9-Paris-Robert Lévy "Il n’y a aucune réalité prédiscursive"(4)
Avant de commencer, je ne peux pas faire autrement que de saluer la mémoire de quelqu’un qui nous a quitté très récemment. Il a été l’un des fondateurs d’Analyse Freudienne et plus que ça pour moi, un compagnon de plus d’une trentaine d’années, au-delà des désaccords que nous avons pu avoir sur des questions institutionnelles. Il s’agit de Claude Dumézil, comme vous le savez tous.
Je voulais vous parler ce soir de quelque chose qui concerne la réalité prédiscursive sur laquelle Lacan dit des choses qui me semblent tout à fait fondamentales pour éclairer notre cheminement sur l’inconscient et sur cet hors -temps de l’inconscient.
En effet, comme il nous l’indique dans Encore: « il n’y a aucune réalité prédiscursive. Chaque réalité se fonde et se définit d’un discours ».
Nous devrions prendre la mesure des conséquences de cette remarque , notamment en ce qui concerne la différence entre réel et réalité et forcément dans ce que nous avons essayé de cerner ce que j’avais appelé « fragilité du symbolique ». En effet, Lacan attire notre attention sur ce qu’il en serait d’une inscription prélangagière dans l’inconscient qui nous mène à restreindre, me semble-t-il, notre définition de l’inconscient à « l’inconscient est structuré comme un langage au milieu duquel est apparu l’écrit. »
II y a donc une hypothèse qui serait celle d’atteindre l’être par la lettre. Pourtant Lacan nous met en garde, pour ne pas aller trop vite, en précisant que « se dire et s’écrire » sont pourtant fondamentalement différents même si l’écriture fait usage de lettres. Je voudrais reprendre cette citation de Bourbaki à laquelle Lacan fait allusion dans Encore où ils nous dit ceci : « Ils [ce sont les mathématiciens réunis sous le pseudonyme de Bourbaki] prennent bien soin de dire que les lettres désignent des assemblages. C’est là qu’est leur timidité et leur erreur. Les lettres font les assemblages, les lettres sont, et non pas désignent, ces assemblages, elles sont prises comme fonctionnant comme ces assemblages mêmes. Vous voyez qu’à conserver encore ce comme, je m’en tiens à l’ordre de ce que j’avance quand je dis que l’inconscient est structuré comme un langage. Je dis comme pour ne pas dire, j’y reviens toujours, que l’inconscient est structuré par un langage. »
Cela me semble être deux éléments absolument fondamentaux que je vais essayer de développer ce soir. A savoir la différence entre cette supposition de l’inconscient structuré comme un langage et les dérives éventuelles d’une autre formulation qui serait l’inconscient structuré par un langage.
Tout d’abord, avant de développer ce point, j’aimerais faire une remarque rapide sur « font ces assemblages » pour signaler que Lacan met probablement les lettres de l’inconscient, l’instance de la lettre de l’inconscient, du coté performatif austinien : de même que dire c’est faire, la lettre est également du côté du faire.
Mais revenons sur l’insistance de Lacan à propos de la différence entre « comme » un langage et « par » un langage.
Le meilleur exemple de cette possible confusion est celui que nous avions rencontré en Chine, il y a quelques années où, à l’occasion de l’anniversaire de la naissance de Françoise Dolto, nous avions organisé une rencontre très intéressante avec nos collègues chinois à Cheng Du sous l’égide de leur formateur Huo Da Tong, qui est encore l’analyste de référence dans cette parie de la Chine. Il a formé un certain nombre d’élèves dont on peut dire que pour certains il s’agit bien de psychanalystes.
Ce fut l’occasion de rencontres de travail extrêmement enrichissantes et en particulier d’échanges avec Huo Da Tong qui venait d’éditer un livre ayant pour objet de démontrer qu’en Chine l’inconscient était structuré comme un idéogramme… Nous avons eu l’occasion, au centre culturel de Pékin d’avoir une discussion assez serrée avec lui. Je lui fais part, à ce moment là, de mon désaccord sur cette option puisque c’est précisément le point sur lequel Lacan nous alerté, à savoir la différence fondamentale entre l’inconscient structuré comme un langage et l’inconscient structuré par un langage, fût-il idéogrammatique.
J’avais, à l’époque, essayé de comprendre d’où venait cette confusion chez Hu Da Tong et je la trouvais à lecture de l’histoire de l’introduction de la psychanalyse en Chine, dans laquelle figurait celle de ce jeune étudiant, Huo Da Tong, venu à Paris rencontrer Lacan alors que celui-ci était déjà mort, ce qu’il ne savait pas. Il s’était alors adressé à un jeune analyste ne sachant pas le chinois. Le jeune chinois ne sachant pas le français, ils s’étaient alors entendus, si l’on peut dire ceci, en travaillant l’analyse et en particulier l’interprétation des rêves avec des idéogrammes, caractères chinois. Cela permit à Huo Da Tong d’apprendre le Français et à son analyste Michel Guibal, le chinois. Est-ce pour autant qu’il s’est agi d’une analyse au sens de « l’inconscient est structuré comme un langage » ? Rien n’est moins sûr… En tout cas, ce qu’il en ressort dans la transmission que Huo Da Tong en fit, est que l’inconscient chinois est structuré par un langage écrit qui s’appelle idéogramme….
Cet exemple illustre également assez bien comment l’écriture ne permet pas plus le métalangage que le discours lui-même. Puisque subsiste l’équation de l’impossible du dire tout, qui conditionne l’impossibilité de l’être, sauf à vouloir résoudre cet impossible par la transformation de « l’inconscient est structuré comme un langage » en « l’inconscient est structuré par un langage ». Dans ce cas, la question de la vérité devient possible, ce qui entraine forcément que nous ayons alors un inconscient chinois, juif ou plus encore…
Je crois que c’est à la question de l’inconscient comme universel que s’attèle Lacan à préserver d’un certain nombre de dérives car dans le cas contraire nous aurions des inconscients différents les uns des autres en fonction de chaque langue.
Il y a donc, me semble-t-il, un invariable, pour ne pas dire un invariant, qui s’intitule inconscient dans la mesure où il est structuré comme un langage et non pas par un langage. De la même façon et presqu’inversement il n’y a des bouts de réel que pour chaque sujet et aucune catastrophe de l’histoire ne peut prétendre à l’universel du réel. Là encore, on pourrait considérer qu’une des grandes catastrophes de l’histoire peut être le réel par excellence. L’exemple le plus à notre portée est celui de la Shoah pour lequel un certain nombre de nos collègues soutiennent que c’est le réel universel. Vous voyez bien la difficulté de cette proposition puis que si c’est un réel universel cela signifie qu’il y a une énonciation collective, or justement nous savons bien qu’il n’y a pas d’énonciation collective, il ya des énoncés collectifs mais pas d’énonciation collective. Il n’y a d’énonciation qu’au un par un justement parce que l’inconscient est structuré comme un langage et non pas par un langage.
Je crois que c’est précisément ce sur quoi Freud nous avait alertés en son temps lorsqu’il luttait pour sortir la Psychanalyse de son contexte intellectuel juif viennois de telle sorte qu’on ne fasse pas de cette dernière une science juive. Science juive qui sera effectivement ce que les nazis reprendront pour effacer jusqu’au mot psychanalyse trop représentatif du peuple dont Freud, le fondateur de la psychanalyse était issu…
Mais nous n’en sommes pas quittes pour autant, car il nous faut maintenant préciser que la confusion porte sur le fait que les lettres désignent des assemblages. C’est là-dessus que Lacan fait une critique pour dire que les lettres ne désignent pas des assemblages mais font des assemblages : « Les lettres font les assemblages, les lettres sont, et non pas désignent, ces assemblages, elles sont prises comme fonctionnant comme c
es assemblages mêmes ». Par conséquent, c’est ce « comme» qui se doit d’être sauvegardé car dans le cas contraire l’inconscient se verra structuré par un langage par des lettres et dès lors on ne parlera plus de l’inconscient mais d’un métalangage quelconque. Or, il n’y a pas de métalangage, c’est bien ce que nous apprend l’inconscient; c’est-à-dire qu’il n’y a pas de langage objet puisque langage objet et métalangage sont définis par leur relation réciproque.
Donc Lacan insiste sur l’idée que la lettre ne désigne pas : elle fait, elle est. D’où le passage immédiat de l’impossibilité du dire à l’impossibilité de l’être. Freud est déjà précurseur d’une certaine façon de ce « il n’y pas de métalangage » puisqu’il suppose dans l’interprétation du rêve des éléments de statuts différents qui ne peuvent être interprétés selon une grille préétablie. C’est-à-dire qu’à un signifiant correspondrait un signifié et un seul. Au contraire, Freud soutient que pour interpréter un rêve il faut plutôt y aller d’un littéralement et dans tous les sens que la lecture du rêve permet puisqu’il s’agit de passer de la lecture au dit…Il s’oppose en effet à ce que l’on puisse séparer des strates hiérarchisées du langage objet et des différents métalangages superposés.
Tout ceci nous amène très directement à considérer la dimension du ratage, le ratage de la communication puisque « la communication implique la référence » et précisément la référence est ce qui ne s’établit pas dans la lalangue. En effet « ce qui caractérise, au niveau signifiant/signifié, le rapport du signifié à ce qui est là comme tiers indispensable, à savoir le référent, c’est proprement que le signifié le rate ; le collimateur ne fonctionne pas. » . C’est-à-dire qu’il n’y a jamais de possibilité de certitude d’appareillement d’un signifiant à un signifié seul, sauf à fonctionner dans le code ou dans le métalangage. Par exemple, dans le code de la route, le sens interdit ne correspond qu’à un seul signifié, à savoir l’interdiction de passer par cette rue là. Evidemment si je dis « sens interdit » ou si dans un rêve apparaît « sens interdit », on voit que là, on est dans une autre configuration puisque de multiples sens peuvent être rapprochés du signifiant « sens interdit ».
Nous entrons là dans un problème assez complexe car le métalangage est plus tôt du côté du code, c’est-à-dire de la métonymie. Autrement dit, un signifiant représente un signifié et un seul dans le cas du métalangage. Or on rencontre ce type de rééducation par le métalangage, par le code, chez les enfants, entre autres, autistes qui se trouvent eux-mêmes justement en déficit de métaphore. Autant dire que l’on considère dès lors que l’inconscient de l’autiste est structuré non plus comme un langage mais comme un code.
En tout cas on ne risque pas de produire un quelconque attrait pour la métaphore en l’excluant à priori du système éducatif et rééducatif que l’on utilise pour « communiquer » avec les autistes puisque c’est cela, l’objectif. Communiquer, terme que Lacan met tout à fait en question en fonction justement du ratage de cette correspondance signifiant /signifié univoque.
D’autre part, si nous prenons au sérieux l’idée de départ de ce propos, à savoir que « chaque réalité se fonde et se définit d’un discours », si le discours adressé aux autistes n’est que métalangage, quel univers de réalité leur présentons-nous ? Et ce, même si on sait qu’en vertu de leur structuration psychique effectivement plutôt métonymique, si un camion passe dans la rue, ils ne peuvent pas faire la différence pour savoir si le camion est dans la pièce dans laquelle ils se trouvent ou bien à l’extérieur … Nous pouvons percevoir par ce petit exemple que l’autiste est sans aucun recours face au réel qui le bombarde sans cesse puisque contrairement à certaines psychoses, il ne dispose même pas d’une construction délirante qui viendrait assurer une certaine forme de suppléance là où le fantasme n’est pas constituable. Ce qui pose évidemment la question du statut de l’inconscient des enfants autistes. Qu’est-ce qu’un inconscient qui ignore la métaphore en regard de la définition freudienne de l’inconscient, l’Unbewuste, qui ne peut se définir que par le refoulement ? Existe-t-il alors une catégorie de refoulement, c’est à dire d’oubli, qui ne serait que métonymique ? C’est une question qui se pose de façon tout à fait cruciale.
D’un autre côté, de celui qui rate, on pourrait dire que ce qui rate toujours c’est cette idée de la complétude. Pourtant l’être est garanti par le dit puisqu’en dehors du dit il n’y a pas d’être bien que le sujet ne puisse trouver, dans le langage, le signifiant qui, enfin, lui livrerait son être sans discussion possible. D’où le constat que le sujet ne peut s’entendre que comme « manque à être », ce que Lacan écrit $; la barre indiquant ici son défaut d’être. C’est ce sujet barré qui juste avant n’était rien et qui surgit du battement entre deux signifiants, (le sujet représente un signifiant pour un autre signifiant) puis se fige en signifiant à peine apparu. « Car c’est une vérité d’expérience pour l’analyse qu’il se pose pour le sujet la question de son existence […] en tant que question articulée : « que suis-je là ?’ », concernant son sexe et sa contingence dans l’être, à savoir qu’il est homme ou femme d’une part, d’autre part qu’il pourrait n’être pas […] » . Vous entendez toutes les équivocités du verbe être. Le sujet comporte donc ces deux aspects : d’un côté il apparait comme sens produit par le signifiant et de l’autre comme aphanisis, comme disparition. C’est ce que l’on appelle le « Vel » de la première opération du sujet ou son aliénation. Quel que soit le choix du sujet ce n’est ni l’un ni l’autre qui soit susceptible de garder une des parties. C’est très bien explicité par l’exemple qu’en donne Lacan dans le Livre XI avec « la bourse ou la vie » puisque si je choisis la bourse je perds la vie alors que sans la bourse je garde la vie, certes, mais une vie écornée…
La deuxième opération à laquelle le sujet se confronte est celle de la séparation, après l’aliénation. C’est la question du « qu’est-ce que me veut l’autre ? ». Autrement dit le désir de l’Autre est appréhendé par le sujet à travers ce qui ne colle pas dans les manques du discours. Qu’en est-il du discours de l’Autre ? On retrouve chez l’enfant cette nécessaire séparation en questionnant l’objet inconnu du désir parental, au prix, pour le sujet enfant, de jouer sa propre perte… Peut-être que ce jeu sur sa propre perte, du reste nécessaire pour la séparation, pour questionner le désir énigmatique de l’Autre, c’est-à-dire de ses parents, n’est-ce pas ce que l’on retrouve dans certaine forme d’anorexie ?
Vous voyez que tout cela n’est pas très simple puisque les conditions de garantie de l’être, comme nous le fait remarquer Michel Arrivé sont introduites par Lacan d’une part par le discours analytique qui garantit que nous puissions parler et nous permet d’échapper d’une certaine façon à l’impossible du rapport sexuel et d’autre part, que la non existence du rapport sexuel soit la condition de possibilité du discours analytique.
Respectivement :
« S’il n’y avait pas de discours analytique, vous continueriez à parler comme des étourneaux, à chanter le disque-ourcourant, à faire tourner le disque, ce disque qui tourne parce qu’il n’y a pas de rapport sexuel- C’est là une formule qui ne peut s’articuler que grâce à toute la construction du discours analytique, et que depuis longtemps je vous serine ».
Et « j’énonce que le discours analytique ne se soutient que de l’énoncé qu’il n’y a pas, qu’il est impossible de poser le rapport sexuel. C’est en cela que tient l’avancée du discours analytique, et c’est de là qu’il détermine ce qu’il en est du statut de tous les autres discours ».
Alors précisons que ce
ratage est bien celui du désir de complétude homme femme. Une moitié homme qui se complèterait de sa moitié femme.
Mais c’est aussi le ratage de la complétude à l’égard de l’objet. En effet, il me semble que l’on ne peut pas entendre ce qui se joue dans cet aphorisme d’ «il n’y a pas de rapport sexuel » sans y ajouter ou encore le soutenir de son référentiel : « il n’y a pas l’objet ».
Nous en venons alors très vite à l’idée de l’écriture avec la double négation que Lacan propose du « rapport sexuel qui ne cesse pas de ne pas s’écrire » .Double négation qui permet alors de poser le rapport sexuel dans la catégorie modale de l’impossible , par opposition au nécessaire , « qui ne cesse pas de s’écrire » et au contingent, « qui cesse de ne pas s’écrire »
Ce qui est donc impossible, c’est l’écriture de deux termes censés entrer en relation xRy (homme en relation avec la femme), ce qui du coup rend impossible l’écriture de la relation elle-même. Il y a donc de l’impossible, c’est-à-dire du réel qui sans cesse vient faire obstruction et introduit de ce fait le ratage permanent à toute tentative de complétude.
Au fond, je me demande si cette « fragilité » du symbolique n’est pas le résultat de ces différents constats de la série des « il n’y a pas », à savoir qu’il n’y a pas en effet de complétude possible dans la lalangue, rien de la vérité ne peut se dire toute, et par conséquent le reste suit…
Je voudrais terminer ce propos par les conséquences que comporte l’impossibilité de la complétude par rapport à ce fait que j’avais annoncé comme titre ce soir, qu’il n’y a pas de réalité prédiscursive.
Il me semble que la réalité psychique n’est que l’effet produit par le discours, mais d’un discours qui ne peut s’entendre que comme une série des ratages des « il n’y a pas ». Ces ratages eux-mêmes produits par la prévalence permanente du réel qui n’est pas à confondre avec la réalité qui, elle, ne se construit que comme résultante du fantasme dont la fonction est justement de permettre de filtrer ce réel qui bombarde en permanence.
Voilà donc les quelques éléments que je souhaitais développer ce soir et qui donneront lieu à quelque discussion même si cela peut paraître des éléments difficiles d’accès…
Françoise Fabre : Est-ce que le refoulement originaire est une opération permanente ?
Robert Levy : C’est une bonne question…
F.Fabre : je trancherai pour la seconde hypothèse mais « ma pente naturelle » serait de dire qu’il y a refoulement originaire et tout le reste s’en suit ad vitam… Hors dans la temporalité, on peut dire que la permanence se construit. Du coup l’opération originaire aussi, enfin c’est une question…
R.Lévy : Alors comment reprendre cela… Je pense aussi que l’on a peut-être été un peu trop habitué à avoir des repérages de temporalité une fois pour toutes. C’est-à-dire qu’il y a le refoulement originaire et puis après cela autre chose etc…En fait, je crois que l’expérience, surtout de l’analyse, montre que cela ne marche pas aussi bien, aussi facilement que cela et que même pour ce qui est de la question de la métaphore paternelle, c’est quelque chose qui est aussi en construction dans une certaine forme de permanence. La preuve en est d’ailleurs que le symbolique peut tout à fait se trouver totalement défaillant à des moments de rencontre plus forts avec un réel traumatique. Donc du coup, je crois que l’on peut tout à fait remettre la question que tu poses dans cette même remise en perspective où cette espèce de synchronie est en fait à remettre en question.
C’est vrai que ce n’est pas la même chose pour ce qui est du refoulement originaire que pour ce qui est de la question de la métaphore paternelle puisque l’idée du refoulement originaire serait plutôt que ce qui disparaît du symbolique ne réapparaît plus. Alors que ce qui est communément admis des psychoses est que ce qui a disparu dans le symbolique réapparaît dans le réel. C’est quand même une différence importante d’où la question que je te pose par rapport à ta question : penses-tu qu’il puisse y avoir, au cours de la diachronie de la vie, des moments de disparition qui ne sont pas forclusifs mais plutôt d’un refoulement originaire qui se continuerait et où il y aurait quelque chose de totalement disparu qui ne réapparaitrait plus ?
F.Fabre : C’est mon constat
Serge Sabinus : Est-ce que vous seriez d’accord tout les deux pour poser comme principe de fonctionnement que dans tous les cas de figure, le refoulement originaire, même s’il est effectivement intemporel, c’est-à-dire qu’il a toujours lieu mais il reste quand même, me semble-t-il, la condition d’existence des refoulements secondaires, conditions de production de la métaphore. Ce qui implique, par rapport à la question du temps, une antécédence. On reste avec une espèce d’unité chronologique qui s’appelle la causalité en quelque sorte. C’est-à-dire que l’un est la cause de l’autre. Si on reste sur le chemin dont on parle, le refoulement originaire, même en étant ce mécanisme qui n’a de fin, il est quand même antécédent.
F.Fabre : Je crois que c’est pour nous une difficulté de penser parce que si l’on s’en tient quand même à ce qu’a amené Lacan, il n’y a pas de chronologie… C’est un temps logique…Nous, pour penser, nous réintroduisons cela… La question qui me viendrait est que l’on peut avoir des moments de renforcement traumatique, qui peuvent nous donner l’aspect de trauma puisque tout est débridé et on a l’impression que le refoulement ne se fait pas chez quelqu’un qui jusque là pouvait tout à fait être dans le refoulement. Ne serait-ce que les bouffées délirantes, par exemple, qui ne sont pas du côté de la psychose où, à un moment donné, les choses vont se renouer. Cela pose cette question…Ce qui me viendrait comme exemple. A l’autre bout de la chaine, dans les psychoses, est-ce que du refoulement originaire peut se faire ? Pour les bouffées délirantes, en réfléchissant à la clinique il me semble qu’on fait quand même la différence, ce qui module la réponse…Il me semble que l’on repère très vite si on est dans le champ de la névrose ou de la psychose. On voit bien si ce sont des points de désir qui étaient là et qui se sont décapitonnés sur une rencontre que l’on peut qualifier de traumatique dans la mesure où cela fait rupture.
R.Lévy : En tout cas, au moment de la bouffée délirante, il n’y a plus de refoulement. Cela se recapitonne, c’est la grande différence et dans la plupart des cas, sans séquelles…Cela disparaît.
F.Fabre : Oui cela se tricote autrement, ils redeviennent névrosés en quelque sorte.
Jean-Jacques Leconte : c’est quand même étonnant d’arriver ce soir à remettre en question les choses qui sont établies… La question que je me pose se situe du côté du langage et le moment où l’on commence à parler. Le repère que j’ai par rapport au refoulement primordial est qu’il se construit au moment de l’apprentissage du langage, au moment où l’on commence à parler. Mais cet apprentissage du langage, on le voit en cure, il ne cesse de changer ; le discours du patient change et ça va dans le sens, comme tu le disait Serge, d’un éventuel refoulement primaire qui serait toujours à l’œuvre et qu’il n’y a pas à le considérer dans sa temporalité chronologique mais dans une sorte d’intemporalité. Je trouve cela très intéressant, ces moments où l’on peut être surpris dans nos façons de penser un peu figées.
Il me semble intéressant de penser la question de la psychose en dehors du psychotique ; c’est-à-dire que le psychotique auquel on a à faire n’est pas juste celui qui se promène dans la rue, c’est celui qui vient nous voir. Et quand le travail analytique s’engage, c’est comme si je me servais de mes refoulements secondaires pour que cela tienne. Pour le psyc
hotique en analyse, il peut y avoir effectivement d’abord le refoulement secondaire, en l’occurrence de l’analyste, qui permet une sorte de refoulement originaire, faisant que l’on accède à quelque chose.
F.Fabre : Clavreul ne voulait pas parler de diagnostic de structure. Il disait qu’il y a une relation au grand Autre et suivant la position du sujet face au grand Autre il va se retrouver fonctionnant comme un névrosé ou comme un psychotique. Un autre dira que dans une séance on peut passer par toutes les catégories possibles et imaginables… Je n’irai pas jusque là et Clavreul n’allait pas jusque là non plus mais que la position du grand Autre pouvait changer pour un sujet, changer de structure, il allait jusque là… Cela présente l’intérêt d’être moins figé.
Chantal Hagué : Ce que je trouve intéressant est dans la position transférentielle et d’un sujet de l’inconscient possible pour l’analyste qui permet au patient psychotique de bouger, de construire quelque chose dans le transfert.
F.Fabre : Je lisais tout à l’heure un texte de Tosquelles qui a fondé la psychothérapie institutionelle après la guerre d’Espagne et qui avait un langage assez « vert » avec ses patients. Donc dans le texte de ce matin, ce qu’il prouve est fondamental, c’est qu’au départ, il ne parlait pas la même langue (fort accent entraînant des difficultés à comprendre et à se faire comprendre..) et il en a fait quasiment un outil de travail. C’est-à-dire que dans la mesure où on ne comprenait pas le sens des mots, il restait la musique, l’intonation, la ponctuation…
Quelques observations concernant la structure de la langue
R.Lévy : Je crois quand même qu’il y a une opération fondamentale quelle que soit la langue qui est celle permettant justement pour un enfant avec sa mère de transformer et de passer du moment où la langue est un code au moment où la langue devient la représentation du désir. Quelle que soit la langue, c’est un moment fondateur pour un sujet parlant quelle que soit sa langue. Autant je trouve que l’on peut réinterroger la question diachronie, synchronie par rapport au refoulement, or autant je reste très difficilement mobilisable sur une autre formulation que « l’inconscient est structuré comme un langage » parce qu’à partir du moment où on bouge cette proposition, on voit bien, en effet qu’on est dans une autre formulation « par un langage ». C’est ça notre discussion : est-ce que l’inconscient n’est pas structuré par le chinois autrement que par le français. Je trouve que c’est une proposition, pour ma part, que je ne peux que rejeter par principe. Alors, que les idéogrammes aient une autre formulation, que cela se goupille différemment, je suis d’accord mais si on ne tient pas sur ce point là, on parle de tout à fait autre chose.
On part de la question : avec quel inconscient travaillons-nous ? On peut parler d’un autre inconscient, par exemple Jung ou Adler ont travaillé avec une certaine formulation de l’inconscient tout à fait différente de l’inconscient au sens freudien ou lacanien qui me semble là ne pas pouvoir bouger de ce bord géographique qui est incontournable à mon avis, à savoir que l’inconscient est structuré comme un langage et non pas par un langage. Même si on peut considérer que des langues, aussi différentes que les langues asiatiques, ont probablement des effets sur le « comme un langage ». Parce que ce qui prévaut est : comment vous vient la langue ? C’est-à-dire dans quelle relation à l’Autre, cela peut s’inscrire avec toutes les différences culturelles que cela puisse comporter. Je crois que c’est un invariant qui fonde la question de l’existence même de ce qu’un humain est, en terme de parlêtre. Si on bouge cela, alors on est dans un autre registre. D’ailleurs pourquoi pas ?
S.Sabinus : En ce qui concerne les autistes, est-ce que l’inconscient, s’il y a de l’autiste, est structuré comme un langage ?
R.Lévy : Je pose la question très clairement. Tout dépend du référentiel. Si l’on considère l’inconscient freudien, c’est le refoulement. Il ne s’agit pas de ça chez les autistes.