ANAPSYpe 1-Dominique Ratia-Armengol"De la dévoration du biberon à la saveur de grandir"

Position et engagements de l’ANAPSYpe

Bonjour ! Je tiens à remercier le comité de pilotage qui nous fait l’honneur de nous inviter et plus particulièrement Robert Levy dont je sais l’amitié qu’il porte à notre association, l’ANAPSYpe – l’association nationale de psychologues pour la petite enfance (1). Notre collaboration à l’occasion de notre Journée d’étude en 2010, sur « L’enfance : un trouble à l’ordre public ? » où vous êtes intervenu, et la soirée organisée par l’ANAPSYpe autour de votre livre « l’infantile en psychanalyse », en témoignent. Mais je tiens également à souligner combien nous nous réjouissons de ce temps consacré à la période de la petite enfance, en matière d’éducation. Laquelle, s’il faut encore aujourd’hui l’affirmer, ne commence pas à la marche…. mais au biberon…

Je dis-nous, parce qu’ensemble ici présentes, nous intervenons toutes trois du lieu de l’ANAPSYpe, dont je suis l’actuelle présidente, après Danièle Delouvin et Sylviane Giampino qui en est la co-fondatrice, et toutes deux aujourd’hui, présidentes d’honneur.
Vous parler de l’ANAPSYpe, n’a d’intérêt avec le sujet qui nous occupe durant ce congrès de trois journées, que d’arriver en quelques dizaines de minutes, à vous permettre de vous représenter comment en 30 années d’existence, l’Association et ses psychologues qui travaillent dans le champ de la petite enfance, plus précisément dans les lieux d’accueil des bébés en collectivité ou en individuel, et ou dans les centres de prévention maternelle et infantile et de protection de l’enfance, comment les psychologues ont cheminé durant ces décennies avec les bébés et leur famille, avec les professionnels et les institutions dans lesquelles les tous petits doivent pouvoir y trouver non seulement un berceau social de qualité, mais également l’étayage psycho-éducatif indispensable à leur allant-devenir, à son grandissement, dont les saveurs n’ont de goût suave que celles qui sont associées à leur être devenant.
C’est là interroger, pour l’infans, les conditions et composantes sociales qui contribueront :
⁃ à ce qu’il soit respecté en tant que personne,
⁃ à ce que sa fragilité psychique du fait de sa néoténie soit prise en compte,
lui qui dans son état d’être, exprime à corps et à cri, dans ce premier temps de l’existence qu’il est sujet de son désir, car « tout est langage » !
C’est en effet en 1986 -à partir de l’expérience des psychologues exerçant dans les services de prévention et d’accueil pour la petite enfance, que L’A.NA.PSY.pe., a été créée et proposa dès lors, un éclairage spécifique sur les fondements et les enjeux des modes d’accueil – d’où entre autres, sa XIIème journée d’étude en 2003 sur « La garde du jeune enfant enjeux psychiques, enjeux de société ».2
Et que, depuis sa concertation ministérielle sur le décret des modes de garde en 1986, qui avait motivé les psychologues à se constituer en association, l’A.NA.PSY.p.e poursuit son engagement également « politique » au service la petite enfance et de la famille. (cf. les différents collectifs où elle concourt activement).
L’A.NA.PSY.p.e, en se référant aux enseignements de la psychanalyse, soutient la nécessité d’une écoute et d’un regard bien spécifique pour les bébés, en insistant sur la prise en compte de chaque enfant dans ses particularités et ses liens avec son entourage : ses deux parents, les professionnels qui s’en occupent, les institutions qui lui sont dédiées, et la société dans laquelle il évolue. Il s’agit bien ici, d’interroger le positionnement subjectif des adultes et des professionnels.
Or par les temps qui courent, comment être « A l’écoute des bébés et de ceux qui les entourent» (3), comment préserve-t-on « le temps psychique des bébés »4, et, qu’à y faillir, il y a lieu de se poser la question « s’il y a encore une petite enfance ? »5, dans notre société en mutations où nous sommes « à la recherche du sens perdu »6.
Ce sont là les vives préoccupations que nous avons développées lors de nos derniers colloques.
C’est donc à une certaine conception de la prévention et de la Qualité des modes d’accueil des tous petits, et de leurs familles, qui est devenu un label reconnu et référencé au-delà des frontières, que veillent les psychologues de l’ANAPSY, redoutant que la prévention prévenante ne soit supplantée par la prévention prédictive, et que la qualité se décline à partir de normes !
Prévention prévenante dont je rappelle que c’est en 1990, au colloque de la Harpe Enfant de Droit, que Sylviane Giampino en parlait déjà, en opposition au dépistage préventif… 7
Sous couvert d’une juste préoccupation d’intervenir au plus tôt pour favoriser l’équilibre psychologique des enfants, reviennent en force et se développent aujourd’hui des méthodes de prévention qui confinent à la traque des bébés, dont notre association avait anticipé les risques de dérive (8)
Non seulement, on attend précocement des enfants, des aptitudes qui nécessitent justement un temps, celui de l’enfance, pour se développer, mais encore on traque même chez les plus petits, les écarts par rapport à des normes calibrées. Ecarts interprétés comme des retards, pire, des déviances, des troubles mentaux.
Les étiquettes de « troubles de comportement » ou de « dysfonctionnements » sont collées de plus en plus tôt, avec les dangers de leurs effets pathogènes sur la dynamique du grandir des enfants.
Aujourd’hui, se retournent contre les petits enfants les découvertes faites depuis quarante ans sur l’intelligence des bébés, qui ont permis les progrès que l’on connaît sur la façon de s’en occuper. Les connaissances sur la précocité relationnelle et l’importance de la parole sont récupérées aujourd’hui à des fins de développement de compétences cognitives et comportementales, avec une demande d’adaptation de plus en plus prématurée (9).
C’est dire ainsi, pour reprendre le titre du livre consacré à Myriam David que « prendre soin de l’enfance »10, quand les bébés sont accueillis par des professionnels de la petite enfance, en collectivité ou en individuelles, pose de manière cruciale, la question de la prévention prévenante pour les dits professionnels  :
– objet ou sujet de soins ? – soin physique et soin psychique ?
– Le prendre soin de l’enfance relève-t-il de quel éducare ?
Comment la prévention peut-elle se penser durant la période de l’infans ?
Faut-il préconiser l’éveil, la découverte nécessitant de respecter le temps de l’enfance, dans l’accompagnement de la propre créativité du bébé, ou opter pour le conditionnement comportemental, aux contours attractifs, quand il se présente sous la forme d’un préapprentissage scolaire…. attrayant, quand il serait le gage d’une pré-insertion sociale, début d’acquisition d’un passeport pour l’avenir, rassurant contre le risque de l’exclusion.
Prévenir, selon nous, c’est d’abord accueillir et écouter, ça implique qu’on ne sache pas à l’avance ce qui va se produire, mais qu’on soit prêt à l’entendre, dans une présence attentive, attentionnée.
Face aux assauts des précipitations éducatives et des idéologies de la performance, de l’envahissement des technologies et de la consommation dans le champ de la petite enfance, nous, psychologues cliniciens travaillant auprès des enfants de moins de trois ans, affirmons qu’ils doivent être maintenus à l’abri des injonctions de rapidité, d’efficacité, de rentabilité et d’ap
prentissages préformants, et de conduites sociales conditionnantes et normalisantes.
Le tout-petit ne peut être sacrifié au nom des supposées réalités économiques. Les enfants ne peuvent être traités comme des objets à caser, les parents comme des clients et les professionnels comme des exécutants.
Mais Il faut du temps…
Il ne peut y avoir d’aide sans temps d’élaboration d’une demande. Il faut du temps pour tisser des liens de confiance, pour que des propositions d’aide puissent être acceptées, pour qu’une alliance souple puisse se construire.
La prévention prévenante est un tissage au long cours, en délicatesse, dans la continuité et la durée, pas spectaculaire, mais pertinent.
Qu’en est-il de ce que l’on attendrait d’une expertise éducative provenant des cliniciens ? Quelle conception de l’éducation pour le bébé ?
⁃ S’agit-il de pré« former » le bébé, au nom de la prévention ?
⁃ Ou bien de l’accompagner dans l’acquisition d’une autonomie physique et psychique ? libre de toute expression ? ….
Un constat, à l’occasion des 25 ans de l’Anapsype où sont questionnés les changements du rapport aux enfants, au regard de la prévention des modes d’accueil, de la scolarisation précoce, quand on attend de lui toujours plus de performances et un comportement impeccablement socialisé ; On veut lui offrir une socialisation précoce, une éducation précoce, des temps de jeux qui lui soient utiles !
Chacun constate aujourd’hui que le rapport au temps est bousculé. Dans nos sociétés l’évolution des technologies accélère l’action et conduit à une gestion où rapidité immédiateté efficience et rentabilité sont les mots d’ordre.
Quels effets ont ces transferts des logiques économiques marchandes sur les temps psychiques ? Le temps pour se développer, pour penser et élaborer ?
Dans les instituions les professionnels de l’enfance son sollicités pour participer aux quadrillages et aux maillages serrés des pratiques. Serait- ce au risque d’un formatage de la pensée et de l’action ? Comment dans ce contexte soutenir, accompagner les tous petits dans leur développement psychique et leur inscription dans le symbolique ?
C’est à partir de ses divers vécus et expériences, et en fonction de ce qu’on lui prête durant les premières années et des instruments langagiers qu’on lui présente, en fonction de ce qu’on lui offre que le tout petit acquiert la capacité à intérioriser les expériences de sa différence, puis celles de la complexité des différences…
L’apprentissage de son autonomie, à être ou à faire ?
Dans quels temps, et à quelles fins enfermerait-on le bébé, si l’on ne laisse plus le temps à celui-ci de déployer la particularité de son rapport au monde, dans la découverte, à partir de « son capital », au rythme de ses capacités et de l’originalité de ses montages, favorisant ainsi la structuration de toutes ses expériences dans un ordre qui lui soit singulier ?
Oui, il nous importe de repérer, quand l’adaptabilité de l’homme est conçue en termes de comportements codifiés, normés et catégorisés, qu’il est ainsi fait fi de toute subjectivité, que l’enjeu éducatif en direction des bébés pose la question de la place laissée au sujet, désirant de sujet, quant au nom d’une prévention précoce, se profile un pré-formatage psychique des bébés.
Ainsi, poser la question du temps, à l’aube naissante de la vie psychique du bébé, c’est interroger, pour le nourrisson qui construit son psychisme, les moyens qui lui sont offerts de structurer la temporalité selon une chronologie éminemment culturelle.
 

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