4-Robert Lévy"délire et construction dans l'interprétation"

Nous allons pouvoir envisager la suite du séminaire de cette année, en particulier celui de ce soir, grâce à l’apport important de l’article de Freud sur « Construction dans la psychanalyse ».

Article que j’ai lu il y a longtemps, qui me semblait lointain et dont je n’avais retenu, d’une part, que la métaphore de la construction d’un bâtiment dont on retrouverait les vestiges et, d’autre part, la comparaison entre la construction de l’analyste et l’éventualité d’un délire de ce dernier. En fait, cet article se révèle plus important et plus intéressant que ces deux aspects et il a le mérite de reprendre la question du délire comme structure par rapport à l’interprétation. Freud pose la question concernant la nature du délire qui, en lui-même, est déjà une forme d’interprétation. Il nous faudra différencier la question de construction de celle d’interprétation et nous acheminer vers la nécessité de préciser la structure de l’interprétation en psychanalyse. C’est un texte que je qualifierais de fin de vie puisqu’il date de 1937, époque au cours de laquelle Freud tente de transmettre sa technique dans la perspective d’une méthodologie de l’acte analytique. Il a également l’intérêt de ne pas éviter la question fondamentale de l’assentiment ou du désaccord du patient sur l’interprétation du psychanalyste. Dans ce texte, Freud tente également de préciser la valeur scientifique de l’interprétation, son argumentation nous permettant d’ouvrir un des chapitres les plus essentiels sur ce thème. En effet, les détracteurs de l’analyse prétendent que les interprétations de l’analyste sont toujours justes ; en effet, que le patient approuve ou désapprouve la valeur de l’interprétation, l’analyste s’en sortira toujours, car il est en mesure de prétendre que le « oui » ou le « non » ne détiennent pas plus d’importance l’un que l’autre.

Ce texte présente le mérite de tenter de répondre à la question concernant l’objectivité d’une interprétation et à la question de l’éventuel abus de pouvoir dont le patient pourrait faire l’objet de la part de son analyste. À ce sujet et en son temps, Piera Aulagnier décrivait très bien cette problématique en ces termes : « Le roc contre lequel risquent de buter l’analyste et sa fonction est représenté d’abord par cette absence d’un quelconque signal dont on serait sûr de l’objectivité et qui viendrait nous avertir que nous sommes en train d’abuser de notre pouvoir. L’analyste peut, souvent à raison, entendre telle critique, telle objection comme des manifestations transférentielles mais il peut aussi se servir de cette interprétation pour se voiler ses propres abus. Faut-il rappeler que rien ne nous assure que du pouvoir que nous offre le transfert nous n’en abusions pas, que tout me fait penser qu’il arrive toujours des moments où nous en abusons et qu’en toute bonne foi on réussira parfois à justifier théoriquement les après coup, les conséquences chez l’autre des effets de nos erreurs. » Je trouve cette remarque intéressante, juste, et j’ajouterai que cette question est tout aussi préoccupante dans les institutions psychanalytiques. Quant à la bonne foi que Piera Aulagnier invoque dans ce texte, cela m’apparaît très suspect quant à la cure car si l’on croit à l’inconscient, comment croire à la bonne foi ?

C’est donc un petit traité de l’acte analytique que Freud nous livre tout en n’évitant pas d’évoquer les risques de la pratique analytique. Lorsque nous forgeons nos constructions pour les transmettre au patient, ne faisons-nous pas fausse route en compromettant nos chances de réussite dans la poursuite de la cure en lui transmettant une construction, une interprétation inexacte ? De plus, la construction et son acte peuvent avoir le même effet qu’un délire puisqu’ils révèlent tous les deux une vérité historique qui agit aussi bien dans le délire que dans le souvenir refoulé.

Je vais revenir longuement sur le thème de la vérité historique, du souvenir historique. Ce que Freud déploie dans ce texte est une question importante. Dans le délire, qu’en est-il de la vérité historique ? Je vais tenter d’y revenir à la fin du déroulement de cet exposé.

Dans ce texte, il introduit ce terme de construction, terme qui n’est pas nouveau puisqu’il a déjà été utilisé par Freud en 1918 à partir de l’histoire d’une névrose infantile. C’est à partir d’une question infantile que ce terme de construction apparaît en premier, et cela ne constitue pas un hasard si la construction se situe du côté du patient. Ces scènes infantiles reconstruites à partir de souvenirs ne sont pas reproduites comme souvenirs, elles sont le résultat d’une construction. Dans un premier temps, la construction se situe du côté du patient comme équivalente au souvenir, et non du côté de l’analyste. Ce sont des scènes reproduites comme souvenirs. C’est en 1920 que Freud passe à une autre acception de ce terme dans le texte : « Un enfant est battu ». Texte dans lequel la construction est clairement située dans l’analyse du côté de l’analyste. En effet la deuxième phase du fantasme, « Mon père me bat puisqu’il m’aime », ne peut jamais être remémorée, elle est inconsciente, et les constructions de l’analyse aux fins d’éclaircissement du fantasme invoqué n’en sont pas moins une nécessité. Freud souligne la nécessité d’interpréter sous la forme d’une construction qui va révéler au sujet sa vérité dans le fantasme. C’est le deuxième temps du fantasme selon la formule freudienne : « Mon père m’aime puisqu’il me bat. »

Freud précise et affirme que le refoulement peut être définitif et le souvenir ne reviendra jamais. Il est alors nécessaire d’avoir un autre recours pour le traitement que celui d’essayer d’accéder au souvenir refoulé.

Enfin, c’est dans le cadre de la psychogénèse d’un cas d’homosexualité féminine que la question du terme ‘construction’ va prendre de l’ampleur. Il y sera question de la spécificité de la construction par rapport à l’interprétation. Freud différenciera l’interprétation portant sur un fragment de vérité historique du sujet de la construction qui portera, elle, sur un pan entier de la vie de l’analysé. Il aborde alors la question de la vérité historique, thème qu’il va reprendre à propos du délire – la vérité historique qui prend sa source dans cette différenciation et trouvera son acmé dans le texte « L’homme Moïse et la religion monothéiste » dans lequel il requalifiera le dieu des juifs en Akhenaton, après avoir reconstruit l’histoire de Moïse comme étant, en fait, un enfant égyptien.

Reste un point important qui concerne la dimension de la perte de réalité dans la psychose, puisque « Construction dans l’analyse » prolonge les textes « Névroses, psychoses et perversions », ainsi que le texte sur la perte de réalité dans la névrose et la psychose. Voilà le contexte historique, presque géographique, de ce terme de construction et de l’article « Construction dans l’analyse. »

Pour commencer notre lecture plus précise de ce texte, je voudrais indiquer la différence que Freud pose entre construction et interprétation. Il dit ceci : le terme d’interprétation se rapporte à la façon dont on s’occupe d’un élément isolé du matériel, une idée incidente, un acte manqué et on ne peut parler de construction que lorsqu’on présente à l’analysé une période reconstruite de sa préhistoire, par exemple en ces termes : « Jusqu’à telle année, vous vous êtes considéré comme le possesseur unique, absolu de votre mère et à ce moment-là, un deuxième enfant est arrivé et avec lui, une forte déception. Votre mère vous a quitté pendant quelque temps et après, elle ne s’est plus consacrée à vous exclusivement, vos sentiments envers elles sont devenus ambivalents, votre père a acquis une nouvelle signification pour vous … » Vous pouvez remarquer que dans cet exemple de construction, Freud différencie l’interprétation d’une
construction de l’histoire des sentiments du patient prise, pour l’occasion, dans le complexe d’Oedipe, par conséquent dans une histoire où le sexuel tient une place prévalente avec, en prime, le désir vis-à-vis du père qui pointe à l’horizon. Dans cet exemple, nous sommes frappés par l’écho que cette construction peut avoir chez les analystes qui travaillent avec les enfants. C’est le genre de propos que l’on peut tenir face aux parents qui viennent à une consultation psychanalytique en présence des enfants.

L’interprétation portant davantage sur le signifiant à partir des idées incidentes, relève d’un autre ordre. La construction est censée restituer au patient des périodes oubliées et vise le refoulé. En fait, c’est plus compliqué car, dans ce texte, je pense que Freud a renoncé à l’idée que le retour du refoulé pouvait être obtenu dans le cours d’une analyse, en tout cas ce n’était pas l’objectif principal. Freud postule, donc, que le patient ne peut pas atteindre ce souvenir refoulé mais, et je le cite : « Une analyse correctement menée le convainc formellement de la vérité de la construction, ce qui, du point de vue thérapeutique, a le même effet qu’un souvenir retrouvé. » Cela ne revient-il pas à la découverte par le patient de la vérité de son souvenir oublié ? En ce point, on aborde la question d’une façon plus complexe. Freud postule que la construction aurait pour le patient le même effet thérapeutique que le retour du souvenir refoulé. Alors, pourrait-il s’agir, si j’entends bien, de suggestion ? Ou encore, pour le dire autrement, la vérité de la construction serait-elle non contingente à la vérité historique ? Mais de quoi s’agit-il ? Un pas fondamental a été franchi, car cette question introduit celle de savoir si le thérapeutique est dû à l’effet de vérité produit par la justesse de la construction, ou bien si cette vérité n’a que peu d’importance et que ce qui importe, c’est la suggestion prise dans l’amour de transfert.

Cela implique deux conceptions du transfert, l’une qui n’aurait d’intérêt que par l’amour produit et son aveuglement chez le patient qui, ainsi, pourrait croire n’importe quoi. La deuxième envisagerait le transfert comme expérience nouvelle qui permettrait de reprendre l’histoire là où elle s’était arrêtée, rendant ainsi à la construction son effet thérapeutique grâce à la restitution d’une histoire passée via l’aspect contemporain du transfert.

Enfin, si la construction a le même effet que le souvenir retrouvé, qui nous donne la garantie que pendant que nous travaillons au niveau de la construction, et là je cite Freud : « Nous ne faisons pas fausse route et que nous ne compromettons pas la réussite de la cure en soutenant une construction inexacte » ? Freud ne recule devant aucune des difficultés inhérentes à cette problématique et il n’hésite pas à s’obliger à poser des questions fondamentales, tant la question du thérapeutique d’une analyse que celles de la valeur scientifique de son action et de la validité de ses outils. Je crois que nous avons là les ingrédients de ce que l’on peut qualifier de démarche scientifique ; en ce sens Freud est un chercheur comme, me semble-t-il, se doit de l’être tout psychanalyste. Reste à spécifier les conditions de cette recherche, ce dont Piera Aulagnier, dans cet article que j’ai déjà cité, nous enseigne et je la cite : « L’effet différé de l’interprétation nous confronte au travail de réorganisation qu’elle induit et nous montre l’impossibilité de prédire avec certitude ce que sera son destin dans l’après-coup de l’analyse. Je comparerais le double temps des effets de l’interprétation aux conséquences de la découverte dans le champ de la mathématique d’un nouveau postulat ou d’une nouvelle loi. Pour chaque chercheur que nous supposons avoir accepté ce nouvel apport, les applications dépendront de sa relation à l’ensemble de sa théorie une fois qu’il devra intégrer ce nouvel élément. Or, dans un bon nombre de cas, les modifications que cela comporte, il ne pourra les apercevoir qu’après-coup, quand il pourra réaliser que celui des postulats en contradictoire de l’autre, ce qui à son tour remet en question un troisième alors qu’un quatrième va s’en trouver confirmé. »

Comment Freud va-t-il répondre aux contradictions et paradoxes apparents des hypothèses qu’il soulève ? On a pu lui reprocher de gagner à tous les coups : en effet, que l’analysé dise « oui » ou « non » à une interprétation, cela a exactement le même effet, on ne perd jamais. C’est toujours gagnant. Freud annonce d’emblée dans son article que, pour le patient, s’il est d’accord avec l’interprétation, c’est bien, mais s’il vient à la contredire, ce n’est que le signe de sa résistance, donnant encore raison à l’analyste. Cette phrase, en particulier, a été extrêmement critiquée par tous les tenants de la question scientifique par rapport à la psychanalyse. C’est vraiment une mauvaise façon de lire Freud car ce n’est pas sur ce point qu’il en reste. Freud a conscience que cette façon de répondre ne peut que nourrir les adversaires de la psychanalyse et nous assistons encore aujourd’hui, pour les mêmes raisons, à ce genre de critiques. Freud va plus loin car il va s’efforcer de rendre compte de cet apparent paradoxe de la question de la preuve dans le cadre d’une analyse, et c’est là un point important. Pour ce faire, il va justifier cette réponse par « oui, c’est vrai » ou par « non, c’est faux » du patient ; il va justifier cela à propos de la construction proposée par l’analyste, non plus en référence au « oui » ou au « non », mais à l’assentiment ou à la contradiction. Ce qui n’est pas du tout du même registre. Il restitue les protagonistes dans le cadre du transfert comme formation de l’inconscient et cela annonce la thèse de Lacan selon laquelle l’analyste et l’analysant se trouvant dans le transfert participent à une même formation de l’inconscient. Raison pour laquelle Freud n’accorde pas plus de valeur au « oui » qu’au « non », en renvoyant les deux énoncés dans le camp de l’éventualité de la résistance. Le « oui » direct de l’analysé est équivoque, il peut indiquer que celui-ci reconnaît comme juste la construction proposée mais il peut aussi être dépourvu de sens, et même se révéler hypocrite, car sa résistance y trouvera son compte, ce consentement continuant à cacher la vérité non découverte. Le « non » de l’analysé est tout au temps équivoque que le « oui », il exclut rarement un refus justifié et, bien plus souvent, il manifeste une résistance qui est provoquée par le contenu de la construction communiquée mais qui peut aussi provenir d’un autre facteur de la complexité de la situation analytique. Le « oui » et le « non » sont équivoques et ce n’est pas sur cette réponse que l’analyste peut se baser pour entendre la vérité d’une construction ou d’une interprétation ; elles sont chacune du ressort de la résistance mais pour des raisons différentes. La réponse concernant plus spécifiquement le « non » fait savoir que la construction s’avère incomplète et n’est en mesure de saisir qu’une parcelle de l’expérience oubliée. Nous pouvons admettre que l’analysé ne dénie pas proprement ce qui lui a été proposé, mais qu’il continue à maintenir sa contradiction en fonction de la partie non encore dévoilée. Il dit « non » car nous n’avons pas encore obtenu dans l’analyse une pleine construction de ce qui avait été oublié. Une construction n’est pas à entendre sur le mode « juste » ou « faux », mais par la modalité des effets produits par le biais indirect des confirmations qui vont s’organiser grâce aux associations faisant écho à la construction proposée par l’analyste. Rien n’est à attendre de la dimension de la vérité de la construction comme telle, c’est le maillage des associations qui permettra, a posteriori, de confirmer la valeur de la dite construction. En conséquence, dira Freud, nous n’attribuons à la construction
isolée que la valeur d’une supposition qui attend confirmation ou rejet. Nous ne commettons pas de dommage, même si nous nous sommes trompés une fois, en présentant au patient une construction inexacte comme vérité historique probable. Encore une fois, pas de dommage si cette construction se révèle fausse ; ce qui est instructif n’est pas du domaine de l’exactitude ou de l’inexactitude d’une construction, cela relève d’un tout autre ressort. Notons au passage que Freud préconise l’humilité à laquelle l’analyste doit se tenir ; il peut être défaillant, il n’a aucune vérité à imposer.

Freud va encore plus loin sur la notion de la vérité de la construction puisqu’il ajoute que, si elle s’avère fausse cela n’aurait guère d’importance, mais en revanche si elle s’avérait juste, on assisterait à une aggravation évidente des symptômes et de l’état général du patient, la vérité amènerait à l’aggravation des symptômes. Freud sort, donc, de la question de la certitude de la vérité pour nous amener dans un autre registre.

En ce point, nous touchons à un thème fondamental de la psychanalyse et de sa différence avec les psychothérapies. Les psychothérapies ne tenant pas compte de la prise du transfert, Freud engage très clairement sa technique et son acte dans les effets produits par la construction dans le cadre de la relation transférentielle. Il souligne qu’une construction qui s’avère vraie augmente les symptômes, ce n’est donc pas la recherche de la vérité du souvenir oublié qui soigne, bien au contraire et en lui trouvant un équivalent, les symptômes redoublent. Freud nous annonce que la vérité ne guérit pas. Inutile d’aller la rechercher dans le refoulé oublié, ce n’est pas ainsi qu’une analyse produit des effets thérapeutiques sur le symptôme. C’est même l’inverse. Par exemple une patiente, s’apercevant de l’équivalence entre les traits de son mari et de sa mère et se souvenant de la ressemblance entre l’angoisse qu’elle ressentait dans la relation avec sa mère avec celle qu’elle ressent maintenant avec son mari, plutôt que de constater cette vérité qu’elle analyse et qu’elle construit dans un temps de sa cure, met plutôt en doute la construction qu’elle élabore, impute ensuite à son analyste de vouloir la séparer de son mari et enfin met en doute la portée de sa psychanalyse à pouvoir soigner ses angoisses qui, effectivement, redoublent au moment même de cette construction ; et elle finira par mettre un terme à sa cure. Quand la construction vient à faire vérité, elle augmente la résistance et dans certains cas, pousse l’analysant à interrompre sa cure.

Précisons maintenant ce que Freud propose par « intention du travail psychanalytique », celle qui consiste à vouloir lever les refoulements du début du développement du patient et, dans cette optique, qu’il se souvienne de certaines expériences ainsi que des motions affectives suscitées par elles, sachant que les symptômes actuels et les inhibitions sont les suites et les substituts de ce qui a été oublié. Quelle est la matière première dont nous disposons ? Ce sont les fragments de souvenirs, les idées incidentes, les allusions aux expériences refoulées, les motions affectives réprimées, les réactions contre ces dernières, enfin les indices de la répétition des affects appartenant au refoulé et apparaissant dans des actions plus ou moins importantes à l’intérieur comme à l’extérieur de la situation analytique, c’est-à-dire du transfert. Que peut vouloir dire « à l’intérieur ou à l’extérieur » ? Cela concerne tout autant ce qui se passe dans le transfert que ce qui se passe dans la vie de l’analysant, bien évidemment dans le temps de son analyse, et que l’on peut rapporter au transfert. C’est avec ce matériel que l’analyste peut travailler. Que souhaitons-nous obtenir avec ce matériel ? Ce que nous souhaitons, nous dit Freud, c’est une image fidèle des années oubliées par le patient, image complète dans toutes ses parties essentielles. Finalement Freud, tout en nous transmettant que la vérité n’a aucune importance, stipule que le but est de révéler ces images complètes refoulées et oubliées.

Cela peut sembler assez paradoxal ; en tout cas c’est en ce point que Freud pose une nouvelle question essentielle, qui concerne la place de l’analyste : tout ce que l’analysant a vécu et ressenti, l’analyste n’en a rien vécu, ni même refoulé. Il me semble qu’ici, Freud pousse à son paroxysme la question du savoir du psychanalyste après avoir poussé au plus loin celle de la vérité oubliée. Il nous indique que l’analyste a une tâche ; même s’il n’a rien vécu d’identique à ce que le patient a vécu et oublié, sa tâche (dans le texte, Freud va se reprendre à trois fois pour préciser quelle est la tâche de l’analyste) est celle de deviner, de construire et enfin de reconstruire ce qui a été oublié, tel l’archéologue. Je reprends son hésitation, qui est importante : deviner, construire et enfin reconstruire, au total trois signifiants très différents. Il opte finalement pour la reconstruction, tel l’archéologue qui déterre des demeures détruites et ensevelies ou des monuments du passé.

Mais cela ne répond pas totalement à sa question précédente de savoir comment procéder puisque l’analyste était absent dans l’expérience oubliée du patient. Il choisit de répondre à cette question ainsi : « La façon et le moment de communiquer ces constructions à l’analysé, les explications dont l’analyste les accompagne, c’est là ce qui constitue la liaison entre les deux parties du travail analytique, celle de l’analyste et celle de l’analysé. » Vous entendez que Freud souligne que ce sont les conditions pour qu’une construction ou une interprétation adviennent qui sont les plus importantes, plus importantes que le contenu de la construction en elle-même. Le psychanalyste peut relever dans les répétitions transférentielles les réactions remontant aux premiers âges de l’enfance mais il ne s’autorise pas d’un savoir pour construire. Il tient de l’expérience du transfert l’appui lui permettant de proposer cette reconstruction. Transfert que Piera Aulagnier à sa façon souligne en le situant délibérément du côté analyste en nous disant : « Je pense que l’interprétation qui ne s’accompagne et qui ne vise aucune modification affective chez l’analyste a moins de chance d’être efficace. L’analysé sait ou sent que l’interprétation instrumente une intention de l’analyste qui concerne les deux sujets en présence et leur relation, qu’elle s’accompagne de la suspension momentanée de la position de retrait où nous nous tenons ou de cette position d’indifférence qu’il nous impute ou nous reproche. » À vouloir remettre l’analyste dans le circuit désirant, Piera Aulagnier ne porte-t-elle pas ici un glissement vers le contre- transfert de l’analyste ? Elle n’hésite pas à introduire la notion de plaisir des deux côtés, tant celui de l’analysant que celui de l’analyste, voire de promesse d’un plaisir nécessairement à l’?uvre, nous dit-elle, tout au long de la partie, avec le projet analytique suivant, et je la cite, « que ce projet fasse partie du possible, le souhait de créer des pensées nouvelles et la possibilité d’en éprouver du plaisir » ; créer des pensées nouvelles et en éprouver du plaisir serait pour Piera Aulagnier une des conditions pour mener une psychanalyse. Lacan recourt, sur le même sujet, à une autre approche : une analyse, c’est accéder à de nouvelles occurrences de penser. Freud en ce qui le concerne, va donner une limite à la métaphore de l’archéologue pour qui la reconstruction est une fin en soi alors que, pour le psychanalyste, ce n’est qu’un travail préliminaire. Ce travail préliminaire ne respecte pas obligatoirement une évolution chronologique, ni dans le temps de la cure, ni dans le mode de construction habituel obéissant à une logique qui passe par une reconstruction des fondations, des murs et enfin, qui se termine par la toiture. Freud ne propose aucune chronol
ogie.

Qu’est-ce qui peut nous garantir que la construction, la reconstruction ne sont pas du ressort de la subjectivité de l’analyste même s’il s’appuie, dans cette démarche, sur des indices dont il dispose dans et grâce au transfert ? Cela nous assure-t-il pour autant qu’il ne s’agisse pas de la subjectivité de l’analyste ? Freud, pour sortir de cette nouvelle difficulté, introduit cette remarque importante : « Les délires des malades m’apparaissent comme des équivalents des constructions que nous bâtissons dans le traitement psychanalytique, les tentatives d’explications ou de restitutions qui, dans les conditions de la psychose, ne peuvent pourtant conduire qu’à remplacer les morceaux de réalité qu’on dénie dans le présent par un autre morceau qu’on avait dénié dans la période d’une enfance reculée. » Voilà comment Freud répond à l’occurrence possible de la suggestibilité du psychanalyste en introduisant la dimension du délire. Freud ne compare pas simplement l’analyste au psychotique et sa construction dans la cure à un équivalent de délire. En effet, Freud éclaire la question de la réalité psychique dans la psychose par le remplacement d’un morceau de réalité dénié dans le présent par un autre morceau de réalité dénié dans la période d’une enfance reculée. Ceci l’amène à préciser que l’hallucination, dans sa structure, présente un point commun avec l’hypothèse du retour, non pas du refoulé, mais d’un événement oublié des toutes premières années – quelque chose que l’enfant a vu ou entendu à une époque où il savait à peine parler. Comment ne pas transposer ici cette citation lacanienne que : « Ce qui est rejeté du symbolique réapparaît dans le réel » ? Nous pouvons faire l’hypothèse que ce qui est interrogé par Freud comme garantie de la vérité de la construction de l’analyste, le conduit à envisager la réponse par le recours au réel. Freud, dans ce texte, nous parle du réel, ce qui l’autorise à affirmer que l’analyste n’a pas à partager la même expérience passée avec le patient, c’est la dimension du réel que ce dernier reçoit dans le transfert.

La tâche de l’analyste concerne davantage le réel que la réalité oubliée. Par conséquent quand Freud aborde la question de la vérité historique il parle du réel. La vérité historique, selon deux modalités différentes, nous la retrouvons dans la problématique de la construction de l’analyste et dans celle du délire. Freud en tire la conséquence d’un travail possible avec les psychotiques où il ne s’agit pas d’opposer la contradiction entre le délire et la réalité mais, et je cite encore Freud : « On baserait plutôt le travail thérapeutique sur le fait de reconnaître avec lui les noyaux de vérité contenus dans son délire. Ce travail consisterait à débarrasser le morceau de vérité historique de ses déformations et de ses appuis sur la réalité actuelle et à le ramener au point du passé auquel il appartient. » Je crois qu’il suffirait de remplacer « vérité » par « réel » et nous serions à même de suivre Freud dans sa démonstration puisque le délire est pour lui le résultat de la somme de deux dénis successifs. À savoir remplacer le morceau de réalité dénié dans le présent par un autre morceau que l’on avait également dénié dans la période d’une enfance reculée. Cela nous donne une indication de la position de l’analyste à l’égard du délire et de la psychose. S’il y a de la vérité historique dans le délire, il nous faut l’accueillir non pas comme vérité mais comme réel. Et je vais terminer par deux vignettes cliniques.

Il s’agit de deux patientes qui, l’une et l’autre à l’occasion d’un délire, font resurgir des éléments d’abus sexuels. Pour la première, c’est à l’occasion d’un bizutage dans une grande école au cours duquel on l’enferme dans une pièce noire dans laquelle ses pairs viennent lui faire peur et, à partir de là, elle va se mettre à délirer. Ce délire ramène quelques éléments signifiants qui sont en lien avec des signifiants qui qualifient les abus sexuels de son grand-père quand elle était petite fille et qu’elle avait déniés. Dans son délire vont ressortir tous les éléments signifiants de la situation traumatique du bizutage et l’idée que ce grand-père a abusé d’elle pendant de nombreuses années, ce qui avait été oublié, dénié, disparu – toutes les hypothèses sont possibles.

Une seconde patiente, à l’occasion d’un délire dans un accès maniaque, va peu à peu retrouver les signifiants qui vont qualifier des abus sexuels de sa toute petite enfance au moment de la vie d’expatriés de ses parents dans un pays lointain. Elle peut, à l’aide d’un certain nombre de signifiants, évoquer l’idée d’un abus sexuel par le mari de la nourrice qui la gardait avec sa s?ur.

Dans ces deux cas tels qu’ils sont relatés, on retrouve les qualificatifs traitant leurs propos de délirants dans le cadre de la folie. Je pense que dans les deux cas, en position d’analyste, on n’a pas à savoir si c’est vrai ou faux, on a à accueillir ces éléments de réel qui surgissent à ce moment-là.

Ce que Freud nous apporte de façon essentielle dans cet article peut se formuler ainsi : ce que nous reconstruisons n’a pas tellement d’intérêt en termes de vérité ; l’important, en revanche, tient à la proximité de la question du réel.

Discussion

Françoise Fabre : Sur cette question de vérité historique, tu as bien amené le décalage, cela me fais réfléchir sur des cas de paranoïas à thème persécutif ou de préjudice.

Robert Lévy : Dans les deux cas que je viens de citer, c’est très persécutif.

Françoise Fabre : Dans un certain nombre de cas, on peut retrouver un préjudice du côté d’un membre de la famille, d’anecdotes que l’on peut qualifier de vérité historique. En t’écoutant ce qui me paraît plus clair, à partir d’un fait il y a effectivement des constructions et interprétations de la part du patient.

Robert Lévy : Sa construction est une interprétation.

Françoise Fabre : Mais dans le cas auquel je pense, l’anecdote a existé ; après, une interprétation a été faite. Et en t’écoutant sur la question de la différence entre vérité et réel, finalement c’est un élément qui n’a pas été symbolisé. L’anecdote a eu lieu mais ce qui va donner lieu à une interprétation, c’est ce qui n’a pas été symbolisé.

Certains psychiatres ont parfois le souci de rechercher ce moment de réalité anecdotique et la conclusion, c’est que le patient a raison, l’interprétation du patient est justifiée. Ces anecdotes qui ont eu lieu, parfois la famille vient le confirmer mais en fait cela n’a pas été symbolisé par le patient.

Robert Lévy : là, on touche à un point très important ; c’est que la question de la vérité historique n’a pas d’importance en tant que telle car elle est souvent vraie, sauf que cela n’est pas la question ; ce n’est pas qu’elle soit vraie ou fausse, c’est qu’elle n’a pas pu être symbolisée et ce qui réapparaît dans le réel, c’est justement cet avatar de la symbolisation de la vérité historique. C’est une autre façon de travailler dans la psychose, mais pas seulement dans la psychose car il y a aussi la question de la vérité historique dans le refoulement, dont l’intérêt n’est pas non plus de la restituer en tant que vérité.

Françoise Fabre : J’ai une petite anecdote qui s’éclaire. J’ai reçu pendant plusieurs années une femme qui avait beaucoup de mal à parler et avant de venir me voir, elle avait écrit à une dame s’occupant de la psycho-généalogie ; avant de venir me voir, elle m’avait écrit pour obtenir un rendez-vous et elle arrive chez moi – une dame très « coincée », ne parlant plus à son mari. Passent plusieurs années, en construisant ses propos autour de la croyance que sa fille était la fille de son propre grand-père ; c’était une construction de sa part. Quand elle arrivait à ses séances, elle venait avec des tableaux généalogiques re
montant à plusieurs générations mais elle n’en faisait rien. Un jour … Elle commençait à aller mieux et en fonction de tout ce qu’elle amenait, c’était censé me faire penser à une question relevant de l’inceste – comme une manipulation de sa part avec des explications qu’elle construisait mais qu’elle ne disait pas, le laissant entendre dans ses associations et ses rêves. Un jour, elle reçoit une convocation par cette personne psycho-généalogiste et elle décide de s’y rendre. Elle me téléphone dans les quarante-huit heures, elle arrive dans un état de traumatisme intense et elle relate sa séance chez la généalogiste ; elle lui amène ses tableaux et la consultante lui dit, à la surprise de ma patiente, qu’elle n’a rien à lui dire mais comme elle est en analyse, elle doit laisser faire le temps de l’inconscient. Mon analysante me dit qu’à ce moment-là, elle est restée figée sur sa chaise en disant à cette femme : « Vous ne pouvez pas me laisser comme ça ». « Et je suis restée pétrifiée, la main sur la bouche », me dit-elle. Cette femme lui dit : « Vous savez, les enfants qui mettent la main sur la bouche et ne parlent, ce sont souvent des enfants qui ont subi l’inceste. » Elle arrive à mon cabinet dans un état traumatique. Cela correspondait un peu à son désir, voilà ce que je peux dire ; qu’il y ait eu inceste ou pas, je n’en sais rien. Il n’en demeure pas moins qu’elle a fais trois séances et puis elle est partie. Je l’ai revue quelques années après, elle a utilisé cette femme généalogiste comme rupture de transfert. Je pense qu’elle avait sa construction qu’elle ne voulait pas dire, elle est venue interpréter son désir plus qu’une réalité.

Serge Sabinus : C’est important, ce que tu rappelles ; tu as bien déblayé la route sur la vérité historique mais quand on entend, quand on suppose la question traumatique, on n’est pas indemne de se poser la question : y-a-t-il eu vraiment une scène traumatique ? Ou est-on est en train d’imaginer …

Robert Lévy : oui, on se la pose toujours …

Serge Sabinus : Tu as raison, Françoise, quand tu dis que ta patiente n’est pas venue pour nécessairement interpréter la scène traumatique mais le désir de la scène traumatique ; cela me fait penser à l’abandon de la théorie de la séduction, il n’y a pas obligation de la réalité de la scène traumatique pour qu’il y ait vérité. La vérité, c’est celle du désir. La question de la vérité et de l’historique passe par ce pointage de la symbolisation du désir. Il y a d’autres plans que la question de la vérité historique, cela affleure dans tout ce que tu apportes de la position et du travail de Freud dans cet article mais aussi, en ce qui concerne la construction, de l’invention de la psychanalyse ; et la question de Freud serait : « Ne suis-je pas en train de délirer ? » On l’entend bien dans L’homme aux loups où cela se termine par quelque chose de compliqué, dans son travail sur les constructions où ce que l’on entend en parallèle, nouée avec la question pour l’analysant, c’est la question pour Freud construisant la psychanalyse et qui serait en train de se dire : suis-je en train de construire une vérité ou cela n’est-il pas une imagination délirante ? On voit bien le rapport entre l’analyste en train de construire la théorie analytique et l’analysant aux prises avec le déni, la dénégation ; on voit comment Freud analyste utilise son patient pour que la vérité supposée telle, du moins pour le patient, serve d’appui théorique pour sa théorie.

Il faut que cela soit vrai pour que la théorie soit vraie, cela est sans arrêt en train d’affleurer jusqu’à la question du délire. Sur quoi on va s’appuyer pour être scientifique ?

À la fois il y a, dans le mouvement de transfert, la recherche, supposée pour le patient, d’un élément, d’une question de la vérité historique et dans le même mouvement, pour l’analyste lui-même, il est question de la validité de sa pensée.

Robert Lévy : Je reprends une part de tes propos.

Je suis d’accord. Mais ce que l’on tente de toucher un peu ce soir, et cela à ma grande surprise – car c’est dans l’après-coup de ce que l’on vient de dire que de nouvelles questions surgissent -, c’est que cela n’est pas suffisant de notifier le passage du renoncement de la théorie de la séduction pour la remplacer par la question du fantasme, cela n’est pas suffisant. Ce que nous sommes en train de dire, c’est que dans la question traumatique dont Freud évoquait qu’il avait pu se passer quelque chose où le sujet n’avait pas réagi, et ce n’est que dans un troisième temps que le traumatisme va apparaître, au-delà du fantasme et du désir qui y est en jeu, il y a un fonctionnement psychique faisant qu’il y a du réel impensable.

C’est l’impensable d’une situation, par exemple l’impensable d’une situation traumatique qui ne sera traumatique que dans le deuxième temps, mais dans un premier temps elle est impensable c’est-à-dire non intégrée dans la chaîne symbolique ; et là, la question du fantasme n’est pas suffisante pour rendre compte de cet élément.

Dans la psychose, et c’est là ou cela fait le joint, ce n’est pas la question du fantasme qui est là, c’est le fait qu’il y a une non inscription du signifiant dans le symbolique à ce moment-là. C’est cela qui va réapparaître dans le délire, dans l’hallucination et aussi dans le traumatisme ; et donc, c’est au-delà de la question du fantasme. Cela repose également la question du fantasme autrement, car on a aussi l’habitude de se demander si le trauma a bien eu lieu et pour habitude de répondre : c’est du fantasme ; je pense qu’il y a un troisième volet qui est : il y a du réel non inscriptible faisant que de la chaîne signifiante ne s’est pas inscrite à un moment donné. Ce n’est pas du fantasme et ce n’est également pas suffisant pour parler de structure psychotique ou névrotique. Cela se rencontre dans les psychoses mais aussi dans les névroses, par exemple dans les syndromes post-traumatiques qui peuvent présenter momentanément un syndrome délirant.

Catherine Delarue : Je pense que dans une structure névrotique, on peut également observer un défaut d’inscription partielle, momentanée. Je pense à une patiente qui pouvait parler, assez facilement, de l’inceste que son père avait commis sur elle pendant de nombreuses années. Elle précisait que son médecin l’incitait à venir en parler dans le cadre d’une consultation « avec un psy » ; « mais », me disait-elle, « je peux parfaitement tout vous expliquer, je n’ai rien oublié, je n’ai plus rien à découvrir, d’ailleurs je suis mariée, mère de famille et heureuse … », etc., etc. Un jour où je dois m’absenter, elle était très angoissée, elle se présente dans le CMP où je consultais et refuse d’être reçue par une collègue, me précisant, que c’était également ma voix qu’elle voulait entendre. En sortant du centre, très désemparée, elle décide de traverser les rues en fermant les yeux en espérant qu’un poids lourd l’écrase. Je la reprends dans cet énoncé par une question : « Un poids lourd ? » ; et après un moment de surprise et de silence : « Ah … Cela, je l’avais oublié … Je pense au poids lourd de mon père sur moi et qui m’écrasait ! » – poids lourd du corps de son père sur son corps d’enfant, ce point-là avait été complètement refoulé, il y avait un effacement dans les signifiants, dans la chaîne signifiante du récit du traumatisme de l’inceste. Là effectivement, on touche à la question de la vérité du désir, désir subversif et insupportable, lui permettant de parler de son histoire au niveau de ce que je qualifierais d’événementiel.

Françoise Fabre : Oui, elle te fait un récit où elle n’est pas, et elle commence à y être quand elle aborde la question du poids lourd.

Robert Lévy : Elle n’y est pas parce que les signifiants manquants n’y sont pas. À savoir, si on reprend l’idée que le signifiant représente le sujet pour un autre signifiant, si ces signifia
nts-là sont manquants, le sujet n’y est pas. Quand on restitue ces signifiants, c’est le sujet qui redevient présent dans cette chaîne signifiante ; et ce n’est pas une question de fantasme. J’insiste sur ce point car notre année sur l’interprétation va nous amener à travailler ce point un peu différemment. Là, l’idée du désir dans le fantasme me semble réductrice par rapport à ce que l’on est en train d’évoquer.

Serge Sabinus : Il y a quelque chose qui est compliqué car, en effet, c’est fondamental, ce que tu dis ; et la dimension que nous apporte Lacan va dans le sens de cette mise à jour, de cette approche du réel, quelle que soit la nature de la structure. L’ordre signifiant ne peut pas toucher l’ordre du réel, il reste confiné dans le champ du fantasme c’est-à-dire de l’imaginaire. Cela donne du sens, cette patiente passe à un acte « dingue » en traversant la route pour se faire écraser par les poids lourds et vient par la parole symboliser quelque chose qui va produire du sens. Mais ce dont tu fais part et qui me semble imprégner tous les séminaires de Lacan dans cette dimension du réel, c’est comment l’attrape ce réel qui est toujours présent et qui n’est plus de l’ordre du signifiant, comment se saisir de ce qui est derrière les élaborations symptomatiques. Ce dont il est question pour Lacan, c’est la question d’autre chose, d’un autre objet, d’un autre point. Si c’est le but de l’analyse, il y a là quelque chose de très complexe à faire attraper avec le seul instrument dont l’analyste dispose, la parole. Je suis d’accord, mais l’ordre signifiant ne résout toujours pas la question du réel.

Robert Lévy : Aucun mot n’est de nature à pouvoir signifier pleinement l’objet puisque l’objet lui-même n’est pas l’objet, voilà notre difficulté d’être parlant.

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