C. Kupfer : » Les destins de l’autisme »
Intervention au séminaire de Robert Levy à l’Analyse Freudienne
Les destins de l’autisme
Cristina Kupfer
Nos temps sont sombres. En France, La HAS livre une bataille acharnée contre les psychanalystes. Au Brésil, quelques authorités de santé se donnent l’autorisation de définir ou de juger quelles sont les théories vraiment « scientifiques » ayant droit à des financements.
Mais la bataille n’est pas perdue. Nous assistons à la création de sociétés de parents qui défendent la pluralité d’approches de traitement et le droit qu’ils ont de choisir le traitement de leurs enfants.
L’analyse brève du problème nous montre que les psychanalystes aboutissent à des résultats importants. Mais pour les faire connaître, nous avons besoin de mieux les diffuser, ainsi que d’être extrèmement vigilants face aux avancées de ceux qui attaquent la psychanalyse, motivés qu’ils sont par des intêrets économiques, pharmaceutiques, politiques et antiéthiques. Il faut être attentif à la création de lobbies; ils faut que les psychanalistes fassent aussi des « contre-lobbies » et de nouvelles associations, dans le sens de sommer avec les autres secteurs qui travaillent dans le même sens que nous : par exemple, les éducateurs.
Devant ce scénario, nous sommes obligés de faire avancer nos recherches et nos connaissances psychanalytiques, que je sais encore insuffisantes pour faire face au boom de l’autisme.
C’est dans ce sens que j’ai préparé cette intervention ; pour réflechir autour de ce que peut nous offrir la psychanalyse pour le diagnostic, le traitement et l’éducation des autistes.
Alors,
Je souhaite vous parler des sorties ou destins de l’autisme. C’est bien sûr une question qui préoccupe surtout les practiciens qui s’occupent d’enfants autistes, ce qui peut ne pas être le cas de la majorité des membrers de l’Analyse Freudienne ici présents. Mais je vais essayer de suivre en quelque sorte la métaphore freudienne du vase brisé : pour les practiciens qui ne voient pas les autistes, les questionnements autour de l’autisme peuvent éclairer des questions métapsychologiques sur l’installation de l’appareil psychique.
Les questions que se posaient les professionnels à Lugar de Vida, au début de notre pratique, étaient toujours : « d’ou viennent les autistes, et vers où vont-ils ? Ya-t-il une guérison pour l’autisme? ». Je leur disais qu’il pouvait y avoir une guérison si le traitement commençait très très tôt. Mais c’etait une réponse qui ne me satisfaisait pas du tout. Alors j’ai décidé de travailler un peu plus sur ce thème (d’ou viennent-ils, où vont-ils), et c’est ce que je vais vous présenter: où j’en suis. Où l’on est.
Je vous dis tout de suite quelle est mon hypothèse de travail: c’est que le troisième temps du circuit pulsionnel, tel qu’il a été énoncé para M-C. Laznik, peut être proposé en tant que plaque tournante pour les divers destins de l’autisme. Là j’ai un début de réponse tant par rapport au diagnostic que par rapport à la cure.
- Présentation du troisième temps du circuit pulsionnel comme fondateur de l’appareil psychique et comme plaque tournante.
Le concept de pulsion se situe à un tel niveau d’abstraction qu’il peut organiser toute la pyramide notionnelle, de notions, de la psychanalyse; c’est un concept qui opère en tant que clé de voûte de tout le système (Mezan, O tronco e os ramos, 2014, p. 68, Companhia das Letras, São Paulo).
Nous travaillons ici en un temps avant le miroir. Le bébé de Lacan était vieux, comme le disait Octavio Souza.
Alors, c’est autour du concept de pulsion que je vais faire pivoter cette intervention.
Laznik a travaillé sur une théorie lacanienne des pulsions. Voyons ce qu’elle nous apporte.
« Chez Lacan, la pulsion n’est plus un concept charnière entre le biologique et le psychique mais plutôt un concept qui articule le signifiant et le corps. (…) Nous avons vu que la satisfaction de la pulsion n’est rien d’autre que l’accomplissement d’un trajet en forme de circuit qui vient se boucler sur son point de départ. »
À partir des articulations de Lacan au séminaire 11, Laznik propose une division de la pulsion en trois temps :
« Freud dit qu’il y a trois temps à la pulsion ; le premier de ces trois temps est actif, le nourrisson (…) allant vers un objet externe – au niveau de la pulsion orale ce sera le sein, ou le biberon ; le second temps de la pulsion est réflexif, prenant comme objet une partie du corps propre – la sucette ou le doigt; le troisième – que Freud qualifie de << passif >> – c’est quand le nourrisson se fait, lui-même, l’objet d’un autre, ce fameux nouveau sujet – la mère, par exemple. (…) Il s’agit non pas d’une pure passivité mais d’une forme assez active de se faire l’objet de l’autre » (p. 52-53).
« Comment se représenter le troisième temps du circuit pulsionnel oral ? Par un se faire boulotter (…). Sur une publicité de couches Pampers, elle encerclait, systématiquement, le pied que le bébé tendait pour se le faire manger par une mère dont le visage resplendissait de joie : ce bébe n’etait pas passif dans la situation, il avait de toute evidence suscité l’intérêt de la mère en allant lui-même chercher à se faire boulotter. »
Le visage de la mère est resplendissant de joie. Dans cette scène, le troisième temps doit se dédoubler encore en trois temps : 1. L’enfant s’offre, se fait lui-même objet pour la jouissance de la mère ; 2. La mère en jouit ; 3. L’enfant, qui registre la jouissance de la mère en la regardant dans les yeux, jouit lui-même en retour.
Quel est l’enjeu pour l’enfant autiste ?
- Il n’y a pas de troisième temps.
« Si le bébé de la publicité, comme plein d’autres autour de nous, prend son pied en se le faisant boulotter, tel n’est pas le cas des nourrissons, devenus autistes, que nous connaissons à travers les films familiaux. (…) Rien chez eux ne semble indiquer un mouvement pour aller se faire embrasser, ni aller se faire voir, ni aller se faire écouter. Se faire l’objet d’un nouveau sujet, le future autiste n’en a pas le mouvement. Chez lui, le circuit pulsionnel ne se boucle pas ».
Il y a là, dans ce travail de Laznik, une piste clinique très importante. Le manque du troisième temps signale, pour elle, une lisière, qui définit ce que peut être, structuralement, un autisme. C’est même un concept littoral entre l’autisme et les autres psychopathologies de l’enfant.
Dans ma clinique, j’ai appris à me servir de cette lecture de différentes manières, et j’ai vu encore que l’on pouvait parler d’une installation tardive du troisième temps (ou du plaisir partagé) chez des enfants âgés de trois ou quatre ans, ou même après cet âge.
- L ‘enfant autiste n’arrive pas au stade du miroir.
Que l’enfant autiste n’arrive pas au stade du miroir, on le sait bien. On peut le dire autrement : pour l’autiste, il y a de l’image, mais pas d’imaginaire. L’image est ce qui se voit, et donc il n’ya pas d’extraction d’objet. Tout se voit, et pour cet enfant il n’y a pas de construction de ce qui ne se voit pas, cette construction étant la condition pour qu’il y ait effectivement de l’imaginaire.
Pour les enfants, d’une façon générale, le stade du miroir s’inaugure avec un sujet qui n’est pas encore un sujet. Il est acéphale : il ne parle pas, et il n’a pas encore fait son entrée dans le réel. Pour que le sujet fasse son entrée dans le réel, Lacan dit : il faut qu’au besoin (…) s’ajoute la demande pour que le sujet (avant toute ‘structure cognitive’) fasse son entrée dans le réel, cependant que le besoin devient pulsion » (Remarque sur le rapport de D. Lagache, p. 654).
Dans le stade du miroir, il y a ce qui se voit et ce qui ne se voit pas (comment l’autre me voit, est-ce qu’il me prend pour la plus belle ?). À ce moment là, le miroir n’est plus une surface physique qui renvoie des reflets, mais un miroir parlant, comme le dit Soler. Le signifiant qui parle ici, c’est le phallus, le signifiant du manque à être.
Mais pour l’enfant autiste, il n’y a que du vu. Le miroir ne parle pas.
Par le stade du miroir, Lacan cherchait une réponse : il voulait savoir comment l’enfant d’homme devient un humain socialisé et socialisable. Lacan rejoignait là son époque et l’interêt pour les enfants sauvages. L’identification est l’instrument de la socialisation.
Donc, pour l’enfant autiste, pas d’identification.
Pour l’autiste, à la place entre le nouage entre image et siginifiant, il y a un nouage entre image et signe. Cela veut dire qu’il est dans un « stade du miroir cognitif », qui existe et précède au stade du miroir fondateur du sujet. Pour lui, il peut y avoir de l’image. Mais c’est la pulsion qui permet le nouage entre image et signifiant,
« Il faut qu’au besoin (…) s’ajoute la demande pour que le sujet (…) fasse son entrée dans le réel, cependant que le besoin devient pulsion » (Lacan, Remarque sur le rapport de D. Lagache, p. 654).
Voilà ce qui permet que l’image puisse accomplir une fonction Imaginaire nouée au Symbolique et au Réel.
Parce que l’autiste ne connaît que le signe, il vit dans le sameness. Le signe est rigide, univoque. Il est toujours le même. C’est pourquoi aussi il aime les images à colorer, qu’il fait des copies, qu’il peut dire des mots non-liés ou même des phrases, mais il ne se fait pas représenter para un signifiant en tant que sujet pour un autre signifiant.
- Le traitement, c’est faire advenir le troisième temps et le miroir.
Si le troisième temps advient pour l’autiste, on peut dire qu’on assiste au début de l’avènement du sujet, au début de la fondation du sujet, au début de la constitution de l’appareil psychique, au début du nouage de l’imaginaire avec le symbolique. Donc, à l’entrée au stade du miroir.
Ce qui ne veut pas dire que la partie est gagnée. (Pour Maleval, l’autiste n’entre jamais au stade du miroir).
Cet avènement ouvre des possibilités, mais le destin de l’enfant à partir de ce point peut varier selon la combinaisons de différentes circonstances, disons. La clinique nous montre que, à partir de cet événement, qui arrivera de façon tardive par rapport aux enfants qui l’ont dès le quatrième mois, l’enfant pourra s’acheminer vers de différents destins, selon qu’il y ait installation du troisième temps et la sortie vers le miroir, selon que l’enfant reste dans le miroir, selon qu’il sorte du miroir, selon qu’il l’essaye, sans y aboutir, selon que l’installation ne soit pas bien restaurée, selon que’elle ne soit pas achevé.
Donc, on peut penser que le troisième temps du circuit pulsionnel peut accomplir la fonction de plaque tournante pour les différents destins de l’autisme.
Une plaque tournante
Lacan avait posé la métaphore da la plaque pour parler des phobies comme installation des structures. Mais on est avant. On est avant le miroir. Il faut penser alors à installer une plaque tournante avant celle qui décide des structures cliniques.
Pour préciser rapidemente ce que c’était que cette métaphore, on fait recours à ce que disait Lacan à propos de la phobie :
« La phobie n’est pas une entité clinique, mais en quelque sorte une plaque tournante, quelque chose à élucider dans ses rapports avec ce vers quoi elle vire plus que communément, à savoir les deux grands ordres de la névrose : hystérie et névrose obsessionnelle mais aussi bien par la jonction qu’elle réalise avec la structure de la perversion (séance du 7 mai 1969) ».
Alors, vers quels chemins peut orienter l’avènement du troisième temps du circuit pulsionnel ?
- Les destins de l’autisme
On va maintenant tester notre plaque. On va voir comment elle peut opérer, comment elle nous aide à lire la clinique.
- Un « faux » troisième temps, mais pas de sortie de l’autisme.
Rafael arrive à Lugar de Vida avec son père. Il a trois ans et il vient de recevoir un diagnostic d’autisme. Mais son père ne l’accepte pas. Il dit : mon fils est très affectueux et il sait jouer. Son père le met allongé et commence à le calliner, à le chatouiller. L’enfant réagit : il rit, il a l’air de s’amuser. Je demande alors à son père : est-ce qu’il joue avec vous, ou est-ce vous qui jouez avec lui ?
Au début de ma pratique, je ne comprenais pas pourquoi les enfants autistes pouvaient être affectueux. Mais si je prends maintenant cette élaboration théorique de Laznik, je peux dire que l’enfant peut éventuellement fonctionner comme s’il avait accompli le troisième temps, mais ce qui lui manque, en réalité, c’est l’instant où il vérifie si l’autre prend autant de plaisir que lui dans le jeu (deuxième moment du troisième temps) Il y a du plaisir, mais pas de plaisir partagé. Il y a du plaisir, des émotions, des affects, mais la pulsion n’a pas été installée. Pas de demande dirigée à l’autre, pas de sexualité au sens freudien.
Birger Sellin, un écrivain autiste, écrit que les autistes connaissent les émotions, mais ils sont toujours dans le monde des signes. Maleval dit qu’ils éprouvent en réalité un grand besoin du signe, c’est à dire, ils aimeraient être dans un monde réglé, univoque, certain. Donc, les écrivains comme Sellin ne sont pas entrés au stade du miroir, ils restent dans le monde de l’image et du signe, mais pas dans le monde de l’imaginaire et du signifiant.
- Post-autisme : installation et entrée au stade du miroir.
MC a six ans. Elle est (ou était) une autiste muette.
Pendant la séance, elle prend au hasard des peluches, et les jette l’un après l’autre.
Je décide de lui dire, à sa place, à chaque rejet : ça, non.
Ce jour là, je pensais au fait que les enfants autistes apprennent à dire non – c’etait le cas pour MC – mais le oui leur arrive difficilement. Le oui implique un consentement à l’Autre, un con-sentiment, donc un sentiment partagé. Voilà pourquoi je lui disais ceci, non : je pensais pouvoir arriver au moment où, devant un choix quelconque, je pourrais lui dire ça, oui.
Ce moment est effectivement arrivé. Devant une poupée de Minnie, elle l’a pris dans ses bras, comme si elle l’embrassait. Je lui ai alors dit : ça, oui !
Elle s’est alors allongée par terre, tout en saisissant la poupée, et elle a commencé à répéter, ihh, en me regardant et en me souriant. Une vraie jubilation. J’étais resplendissante de joie. Je lui disais alors, ihh, et elle le répetait en me regardant.
Quelque temps après, c’est l’identificaction qui a surgi. Devant un enfant qui pleurait, elle l’a regardé très sérieusement. Ensuite, elle est allé chercher une coordinatrice du groupe, elle l’a prise par la main, en passant son bras au long du dos de l’enfant. C’átait une invitation pour embrasser l’enfant qui pleurait. Elle demandait une consolation pour lui.
À mon avis, MC est maintenant un enfant post-autiste.
On assiste à l’avènement du plaisir partagé avec tous ses ingrédients. On assiste aussi à des scènes régies par l’identification au semblable, ce qui est la marque du stade du miroir.
Le post-autisme est une notion utilisée par Meltzer et les kleininens. Mais le sens qu’ils attribuent à cette expression n’en est pas le même qu’ici.
C’est Diatkine qui vient à notre rencontre: pour lui, l’enfant n’est plus autiste quand il montre avoir de l’angoisse :
« Il est assez inapproprié de parler d’ <<angoisses autistiques >>, quand ces angoisses terrifiantes que nous connaissons certes tous dans la clinique quotidienne sont plus justement des angoisses de << sortie d’autisme >>, ou du moins d’ébranlement de la carapace autistique et de mise en route (ou de remise en route c’est selon) du circuit pulsionnel de subjectivation et de représentance dans la rencontre de l’objet». (F. Joly, p. 65)
Autrement dit : s’ il l’enfant montre de l’angoisse, c’est qu’il a atteint le troisième temps du circuit pulsionnel, selon notre terminologie.
MC est entrée au stade du miroir. Néammoins, le mécanisme de défense continue à être l’exclusion, même si elle n’est plus autiste. Pour abandonner ce mécanisme, il lui faut la sortie du miroir.
Si elle ne sort pas, deviendrait-elle psychotique ? À mon avis, son destin serait différent de celui d’un psychotique.
- Les grosses têtes :
Henri arrive à Lugar de Vida à un an et dix mois.
Il démontre avoir un très net rapport à l’autre. Il est souriant, ils regarde sa mère, mais ses parents sont en grande détresse : ils ont reçu un dignostic d’autisme. Pourquoi ? Parce que son enfant a des intêrets particuliers, des routines, des répétitions, des comportements bizarres tels qu’essayer de regarder le mur du coin de l’œil pendant qu’il le longe en faisant glisser sa cheville, en essayant peut-être d’attraper des changements de lumière.
Mais les plus importants de ces comportements bizarres, ce sont ses « connaissances » : il est capable de répéter les chiffres, l’alphabet (d’un ton monotone, certes, mais c’est quand même très ‘savant’), le nom des couleurs, et surtout le nom des couleurs en anglais ! Son institutrice dit qu’il est une « grosse tête », et elle en a vu d’autres. C’est ce qui est nommé par les psychiatres : l’hyperlexie.
On constate, lors des premières rencontres, que son imaginaire est très pauvre. Il n’y a pas de jeux de faire semblant (faz-de-conta), il n’y a pas de phantasmes dans les jeux. Il regarde sans arrêt les roues des autos, les ventilateurs, ils est attaché à la mécanique des objets.
Il répète obstinément des mots : soleil, étoile, les chiffres.
Le travail psychanalytique se déroule très bien.
Après peu de temps, Henri prend un petit bonhomme dans une maison à jouer et le jette loin, en disant : papa non ! S’agit- il d’un signifiant ? Je le crois.
Il évolue rapidement, comme d’ailleurs d’autres grosses têtes. Ce sont des enfants qui aboutissent à la cure.
Comment peut-on comprendre son évolution ?
Du point de vue du troisième temps :
Ils ont eu peut-être une période courte d’enferment sur eux-mêmes, un certain repli. Le troisième temps s’ y installe, mais plus tard que pour les autres enfants. (vers un an et demi, par exemple, ou même avant). C’est ce qui fait bon prognostique.
Pour qu’il y ait installation, il faut qu’il y ait répétition dans le temps.
L’installation dépend aussi de la durée de l’enfermement, ainsi que de son époque (à deux mois, à neuf mois, à dix-huit mois etc).
On peut penser alors à une installation fragile chez les grosses têtes.
La fragilité n’est pas une notion très psychanalytique. Mais je pense que, quand nous travaillons avec ces enfants, on peut parler de mise ou de remise en route du circuit, comme l’a dit Diatkine, ou d’un circuit qui n’a pas été pleinement restauré, comme l’a dit Maleval (2006). De toute façon, c’est comme s’il y avait eu un début d’ installation pulsionnelle, qui ne s’est achevée que plus tard, soit par le travail psychanalytique, soit par la rencontre de l’enfant avec quelqu’un qui a fait cette remise en route du circuit.
Mais pourquoi cette installation est-elle fragile ? Ou bien, pourquoi a-t-elle été tardive ?
Ce qui confond les neurologues et les psychiatres c’est surtout la pauvreté imaginaire des grosses têtes. Là les grosses têtes rejoignent les autistes ( pour qui d’ailleurs il ne s’agit pas de pauvreté, mais d’absence d’imaginaire) et donc ils les incluent très facilement dans le spectre. Mais, à mon avis, ils ne sont plus des autistes, ayant toutefois eu une installation tardive et fragile du troisième temps, ce qui a mené à une pauvreté imaginaire.
Si l’effet principal de cette installation fragile a été une pauvreté imaginaire, on doit examiner ces cas aussi du pont de vue du narcissisme et de l’installation de l’imaginaire.
Alors, du point de vue de l’imaginaire :
Chez ces enfants, il peut y avoir une demande de l’Autre Primordial pour le cognitif. Selon Bernardino :
« J’observe dans ma clinique que les femmes structurées selon la névrose obsessionnelle ont finalement du mal dans la construction de leur identité en tant que mères. Quelques hypothèses peuvent être posées pour essayer de comprendre cette difficulté. Nous pourrions penser tout d’abord que pour elles le phallus se situe nettement dans la question de la production (érotisme anal-phallique). De ce mode, à côté des réalisations du travail, ou dans la continuité de cette série, pour elles le fait d’avoir un enfant revient à accomplir un autre point de la liste de tâches exigées par l’Autre: il faut l’avoir pour pouvoir cocher un point de la liste et, maintes fois, le désir d’avoir un enfant ne va pas au-delà de cette fonction… Il s’agit donc de femmes qui, devenant des mères, se consacrent notamment à donner à l’enfant les soins de base, relatifs à leurs « besoins ». Deuxièmement, elles ont une tendance à vivre la demande de leurs bébés comme insupportable, une fois qu’elles sont obligées (selon le style obsessionnel) à en répondre. Alors, les enfants les épuisent… sans permettre à l’élément érogène d’être présent pour leur apporter un peu de plaisir dans cette expérience. Ce n’est pas dans le contexte d’être femme que l’expérience de la maternité les touche, mais plutôt dans le contexte d’avoir un enfant pour répondre aux exigences de productivité… »
« Dans ce cas nous avons toute une série de conséquences : les plus graves – aucun érotisme se présentifie pour permettre l’entrée du bébé dans le circuit pulsionnel – avec le risque de pathologies graves telles que l’autisme ou la psychose infantile ».
« Il s’agit d’enfants qui, d’une façon générale, ne sont pas invités à jouer. Leur imaginaire tend à s’appauvrir et le rapport à la réalité tend à être direct ou détourné vers les objets virtuels (toujours plus intellectualisés) ». La télévision, les i-pads, le portables, les jouets éléctroniques.
Il y a là une offre où l’Autre pulsionnel n’est pas présent ou du moins pas suffisamment présent.
Du point de vue du symbolique :
Bernardino continue :
« Les bébés investissent le plan cognitif-intellectuel, celui-ci étant la voie de la pensée et de la rationalité qui attire l’attention de la mère. Les bébés pris par leurs mères obsessionnelles comme des tâches à accomplir peuvent essayer de réparer la pauvreté affective des expériences avec l’autre par un surinvestissement des aspects cognitifs, ce qui les fait contacter le champ symbolique de façon directe, sans l’intermédiation imaginaire ».
Autrement dit, quand ils rencontrent le symbolique, ils y puisent dans son « côté code », et pas dans son « côté message » ; alors le code ne fait pas de message. Ils vont vers le symbolique, mais ce n’est pas du signe pur. C’est du code, un code sans message. C’est, disons, la structure de l’édifice qu’ils atrappent, mais pas son argamasse ; c’est la trame, mais pas la chaine du tapis.
Le traitement consiste à leur faire refaire l’imaginaire, les scènes jouées, où le plaisir partagé a aussi une place privilégié. Avec Pedro, j’ai connu des moments très très amusants. C’est dommage que je ne puisse plus me jeter par terre et lever les jambes en les secouant, comme je l’ai fait plusieurs fois avec lui !
- La psychose ?
Albert est un jeune homme psychotique. Pendant sa première année de vie, il s’est appuyé sur son père, un homme très fragile, qui a exercé pourtant pour lui une fonction maternelle, étant donné que sa mère a connu des épisodes dépressifs intenses. Mais pendant sa première année de vie il a développé des traits autistiques très prononcés.
S’agit-il d’un autiste qui a connu l’entrée au stade du miroir et qui n’en est pas sorti ?
Pour Maleval, il n’y a pas de sortie par la psychose. Pour lui, pas de changement de structure : l’autisme évolue vers l’ Asperger.
Un autre auteur fait une théorisation pour expliquer ce passage, mais je la crois fragile. Il dit : une mère qui soudain se rend compte de la non-subjectivation de son enfant peut changer sa position subjective pour essayer de le rattraper, devenant alors une mère psychotisante, en voilà son explication.
Là, ce n’est pas convaincant. Mais je le signale en tant que destin possible de l’autisme, toujours à partir de la plaque tournante du plaisir partagé.
- La névrose ?
Marine est un enfant en risque d’évolution autistique suivi para Laznik depuis 4 mois de vie. Le troisième temps advient quand elle a six mois. À neuf mois, elle connaît un nouveau enfermement, suivi d’une nouvelle ouverture et elle ne reprend plus son repli autistique.
Pour Laznik, Marine devient névrosée. Elle est suivie encore aujourd’hui.
L’espace Écoute, une institution au sud du Brésil, rapporte des cures complètes de bébés suivis dès l’âge de sept mois. Il s’agit d’un travail sérieux, filmé, où l’on assiste à l’avènement du plaisir partagé. C’est émouvant !
Dans ma clinique, j’ai connu d’autres enfants dits autistes qui ont pris le chemin de la névrose. Mais ils étaient tous de « grosses têtes » !
De toute façon, si Marine devient névrosée, c’est qu’il y a du refoulé. Peut-il s’installer à la place du mécanisme d’exclusion ?
Je reçois des enfants qui ont été autistes mais qu’on ne peut pas dire qu’ils soient ni névrosés ni psychotiques.
Ils ne sont pas exactement des névrosés parce que leurs symptômes ne parlent pas (comme les symptômes freudiens). La petite fille qui saute, par exemple.
- L’éducatif
À Lugar de Vida, nous travaillons avec l’éducatif dès le début de la création de notre institution en 1990.
Nous avons eu de différentes élaborations jusqu’à présent.
Un de nos axes de travail porte sur l’acquisition de l’écriture.
On a beaucoup travaillé là-dessus.
Le développement de ce que que je viens de vous montrer pointe maintenant vers une autre direction.
MC adore les copies, mais elle n’est pas capable de dessiner. Je vois qu’elle fait des progrès á l’école et j’ai décidé, au début de cette année, d’appeler une institutrice pour faire du scolaire avec elle. Au début, il s’agissait de créer un groupe mais des problèmes d’horaires l’ont laissée seule. Le scolaire a beaucoup progressé, et elle travaille bien avec l’enseignante
À l’école, elle dessine, guidée par la prof.
J’ai appri, il y a peu de temps, avec Crespin et Annyck, que ce chemin de copies et du scolaire est moins éprouvant pour l’enfant, le chemin de la demande de subjectivation étant angoissant pour l’enfant autiste.
Si on reprend la phrase de Lacan que j’ai cité ci-dessus, il y a là un détail intéressant. Je vais la reprendre :
« Il faut qu’au besoin (…) s’ajoute la demande, pour que le sujet (avant toute ‘structure cognitive’) fasse son entrée dans le réel, cependant que le besoin devient pulsion » (Remarque sur le rapport de D. Lagache, 654).
Nous avons appris que les fonctions cognitives se développent à partir de la constitution du sujet, où appuyées sur elle. Mais on assiste, chez l’autiste, à un développement cognitif qui ne dépend ni de la pulsion ni du stade du miroir, mais qui dépend, à mon avis, d’un type spécial de narcissisme. Selon Laznik lisant Lew, « le sujet autiste est compactifié sur son narcissisme. Identifié à l’Un, sans Autre distinguable. S’il y a bien une jouissance pour l’autiste, c’est alors une jouissance du corps : interêt, quand il existe, pour la nourriture, pour le déshabillage, pour le mouvement stéréotypé… ».
Je dis toujours que l’enfant autiste n’obéit pas parce qu’il n’a aucun interêt de se faire aimer par l’Autre. Il ne connaît pas non plus la fonction paternelle ; pas de castration, pas de manque, bien sûr. Mais si la fonction narcissique marche toujours, il est possible qu’il obéisse aux demandes des parents, si elles sont cognitives. MC répète avec son père le son des animaux qu’elle voit dans son livre ! Là, une fonction narcissique comme celle théorisée par Lew a été peut être mise en marche.
La démarche éducative fait, selon notre lecture, une jonction entre le pulsionnel et le narcissisme, quand il s’agit d’un enfant névrosé. Pour l’autiste, c’est la disjonction entre ces deux registres qui est en action. Donc, traiter c’est réunir. Pour l’enfant autiste, on peut le faire entrer au miroir en installant le troisième temps, mais en passant par le cognitif déjà installé. Autrement dit : en passant par le narcissisme sans sexualité, ou par le miroir qui ne parle pas.
Chez MC, le dessin de la figure humaine a été fait de façon pilotée à l’école, mais je pense que cela a eu des effets sur l’image corporelle, mais surtout parce qu’on en a fait un pilotage de notre côté. Le ça oui, ça non, par exemple. Voilà pourquoi nous parlons d’éducation thérapeutique.
Pour conclure : si nous voulons que nos résultats cliniques soient connus, si nous voulons que la clinique psychanalytique connaisse de nouveaux développements, de nouveaux apports financiers, nous devons faire aussi des associations avec ceux qui nous écoutent et nous respectent : les éducateurs.
Construisons, alors, nos chevaux de Troie !