous vous avez terminé (rires dans la salle ….) ou vous continuez avec vos patients ! C’est une fin qui prend un peu de temps, car après un grand moment de bonheur après la publication de mon livre, c’est la première fois que je désobéissais réellement à mon père, mais après il y a eu l’après-coup ! Avec ce livre j’ai fais longtemps des allers et retours entre la France et l’Italie et au bout d’un moment parler de soi et être face à des personnes qui vous disent « mais comment allez-vous bien ? » et continuer à dire je vais bien, mais oui, je vais mal aussi, comme tout le monde ….. On ne sait plus où on est !
Donc j’ai écrit ce livre en italien, après que pendant douze ans l’italien avait été exclu …. Je l’avais évacué et je n’avais plus envie d’écrire et de parler en italien et je sais que mon accent est très fort … je le sais, c’est là la présence de l’italien ! Et mon accent a empiré ces derniers temps quand j’ai redécouvert l’italien. Mon analyse je l’ai faite en français, j’enseigne en français, façon pour moi de traverser des choses que je ne pouvais pas affronter en italien c’était trop douloureux. Trop douloureux de répéter ce que j’avais entendu beaucoup de fois dire par mon père et que j’avais avalé et que je n’arrivais pas à cracher, je crachais par la nourriture ce que je ne pouvais pas recracher d’une autre façon. Mon anorexie avait commencé par une anorexie … (inintelligible) et ensuite par une anorexie boulimie et je passais beaucoup de mon temps à me remplir et à me vider. Je n’arrivais pas à vider mon sac d’une autre façon et quand j’ai décidé d’écrire ce livre j’avais envie de dire tout ce que j’avais retrouvé, je voulais le dire en italien et surtout dire une fois pour toute à mon père que je n’avais rien à faire de ce qu’il pouvait penser de moi, car bien évidemment il ne suffit pas de raconter sa vie, son malaise et son symptôme, notamment quand on est professeur à l’université car il y a toute une histoire avec l’université par rapport à mon père …. Mais c’était la chose dont j’avais envie et je ne voyais pas pour quelles raisons je ne pouvais pas le faire.
Cela est une raison et l’autre raison j’avais lu tout ce qu’il y avait à lire sur l’anorexie et je n’avais pas trouvé le livre que j’aurais voulu lire quand j’allais mal. Je ne suis pas sûre d’être parvenu à écrire le livre que j’aurais voulu lire mais j’ai fais le livre que je voulais écrire.
Ce n’est pas facile d’en parler en français car ce n’est pas moi qui ait traduit le livre, en fait je ne traduis jamais et quand j’écris en italien ce n’est pas moi qui traduit de l’italien en français et quand j’écris en français ce n’est pas moi non plus qui fais la traduction. Du coup quand tu lisais des passages de mon livre je ne le reconnaissais pas car j’ai encore le texte en italien dans ma tête. Dans ce livre j’ai fais ce que je n’ai pas nécessairement fais en analyse car j’ai raconté dans ma langue maternelle et pour moi la langue de l’analyse est une langue paternelle. J’avais besoin de passer par la langue paternelle car c’était avec mon père que cela n’allait pas et que ma mère je l’avais perdu à jamais quand j’étais trop petite. Il fallait reconstruire quelque chose et pour cela je devais passer par une autre langue. En revanche une fois que quelque chose a été reconstruit j’avais besoin de le communiquer, de pouvoir le dire dans ma langue à moi.
Je n’ai pas raconté ce livre et en même temps je ne sais pas comment le qualifier, ce n’est pas un roman, ce n’est pas un essai et ce n’est pas non plus simplement un récit. En fait c’est un mélange des trois choses. Pour une fois j’ai voulu faire quelque chose de pas précis, je voulais faire quelque chose entre. En ayant cloisonné le français, l’italien, la philosophie, la psychanalyse je voulais trouver quelque chose qui me permette pour une fois de ne pas être précise et de pouvoir passer d’un concept à l’autre pas de façon conceptuelle mais en analyse aussi j’avais du mal à arrêter de raisonner, j’avais du mal à perdre le fil.
Ce n’est pas facile de présenter ce livre de façon détachée car je ne parviens pas à m’en détacher complètement.
Au début en Italie je suis tombée sur une psychothérapeute qui avait décidé que mon problème était avec ma mère, j’avais l’impression de lire un lexique qui postule que toutes les anorexiques ont un problème avec leur mère, et puis tout les paradoxes par rapport à la nourriture, les idées selon les quelles les anorexiques n’ont pas faim, elles doivent faire un effort …. Tout cela n’a aucun sens car la faim est tout le temps là ….. Vous le savez n’est-ce pas ? Dites « oui » (rires dans la salle).
Quand j’aurais terminé mon analyse cela sera définitivement terminé car comme tout le monde j’ai été traversée par l’envie de devenir psychanalyste, cette idée est passée et c’est la preuve que cela va beaucoup mieux !
Serge Granier de Cassagnac : je viens de lire votre livre et je voudrais donner mon impression de lecteur. C’est un objet littéraire particulier à la frontière de plusieurs dimensions et quand on le lit c’est un peu déroutant car c’est décousu, cela passe d’un sujet à l’autre et en continuant la lecture on se rend compte que les choses se répètent comme dans une analyse. On a l’impression que c’est un après-coup de l’analyse, c’est construit comme le discours que l’on peut proférer dans une analyse. Cela déjoue tout ce qui est de l’ordre du savoir cartésien, du savoir conscient. Cela met en scène comment l’inconscient s’insinue dans notre discours et on le ressent dans la façon dont le livre est construit. Pensez-vous que cela soit une construction dans l’après-coup d’une analyse ?
Michela : oui, car je voulais faire cela, c’est-à-dire j’ai mis beaucoup de temps à trouver la construction ainsi que la langue d’écriture au début et par ailleurs il a été monté, démonté et remonté plusieurs fois. En fait il y a un fil chronologique mais en même temps il y a des allers et retours continus et cela était compliqué pour moi, car il fallait avancer tout en donnant en même temps l’idée de ce qui se passe dans une analyse. On avance et l’on revient en arrière…. Et dans la vie tout se répète et cela ne relève pas d’une répétition névrotique, forcément tout se répète. Je voulais essayer de donner ce sentiment là. Je pense que quelqu’un qui a ce genre de problème ou qui présente d’autres symptômes derrière lesquels il y a les mêmes failles cherche à suivre une parole qui se cherche. Le problème c’est que souvent on cherche la recette, j’ai longtemps espéré cette baguette magique qui n’existe pas. C’est déjà compliqué d’accepter qu’elle n’existe pas mais accepter l’effet que toute l’analyse consiste à chercher ces mots qui échappent tout le temps et à partir du moment où l’on se trouve derrière les mots qui échappent on commence à aller mieux, on ne sait pas pourquoi mais on va mieux. C’est ce sentiment que je voulais donner.
Alors soit on a des récits consacrés aux symptômes qui va dans le sens de raréfier le symptôme et que je trouve dangereux car on arrive à des suggestions pour par exemple ne plus se faire vomir, soit on trouve des livres de psychanalystes mais qui ne servent pas à grand-chose car au b
out d’un moment on peut parfaitement comprendre certains mécanismes, soit on trouve des livres plutôt psychologiques dans le sens de l’aide et là c’est une catastrophe car c’est du contrôle. Le problème de l’anorexie c’est le contrôle et le problème c’est de se confronter à sa propre angoisse et c’est à partir du moment où on tente de la nommer que l’on comprend que ce n’est pas par le contrôle que l’on arrive à se sortir de l’angoisse. C’est une tentative de donner à voir et sentir cette problématique.
J’ai eu aussi beaucoup de critiques car certains n’ont pas apprécié qu’il y ai des coupures, pas de fil logique, pas de construction et là ou était la construction j’ai essayé de la déconstruire pour faire émerger cette parole, mais on ne peut pas plaire à tout le monde ! J’ai tenté désespérément de plaire à tout le monde pendant longtemps, c’est terminé !
Robert Lévy : Je trouve que c’est particulièrement un parcours que tu nous proposes et un parcours dans l’analyse. C’est cela toute l’originalité de ce livre ! On t’avait dit que tu portais une grande responsabilité dans ce livre, te souviens-tu de cette émission de France Inter ? Car depuis « les mots pour le dire », il n’y a pas eu de livre écrit dans cette veine, à savoir comment inscrire dans la texture même de l’écriture quelque chose qui soit de l’ordre du déroulement d’une analyse même s’il ne s’agit pas de raconter ton analyse. C’est cela qui en fait tout l’intérêt c’est dans l’écriture même que quelque chose s’entend et se construit, dans cette déconstruction, dans ces coupures quelque chose se construit du déroulement d’une cure. C’est une véritable construction mais au sens d’une construction de l’inconscient ce qui fait tout l’intérêt du lecteur analyste et analysant ….. Quand on commence ce livre on ne peut que le terminer d’une seule traite, on le dévore !
Michela : j’ai déjà écrit d’autres livres et il y un terme qui revient tout le temps : « j’ai dévoré votre livre ».
L’autre raison pour laquelle il y a cette structure il fallait montrer l’importance de passer du « pourquoi » au « comment ». J’ai mis longtemps à le comprendre mais si on continue à passer son temps à la recherche du « pourquoi » on ne s’en sort pas car il y a beaucoup de « pourquoi » pour lesquels il n’y a aucune réponse. C’est l’acceptation du mystère. L’acceptation que l’on ne peut pas aller plus loin que cela et si on ne peut pas répondre à la question « pourquoi » c’est qu’il n’y a pas de réponse à la question de la raison de ma souffrance. Si on ne peut pas répondre il faut changer de question en passant au « comment » ou comment faire en sorte pour ouvrir la porte que l’on avait fermée à clefs pour éviter que des gens puissent entrer et que la vie puisse également entrer. Tous les déplacements du « pourquoi » au « comment » c’étaient cela aussi qu’il fallait montrer, tout en évitant une chose à savoir une justification de cette souffrance après-coup. Un des risques était aussi de dire « si vous n’aviez pas vécu tout ce que vous avez vécu…. ». La réponse est très simple c’est « malgré tout ce que j’ai vécu je suis encore là » et non « parce que j’ai vécu tout ce que j’ai vécu …. ». En dépit du fait que l’on puisse avoir métabolisé, retravaillé, retraversé de plusieurs façons il ya quelque chose qui est là. Non seulement il y a l’acceptation de « pourquoi » pour lesquels il n’y n’aura jamais de « parce que », il y a aussi l’acceptation qu’il y a une faille, la fracture est là et on ne peut pas la réparer. Cela est un malentendu qu’il y a au début de l’analyse où on arrive en pensant « j’ai ça » on va le réparer…. Peu à peu on comprend qu’on ne répare rien la seule chose que l’on puisse faire c’est un pas de côté et cette fracture dont je parlais à l’instant restera là.
Robert Lévy : C’est vraiment cela que tu fais passer dans ton livre et c’est en cela que tu as une responsabilité à laquelle faisait allusion cette journaliste, à savoir tu montres très bien qu’une analyse cela ne répare pas, mais cela produit un effet de pas de côté dans la langue, dans le signifiant dans une perspective qui n’a rien à voir avec la résolution du symptôme. Donc c’est vrai que c’est une responsabilité à une époque ou la psychanalyse est sérieusement « secouée » par différentes approches. Je rends hommage à ton écriture, tu as trouvé un procédé d’écriture ce qui n’est guère habituel. Une écriture telle que quelque chose, encore une fois, du travail de l’inconscient se transmet et où on ne cherche plus dans les pages une cohérence, au contraire tu nous entraine , tu nous amène dans cette écriture à un horizon différent et nous oblige à ne plus poser les questions rationnellement, mais dans la joie car il y a une sorte de magie dans ces coutures décousues qui nous emmène vers des horizons de pensée à laquelle nous ne sommes pas habituée qui n’a rien à voir avec un roman, avec un traité philosophique, encore moins avec un traité de psychopathologie. Il y a une forme d’écriture de l’inconscient qui est original.
Serge Granier de Cassagnac : Cela n’a pas peur des contradictions.
Robert Lévy : il n’y a pas de négation.
Michela : lesquelles contradictions ?
Serge : vous-même vous le repérez que vous avez pu dire quelque chose et par la suite son contraire, parce que ce qui est en jeu c’est que vous êtes divisée en tant que sujet, comme chacun d’entre nous mais le plus souvent quand on parle de psychopathologie dans le discours courant on nie la division du sujet. Comme vous le dites on cherche le « pourquoi » et puis la recette, et puis ce n’est pas un livre spécifiquement sur l’anorexie.
Robert : c’est le livre sur le parcours d’une vie en tant que sujet qui assume son désir. Quand tu disais je n’ai peut-être pas écrit le livre que je voulais lire mais le livre que je voulais écrire, c’est un livre d’écrits à coup de désir sans compromission d’une autre nature. On sent qu’il y a ce fil qui est ton désir à l’œuvre dans le parcours que tu nous transmets.
Serge : Un exemple de contradiction quand vous dites que vous êtes dans le désir de votre père et on voit bien que vous ne voulez pas y être en même temps.
Michela : Moi j’ai passé presque quarante de ma vie à essayer d’anticiper les désirs de mon père, là maintenant non, stop ! C’est la seule chose qui a un peu changé mais je n’ai pas très bien vécu qu’après la publication de mon livre mon père ne veuille plus me parler. Si mon père avait lu mon livre il serait différent par rapport à ce que je dis qu’il est. Non il ne l’a pas lu, il m’a dit qu’il l’avait feuilleté mais, il n’aurait pas voulu que je l’écrive.
Ma mère aussi n’aurait pas voulu, c’est parce qu’elle avait peur que cela puisse être utilisé contre moi et quand elle a vu que ce n’était pas aussi important qu’elle le craignait ….. Mais tout le monde est d’accord pour que j’arrête de parler de moi …
Serge : on ne vous a pas encore dit ça !
Michela : non mais la famille de mon père, mon frère, ma mère …
Anna Konrad : Je trouve intéressant que vous parliez de l’anorexie en assumant quelque chose de ce fléau …. Il y a une absence de fixation de ce que serait l’anorexie, de vouloir en identifier la problématique.
Michela : Cela aussi ce sont des choses que j’ai essayé de faire. Ce qui est étonnant c’est la rage que cela suscite entre des gens qui ont des problèmes d’anorexie cela suscite encore beaucoup de violence, on ne comprend pas et on s’énerve.
Mais moi-même je ne comprends plus ! C’est incompréhensible et en même temps au bout d’un moment on se rend compte que l’on se moque complètement de la nourriture, on se demande comment j’ai pu perdre autant de temps autant d’énergie autour de quelque chose qui finalement cachait ce qui faisait mal à l’intérieur. C’est une façon de déplacer complètement…. Il faut encore longtemps avant d’accepter que, me concentrer sur mon rapport à la nourriture, c’est pour ne pas me concentrer sur le vide et l’abîme que j’avais à l’intérieur de moi, car c’est cela qui fait mal. C’est pour cela qu’un autre problème que j’ai rencontré en Italie en parlant avec des psychiatres c’est quand j’ai affirmé qu’il fallait faire attention et ne pas toucher trop vite le symptôme, car le symptôme protège et quand on ne l’a plus on a l’impression que l’on a plus rien, rien d’autre sur lequel s’appuyer …. Moi j’ai fais une tentative de suicide et je l’ai fais, car je crois, dans cette première tranche que j’ai faite on était allé beaucoup trop vite et au bout d’un moment c’était un tel état d’angoisse que j’avais le sentiment que je ne contrôlais plus rien, que j’avais tout perdu, et puis cela s’est rejoué dans la répétition, répétition des rapports avec mon père et ma mère avec un homme , le fameux Alessandro, mais en fait encore une fois je n’avais pas été capable de respecter le fait que je devais prendre du temps.
Silvia Lippi : Indépendamment du fait que beaucoup de chose que vous avez dites me touche particulièrement par rapport à la langue, vivre dans une autre langue, de travailler comme psychanalyste dans une autre langue, mais ce qui me semble intéressant, par exemple, c’est contrôler le symptôme. C’est le point principal et c’est moins, de manger beaucoup ou de ne pas manger, l’important on veut le contrôler. Donc il y a ce point central et ce qui me parait dans nos analyses c’est qu’au début les patients ils sont beaucoup dans ce réel, manger pas manger, qui fais partie de la répétition du déterminisme qui est là. Puis tout d’un coup il y a quelque chose qui change, à partir de cette répétition, à partir de ce contrôle dans ce que Lacan nomme le réel dans sa relation avec la contingence. On parle toujours de la temporalité de l’inconscient à partir de la mémoire du passé, mais il y a aussi du futur il y a comme une temporalité de l’éclair qui surgit et qui fait que les choses sont complètement bouleversées, c’est l’inconscient. C’est-à-dire c’est vraiment une temporalité déconstruite, il y a un futur qui est là au même niveau que tout ce passé qui nous détermine et je pense que dans ces quelques mots que vous avez énoncés concernant ce symptôme, vous en parlez déjà un peu au-delà de ce symptôme tout en étant là. Il y a quelque chose qui n’était pas là et qui est là au titre de l’inconscient.
Françoise Fabre : vous avez dit qu’il y avait des gens très résistants avec votre livre, vous avez été attaquée et si c’est une écriture qui est proche de l’inconscient, dans le processus du fil de l’inconscient, cela rencontre la résistance à l’inconscient de la plupart, sauf exception…. Cela prouve que cette logique de l’inconscient est à l’œuvre et il y a des gens qui souhaitent y rester fermés.
Michela : A contrario des personnes m’ont écrits en me disant qu’ils n’avaient jamais eu de problème d’anorexie et de nourriture pourtant « en lisant votre livre j’ai commencé à pleurer en lisant votre livre du début à la fin, je ne sais pas pourquoi mais cela m’a énormément touché. » Je trouve que dans le « je ne sais pas pourquoi » probablement quelque chose a pu se déclencher parce qu’il y avait une ouverture et non pas une fermeture.
Françoise : je suppose que votre symptôme était l’anorexie mais comme vous le dites la nourriture était un cache misère qui cachait autre chose et vous abordez des points de souffrance qui peuvent trouver écho chez d’autres et qui n’ont pas un symptôme anorexique.
Michela : oui c’était ce qu’il y avait derrière que je voulais raconter. Je pense que je n’aurais pas pu avoir comme symptôme un rapport conflictuel avec l’alcool car c’était l’inverse de ce que je voulais être, c’est-à-dire avoir le contrôle.
En même temps dans la phase où je passais mon temps à manger et vomir je ne contrôlais absolument rien, j’étais dans l’oubli.
Robert : je voudrais revenir sur ce que tu disais tout à l’heure : je devrais un peu m’arrêter de parler de moi ….. Je ne crois pas du tout que tu parles de toi, justement dans ce livre. C’est-à-dire, je reprends ce que dis Françoise, dans la façon dont tu construis cette écriture cela renvoie à des points de souffrance de tout un chacun. Tu parles de ce que l’inconscient peut produire quand il y a souffrance chez un sujet, c’est bien au-delà de toi et de ton histoire. C’est aussi une grande réussite de ce livre, c’est à la fois une histoire personnelle, et en même temps on ne peut pas réduire ton écrit à une histoire personnelle.
Michela : Moi je dirais, la chose centrale c’est la parole, les mots ;
Robert : oui, les signifiants.
Michela : Je ne lis pas bien en français, car je n’ai pas la musique du français, j’ai la musique de l’italien. La raison pour laquelle j’ai écrit ce livre se trouve à la page 164, je peux essayer de le lire : « le plus difficile est de faire comprendre cette souffrance que l’on cache en soi, immense, sans fond qui ne laisse rien transparaître parce que l’on ne voit rien de l’extérieur, aucun signe, aucun indice, aucune explication rationnelle et du dehors tout va bien, on a tout, absolument tout, la beauté, l’intelligence, la sensibilité, la famille, des amis, des diplômes. Tu n’es pas malade et pourtant tu l’es mais dans le seul sens inexplicable du terme, parce que aux yeux des autres c’est toi la cause de ta maladie, toi qui ne veux pas manger, toi qui ne veux pas faire l’effort de sortir de ton monde de folie, toi qui n’arrêtes pas de te plaindre. Essayez ne serait-ce que pour un instant de vous mettre à la place de quelqu’un qui se sent obligé de se justifier en permanence , essayez d’imaginer une vie guidée par le sentiment de devoir toujours faire quelque chose pour lui donner un sens tout en étant persuadée que vous n’y arriverez jamais, que les autres le font mieux, que vous ne valez rien, que vous ne servez à rien , dans ces moments là ce n’est pas la mort qui fais peur mais la vie parce que la mort elle libère de cet enfer qui anéantit. »
Je l’ai lu très mal mais ce sont les mots que je n’ai pas eu pendant longtemps pour expliquer ce qu’il y avait à l’intérieur de moi qui n’allait pas quand à l’extérieur tout paraissait normal. Sauf que tout était parfait mais je n’avais absolument rien. C’était les mots pour raconter ça.