Aux origines de la constitution de l'(a)Autre. R. Lévy, Seminaire 4, Paris

Aux  origines de la constitution de l’(a) Autre 

Seminaitre IV 2022 2023

Robert LEVY

Je voudrais à travers ce nouveau séminaire tenter de comprendre avec vous , comment se constitue ce premier rapport au corps que l’enfant éprouve et surtout, comment il en vient à pouvoir constituer un ‘éprouvé’ pour ne pas dire faire l’épreuve de son corps dans ce qui originairement, n’est qu’indifférencié de sa mère .

 Autrement dit , repérer  comment la mère ou celle qui en fait fonction peut contribuer à le lui permettre . 

Quand je dis ‘le lui permettre ‘ c’est lui permettre d’avoir un corps .

Ce sera également l’occasion de faire un commentaire sur l’exposé de  Maria Cruz Estada concernant l’origine du corps par le signifiant  dans la psychosomatique et plus récemment à celui d’Anna Konrad en me différenciant totalement de ce qu’elle a pu avancer concernant la notion d’empathie dans l’analyse . Mais peut- être également de revenir sur l’idée du semblable développé la dernière fois par Christina Kupfer si nous avons le temps ..

Préalablement je voudrais vous transmettre l’intérêt que j’ai trouvé à la recherche que viennent de réaliser  certains de nos collègues sur ce qu’ils appellent ‘l’origine de la vie psychique’[1]

C’est un travail sur l’originaire et l’archaïque qui se veut pouvoir investiguer le lien précoce ,qui commence  pour ces auteurs dès la vie intra-utérine .

Pourtant cette perspective sensori-motrice de l’émergence de la vie psychique n’est pas sans susciter quelques résistances . 

Ce sont , comme on aurait pu s’en douter, les neurosciences qui ont ouvert la voie et en particulier les observations possibles grâce aux échographies qui ouvrent cette voie, et pourquoi ne pas s’en servir ?

Ce sont donc les observations d’échographies de jumeaux qui permettent la découverte de « ce que l’on entend par vie fœtale avec la découverte d’un fœtus actif, orienté par une quête du vivant »[2].

Dès ce constat, les auteurs font la supposition  non seulement d’un proto-objet in utero mais également des résonances entre ce fœtus et la psyché parentale . Ils constatent que  dès cette vie intra- utérine chaque fœtus a déjà par rapport à sa mère une histoire singulièr.

C’est un fait pour ces chercheurs que « les stimulations sensorielles vont jouer un rôle fondamental dans le développement neuro- cognitif du fœtus au niveau de la neuro- genèse et de la synaptogénèse , de la spécification des réseaux neuronaux et enfin de l’organisation des territoires corticaux . »

Mais le plus intéressant vient ensuite , ils évoquent en effet que « Ceci met en évidence la notion maintenant bien connue d’épigénétique interactionnelle, c’est à dire que cette séquence génétiquement programmée est d’emblée ouverte aux influences du milieu ambiant »[3]

Ce dont on aurait pu se douter pour  plus tard mais qui, selon ces auteurs, a déjà son influence dès les premiers balbutiements du fœtus.

 Je citerai très brièvement en quoi consiste le système sensori-moteur du fœtus la vie intra utérine …

Brièvement , le système sensori- moteur du fœtus est constitué par :

-la somesthésie , sensibilité au touché ou au tact qui apparaît dès les premières semaines (pression, température, douleur)

-la kinesthésie , qui comprend la proprioception et le système vestibulaire ( conscience de la position du corps et de nos membres dans l’espace  )pour le système vestibulaire , c’est ce qui rend possible à la naissance l’équilibre et la coordination, en lien avec le système visuel …

-le système Haptyque , c’est le toucher qui permet une modalité sensitive de contact  in utero : je touche ou je ne touche pas ;je touche du non moi ou je me touche ; je touche du vivant qui réagit ou non .Et pour ce qui concerne ce dernier point « le toucher est inscrit dans une boucle réflexive : celui qui touche est touché dans le même temps » . Nous verrons un peu plus loin qu’il y a peut- être avec cet élément, de quoi penser les prémices de ce que je vais développer concernant le transitivisme .

L’odorat ou le goût , ce qu’ils appellent la chimio réception  est un très bon exemple de l’épigénétique  .

En effet « suivant un programme génétique , les nouveau-nés sont tous équipés de récepteurs chimio sensoriels qui vont capter les odorants émanant du sein ou du lait maternel . Ces capteurs permettent une orientation rapide vers le sein »[4].

Tous ces éléments font poser aux psychanalystes des questions essentielles telles que :

 -ces inscriptions  archaïques laissent- elles des traces qui s’inscriraient alors dans une sorte d’appareil de mémoire fœtale par l’association de ces mêmes traces pouvant ou non s’exprimer après la naissance ?

-quel est le devenir de ces traces  archaïques à plus long terme ?

Sachant qu’en ce qui concerne la psychanalyse la question des traces est un peu le fondement de notre pratique et que les souvenirs et leur fabrique concernent au plus près l’histoire du sujet .

-d’où la question qui découle logiquement de ces considérations :

l’origine de la trace psychique serait- elle fœtale ? Je vous invite à relire  Freud , dans le texte pour y répondre,  surtout les schémas de 1896 dans l’esquisse et également à celui de 1916 dans lequel il fait l’hypothèse que certaines expériences préhistoriques se comporteraient comme des matrices pour la mise en sens d’expériences ultérieures .

Autre question: ces traces comportent-t- elles un vécu de plaisir- déplaisir , sachant ,comme les auteurs l’indiquent, qu’ils ont pu « constater des réactions liées à la douleur , à l’intrusion, aux variations de l’environnement lors de séquences échographiques avec des fœtus soumis à des stimulations externes [5]… »

Ainsi les premières expériences fœtales montrent une réactivité à ces éléments où le fœtus agit et réagit et selon les mêmes échographies il se colle et s’enroule contre la colonne vertébrale dans les dénis de grossesse .

Par conséquent il existe bien un corps’ archaïque’ qui est celui qui réagit à tous ces éléments .

La question est donc maintenant la suivante :

Comment passe-t- on du corps archaïque au corps d ‘après la naissance que j’appellerai réel ?

Ainsi le fœtus expérimenté in utero, réagit bien avant la voix maternelle ; dès lors on peut déjà parler de style maternel in utero car dans le liquide amniotique se produisent des évènements, de la nouveauté qui peuvent constituer des formes et des mouvements mais aussi un certain rapport à la pulsionnalité de la mère passant par ce qui peut faire ‘évènement ‘ dans le cordon ombilical, j’entends par là que le rapport à l’angoisse ou à la tranquillité se traduit très directement par des variations de flux sanguin auquel le fœtus est en permanence confronté.

Mais pour avancer dans ce que je viens d’annoncer je dois d’abord rappeler une autre source qui est le développement de ce que j’avais déjà souligné lors d’un précédent séminaire concernant la notion de transitivisme développée par Jean Bergès et G Balbo [6] qui me semble aujourd’hui plus que jamais d’une lumineuse clarté concernant les points que je viens d’exposer,  mais pas seulement …

Cette notion répond également à la nécessité de repérer une nouvelle forme ou encore modalité d’identification chez le tout- petit qui renseigne sur l’identification symbolique transitviste,   différenciée nettement de l’identification imaginaire hystérique qui, pourtant , pourrait  apparaître dans une première lecture et par certains côtés assez proche.

Mais commençons par le commencement .

En quoi consiste le transitivisme  ?

Chez l’enfant : un petit semblable heurte un obstacle, il n’en manifeste aucune douleur mais l’autre enfant qui voit la scène se frotte la jambe et se plaint de la douleur résultant du coup.

C’est déjà toute la question de savoir qui est l’autre dans cette brève vignette clinique .

Mais on ne peut décrire le transitivisme sans y ajouter ce qui lui est indispensable, du côté de la mère -et qui ressort également   du transitivisme – c’est- à- dire que face à un danger ou simplement à un cri de son BB par exemple, elle va être affectée et lui exprimer son affect sous la forme d’une parole, en exprimant la douleur de manière démonstrative alors que l’enfant peut lui- même ne rien manifester  .

Ici , on peut tout autant se demander qui est l’autre, alors que cette mère exprime avec certitude, soutenant son affect d’un réel , ce qui fera dire à jean Bergès[7] :

« C’est bien parce que son affect se soutient d’un réel que son enfant lui en rend raison à partir de ce qu’elle lui en dit »

Soyons clair , ce n’est donc pas ce qu’elle éprouve pour ‘ l’autre ‘ son enfant en lui faisant l’hypothèse d’un savoir chez lui , mais c’est le processus qu’elle engage dans ce sens  qui va mettre en route quelque chose qui va circuler comme autour ‘d’une poulie’  ( je dirai aujourd’hui une bande de Moebius )pour lui revenir sous la forme d’une demande. En gros si l’enfant crie , c’est qu’il exprime une demande que sa mère interprète .

Par conséquent c’est une 

« Demande qu’elle suppose être celle d’une identification de son enfant au discours qu’elle lui tient »

On peut donc  dire qu’à la fois cette circulation a trait au rapport à l’accès au symbolique mais surtout, et c’est ce que je trouve très éclairant dans le travail de Bergès Balbo : ce transitivisme passe nécessairement par le corps .

Corps qui n’est plus celui du foetus comme on l’a vu précédemment puisque c’est un corps qui n’est plus seulement soumis à la pulsionnalité de sa mère mais à son langage .

Corps par lequel le monde peut alors prendre consistance pour l’enfant : c’est une identification au discours de la mère  en tant que cela concerne le corps qui n’est plus seulement imaginaire mais aussi corps de langue de signifiants et de lettres ..

Pour le sujet dit psychotique, c’est justement l’inverse , puisque si le psychotique se heurte le genou à un objet c’est le genou d’un autre qu’il vient frotter ; on peut alors dire qu’il transitive en effet mais celui dont il vient caresser le genou n’a reçu aucun coup ni ressenti de douleur c’est un ‘transitivisme à sens unique ‘[8].

C’est bien ce qui a manqué au psychotique, c’est – à- dire ce ‘coup de force de la mère ‘ en effet:

« En tenant ce  discours  de transitivité , la mère force l’enfant à s’intégrer au symbolique , elle l’oblige à tenir compte des affects qu’elle nomme , pour désigner ses éprouvés à lui en référence aux siens propres »[9]     . 

C’est donc ce qui a manqué au psychotique , c’est à dire ce moment particulièrement ‘secouant ‘ de l’entrée dans le symbolique comme l’indique Lacan . 

Forçage , coup de force , plus exactement de ce transitivisme de la mère qui par cet acte contraint l’enfant à évaluer ce qu’il éprouve pour lui – même, en référence à ce que la mère soutient comme réel qui me semble à la fois introduire de la corporéité à l’enfant mais également de par cet effet d’entrée dans le symbolique, lui offrir un statut d’’autre’ différent de celui de  la mère. Sortir donc de ce système archaïque de réflexivité décrit plus haut où si le fœtus touche il est touché ..

Il va donc pouvoir ,cet enfant ,éprouver réellement et dans un effet de miroir ce qui a été éprouvé par un autre , la mère entre autre et qu’il doit maintenant éprouver , au sens d’en  faire l’épreuve , ou encore d’en  faire la preuve  ..

Ce ‘forçage transitiviste ‘écrit Bergès est ce qui anticipe et conditionne celui qui pousse ensuite l’enfant à entrer bon gré malgré dans le champ de la parole et du langage et plus tard dans celui de l’écrit …[10]

Mais me direz – vous, ‘coup de force ‘ renvoie à traumatisme ; or il n’en est rien car ce dont il s’agit ici c’est d’un coup de force  qui relève du réel  et non pas d’un coup de force dans le réel comme celui du traumatisme ..

Il nous faut donc différencier le coup de force du réel de celui dans le réel ..

 C’est  bien en ce sens qu’il n’est pas traumatique puisque :

Le coup c’est celui qui force l’enfant au nouage borroméen en introduisant son corps au réel. Lacan n’aurait pas mieux dit en évoquant ce moment ‘particulièrement secouant de l’entrée dans le symbolique ‘.

Par conséquent c’est un un réel qui n’est pas celui du traumatisme relevant de l’impensable , mais d’une élaboration discursive dans ce transitivisme qui est du caractère « d’une double négation ; un enfant se donne un coup sans réagir : première négation ; et c’est un autre , ou sa mère , qui s’en plaint sans souffrir : deuxième négation . Cette double négation est l’effet d’une double division et d’un double refoulement ; le coup de force suppose pour se produire , ces trois termes: double négation, division et refoulement . 

Au contraire les effets du traumatisme privent le sujet , qui n’en peut être que débordé , de la capacité à être forcé »[11].

Ce qui pose instantanément quelques questions évidemment quant à la direction de la cure . 

En effet l’analyste serait – il là pour retourner à l’analysant ce qu’il éprouve ? Et de là , pourquoi ne pas penser que ce serait une bonne  façon de  forcer certains analysants à s’identifier là où justement il y a faille dans les identifications ?

Vous l’aurez compris c’est la version de l’analyste ‘sympathique ‘ qui force au ressenti , pratique dite ‘empathique’ du thérapeute pour rendre ‘complémentaires patients et thérapeutes qui n’est autre que du transitivisme à un seul sens .

On y reconnaît en tête de liste S. Ferenczi ,peu enclin à suivre S. Freud uniquement sur le terrain du principe économique des pulsions de destruction, brillant clinicien, thérapeute infatigable, unanimement reconnu par ses pairs comme le recours et le sauveur des échecs des autres,  qui pense pour sa part que la pratique de la cure ainsi que le traitement psychanalytique n’ont pas dit leur dernier mot . 

Il n’a jamais cessé de souligner que la technique – indispensable complément de la théorie – pouvait être modifiée, adaptée et développée en fonction des nécessités imposées par les exigences de la cure. 

C’est ainsi qu’il tente alors de répondre aux questions soulevées par la proposition d’une série d’innovations techniques qui intéressent tout autant la question de l’agieren que celle de l’acte analytique de l’analyste, c’est-à-dire la présence analytique de l’analyste .

Présence de l’analyste qui est liée, à la fois, à sa conception de la cure, à son contre-transfert, aux modalités interprétatives, ainsi qu’à l’activité technique inférée par ceux-ci. Pour l’essentiel et concernant l’allusion à Ferenczi qui a été faite par Anna K , je voudrais rappeler les éléments suivants :

– liée pour l’essentiel , à l’intérêt théorique que Ferenczi développe pour la métapsychologie du traumatisme, succède une dernière période de nouvelles expériences techniques dites de néocatharsis et d’analyse mutuelle, elles aussi directement en relation avec ses dernières conceptions sur le traumatisme (1929-1933).

-En fait nous sommes avec l’empathie dans une situation quasi ‘chamanique ‘ dans laquelle le patient dans le rapport avec celui qu’il va consulter va se plaindre de ses  souffrances et ainsi pouvoir en être soulagé  . 

Comment ?

 Il va faire passer ,dans son corps, l’éprouvé douloureux de l’autre ; mais contrairement au transitivisme , sans proposer d’autre discours et rien n’est donc proposé  à cet autre auquel il s’identifierait ; autant dire que ce serait un transfert de  type vases communicants …

Mais en effet le patient peut repartir soulagé d’avoir vu l’autre souffrir de ses propres douleurs ; la relation est donc purement duelle .

Et comme le soulignent très bien Bergès et Balbo : 

« par le transitivisme émerge une forme d’identification au moyen de laquelle la mère , par ses énoncés , oblige l’identification à se produire ; elle est la seule qui soit productrice d’un Autre : c’est une identification qui ne peut se penser sans division et refoulement , lesquels sont l’effet de la parole de la mère . »[12]

C’est pourquoi la conduite de la cure n’a rien à voir avec une quelconque empathie ; tout au contraire le transitivisme décrit plus haut, nous permet de penser la conduite de la cure de façon nouvelle.

C’est ainsi qu’on ne peut que se féliciter de la façon dont Lacan attribue une primauté au discours et non pas à l’objet pour décrire les phénomènes psychiques .

C’est le discours  en effet qui permet de sortir de la binarité d’une analyse réciproque ou emphatique et c’est lui,  qui assure la possibilité d’intercaler entre l’agent qui le tient et ce qu’il en produit , le grand Autre , l’inconscient .

Plus jamais, à partir de ce constat, les phénomènes  psychiques constatés ne seront bipolarisables ..

C’est cette ternarité qui oblige dès lors à penser le sujet et l’objet par référence au grand Autre ….

Ainsi c’est encore le transitivisme qui introduit le tiers terme de la demande dont ,par le discours qu’elle tient à son enfant, la mère formule l’hypothèse à lui, attribuée .

Le transitivisme appliqué à la mère fonde d’une certaine façon le circuit de la demande puisque avant longtemps , voire jamais l’enfant  ne pourra  se donner à lui- même faim,  soif etc… En ce sens la mère ‘donne’ faim , ou ‘soif’ à l’enfant, ce qui lui permettra seulement ensuite ‘d’avoir’ faim et ‘d’avoir ‘ soif , etc …

Par conséquent Il faut que ce soit la mère qui ne laisse  pas d’écart entre ce qu’elle anticipe du fonctionnement éprouvé par l’enfant et le fonctionnement réel . 

Pourtant cet écart existe et ,  heureusement, car c’est pour cela que la mère ne répond jamais véritablement à la demande de son enfant puisqu’elle ne répond qu’à ce qu’elle suppose être sa demande.

C’est bien ce dont on ne peut que se féliciter pour son enfant.

D’où ce ‘nouveau sujet ‘ qui ouvre à l’autre auquel le transitivisme fait passer :

« d’une façon  générale , le transitivisme fait passer le sujet au ‘nouveau sujet’ , à l’autre , ce semblable grâce auquel les retournements concernant l’objet et les renversements concernant les buts , donc le sujet, sont possibles . Plus exactement pas de nouveau sujet pulsionnel sans transitivisme anticipateur . »[13].

Ce qui se produit  ensuite c’est que l’enfant à partir d’un certain moment peut enfin se cogner sans attribuer  sa douleur  à l’autre, mais la  faire sienne et ainsi laisser venir la souffrance en l’exprimant pour lui même , la sienne donc .

Et par imitation ou plus exactement par identification à un trait maternel , l’enfant  ne refoule pas cette souffrance en y accolant un discours , cette fois , à la première personne , comme sa mère avait pu le faire précédemment en son nom à elle ; néanmoins il rend pourtant encore présente sa mère par identification à son discours ; en somme il a introjecté le discours de sa mère quand elle était présente pour le dire à sa place alors que maintenant elle est absente et qu’il peut donc le dire en son propre nom…

Je crois qu’arrivé en ce point, il faut bien entendre que l’introjection de la fonction transitiviste de la mère est ce qui détermine le rapport qu’un sujet va avoir vis à vis  de la douleur de son propre corps mais j’ai envie de dire ce qui détermine le rapport qu’un sujet va avoir plus prosaïquement avec son propre corps .

Les auteurs nous font remarquer à cet égard que justement chez le[14] psychotique qui se trouve  , lui,  insensible à la douleur,  c’est le résultat de ce manque d’introjection du discours de sa mère sur son corps qui n’a jamais été présente pour interpréter ses demandes .

Ainsi elle n’a jamais rendu possible l’introjection de son transitivisme, c’est pourquoi s’il se cogne contre un mur il caresse le mur insensible donc à la douleur ..

Mais également les patients‘psychosomatiques‘ souffrent eux, plus tôt d’un excès de discours de transitivité dont ils doivent se défendre et je citerai volontiers cette remarque de Lacan à ce sujet :

« C’est dans la mesure où un besoin viendra à être intéressé dans la fonction du désir que la psychosomatique peut être conçue comme autre chose que ce simple bavardage qui consiste à dire qu’il y a une doublure psychique à tout ce qui se passe de somatique »[15].

Pour ces patients ,  ‘l’excès’  de transitivité montre que leur mère ne leur a jamais adressé cette phrase adéquat qui aurait pu limiter leur douleur et leur masochisme .

Je voudrais simplement en profiter pour relancer  le débat qui s’est produit à la suite de l’intervention de Maria Cruz puisque ce qui me semble ici très clair en matière de psychosomatique c’est que si la mère fait, de l’objet produit par le savoir de l’enfant, non plus ce qui pourrait produire de la demande, mais ce qui serait équivalent à son phallus imaginaire à elle, alors cela produit le rabattement de la demande sur l’objet du besoin, en d’autres termes, la demande est rabattue sur l’objet du désir de la mère ; par conséquent plus de relance et au de-là,  ce sont les parties du corps elles- même qui chez l’enfant ne peuvent plus être investies …

Autrement dit, c’est la question du signifiant du corps ou de sa partie qui échappe au processus d’entrée dans le symbolique ..

Evidemment rien n’est jamais gratuit et si la mère fait l’hypothèse d’une demande chez son enfant c’est qu’elle fait également l’hypothèse inconsciente que l’enfant va l’articuler à son désir à elle comme relance  de son propre désir de mère. On dirait aujourd’hui qu’elle fait une proposition gagnant -gagnant .

 Mais on trouve néanmoins , si cette fonction  n’est pas correctement produite, quelques conséquences pathologiques précoces et d’une actualité brûlante .

Par exemple , quand la mère n’assure pas cette relance , on constate le manque d’activité de l’enfant . 

Dans le cas contraire , ce sont des relances excessives dont on constate les effets chez des enfants hyperkinétiques que l’on nomme aujourd’hui TDAH , puisque les bénéfices secondaires d’un enfant qui est l’objet d’une relance maternelle excessive ont pour effet qu’il s’épargne toute nécessité d’exploration perceptive et tout effort d’attention .

Donc du côté de l’enfant sa propre relance est impossible devant l’absence de désir du côté de la mère ;

En résumé « l’activité de l’enfant est l’hypothèse d’un savoir que la mère lui suppose , et elle est libidinalisée dans la mesure où elle est nouée au désir de sa mère qui la relance sans cesse »[16].

Nous pouvons maintenant comprendre aisément que le grand Autre communément appelé la mère ou encore trésor des signifiants est le résultat de la façon dont la mère faisant l’hypothèse d’un savoir chez l’enfant se trouve de fait, elle-même l’agent de ce savoir , ce qui la place en lieu de S1 , signifiant maître au lieu de l’Autre .

Ainsi l’Autre est le représentant représentatif , le dépotoir de cette supposition de savoir …

Mais on peut dire  que l’enfant est également à cette place de S1 puisqu’il va être l’agent de la demande qu’il formule à sa mère en s’identifiant à l’hypothèse que fait sa mère de son savoir .

 Le grand intérêt de ce repérage c’est ce constat fondamental que, malgré tous ses efforts, la mère ne peut jamais pleinement répondre à la demande de satisfaction de l’enfant ; en ce sens elle est barrée, ce qui par cet effet  implique que  le grand Autre donc est barré   « une demande , même si elle vient d’un enfant , est un objet qui ne peut jamais répondre au désir , c’est un  impossible »[17] .

D’où ce constat que va devoir faire l’enfant : sa mère ne pouvant pas ,sans cesse le satisfaire , elle en vient forcément à manquer .

L’intérêt de ce constat c’est que l’enfant fait , de sa mère un grand Autre et un grand Autre barré puisqu’elle ne peut  pas complètement le satisfaire ..

Mais bien sûr quelques dérives sont possibles puisque si la mère sait tout et ne fait donc pas l’hypothèse d’un savoir chez son enfant il n’est alors pour elle qu’un objet a , déchet du savoir qui lui est, à elle (la mère ) ,extérieur et par conséquent étranger puisque ce savoir est la seule propriété de sa mère ..

On peut faire ici une petite parenthèse sur la question de l’autre comme étranger : étranger à quoi ? Étranger donc à ce tout savoir que possèdent , croient posséder certaines populations ..L’étranger est donc très vite  associé au signifiant un déchet.

Il n’y a plus alors de signifiant du manque dans l’Autre , manque du côté du savoir ; pour l’enfant : manque du côté du désir de la mère .


[1] François forges , Nicole Farges Sylvain Missonnieret Chantal heureux dévides Aux origines de la vie psychique psychanalyse et vie fœtale ED ITHAQUE Mars 2023

[2] opus cité P. 12

[3] idem P.16

[4] Idem P. 19 

[5] idem P.36

[6] J. Bergès G. Balbo  Jeu des places de la mère et de l’enfant essai sur le transitivisme  EDV, érès 2010

[7] Opus déjà cité P. 9 

[8] idem

[9] ibidem P. 10 

[10] IDEM

[11] OPUS P.11

[12] P.31

[13] opus deja cité P.21

[14] P.22

[15] Lacan séminaire XI  Les quatre concepts fondamentaux ed le seuil 1973 P.207

[16] opus déjà cité P.26

[17] Idem P.27

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