Annick Hubert Barthélémy "Inactualité de la subjectivité pour des enfants autistes mutiques"

Mes amis pensent que j’ai vendu mon âme de psychanalyste au diable pour faire de la pédagogie !!! J’ai envie de leur montrer que ce n’est pas le cas….

Nous allons parler de la subjectivité et de subjectivation, de la façon dont cela s’opère dans le dispositif d’atelier-classe que j’ai créé.

Nous insisterons sur la notion de subjectivation.
1. Subjectivation et réponse à la question : que me veulent-ils ?
2. Subjectivation et entrée dans l’aliénation des apprentissages
3. Processus de subjectivation, émergence du langage et travail de la pensée

Il s’agit de la constitution des objets de la connaissance dans un transfert aux adultes. À cette première étape de la subjectivation, le langage est traité comme un objet. Peut-on dire que nous sommes allés vers l’objet de la connaissance en passant « par l’objet autistique » ? Que faire de la notion d’extériorité ? Les objets de la connaissance donnent du monde une cohérence, ces acquisitions donnent du sens, transforment les signes en signifiants.
Comment apprennent-ils ? Et pourquoi un dispositif si particulier? Le dispositif de l’atelier-classe mettrait en scène un grand Autre organisateur mais dont ce ne serait pas seulement le rôle. Cet Autre, étant le lieu où le psychanalyste situe, dans un au-delà du partenaire imaginaire, ce qui, antérieur et extérieur au sujet, le détermine néanmoins. L’Autre se confond avec l’Autre du langage.
Dans le dispositif, l’Autre organisateur est toujours doublé de la question, qu’est-ce qu’ils me veulent ? Qu’est-ce que je dois faire ? Pourquoi cela change ? Qu’est-ce qu’ils me montrent ?
Tout d’abord, les changements du comportement dans la relation au dispositif et dans le transfert aux adultes, permet de mesurer comment une place subjective est faite à chaque enfant.
Puis, comment rendre compte : de la constitution d’une instance qui emmagasine les connaissances (mathématiques, vocabulaire…), de l’évolution de la relation à l’autre par la mise en place de la narration (lecture, expression orale) en fait pour le dire autrement de la notion de la relation d’objet et enfin qu’est-ce qui souligne, au niveau de l’évolution, de la constitution du moi (miroir, quel narcissisme?) par les progrès dans le travail du graphisme.

Subjectivation et réponse à la question : que me veulent-ils ?
La réponse et la question comme un des moteurs principaux.
Le dispositif fonctionnerait comme un appareil psychique de façon globale. Il figurerait une structure élémentaire et fondamentale en formalisant un lieu. Ce lieu que l’on peut concevoir comme les places différentes d’un discours où l’enfant peut changer de place. S’il est difficile de parler de processus inconscients en ce qui concerne les enfants autistes, nous pouvons parler de la mise en évidence d’un « indifférencié » qui finit par s’organiser. On peut même aller jusqu’à cette idée de mettre en fonction un acte psychanalytique dans la mesure où des effets de franchissements sont effectués.
La levée des symptômes autistiques dans cet atelier a frappé tous les observateurs, psychiatres, psychanalystes ou formateurs de l’éducation nationale. Les enfants ont très peu de stéréotypies, ils regardent les adultes, ils s’occupent de l’environnement, travaillent à leur place et se déplacent pour chercher le matériel. Au début, la présence d’autres adultes ou de la caméra leur étaient complètement indifférents. Puis, ils ressentent cela plus comme un changement voir une intrusion. Nous pensons que cette levée des symptômes s’accompagne d’un remaniement de la structure psychique de façon partielle pour le moins. La ritualisation du dispositif dirige l’enfant, qui accepte ou pas, l’enfant n’est pas directement soumis à l’adulte au sens où plusieurs réponses sont possibles.

Cette forme de question nous renvoie au graphe du désir élaboré par Lacan (1958-1959 ). Avec ces enfants autistes, il se met en place une marge qui s’ouvre pour un sujet et un objet. L’objet n’est pas perdu, il n’est pas non plus, dans ce dispositif inaccessible, il est incompréhensible dans un premier temps, puis assimilable et dépassable vers autre chose. L’évolution se fait bien de façon métonymique comme tout système désirant mais comme cet objet évolue de façon intrinsèque (écriture à la place de l’image, changement de livre…), une structure métaphorique s’installe portée par cette question sur l’Autre de façon intarissable, que me veut-il ?
Le manque est introduit à la manière d’une bascule, les connaissances installées débouchent toujours sur autre chose de différent, pas autre chose de plus, cela n’est pas nécessaire mais vers quelque chose de différent: la numération sur l'addition, les lettres du prénom sur leur forme en majuscules, sur l'alphabet…
Ce désir mis en place dans la relation avec l’Autre n’est pas indestructible : il n’est pas forcément fondé sur les objets qui déterminent ces sujets, même si parfois, des traces mnésiques peuvent surgir et même si on choisit toujours comme support au début les goûts des enfants. Ce qui supporte ce désir mis en place, c’est la possibilité pour l’enfant de transporter cet outil à l’extérieur du dispositif, de le valider par le sens et par la facilité qu’il produit au niveau de la communication avec la famille ou les soignants.
L’enfant ne renonce pas à « l’Autre maternel » comme on peut le voir dans une structure névrotique, il aménage son symptôme sans y renoncer. Les enfants nous montrent qu’une perte s’est effectuée, c’est le mécanisme qui leur permettait un repli sur les stéréotypies et sur leur objet autistique. Ce repli est désormais quasi impossible dans sa forme radicale, une aliénation, souvent difficile à supporter au départ, se met en place. Ils ont" appris" à attendre le rire d'une situation qui leur plaît, les premières mesures de la chanson qu'ils attendent souvent depuis le début.
Un glissement s’opère, de façon plus ou moins rapide, suivant les enfants, du plaisir d’être avec l’adulte, vers souvent le désir de travailler avec un adulte particulier puis vers les connaissances apprises dans une appétence plus grande.

Pourrait-on dire par ailleurs, qu’il s’agit de la perte au sens d’une coupure symbolique qui sépare le sujet d’un objet ? Il existe bien, comme le montrent les observations, un non-retour en arrière, des adultes sont entrés dans l’imaginaire de ces enfants (au sens de photos et de noms, au début). Perte de jouissance serait plus juste. Reste, de façon très problématique, la non-instaurat
ion d’un vide qui amènerait une séparation possible au niveau symbolique. Nous en sommes actuellement resté au séparable. Les signifiants portés par l’atelier ne sont pas assez séparés mais trop collés au fonctionnement. Peut-être, les phénomènes d’après-coup doivent être mieux pris en compte. Cet objet de la connaissance devient bien "objet cause du désir" par le fonctionnement de l’atelier-classe mais il n’est pas objet "petit a" du fantasme, pas d’accès à la formule : $ ≤≥ a.
Le dispositif de l’atelier met les enfants en chemin vers une position subjective au sens d’action de leur présence et de désir de faire parfois entendre quelque chose.
Victor, neuf ans quand il arrive dans la classe-atelier, montre les progrès les plus importants au niveau du développement tant en terme de communication verbale que d’acquis symboliques. L’étude du premier trimestre de l’expérience, montre comment Victor émerge progressivement d’un comportement et d’une attitude nets de refus vers des utilisations plus symboliques des outils de communication, dans un écart avec ce qu’on lui demande habituellement.
Enfin, la question du « que me veulent-ils ? » a changé de bord, le questionnement est parfois aussi porté par les soignants, « que nous montre-t-il ? » et « pourquoi cela ? ».
Deux éléments apparaissent agir de façon prépondérante, celui d’après-coup et celui d’aliénation. Si l’on admet que la notion d’après-coup se dit de la dimension de la temporalité et de la causalité spécifique de la vie psychique et qui consiste dans le fait que des impressions, des traces mnésiques peuvent n’acquérir tout leur sens et toute leur efficacité que dans un temps postérieur à celui de leur première inscription.

Subjectivation et entrée dans l’aliénation. Les apprentissages scolaires, nouage d’un savoir et d’une aliénation à l’autre.
L’aliénation est une opération qui instaure la division originaire du sujet, en tant qu’elle pose un choix qui comporte toujours une perte.
La découverte des autres dans son champs de vision est le deuxième phénomène marquant, les regarder assis sur le tapis de la classe (trop difficile d’être en activité) être là sans l’être, à la marge ou à la frange, taper les autres en groupe… La suite de février à juin accentue encore les écarts d’attitude. Les activités nouvelles ne le déconcertent pas, bien au contraire mais quitter l’espace de sa table, de son casier et il se disperse très vite. Les réactions affectives se nuancent, il devient jaloux des autres de façon très explicite, des larmes apparaissent, un vrai chagrin (18 mars), il a pu prendre le baigneur dire « bébé » et lui faire un câlin. De même, à la fin du mois de mars, il n’a plus besoin des objets pour reconnaître des photos, et en avril il dit tous les prénoms des participants de l’atelier-classe.
L’agressivité peut être retournée contre lui, il détourne la tête, il avale de l’air et se met mal, il crie beaucoup. Pourtant des nouveaux mots, il montre même qu’il aime les mots (bien qu’il les prononce de façon déformé), il noue une relation très privilégiée avec une soignante, a discriminé sa photo avant de la remarquer dans la réalité de la classe et du service. Il est fasciné par les comptines mais ne chante pas.
Vincent nous montre que l’apprentissage du langage passe par l’écrit et la lecture. Les objets de la connaissance donnent du monde une cohérence, ces acquisitions donnent du sens, transforment les signes en signifiant.
Victor investit assez vite le fait d’apprendre à parler.
Des moments de surprise pour authentifier, pour valider par notre réaction verbale ce que cette manifestation a de fondateur, c’est l’articulation du signifiant qui va de lui à l’adulte et à son propre corps, permettant ainsi d’installer des temps de bouclage du circuit pulsionnel (Dominique Janin (2008). Peut-être peut-on penser qu’il s’agit d’une tentative de rétablir les trois temps de la pulsion, si l’on admet que le système des stéréotypies n’en contiendrait que deux.
Quelques jours plus tard, il accepte le basculement, il accepte de participer, dit très bien les phrases des comptines et enfin rentre dans la demande.
L’émergence du langage ne peut faire l’économie d’une entrée dans la demande de l’autre.
Le vendredi 7 mars 2008 l’activité lecture le plonge dans une certaine tristesse, il accepte enfin la narration (Hochmann). La fin du mois mars montre de très gros progrès dans la parole, il est plus présent, avec toujours de l’agressivité et des cris. Mais il aime maintenant les histoires de Petit ours brun surtout, il se tient plus droit, peut travailler tout seul dans certaines activités avec le soutien de la voix et du regard. Et même le face à face est abandonné pour certains exercices, il reste plus présent, avec nous dirais-je.
Quelques pistes de repérages dans l’évolution du langage et de la scolarisation nous permettent de montrer que l’on peut nouer le pulsionnel et les représentations comme les sensations de trous et d’écriture et de lecture des chiffres (trois enfants 6 à 8 ans). Le fait est que tous les enfants passent par le contrôle obsessionnel et l’agressivité avant de se risquer à dire des mots appropriés à des situations, le fait est aussi que la douleur physique et psychique émerge fortement avant le plaisir psychique d’être en lien avec l’adulte, l’acceptation de sortir de l’errance.

Processus de subjectivation, émergence du langage et travail de la pensée.
La notion avancée de l’existence de deux pôles régissant le fonctionnement de l’origine de la pensée, pôle de la perception et pôle de la mémoire paraît particulièrement opérante à ce moment de l’élaboration.
L’émergence de langage passe d’abord par la lecture et l’écriture avant de se manifester.Les progrès de la parole (la libération de la parole selon un membre de l’équipe) amène chez lui un niveau d’excitation voire de jubilation qui se répètera à chaque fois que la compréhension du monde extérieur se fera jour.
Le 23 mai, il répète et prend plaisir à prononcer des mots, il ne se bloque pas devant une activité nouvelle.
Quelques jours d’absence perturbe ce mouvement et ramène la colère, le flottement par rapport au cadre (le cadre est très important pour lui) et l’arrêt de la motivation (il faut "l’impulser" dira quelqu’un). À la fin du mois de juin, il répète un étrange scénario de film où il se bat de façon imagina
ire avec quelqu’un et finalement est poignardé et fait le mort dans le combat. Ceci me fait saisir qu’il comprend vraiment beaucoup plus qu’il ne veut vraiment le montrer.
Cette évolution particulièrement intéressante dans le graphisme que l’enfant investit de plus en plus et peut même effectuer seul, spontanément sur son ardoise, montre le « retard » que certains montrent entre ce qu’ils peuvent apprendre et leur émergence dans la parole.
Le langage devient un outil symbolique dans un phénomène d’après-coup.(Victor)
. Il montre la nécessité pour lui de partager avec l’adulte son système obsessionnel de rangement, de disposition des images sur la table. Dans le même temps (janvier 2008), il montre qu’il a compris le fonctionnement du dispositif et peut anticiper les activités et le matériel qui va avec. Si les phrases apparaissent, notamment sur la pression des adultes à la collation, il montre aussi que ce qu’il a compris il veut le faire seul ; par exemple il entreprend immédiatement son activité au retour de la récréation. En février 2008, il rentre dans une phase émotionnelle difficile et de résistance aux apprentissages.
Nous pouvons résumer les changements en disant qu’il accepte enfin de dire des phrases de la comptine, qu’il rentre dans la demande de l’adulte et qu’il peut dire « hier » et « aujourd’hui » en citant les jours de la semaine. Une prise en charge orthophonique est mise en place pour lui à l’hôpital. Aux environs du 10 mars, une nouvelle phase de difficultés se fait jour, à nouveau de la résistance surtout par rapport à la lecture. À la fin du mois de mars, en même temps que des progrès dans la parole, il va pouvoir rentrer dans la narration grâce à un livre qui lui renvoie une activité qu’il aime beaucoup et qu’il pratique surtout avec son père, Petit Ours Brun va à la piscine avec son papa . Il est plus tonique, dit de plus en plus de mots et même peut faire certaines activités uniquement avec le soutien de la voix et du regard à distance. Au retour des vacances, le 28 avril 2008, il parle plus volontiers, il a changé physiquement mais répète encore en vérifiant avec l’assentiment de l’adulte.

Conclusion : Fabriquer des sujets ?

La valeur de dysfonctionnement du langage s’impose au détriment de la subjectivité du symptôme. La catégorie « troubles du langage », purement descriptive se voudrait aussi prédictive que possible en soutenant avec les neurosciences une cause biochimique des activités psychiques. On n’interroge plus le rapport singulier au langage, ni la part essentielle à l’Autre primordial. L’appellation moderne de « troubles du langage » induit en fait une méconnaissance du langage en tant qu’objet troublant et énigmatique et indépendant des seuls facteurs socio-culturels.
 

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