Bastia 2011 Argument
Dans le champ de notre expérience , cette question a été reprise par Freud au travers de toute son élaboration topique et par Lacan dans son recours à la topologie, pour cerner au plus près ce que serait la structure de notre expérience de l’inconscient. L’atopie, également en hommage à Socrate, n’est pourtant pas un concept issu de la pensée socratique, mais un terme qui souvent a été utilisé pour nommer la position (de pensée) de Socrate.
Pourtant il n’y a pas de rencontre sérieuse entre philosophe et analyste qui ne tourne à la rivalité la plus implacable dès qu’on en vient à parler d’atopie.
Lacan, sur ce chapitre, n’y va pas par quatre chemins, en usant d’une figure de style qu’il a employée aussi bien vis-à-vis du cogito cartésien que du signifiant saussurien, il mène dans un premier temps une opération de pure et simple annexion : Socrate-Analyste.
C’est sur un point extrêmement local du texte du banquet, longuement commenté par Lacan, dans son séminaire sur le transfert, que le problème se joue.
Alcibiade a déclaré sa flamme à Socrate, il veut maintenant obtenir de lui le signe qu’il en est aimé, ce sur quoi il n’y a aucun doute puisque personne ne peut ignorer leurs relations. Comme pour légitimer sa passion et forcer la décision de Socrate, Alcibiade le décrit comme quelqu’un qui sous les apparences les plus disgracieuses, est le seul à contenir les précieux Agalmata.
Dans les « richesse intérieures » de Socrate, se trouve donc ce que notre époque appellerait volontiers « l’obscur objet du désir ». Chose que croit toujours le patient dans sa relation au Transfert.
Mais loin d’accepter cette supposition et au nom de l’unique savoir qu’il dit détenir, savoir sur les choses de l’amour, Socrate intervient auprès d’Alcibiade pour lui dire : « Examine les choses avec plus de soin, de façon à ne pas te tromper, ce [je] n’étant rien »
( autre traduction, celle de Mario Meunier : « […] ) pour que tu ne puisses point te méprendre sur le rien que je vaux. »)
Déclaration on ne peut plus importante puisqu’elle conduit de ce fait à ranger ainsi Socrate côté analyste sur ce seul verdict autoréférentiel qui énoncerait, qu’en lui-même, à la place désignée par l’amant comme celle de l’objet cause de son désir, il (n’) y a rien. N’est ce pas là ce à quoi nous pouvons nous attendre dans le transfert, lorsque l’amour fait rage dans une analyse ?
C’est pourquoi , aussi bien pour Socrate que pour un analyste , la conséquence en sera la possibilité de désigner à Alcibiade, comme à son analysant , l’objet vers lequel, en fait, tout son discours enflammé le conduit : Agathon, celui dont le nom signifie le Bien.
Ce Bien est, encore une fois, présenté dans le séminaire du 8 février 1961 comme une forme du plein, en tous points opposée au vide, à l’ouden dont Lacan va alors jusqu’à dire qu’il constitue l’essence de Socrate-l’analyste.
N’est-ce pas à cause de ce vide que Socrate est révélateur de l’essence de l’analyste en tant que pris dans un transfert, et alors n’est-il pas légitime pour l’analyste de revendiquer comme sienne, l’atopie qui découle de ce savoir socratique sur les choses de l’amour.
Platon, dans cette perspective, ne serait-il plus qu’un successeur ?: un atopique en second. Le découpage opéré par Lacan entre Socrate et Platon sert à conduire cette opération d’isoler l’atopie en la personne de Socrate pour mieux la revendiquer comme étant celle de l’analyste, ce que Badiou ne peut que récuser.
Mais Lacan ne reste pourtant pas sur cette définition puisque six ans après ce commentaire du banquet, dans sa célèbre Proposition d’octobre 67 sur la passe, il écrit ceci :
« Mais qui sait mieux que Socrate qu’il ne détient que la signification qu’il engendre à retenir ce rien, ce qui lui permet de renvoyer Alcibiade au destinataire présent de son discours, Agathon (comme par hasard). »
Et il poursuit :
« Mais est-ce là tout ? Quand ici le psychanalysant est identique à l’agalma, la merveille à nous éblouir nous tiers , en Alcibiade. »
Dès lors, on ne peut plus considérer l’analyste à la place de Socrate, mais bien à celle d’Alcibiade, tandis que l’énigmatique agalma vient se loger à l’enseigne du psychanalysant.
Et Lacan de conclure ce virage brutal par ces mots :
« Comme tous les cas particuliers qui font le miracle grec, celui-ci ne nous présente que fermer la boîte de Pandore. Ouverte c’est la psychanalyse, dont Alcibiade n’avait pas besoin. »
La psychanalyse demeure-t-elle aujourd’hui la seule à pouvoir ouvrir cette « boîte dePandore » ? Par son acte n’offre-t-elle pas cette spécificité, outre d’être une cure par la parole de mettre en œuvre, via le transfert, une guérison par l’atopie de l’amour ?
Par conséquent dans cette mesure, la psychanalyse ne peut donc pas être considérée comme une philosophie.