A.Roman- Intervention au congrès d’AF- 04octobre 2020
L ´amour aux temps des maternités contrariées
“Mère, raconte moi tout ce que tu sais de tes vielles douleurs.
Raconte moi comment naît et arrive son petit corps enroulé dans mes viscères.
Apprends moi, mère, la berceuse avec laquelle tu m’as bercée.
Celle-ci le fera dormir mieux que les autres berceuses”.
Fragment “Cuéntame, madre…” Gabriela Mistral
Le concept de maternité peut se comprendre comme une fonction et un processus qui articule la biologie et la culture, donc le réel et le symbolique.
A l’accouchement se rejoignent les mystères de la mort et de la vie où apparaitra un autre être qui changera l’existence de cette femme pour toujours.
A partir du moment où la femme devient mère elle sera responsable de transformer cet être en sujet de la parole, puis le bébé apprendra la langue maternelle qui se transformera en premier grand Autre.
La maternité comprise comme un processus vécu à partir de la perspective féminine, suppose une tension entre la femme et la mère et à la fois, un déplacement du lignage familial, où la nouvelle mère pourra prendre la place dans le cercle des autres femmes mères avec un rôle culturel, être responsable de tâches non seulement domestiques mais aussi spirituelles.
Comme fonction la maternité peut être exercée par d’autres qui n’ont pas accouché cet enfant, prendre cette place dans la culture et inscrire la fonction maternelle.
En ce sens la maternité est une position subjective qui suppose un changement de statut dans la famille et dans la durée se termine seulement au moment de la mort du sujet ou de l’abandon de la fonction.
Comme position subjective, la maternité est traversée par le discours scientifique et les vérités absolues que ce discours s’efforce de construire. L’une d’elle est l’instinct maternel avec une de ses consignes très diffusée: “l´amour maternel” qui s’impose comme vérité absolue. Par rapport auquel, nous autres les femmes, par notre nature, avons un destin, un commandement qui pèse sur nos corps, car on attend de nous que nous soyons mères. Si nous le serons, le discours scientifique attend que la nature se charge de donner cours à un savoir être mère, quasi magique, surnaturel, pour accomplir notre destin et fin ultime, la reproduction de l’espèce.
L´ ideal maternel est une construction socio-discursive qui remonte aux philosophes naturalistes comme Jean-Jacques Rousseau qui firent de l’instinct maternel une vérité irréfutable. En ce sens, la perspective naturaliste ne permet pas de rendre visible le malaise de nombreuses femmes qui ont des difficultés dans leur expérience de la maternité.
Freud nous montre comment les idéaux maternels remontent jusqu’aux origines de notre culture. Un exemple en est le symbole du vautour dans mythologie grecque et égyptienne analysé dans le texte: “Un souvenir infantil de Leonardo da Vinci” où seule la femme pouvait procréer.
Dans la perspective latinoamericaine, c’est l’idéal de la Vierge Marie qui pèse sur notre culture d’une manière très particulière. De plus, le syncrétisme propre à la conquête en tant que métissage entre l’indien et l’européen, est la base sur laquelle s’inscrit le féminin.
Comme l’explique Sonia Montecinos:
“Dans l´histoire de l´Amérique latine, prédomine le maternel. Quant au paternel, il apparait comme une autorité fantasmatique par son absence, comme un Père lointain et peu audible; mais non sans pouvoir.”
L’idéal de Marie et l’absence du père peuvent produire des symptômes qui, dans l’écoute de la clinique rendent compte de ce que des femmes désirent atteindre ces idéaux. Mais le fantasme de la vierge Marie, sainte, chaste, puissante, dévote dans l’abnégation, souffrante et seule, femme complète avec son fils comme phallus est brisé par la frustration.
D’autre part, la société minimise les coûts de la femme par sa maternité en rapport à son corps, la liberté, la carrière, et les émotions qui proviennent de l’amour maternel, en particulier la peur de la perte.
C´est ce que j’ai pu entendre dans ma clinique et dont l’origine remonte aux mythes et légendes de notre culture latinoaméricaine.
Parmi les figures féminines mythiques, on retrouve “la pleureuse”, une femme que erre dans les rues en pleurant la perte de son fils. Cette menace de la perte est particulièrement présente chez les femmes seules, sans présence du père, voire père absent comme dans les cas de fertilisation assistée et encore chez les mères avec le père présent qui est annulé dans sa fonction ou exclu.
Par exemple cette vignette clinique:
“…quand j´ai été mère c’est comme si on m’avait ouvert un portail, et je suis rentrée dans un autre lieu où il existe un amour méconnu, et je pense comment ais-je vécu avant ce portail? Et aussi je pense ce que ferais-je si ce bébé meurt? Qu’est -ce que je ferais si je perdais ce bébé?.”
Ce qui émerge c’est la réactivation des relations primaires mère- fille, fondement du fantasme maternel et cela nous invite à écouter comment chaque analysant a construit ce fantasme et bien entendu le lieu qu’occupe l’enfant dans la construction de l´Oedipe.
Mais peu de bibliographie incorpore la perspective de la mère comme sujet dans la relation mère-enfant. D’autre part, la demande de nos analysants par rapport à leur expérience de la maternité va en augmentant. Des femmes enceintes et des mères qui souffrent de dépression pré ou post partum. Mais aussi d’autres patientes qui consultent pour dépression et où émerge la question d´être mère; la perte de leur vie antérieure, le regret d’avoir eu des enfants, la non rencontre du bonheur dans une société qui ne prend pas en compte les vécus d’ambivalence et de conflit de la maternité, entre autre.
Il est possible de mettre en évidence une tension, dans l’abordage clinique entre la psychologie et la psychanalyse, car l’aide psychologique n’interroge pas l’idéal maternel , mais tend à faire accepter et à se suradapter à un ideal à atteindre, niant les pulsions agressives présentes dans la relation mère- enfant comme dans toute relation humaine. Ce que nous pouvons proposer comme analyste, c’est une éthique d’une écoute différente , non pas une orthopédie ou une pédagogie comme le dit Lacan dans le séminaire 7.
Se transformer en mère suppose des pertes, une castration. Delà que l’enfant n’est pas seulement un phallus qui complète la mère, mais une castration qui touche de nombreux points subjectifs: l’un d’eux est le changement de l’image corporelle, au-delà de l’esthétique, mais au niveau de l’identification pour la constitution du moi, qui est envisageable à partir de la théorie du stade du miroir.
La première observation que j’ai faite chez les femmes enceintes, c’est la relation à leur propre corps. Cette transformation du corps est constante, des douleurs apparaissent et des malaises. Une mutation de nombreux organes se réalise même après l’accouchement.
La théorie du stade du miroir de Lacan est fondamentale pour comprendre l’origine du sujet en ce qu’il se perçoit comme une unité mais séparé de la mère. Cette perte de l’autre maternel suppose une castration entendue comme une coupure du langage pour se transformer en sujet, pour l’émergence du désir et l’apparition de l´Autre. Mais l’objet perdu sera recherché dans la représentation spéculaire.
On peut observer que la fonction phallique est l’opération symbolique de la castration à laquelle les femmes ne sont pas complètement soumises à la différence des hommes. Le phallus vient à signifier la jouissance perdue, la perte de l’objet a dû à l’entrée dans le Symbolique. C´est pour cela qu’il y ade une limite à la jouissance.
La formule de la sexuation situe la jouissance féminine comme l’impossibilité de dire que la femme existe comme un tout, puisqu’elle ne répond pas à une fonction universelle. Si La femme n’existe pas nous dirons en conséquence que La maternité n’existe pas car de multiples formes de vécu de la maternité font que les femmes ne sont pas soumises totalement à la fonction phallique.
A la lumière de la théorie du stade du miroir et des expériences cliniques des maternités je crois primordial de repenser ce qui arrive aux femmes quand elles deviennent mère. Existerait-il un second moment identificatoire et instituant des sujets femmes, où l’image spéculaire autrefois assumée n’est plus suffisante? Apparaitrait-il une nouvelle formation du moi maternel qui se structurerait à partir des trois registres, réel, symbolique et imaginaire?
Le devenir mère et le développement de son narcissisme -comme noyau constituant du moi- ne dépendra plus seulement de son image corporelle réalisée par le stade du miroir dans son enfance, la relation aux autres, à la société, à ses parents, l’histoire de sa famille mais dépendra aussi de cet enfant qui apparaitra dans sa vie pour tout bouleverser et combler le manque. Ma question est, si cet enfant seulement comblera le manque?Parce que s’il le comble, il n’y aura plus de conflit; or comme il y en a, je crois nécessaire de réviser ces théories. Une des possibilités est de les revoir a partir du corps.
A ce propos Dolto explique.”…c´est dans l’image du corps, support du narcissisme, que le temps s´articule à l’espace et le passé inconscient résonne dans la relation au présent.” (Dolto, 1984. Pg. 19).
Je peux dire que les femmes en tant que créatrices de vie se trouvent dans un passage vers une nouvelle identité. Son moi ideal est mis à l’épreuve; l’image du corps qui provient de l’amour que lui a donné le regard de sa propre mère, ses paroles d´amour, instituantes du sujet réactivera ce processus (Ideal du moi/moi idéal). Selon ma clinique, cela marquera la possibilité de pouvoir développer une maternité moins conflictuelle.
Cependant, il y a des mères dont leur propre mère selon les dires de Winnicott n’ont pas été “suffisamment bonne” et donc la crise d’identité et d’identification est plus importante? Ce serait des maternités contrariées, c’est à dire que quelque chose a raté pour une transformation plus harmonieuse entre la femme et la mère.
Les femmes qui ont eu une maternité contrariée produisent des manifestations symptomatiques multiples à partir d’un conflit particulier avec leur propre mère et celles qui l’ont précédée: grand mères, arrières grand mères, tantes etc.
J´ai pu aussi comprendre que le peu d’information que les pacientes apportent concernant les femmes de leur famille, leur réussite, les peines, sacrifices, profession, intérêts et même les lieux d’origine sont aussi un symptôme car ce manque d´historisation produit une carence dans le discours, les histoires des mères ne rentrent pas dans la chaîne signifiante, car elles ne sont pas des histoires importantes pour notre culture.
Entre Médé et la Vierge, il existe un abîme de possibilités et nous analystes sommes appelés à écouter pour creuser le peu qui reste de cette histoire mystérieuse des femmes de chaque famille pour alléger le malaise, la haine et l’amour.
Les histoires des hommes de la famille sont facilement repérables, professions, activités; en revanche pour les femmes de la famille, on en sait très peu, cela apparait suturé, refoulé, mis sous silence, laissant les patientes en conflit face à leur maternité, sans possibilité de s´identifier, ne pouvant compter sur une partie importante de la nouvelle familiale.
Les nouveaux modèles totalisants qui nous sont offerts, ceux qui probablement nous accepterons car ils appartiennent au monde des hommes.
Nous méconnaissons les maternités dans leur complexité, une relation où les pulsions amoureuses et agressives sont présentes et même nécessaires pour la constitution du sujet font apparaître la différence. Actuellement, aux temps du covid 19 et des explosions sociales, l’histoire des femmes produit à nouveau un renversement en rapport avec l’amour maternel. A savoir les conséquences de la symbiose d’une mère et de ses enfants pendant le confinement sera un matériel d’analyse futur car la mère se transforme en un tout pour ses enfants: mère, professeure, amie, tutrice, et souvent soutien économique de la famille.
Face à l’irruption du réel de la pandémie, il existe la possibilité que chacun réponde aux impératifs avec ses propres ressources: les mères répondrons selon les positions subjectives décrites précédemment dans quelques cas jusqu’ au domage, l’étouffement de l’enfant par des soins excessifs, le contrôle ou l’abandon de la fonction. Entre ces deux extrêmes, il y a nous les femmes mises à l’épreuve et les analystes qui sommes appelés à à en rendre compte par l’écriture, par la théorie et par la transmission des nouvelles et vieilles logiques qui réactivent les crises sociales et la pandémie ainsi que de l’avenir incertain.
Bibliographie
- Freud, S. (1910). Un souvenir infantil de Leonardo Da Vinci. Editorial Amorrortu. Tomo XI.
- Lacan, J. (2002) Ecrits 1. Editorial Siglo XXI.
- Lacan, J. (1975) Encore. Séminaire 20.
- Lacan, J (1981) L´éthique de la psychanalyse. Séminaire 7
- Dolto, F. (1984). L´image inconsciente du corps
- Montecinos, S. (1990) Símbolo mariano y la constitución de la identidad femenina en Chile. Centro de Estudios Públicos Nº 39. Santiago de Chile.
- Mistral G. (2015) Poema de las Madres. Edición Digital: Biblioteca Nacional. Santiago de Chile.