9-Paris-Catherine Delarue "Mémoire oubliée…mémoire trouée"

Introduction : Dans ce travail il s’agira de se dégager de la question d’une mémoire qui resterait inscrite en creux dans une perspective freudienne et l’absence de mémoire qui elle fait trou et nous aborderons ce thème avec le texte de Marguerite Duras « le ravissement de LolV.Stein » et l’hommage que Lacan va lui rendre. D’où l’hypothèse de deux mémoires qui ne sont pas antagonistes.

 

Freud : pour commencer je fais faire appel à un temps de cure d’une analysante qui à partir de rêves récurrents va construire, reconstruire des évènements autour d’un trauma sexuel éventuel de son enfance dont dans un premier temps elle n’avait aucun souvenir, elle a procédé tel Sherlock Holmes sur la piste de traces oubliées, refoulées.
Vignette clinique. ( non publiable)
Il me semble que Freud dans sa correspondance avec Fliess nous donne un témoignage de son expérience liée à sa recherche entre la réalité, la fiction et l’oubli..
Dans le manuscrit accompagnant la lettre du 25 mai 1897 il écrit : « les fantasmes se produisent par une combinaison inconsciente de choses vécues et de choses entendues …. Suivant certaines tendances. Ces tendances visent à rendre inaccessibles les souvenirs qui ont pu ou pourraient donner naissance aux symptômes. » Une béance est, donc, constitutive du texte de l’inconscient. Il insiste sur la fragmentation du souvenir : « un fragment de la scène vue se trouve ainsi relié à un fragment de la scène entendue pour former un fantasme, tandis que le fragment non utilisé entre dans une autre combinaison. Ce processus rend impossible la découverte de la connexion originelle. » Très vite il pose la nécessité d’une origine inaccessible le refoulement originaire sur lequel viendront se greffer les refoulements secondaires où la représentation est refoulée et l’affect libéré va venir s’associer, se lier à d’autres représentations là où il n’est pas attendu. Ce qui semble se perdre serait occasionné par des connections trompeuses pouvant rendre inaccessibles des traces ? des fragments ? une lettre ?
Dans sa lettre du 21-9-1897 il écrit : « Je ne crois plus à ma neurotica, ce qui ne saurais être compris sans explication » entre autre par « la surprise de constater que, dans chacun des cas, il fallait accuser le père de perversion …. Alors qu’une telle généralisation des actes pervers commis envers des enfants semblait peu croyable… » Enfin : « la conviction qu’il n’existe dans l’inconscient aucun indice de réalité de telle sorte qu’il est impossible de distinguer l’une de l’autre la vérité et la fiction investie d’affects ». Voilà qui n’a pas été sans me réinterroger sur ma patiente, je vacillais, est-ce si définif de ne pouvoir distinguer, la fiction de la réalité, dans la perspective d’un impossible retour ?
Dans sa lettre du 3 et 4 octobre de la même année il précise « Il faut que je me contente d’indiquer, premièrement que dans mon cas, le père n’a joué aucun rôle,. »Abandonnerait-il la théorie de la séduction pour épargner l’image de son père ? Je me disais que ma patiente n’avait pas reculée devant cette éventualité, et c’est le silence de son père qui me faisait douter, si le père avait rompu le silence alors la perspective du fantasme n’était pas à évincer.
Cf. Rêve (chapitre 5 dans l’interprétation des rêves) de la vielle femme et les associations attenantes : « j’ignore tout encore des scènes sur lesquelles se fonde toute cette histoire » et dans ce sens il garde un espoir et il ajoute « Si je parviens à les retrouver et à liquider ma propre hystérie etc. …. Tu vois ma vielle tendance réapparait une fois de plus. Je ne puis te donner la moindre idée de la beauté de ce travail. » Il ne renonce pas à cerner pourrait-on dire la trace du souvenir « fondateur » …. « Si je parviens à les retrouver « ….. N’est-ce pas ce qui anime certaines cures ? cf l’homme aux loups, (1918) où il ne renonce pas à traquer la lettre pour retrouver la scène traumatisante jusqu’à vouloir la dater.
Si nous revenons un peu en arrière en 1895 avec le rêve de l’injection faite à Irma dans lequel il précise en note : « il y a dans tout rêve de l’inexpliqué, il participe de l’inconnaissable. » Il aborde là la question dite de l’ombilic du rêve, signifiant avant l’heure du réel en tout les cas du non-reconnu lié à la question du refoulement originaire ou primordial ou quelque chose va se spécifier de ne pouvoir être dit et ne fera jamais retour ? Il s’agirait d’un trou à la limite de l’analyse qui évoque le réel mais là j’anticipe sur la mémoire trouée. Freud dans sa recherche semble à la limite de cette réflexion et certes il est très ferme sur la question du refoulement originaire, sur le fantasme comme une combinaison langagière et grammaticale inconsciente qui se construit sur des souvenirs inaccessibles qui serait la logique même de l’inconscient et en même temps il est toujours tenté de revenir à ses vielles tendances cf lettres de 1897) …. Et ce questionnement pour moi n’est pas sans écho tant il est difficile parfois de se soumettre à la loi du réel !si le réel ne cesse pas de ne pas s’écrire est-ce à dire que la trace d’une écriture cesse de s’écrire et reste gravée ?

Cela amène à quelques questions : quels seraient le statut de ces inscriptions, de ces écritures inconscientes qui produisent des indices, des traces, une lettre qui permettraient de reconstruire des fragments d’une histoire et pour ma patiente d’approcher le traumatique en l’absence de toute scène et de tout appareillage imaginaire ? il me semble que Freud n’a jamais vraiment tranché nettement sur cette question entre ce qu’il en serait d’une vérité historique et le fantasme qui semble se nourrir de fragments déconnectés de la perception première. Si on reprend son texte sur un enfant est battu en 1919 donc bien après avec sa correspondance avec Fliess certes il en dégage l’articulation toujours inconsciente, deuxième temps du fantasme « mon père me bat donc il m’aime » tout en précisant que ce fantasme s’origine toujours et non pas quelque fois d’une scène vue dans l’enfance mettant en perspective une scène de violence équivalent d’une scène sexuelle. (cf. termes du manuscrit de 1897) Cette scène vue n’a pas été symbolisée et remonte à un temps où l’enfant a été bombardé par le réel, pour reprendre la façon dont nous avions abordé cette question l’année ou nous avons travaillé sur la question du réel.
Y auraient-ils des archives sous scellées, des lettres en poste restante, consignées non symbolisées ? et en étant provocante du symbolique non symbolisé dans le Réel ? Un lieu de l’Autre laissant un tatouage indélébile, une marque trouvant souvent son ancrage dans le corps ? (la patiente dont je parle présentait à l’époque de nombreuses manifestations somatiques gravement invalidantes pour certaines et qui ont cessé au fil des séances).
Dernière remarque avant de s’avancer dans le bloc note magique il est intéressant de noter que lorsque Freud découvre que sa relation avec la vielle gouvernante prendra fin quand la mère de Freud dévoilera que cette dernière lui volait de l’argent, et bien peu de temps après Fliess accuse Freud de lui voler ses idées ….. Ou encore effet de la lettre sur le sujet tel le préfet dans la lettre volée qui se féminise quand il détient la fameuse lettre dérobée à la reine ! On n’est pas sans remarquer que de la gouvernante qui dérobe sa patronne, de Freud qui déroberait les idées de Fliess ou du préfet qui a dérobé la lettre on assiste à un tour de passe- passe , d’escamotage qui se perpétue, le furet court et se dérobe à son tour en affectant le sujet à chacun de ses passages. Est-ce là les manifestations de l’inconscient au fil de traces et de leurs effets affecterai
t le sujet de l’inconscient?
Bloc notes magique ; 1925
Le texte commence ainsi : « Si je n’ai pas confiance en ma mémoire je peux y remédier en prenant des notes par écrit… », Les termes sont posés : mémoire, écrit qui suppose l’acte de la trace de l’écriture. Le support qui conserve ces notes pourraient être comparées « à un fragment matérialisé de l’appareil psychique » pour autant qu’il s’agisse de fragments cela signifie que même un écrit est affecté par la perte et le refoulement ! Il n’y a aucune garantie qu’un écrit ne pourra échapper aux déformations de la mémoire.

Freud utilise la métaphore concernant deux supports une surface plane avec pour agent un stylo et un tableau avec pour agent une craie.
« Je puis d’abord choisir une surface plane qui gardera indéfiniment intactes les notes qui lui sont confiées … je conserve alors une trace mnésique durable.
La feuille de papier va vite être saturée et la saturation par manque du manque invalide toute pensée qu’elle soit inconsciente ou pas. La mémoire deviendrait une sorte d’encyclopédie invalidante où le langage serait purement fonctionnel assurant la disparition du sujet de l’inconscient. En continuant sur cette métaphore freudienne il faut donc avoir recours à une autre page, autant dire une feuille vierge, c’est-à-dire vide. Quant à la question de l’assurance de la trace durable elle est fonction de l’intérêt que lui porte l’auteur ….. Autant dire qu’elle n’échappe pas au refoulement ! Et de plus elles se perdent. La page vide tend à indiquer qu’il faut du manque pour penser, l’oubli est constitutif de la mémoire, sans oubli il n’y a pas de mémoire et donc pas d’inconscient.
2ème procédé : écrire sur un tableau avec de la craie : « soit une surface plane réceptive qui reste indéfiniment capable de réception …. Si je veux inscrire de nouvelles notes je dois effacer celles dont il est déjà couvert », ce procédé semble plus intéressant car il assure un effacement qui fera barrage à la folie de tout vouloir garder, mais l’effacement est radical pour autant est-ce qu’il en reste rien comme le propose Freud ? Il aurait pu invoquer la question des souvenirs inaccessibles, comme métaphore du refoulement primordial, mais il ne le fait pas.
donc conclut Freud : « capacité illimitée et conservation de traces durables semblent s’exclure mutuellement dans les dispositifs par lesquels nous remplaçons notre mémoire, ou bien la surface réceptrice doit être renouvelée ou bien les notes détruites», dans les deux occurrences il faut repartir de rien, soit la page vierge, soit l’effacement et cela m’a semblé qu’à notre époque d’internet, Google et Cie cela garde toute sa fraicheur et sa pertinence. Celui qui n’oublierait rien est fou, si tout doit être là sans refoulement, pas de fonction métaphorique possible, la métonymie à la rigueur pourrait y trouver sa place. Ne vivons-nous pas dans un environnement qui voudrait croire à cette illusion d’une mémoire illimitée qui pourrait tout conserver ne laissant plus aucune place au sujet de l’inconscient ? Temps de la fiction de la transparence !
Ces procédés semblent relever d’une séparation radicale entre l’écriture et l’écrit pour ne retenir que l’écrit. Peut-on penser qu’il y aurait un décapitonnage entre l’écrit et d l’écriture ? D’où la question de la trace de l’écriture qui se décolle du sens de l’écrit et qui en serait l’initiatrice sans jamais s’écrire.
D’ où la métaphore du bloc notes magique : il est composé non pas d’une seule surface mais de plusieurs, en l’occurrence trois, c’est-à-dire d’un morceau de cire foncé lui-même recouvert d’une feuille mince et transparente,
qui comporte deux couches qui peuvent être séparées l’une de l’autre,
la partie supérieure étant un feuillet celluloïd transparent et
l’inférieur un papier ciré mince et translucide et
c’est cette dernière couche qui adhère à la face supérieure du tableau de cire.
Cela n’est pas un hasard si Freud décrit avec autant de minutie cet appareillage qui ressemble à son dispositif conscient-préconscient inconscient. L’agent de l’inscription est différent, c’est un stylet qui grave tout autant qu’il écrit, l’inscription s’associe à l’écrit d’où l’effet d’écriture « le stylet raye la surface où l’écriture s’inscrit en creux » …. Une écriture en creux, où présence de la trace en creux c’est comme un début de réponse à mes questions sur le statut de la trace, Il y aurait un lieu de la trace en creux dans cette perspective freudienne mais une empreinte qui ne s’efface pas totalement, elle est altérée.
Avec l’ardoise magique c’est par l’action d’un agent qu’un écrit apparait sur la couche supérieure qui permet une adhésion avec la couche inférieure provocant une inscription plus ou moins partielle d’une écriture qui reste gravées et je cite Freud « si l’on veut détruire l’inscription il n’y a qu’à séparer du tableau de cire la feuille recouvrante avec ses deux couches …..le contact est maintenant rompu et il ne se rétablira pas. » C’est la connexion et le contact qui sont rompus rendant certaines traces illisibles voire inaccessibles. La trace reste mais le contact est rompu, pour autant cette trace est-elle inaccessible, ne peut-elle faire retour par d’autres voies ? D’où l’importance de différencier refoulement primaire et les refoulements secondaires qui s’origineraient d’un lieu inaccessible. Cette séparation radicale, ce décollement entre l’écrit et l’écriture n’est pas sans évoquer le décapitonnage entre signifiant et signifié. Où traces d’une mémoire oubliée mais pas sans laisser un sillage derrière elle.
« le bloc notes magique est alors libre d’inscription et prêt à recevoir de nouvelles notes », la trace durable de l’écriture est conservée sur le tableau de cire. Le bloc note magique offre une surface réceptrice toujours réutilisable comme le tableau mais en conservant des traces durables de l’inscription première. Lieu de la conservation comme dans un musée.
« Il résout le problème que pose l’union des deux fonctions, en les répartissant entre deux parties constitutives, ou systèmes, distinctes mais reliées l’une à l’autre. » a savoir le système Pc-Cs ne forme pas de traces durables ; ce qui fonde les souvenirs se produit dans d’autres systèmes avoisinants »
Qu’est ce qui fonde les traces durables ? Comment s’opère la sélection ? Mais en tout état de cause il est évident que le tableau de cire du bloc notes magique n’est pas en mesure de reproduire l’écrit de la face supérieure une fois qu’il est effacé, que le contact est rompu. Ce ne sont que des restes d’un écrit, une écriture qui conserverait ses signes, ses chiffres, ses lettres, mots tronqués, ce qui ne peut être conservés, où mémoire oubliée mais pour autant agissante et tel un chien dans un jeu de quilles venant bousculer la belle ordonnance de l’écrit.
Freud en viens à «assimiler le tableau de cire à l’inconscient » qui serait donc le lieu d’une mémoire oubliée inaccessibles souvenirs comme il écrivait en 1897, mais qui en garde la trace en creux.
Freud écrit : « l’écriture disparait chaque fois qu’est rompu le contact étroit entre le papier qui reçoit le stimulus et le tableau de cire qui conserve l’impression », je reprendrais les choses à mon compte en proposant que lorsque le contact est rompu c’est l’écrit qui disparait e et c’est le tableau de cire qui conserve les traces d’une écriture déconstruite amenant éventuellement un autre écrit, en somme une construction, une reconstruction, tel un fantasme par exemple. Il est intéressant de noter que nous sommes passés, en survolant les textes de Freud entre 1895 et 1915, des souvenirs inaccessibles à l’écriture qui disparait dans la couche inférieure du bloc note magique, métaphore pointant l’inconscient.
La mémoire trouée

Avant de m’avancer dans le texte de M.Duras «
le ravissement de Lol V. Stein » je voudrais lire en préambule ces quelques mots de Lacan dans l’hommage qu’il lui rend : « je pense que, même si Marguerite Duras me fait tenir de sa bouche qu’elle ne sait pas dans toute son œuvre d’où Lol lui vient, …. Le seul avantage qu’un psychanalyste ait le droit de prendre de sa position, lui fût-elle donc reconnue comme telle, c’est de se rappeler avec Freud qu’en sa matière, l’artiste toujours le précède et qu’il n’a donc pas à faire le psychologue là ou l’artiste lui fraie la voie ( pour ma gouverne à bon entendeur salut !)

Lol V. Stein est une jeune fille vivant en Angleterre fiancée à un homme, objet d’une folle passion Michaël Richardson de bonne famille et ils doivent se marier. Ils se rendent à un bal à T.beach et quand les festivités battent leur plein arrive une femme, Anne Marie Stretter accompagnée de sa fille et là Lol assiste à cet amour naissant, Marguerite Duras dira dans une interview « elle a vu la chose jusqu’à se perdre elle –même, elle a oublié qu’on ne l’aimait plus, elle est dans un anéantissement admirable (cf ravissement) de voir son amour s’éprendre d’une autre ». A ce moment elle est accompagnée de son amie d’enfance, Tatiana Karl, et elle ne souffre pas du détournement de son fiancé, en fait elle souffre d’être séparée d’eux qu’elle tient sous son regard durant toute cette scène, elle n’en sera séparée que par l’arrivée et les cris de sa mère. M.Duras dira : « elle aurait voulu les voir tout voir dans l’oubli d’elle –même absolu … » cet oubli d’elle même absolu en le disant avec beaucoup moins de talent ne serais-ce pas l’atteinte de la métaphore du sujet dans un moment suspendu de jouissance qui fait trou ?
Elle sombre dans une grave dépression jusqu’à ce qu’un homme la choisisse, elle se marie sans choix « parce que l’on a bien voulu d’elle », elle n’y est déjà plus. Elle aura trois filles et elle vivra « calmement » dit Duras « dans une folie négative »
Au terme de ces dix années elle retourne habiter dans la ville de son enfance et là elle voit un couple passer près de sa maison et elle croit reconnaitre la femme mais sans une reconnaissance véritablement identifiée et précise, un reste de vague souvenir. A partir de ce moment elle effectue de grandes promenades dans la ville, proche d’une errance, sans vraiment savoir ce qu’elle cherche …. Et un jour elle trouve …. Elle trouve un homme qui sort d’un cinéma, elle le suit car elle a reconnu l’homme du couple. Il va retrouver une femme, elle en a la certitude, il se rend dans un hôtel de passe à la limite de la ville, dernière limite face à un champ de seigle et cette femme n’est autre que Tatiana, le témoin de la scène du bal. Le triangle du bal se reforme avec une autre femme, un autre homme et Lol toujours clouée par le regard. Cette dernière limite représentée par ce champ de seigle semble être également celle de Lol en tant que sujet se réduisant à ce regard. Que regarde-t-elle ? Perdue au milieu de nulle part c’est son regard sur la fenêtre qui la raccroche encore à un bout de réalité.
Lol reste devant la fenêtre ou se trouve les amants et elle y reste jusqu’à leur départ. Elle recontacte son amie et fais la rencontre de l’amant, Jacques Hold qui est également le narrateur, il tombe amoureux de Lol, plus exactement en reprenant les termes Lacan : « lui, non plus, n’est pas ce qu’il parait quand je dis la voix du récit. Bien plutôt est-il son angoisse. …. Est-ce la sienne ou celle du récit ? »
Elle noue une relation ambigüe avec cet homme et elle retourne avec lui sur le lieu du bal , ils passent la nuit ensemble, mais ce qu’il n’ a pas compris c’est que le désir de Lol c’est le besoin de voir, voir les autres elle ne peut vivre à son propre compte et quand elle franchit la limite de la fenêtre pour se retrouver dans une chambre avec celui qui est l’amant de son amie Lol deviens folle et la dernière crise est provoquée par ce renversement dont Duras dira « elle s’appelle de tous les noms, elle ne s’identifie plus. » entre autre elle s’appelle Tatiana.
Dans quelles conditions M.Duras écrit-elle se livre ? Dans son interview avec Pierre Dumayet elle précise que c’est la première fois qu’elle écrit sans alcool et « j’avais » dit-elle « bien plus peur que d’habitude, peur d’écrire n’importe quoi ». Elle dira également : « d’habitude quand je fais un livre je sais à peu près ce que j’ai fait, j’en suis quand même le lecteur … là non. Quand j’ai fait Lol V.Stein ça m’a complètement échappé. » On peut entendre là la pointe aimantée de l’écriture venant produire un écrit.

Elle rencontre celle qui deviendra Lol dans un bal à Noël dans un hôpital psychiatrique, elle dira dans un asile. Elle était comme une automate, « belle et intacte physiquement, pas marquée par la maladie ». Elle va, pendant une journée essayée de la faire parler mais dit-«elle elle a parlé avec une banalité remarquable, elle a parlé pour paraître et plus elle le faisait plus elle était singulière à mes yeux, la folie devenait plus familière sans alcool »
D’emblée Lol est marquée du signe de l’oubli, Tatiana dit d’elle, « Il manquait déjà quelque chose à Lol pour être – elle dit : là. Elle perdait la mémoire d’elle-même à la moindre occasion » Il semble qu’elle se soit avance dans la vie autour d’un manque, d’un vide, « figure de blessée, exilée des choses …. » dira Lacan dans son hommage adressé à Marguerite Duras.
Dans cette scène quasi initiatique, traumatique du bal Lol ne souffre pas et à la vision de l’abandon et on peut lire : « cette vision et cette certitude ne parurent pas s’accompagner de souffrance … la souffrance n’avait pas trouvé en elle à se glisser», comme si l’imaginaire l’avait abandonné, prise dans une scène sous le sceau du réel.

Cet oubli d’elle-même se double de l’oubli de sa douleur quand elle est abandonnée. Un espace s’ouvre que les mots semblent inadéquats pour désigner ce que Duras propose de nommer « ravissement » en tant que psychanalyste c’est le mot jouissance qui surgit et que Duras fait entendre dans cet « anéantissement admirable. » « Anéantissement de velours de sa personne Lol n’a jamais réussi à le mener à son terme »; cet anéantissement dans le ravissement, dans la jouissance serait un des effets de la mémoire trouée. Il ne s’agit plus de refoulement, mais d’effondrement psychique, il n’y a pas oubli mais perte. Perte du tout du rien.
La question est de savoir si cette scène va faire fonction de fantasme ? C’est à partir d’un détail du texte, la petite robe noire AMS : « elle avait vêtue cette maigreur d’une robe noire à double fourreau de tulle également noire, très décolletée. Elle se voulait ainsi faite et vêtue, et elle l’était à son souhait, irrévocablement …. Telle elle apparaissait, telle, désormais, elle mourrait, avec son corps désiré », c’est dans la robe noire que Lacan y décèle l’amorce d’un fantasme dit-il où Lol s’accroche et dont elle n’a pu trouver le mot, ce mot qui l’aurait jointe à ce couple naissant « au moment où son amant eût enlevé la robe noir de la femme et dévoile sa nudité. », d’ailleurs MD dans son interview avec PDumayet précise que Lol aurait voulu tout voir jusqu’à l’accouplement dit-elle, ce qui ne se recouvre pas avec la remarque de Lacan et pose la question de la différence avec la perspective du fantasme au sens freudien. Marguerite Duras pointe le fantasme de la scène primitive et en extrapolant nous pourrions y déceler la question de Lol sur le désir non pas de son fiancé mais sur celui de la femme ravisseuse ; au total dans une problématique commune à l’hystérie, la belle bouchère n’est pas dans cette position ? Lol est-elle psychotique, hystérique ? Dans ce temps du désarrimage de la question phallique s’agit-il d’un moment forclusif quand la métaphore du sujet est touchée ou d’une forclusion du nom du père ? Pour ma part je pense qu’il s’agit d’avantage d’un mome
nt forclusif qui permettre un nouage qui va durer 10 ans et s’effondrera quand Lol se retrouvera propulsée comme objet.
Le personnage de Lol nous fais poser la question d’une mémoire qui ne serait pas de l’ordre de l’oubli au sens freudien mais qui prendrai son appui du côté du réel, de l’impensable. Lacan dans son hommage va beaucoup insister sur la dimension du regard ce qui lui permet d’aborder la question du fantasme sous un autre abord. Voilà ce qu’il dit : « N’est-ce pas assez pour que nous reconnaissions ce qui est arrivé à Lol et qui révèle ce qu’il en est de l’amour ; soit de cette image, image de soi dont l’autre vous revêt et, qui vous habille, et qui vous laisse quand vous en êtes dérobée, quoi être sous ? Qu’en dire quand ce soir là, Lol toute à votre passion de dix neuf ans, votre prise de robe et que votre nudité était dessus, à lui donner son éclat ? » Il fait la proposition que ce qui se voit dans la scène de Lol V.Stein avec son fiancé de l’époque c’est quelque chose qui est de l’ordre d’une nudité qui ne renvoie à rien, c’est une façon d’âtre dépouillée car une fois la robe enlevée il n’y a rien en dessous au sens d’un phénomène qui fais trou. Il envisage la scène du fantasme et de la scène primitive de façon différente de celle de Freud qui lui renvoie le fonctionnement et la constitution du fantasme sur un évènement qui c’est bien produit mais qui ne reviendra jamais à la mémoire en tant que tel tout en laissant une trace. Il pourra se répéter nombre de fois dans un scénario identique avec des personnes différentes mais l’auteur du fantasme ne se souviendra jamais de la scène réelle et dans cette construction il n’y a pas de trou, c’est une scène oubliée qui ne reviendra jamais mais ce n’est pas un trou.
Lacan amène la question par une autre occurrence : si Lol s’effondre c’est qu’au total sa fascination pour la scène du bal ne renvoie, pour elle, à rien du tout. Elle aurait voulu tout voir, nous dit M.Duras, mais au terme de ce tout il n’y a rien et c’est là une autre façon de d’envisager la question de la mémoire. Quelque chose se dérobe à Lol, sous cette robe la nudité ne la renvoie à rien, cela fais trou, peut-être peut-on évoquer là la question de l’inquiétante étrangeté ? Marguerite Duras nous introduit avec Lol dans l’ordre de l’impensable, cette scène c’est comme du réel figé et à la fin quand la scène se déconstruit il n’y a plus d’imaginaire, il y a rien. Pour avoir été le centre de tous les regards elle ne sent plus rien. Cette scène n’est pas une scène première du fantasme, cela serait plutôt l’émergence de cette sensation de n’être rien prise dans le regard de tous et peut-être qu’elle retrouve à ce moment là cette petite fille dont on disait « qu’elle perdait la mémoire d’elle-même à la moindre occasion » et c’est ce rien qui viens faire trou dans ce moment de la scène du bal. C’est ce rien qui lui donne consistance et qui la fascine dans ce temps du ravissement. Quand elle est fascinée elle est encore en position de sujet qu’elle tentera de maintenir pendant dix ans, mais tout va se défaire quand elle redeviendra , à l’hôtel avec Jacques Hold, l’objet prise dans la mise en acte de la scène et à ce moment là elle devient folle.
Lol est au-delà de la souffrance, de l’angoisse, et ce qui semble faire nœud pour elle c’est l’éternité de cette scène, dans cette triangulation, où l’homme qu’elle aime est séduit, ravi par une autre, comme le dit Duras elle veut voir, tout voir et rester en suspens dans ce temps hors du temps. « Il ne reste de cette minute que son temps pur, d’une blancheur d’os ». Autant dire que l’imaginaire fait défaut, ce qui fait tenir la structure serait le rapport de la lettre Lol Stein avec le réel « d’une blancheur d’os » ? La lettre dernier support du sujet.
Qu’en dit Lacan de ce Lol V Stein ? « Du ravissement, ce mot nous fait énigme. Est-il objectif ou subjectif à ce que Lol V Stein le détermine ? » « Les deux mouvements pourtant se nouent dans un chiffre qui se révèle de ce nom savamment formé, au contour de l’écrire : Lol V Stein. »
« Lol V. Stein : ailes de papier, V ciseaux, Stein, la pierre, au jeu de la mourre tu te perds.
V dans le langage des sourds veut dire « couper », couper les ailes ? la lettre dernier signifiant représentant le sujet ? Ce V ne pouvait pas ne pas faire penser à ce temps de l’analyse de l’homme aux loups où Freud en tant que psychanalyste chercheur pousse sa construction jusqu’à tente de fixer l’instant traumatique dans l’infantile du sujet jusqu’à sa dernière limite c’est-à-dire dans ce V chargée de plusieurs associations et constructions. Freud inépuisable chercheur de la trace, de l’écriture en creux.
Elle pourra soutenir cette position dix ans : « elle recommence le passé, elle l’ordonne, dans les multiples aspects du bal de T.Beach c’est la fin qui retient Lol » « Quand l’aurore arrive … (cela) la sépare du couple que formait Michaël Ridcharson et Anne Marie Stretter pour toujours. Lol progresse chaque jour dans la reconstitution de cet instant … ce qu’elle rebâtit c’est la fin du monde. » Il s’agit bien de la reconstitution d’un instant et non pas d’un fantasme pour éviter l’effondrement psychique.
Ce moment semble faire nœud pour que la structure ne s’écroule pas mais elle ne peut rien en faire au titre d’un fantasme cet instant ouvre pour elle l’inconnu car « elle ne dispose d’aucun souvenir même imaginaire, elle n’a aucune idée sur cet inconnu », mémoire trouée à défaut d’imaginaire autour d’un scène non élaborée, plus du registre du réel que du fantasme dans lequel « il faut se compter trois » dit Lacan Et dix ans passent …comme frappée par une scène ne donnant lieue à aucune prise symbolique qui viendrai trouer le réel, temps de la folie négative évoquée par MD .
Cet instant, temps du traumatisme, n’est pas nommable et il semble que le texte se dérobe même pour son auteur car on se trouve privé du langage qui serait à même de signifier ce qu’elle est. Marguerite Duras passe par une écriture qui en reste au seuil de l’identité de Lol « ne rien savoir de Lol était la connaître déjà » et Lol n’a pas accès au langage qui saurait mettre en mot son histoire, elle se tait. M. Duras traite cette impossibilité et c’est peut-être ce qu’elle tente d’écrire dans cette histoire c’est « cet innommable faute d’un mot. »
« C’aurait été un mot –absence, un mot trou, creusé en son centre d’un trou, de ce trou où tous les autres mots auraient été enterrés. On aurait pu le dire mais on aurait pu le faire résonner…..il aurait retenu ceux qui voulaient partir, il les aurait convaincu de l’impossible … En une fois il les aurait nommés eux, l’avenir et l’instant …. Ce mot qui n’existe pas, pourtant est là : il vous attend au tournant du langage. » Marguerite Duras dira dans un livre qui vient de paraitre « la passion suspendue » : « tous mes livres naissent et se meuvent précisément autour d’une case toujours évoquée et toujours manquante ».Ne s’agit-il pas de faire résonner entre les lignes du récit l’écho de ce mot trou qui contamine le langage ? Ce mot qui est toujours là sans jamais l’être, qui ne cesse pas de ne pas s’écrire et qui peut-être est sous la plume de l’écrivain dans une fuite d’écrits tentant de cerner la chose sans jamais y parvenir.
C’est le retour du couple qu’elle va épier qui va relancer cet arrêt sur image où part congrue de l’imaginaire, jusqu’à l’effraction finale qui la fera basculer dans la folie. Il me semble que dans l’abandon amoureux il peut se produire un dessaisissement phallique, n’être plus l’objet du désir de l’Autre pouvant conduire à cet anéantissement, cette jouissance non plus phallique, mais cet autre jouissance qui échappe justement à l’emprise phallique et qui relève plus spécifiquement du féminin au sens des formules de la sexuation et non pas de l’anatomie Malgré tout il me semble que cela concerne plus les femmes qui dans la pas
sion amoureuse sous le signe de l’abandon peuvent mener la jouissance dans l’anéantissement jusqu’au seuil de la mort. Ce qui semble faire nœud pour Lol ce n’est pas tant la trahison, que la vision de cette scène où l’homme qui la désirait en désire une autre et qui le lui ravi et c’est ce désir là qu’elle épie mais qu’elle ne questionne pas, elle l’agit par le regard. Lacan écrit : « Elle n’est pas le voyeur. Ce qui se passe la réalise » raison pour laquelle le terme fantasme me semble impropre et invalide la possibilité d’une position hystérique.
Lorsque, dix ans après, elle sera propulsée non plus comme celle qui regarde mais comme celle qui, justement agit, la triangulation éclate, ce réel lié à la lettre qui la tenait dans une folie négative ne fait plus support, ce support vole en éclat, le nœud se défait, de l’oubli elle tombe dans un trou où la métaphore du sujet est atteinte. En effet elle s’appelle Lola Valérie Stein et c’est elle qui se fera nommer Lol V Stein et quand elle se met à délirer elle se nomme du nom de Tatiana Karl dans un délire à teneur persécutive=, la police est en bas, on bat des gens dans l’escalier. Son amant d’un soir à vouloir réaliser son fantasme « ils seront de moins en moins l’un à l’autre » dira Lacan « et il se contente de lui donner une conscience d’être qui se soutient en dehors d’elle, en Tatiana ».
N’est-il pas question dans ce texte de la limite entre le réel et la lettre dont nous parlait Robert Lévy il y a quinze jours, en ce point qui évacue l’imaginaire ? Il me semble que MD tente de cerner cette inscription où l’imaginaire n’a plus sa place. Elle tente de cerner dans son écriture quelque chose qui n’est pas pensable, et n’est-ce pas là à quoi nous nous heurtons dans les analyses ? Comment avoir un accès afin de formuler quelque chose de cette l’inscription de cette lettre dans l’inconscient puisque cela nous met hors de la portée de l’imaginaire ? Si nous ne pouvons le penser comment y accéder ? Lol ne dit pas les choses mais ce sont les choses vues qui la réalisent …. Y a-t-il encore du sujet dans le réel ? C’est par l’introduction du réel et des nœuds borroméens, comme nous le disait Robert, qu’il y aurait une possibilité d’inscrire une lettre, et Lacan toujours dans son hommage à MD évoque le nouage qui se défait à la fin, mais ce nouage pour Lol qu’est ce qui le fait tenir ? Le ravissement, l’écriture du nom de Lol en Lol Stein et non plus Lola Valérie Stein ? le ravissement cesse dès que Lol ne trouve plus le support d’une scène figée et Lol V Stein se nom Tatiana, nom de l’autre dont elle questionnait le désir.
Je voudrais conclure avec les mots de MD dans la « passion suspendue » : » c’est l’oubli, le vide, la mémoire véritable. Le souvenir ? Ce qu’il es reste c’est le superflu, le reste demeure obscur au point de ne plus pouvoir être évoqué. ….. L’acte d’oublier est nécessaire …. » N’est pas là ce que Freud nous transmet également dans son texte sur le bloc notes magique ? Peut-être que la mémoire oubliée et la mémoire trouée peuvent se nouer dans une problématique récursive pouvant affecter le sujet en fonction de la structure subjective de chacun

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