METZ Anna Konrad « Quelques difficultés dans le sexuel »

Le sexuel, des mots, alors, pour le voir ? Cette question me fait penser à l’enfant évoqué par Freud qui, ayant peur du noir demande à sa nounou de lui parler car lorsqu’il entend sa voix, il ne fait plus noir… Ce noir-là s’éclaircit quand de la nounou vient s’énoncer une place de l’enfant dans un rapport à l’Autre, quand s’incarne un lieu du signifiant, qui est aussi un lieu de désir pour l’enfant, lequel, dès lors, pourra organiser quelque chose pour parer à sa détresse. L’humain, c’est d’abord une affaire de mots…   Le signifiant renvoie à un lieu, celui de l’Autre, qui est un lieu de désir.

En quoi ce lieu de désir peut dans l’analyse d’un sujet être soutenu par un analyste de manière à permettre à l’analysant une fréquentation de son inconscient qui ne soit ni traumatique, ni de nature à émousser les « vagues », pour reprendre encore un mot de Lacan dans le même texte, et dont la production incombe à l’analyste ?

Je vais me centrer sur la question du désir en fin d’analyse pour évoquer la dimension du sexuel dans l’institution psychanalytique. Si nous pouvons attendre de l’analyse qu’elle rende possible un autre lien social que celui basé sur la psychologie des masses, ce questionnement n’est pas déplacé dans une journée d’étude où le lien social est au centre du débat.

L’institution a pour vocation la formation de l’analyste et donc en particulier de favoriser que les cures puissent s’achever sur une fin d’analyse et non sur une interruption conforme à l’intérêt du moi, occultant le devenir dans l’inconscient. Il ne dépend pas des seuls analyste et analysant à mon avis, que cette fin puisse être atteinte. Bien entendu, c’est l’Autre qui est en cause, le grand Autre, mais en l’occurrence l’institution psychanalytique constitue aussi celui-ci. Pour reprendre Jean Clavreul dans l’article La passe à l’école freudienne : « comme sujet, on est constitué par le discours déjà existant, par le discours qui a été tenu en particulier par Freud et Lacan et aussi par nous mêmes et par ce que nous avons déjà écrit »1.

En quoi la fréquentation par le sujet de son inconscient, soutenu par le désir de l’analyste dans le transfert, est d’un prix qui ne le cède à rien d’autre, comme une amélioration de ses conditions de vie, une meilleure capacité sociale et même une sexualité plus épanouie ?
Cette question amène celle de la fin d’analyse : qu’est-ce qui permet à un analysant de rompre la relation analytique lorsqu’un certain nombre de facteurs convergent vers le maintien d’un transfert indéfini où l’analyste reste placé à la place de l’Idéal du moi ?

Dans un article d’une clarté particulière : « Quelques propos sur la servitude », Michel Lehman parlait en 2007 – cela se trouve dans Analyse Freudienne Presse n°15 – de la conjonction de la tendance du névrosé à se faire objet du désir de l’Autre avec la possibilité qu’il rencontre chez son analyste une réponse à la question : « Que me veut-il ? » sous la forme par exemple du projet politique de celui-ci. Dans ce cas, la servitude volontaire peut se réaliser dans l’identification de l’analysant au projet de son analyste, au lieu que cette identification soit analysée dans le transfert.
La réponse de Michel Lehman à cette difficulté est timide : « Avertis, nous dit-il, les analystes sont habituellement à même d’écouter leurs analysants impliqués de cette façon. Ainsi va être évité que soient passées sous silence les éventuelles manifestations du transfert en dehors de la cure, acting out dans l’espace collectif ». Il renvoie ensuite la solution du problème aux conditions propices pour qu’apparaisse un transfert de travail et à l’invention et l’expérimentation de dispositifs instituants. La compétence de l’analyste est donc convoquée pour parer aux effets d’aliénation du transfert, mais ici, Michel Lehman est peu attentif aux témoignages portés par les analysants devenus analystes sur leur fin de cure. Personnellement, j’ai trouvé, en discutant avec des collègues, que l’échec de son analyste éprouvé par l’analysant – échec de son désir d’analyste – bien entendu, c’est l’analysant qui parle, est souvent audible, sinon avoué. Le sujet supposé savoir semble destitué au prix d’une faillite de l’analyste dans la perception de l’analysant.
Celui-ci reconnaît-il cette faillite comme venant d’un échec à avoir accompagné son analysant d’un désir x au lieu d’un désir trop bien déterminé ou bien voit-il dans le discours de son analysant un désir de le destituer par quelque moyen que ce soit, éventuellement pour que ne soient pas analysées les identifications que son analysant ce faisant préserve ?

Dans un article – remarquable – paru dans le numéro 6/7 de Scilicet, intitulé Sur l’histoire de la formation des analystes, l’auteur indique les difficultés quant à la formation des analystes dans le contexte de la réglementation de l’IPA ou API (Association Psychanalytique Internationale). Il évoque le « pouvoir réel » de l’analyste didacticien sur son patient, un pouvoir dont il fait usage en décidant de l’aptitude de son analysant à devenir ou non analyste, créant ainsi des conditions défavorables à un véritable processus analytique. Il souligne que seule Paula Heimann, dans les débats rapportés dans l’International Journal of Psychoanalysis, a proposé en 1953 que les obstacles propres à l’analyse didactique soient plutôt utilisés comme levier et fournissent autant d’occasions d’analyser le matériel inconscient qui s’y rattache.
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Le problème de ce pouvoir réel de l’analyste sur l’analysant, dont l’analyse dans le transfert fait difficulté, a-t-il été résolu avec les innovations institutionnelles lacaniennes et post-lacaniennes ?

Dans la proposition d’octobre 1967, Lacan dit ceci : « …il y a un réel en jeu dans la formation […] du psychanalyste. Nous tenons que les sociétés existantes se fondent sur ce réel […] Le fait est pas moins patent – et pour nous concevable – que ce réel provoque sa propre méconnaissance voire produise sa négation systématique. » L’auteur de l’article sur la formation des analystes s’appuie sur cet aperçu proposé par Lacan pour expliquer la restriction du champ proprement analytique dans le cursus de formation, ficelée par la bureaucratie et le pouvoir des anciens, dans l’IPA.
Mais n’y a –t-il pas une raison structurelle dans le transfert de la fin de cure de l’analyse dite « didactique » qui implique un pouvoir réel échappant à l’analyste même et qui fait obstacle à l’analyse ?
Un pouvoir réel où l’institution psychanalytique, fondée sur le réel en jeu dans la formation du psychanalyste, est concernée…
L’analyste en formation est invité aujourd’hui par l’élaboration lacanienne et l’existence même de la passe dans l’histoire de la psychanalyse, à formuler avec ses propres signifiants et sa subjectivité les fondements théoriques de sa position d’analyste. Aussi contingente que puisse être dite la relation entre la cure, qui produit ou non de l’analyste, et la position du psychanalyste, le désir d’analyste se manifeste aussi dans le traitement par le sujet des signifiants de sa cure.
La fin de cure est un discours singulier de l’analysant et un objet théorique sur lequel sont engagés l’analysant, l’analyste et l’institution psychanalytique. Ce qui échappe à l’analyste dans cette partie est ce qui le relie à l’institution. Il y a une difficulté inhérente à la fin de cure, l
iée à un inanalysé structural de l’analyste dans le transfert où à cet endroit le désir de l’analyste ne peut se présenter comme une parenthèse vide offerte aux signifiants de l’analysant.
Dans le cas où l’analysant et l’analyste – je parle intentionnellement des deux – se gardent de s’impliquer dans une même institution psychanalytique, cet obstacle est ignoré et inaccessible à l’analyse.

A l’Ecole Freudienne fondée en 64 par Lacan, le pouvoir du didacticien était encore, dans les statuts, réel sur la carrière du candidat, il participait à un jury qui l’autorisait à pratiquer l’analyse et plus tard à sa titularisation.
Avec la mise en place de la passe à partir de 1967 à l’Ecole Freudienne de Paris, le pouvoir institutionnel sera déplacé sur la nomination des candidats ayant fait la preuve dans la passe de leur participation à l’élaboration doctrinale de la psychanalyse et pouvant « témoigner des problèmes cruciaux aux points vifs où ils en sont pour l’analyse, spécialement en tant qu’eux mêmes sont à la tâche ou au moins sur la brèche de les résoudre ».
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Avec Lacan, nous sommes dans une véritable élaboration doctrinale de la fin de cure, problème en première place parmi les « points cruciaux au point vif où ils en sont pour l’analyse ».
Avec le désêtre et la destitution subjective, Lacan a proposé des signifiants pour la fin d’analyse dont les articulations avec le devenir analyste étaient l’enjeu théorique de l’expérimentation de la passe.
L’institution qui « méconnait » ou « nie systématiquement » le « réel en jeu dans la formation » était censée être enseignée par une expérience ordonnée pour empêcher cette méconnaissance et cette négation. Les effets qui en résultaient ne pouvaient pas manquer d’impliquer les analystes en mettant leur désir au travail et par conséquent devaient avoir une incidence sur les cures elles-mêmes. Jean Clavreul témoigne dans ses travaux sur la passe de la relative confidentialité de cette expérience au regard de la masse qui composait l’EFP avant sa dissolution et de la bureaucratie qui n’avait pas manqué de paralyser cette institution qui a grossi jusqu’à pouvoir être comparée à l’IPA. Moustapha Safouan, quant à lui, soutient dans Psychanalyse. Science, thérapie – et cause, que Lacan ne croyait pas dans son école, mais plaçait son désir de succession dans la survivance de son enseignement, d’où le rôle crucial de Jacques Alain Miller, l’éditeur de son séminaire.

Par ailleurs, la passe n’a jamais prétendu se substituer à la cure, ni permettre de finir celle-ci, même si la logique institutionnelle de la passe ne peut pas manquer d’avoir des effets sur la pratique des analyses.
Cela nous ramène à l’importance de la pratique institutionnelle et théorique dans l’institution psychanalytique, comme composante réelle des fins de cure.

La dimension de l’assujettissement au grand Autre et la démission subjective devant l’Idéal peuvent se manifester dans l’institution sous la forme d’un pervertissement du désir, comme en témoigne la « servitude volontaire » attestée par Michel Lehman.
Particulièrement, si la tendance à se faire objet du désir de l’Autre est renforcée par un transfert dans l’institution qui ne peut plus être analysé sur le divan.
La difficulté qui en résulte peut à l’occasion et dans la rencontre avec un petit autre sollicitant ce déploiement, ramener le sujet à des formes d’emprise qui ont connu une limite dans sa cure par l’intervention du désir d’analyste et l’accès à une symbolisation.
A présent le réel du désir de son analyste n’est pas étranger à ces formes d’emprise, ajoutant un obstacle à leur analyse. L’analysant se trouve dans une situation analogue à celle de l’enfant trop tôt confronté à l’endroit de son père à une faille inarticulable qui laisse une entaille traumatique.
Le transfert, « mise en acte de la réalité sexuelle de l’inconscient », comporte jusqu’à la fin une actualisation traumatique. Le fantasme, comme objet spécifique propre à la psychanalyse, n’offre au sujet qu’une protection limitée en lui permettant d’articuler ses relations désirantes ailleurs, mais non dans les rapports en cause dans le transfert inanalysable en jeu. 4

Post scriptum :
J’ai présenté ce travail lors d’une journée d’Analyse Freudienne consacrée aux effets du sexuel dans le social. Il m’a été suggéré qu’il convenait à « d’autres lieux », sans doute des journées institutionnelles ou bien le divan, la passe, des dispositifs sur la pratique. Il a prêté à l’objection selon laquelle le transfert analytique et le transfert de travail n’ont rien à voir… Pour illustrer l’impasse de leur intrication, je propose l’exemple d’une utilisation du transfert de travail d’un sujet par un autre dans l’institution, jouissant d’une autorité fondée sur ce transfert, à ses propres fins politiques et sans s’inquiéter des effets subjectifs de cette exploitation « naturelle ». Le transfert de travail « trahi » est censé être analysé par le premier avec son analyste, qui s’accorde quand à son projet politique avec celui qui a dupé son analysant. Le transfert négatif s’amplifie d’autant plus que ce qui s’est déroulé sous couvert de transfert travail reste sans « mots pour le voir » dans l’institution.
 

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