Comment on devient tortionnaire ou l’échec du concept des identifications. Robert Lévy Séminaire 2, Paris 07/11/2018
AU-DELA DE LA HAINE … DES VIOLENCES INÉDITES
Robert Lévy
07/11/2018
SEMINAIRE 2
« COMMENT ON DEVIENT TORTIONNAIRE
OU L’ECHEC DU CONCEPT DES IDENTICATIONS »
Tout d’abord je voudrais signaler que j’ai emprunté pour le titre du séminaire de ce soir le livre de Françoise Sironi dont je donnerai quelques éléments tout à l’heure.
Quant au sous titre, vous avez sans doute remarqué que j’ai volontairement laissé dans l’ambiguïté le terme des identification que l’on peut lire de plusieurs façons:
Le concept des identifications
Le concept de désidentification
Le concept désidentification
Ainsi nous sommes effectivement face à une hypothèse très importante c’est celle de savoir si la construction psychique autour de ce qu’on appelle pour un sujet donné l’identification, est à même de tenir dans la temporalité et plus spécialement face à des mauvaises rencontres avec le réel?
Mais sans trop dévoiler pour l’instant tous les arguments , je dirai simplement que le premier constat que l’on peut faire c’est la capacité des hommes à nier l’Autre comme véritablement humain pour pouvoir l’exclure, lui faire du mal, le détruire, voire tenter de lui interdire une survie post mortem.
Pourtant il y a encore à ce niveau là quelque chose qui subsiste d’un embryon d’identification puisque c’est dans la négation que l’Autre change de statut : ‘il n’est pas humain’; cequi ne peut se concevoir que par rapport au fait d’être humain évidemment.
Là où les choses changent de statut, me semble t-il c’est lorsqu’il s’agit de nier jusqu’à la mort l’Autre c’est à dire lui retirer ce qui définit qu’un homme soit un homme à savoir que ‘tout homme est mortel’ . Or c’est bien à un déni de ce genre auquel on a pu assister avec Heidegger qui s’est chargé de concevoir l’idéologie nazie jusque dans ses plus extrêmes ramifications.
C’est Juste après la guerre alors qu’il était sommé de s’expliquer sur l’extermination qu’il déclara ceci:
« Des centaines de milliers meurent en masse. Meurent ils ? Ils succombent, ils sont abattus. Meurent ils ? Ils deviennent les pièces d’un stock de fabrication de cadavres… Meurent ils ? Ils sont discrètement liquidés dans des camps d’extermination. (…)Partout en masse les détresses d’innombrables morts,épouvantablement nonmortes – etnéanmoins l’essence de la mort est cachée aux hommes. L’homme n’est pas encore le mortel. »[1]
Dans cette citation glaçante de Heidegger il faut se pencher plus spécialement sur la mise en doute de la qualité même de mortel puisque l’interrogation qu’il pose sans cesse c’est : sterben sie ?
En effet pour Heidegger, ceux qui ont péri dans les camps d’extermination sont, dit il, des ‘grausig ungerstorben’ littéralement: ‘horriblement non morts’ .
Ces ‘horriblement non morts ‘ sont ceux qu’il oppose à la mort des héros et par conséquent celui qui ne meurt pas de la mort des héros ne meurt pas vraiment.
Il s’agit d’une véritable opération d’effacement puisqu’il s’agit d’effacer jusqu’à la capacité de mourir des juifs, négationnisme ontologique qui va jusqu’au bout de ce qui fait qu’un être humain est un humain à savoir qu’il est mortel….
Je pense que les négationnistes de tout poil se sont inspirés peu ou prou de cette idée que la mort n’avait pas eu lieu dans l’extermination ; ce que les thèses de Faurisson montrent en filigrane, dimension très importante sur laquelle reposent toutes les thèse négationnistes.
Il y a donc une véritable tentative de rectifier la notion même d’humanité puisqu’à travers cette OPA sur la non mort des juifs, Heidegger prépare une « nouvelle vérité de l’être » et c’est dans son essai sur Ernst Jünger qu’il précisera les choses de la façon suivante:
« La force de l’essence non encore purifiée des allemands est capable de préparer dans ses fondements une nouvelle vérité de l’être. »Telle est dit-il notre foie (glaube). Pour ce faire il se recommande de la Race (rasssegedanke).[2]
Mais le projet violent ne se fait pas attendre puisque cette perte identitaire dont souffre le peuple Allemand suscite les conséquences suivantes: « sentant notre identité mise en cause par le suffocant marais de l’anonyme, nous sommessaisis d’accès meurtrier , du désir aveugle de foncer pour nous faire de la place »[3]
Remarquons également un point très important c’est que dans cette déclaration il est anticipé que celui qui sera le bourreau n’est en fait qu’une victime.
C’est une dialectique que l’on retrouve très souvent chez les terroristes notamment et plus largement chez les génocidaires.
Il y a par conséquent dans ces génocides une volonté d’éradiquer l’autre au delà même de sa mort.
Et nous avons pu assister à une autre forme d’éradication « au delà de la mort » qui est passée par la volonté avérée de modifier les registres de la filiation , c’est ce qui se produit lorsque l’ennemi est défini par sa filiation étendue à la race comme ce fut le cas dans les guerres de l’ex Yougoslavie .
Dans cette guerre Il s’agissait d’aller au de la de la mort de la seule personne en violant les femmes qui n’étaient pas serbes par des guerriers serbes de telle sorte que leur progéniture puisse modifier la filiation de ceux qui sont considérés comme des ennemis… D’ailleurs C’est toujours dans les crimes racistes qu’intervient le viol systématique.
Le pendant inverse coté pureté de cette modification fût la tentative avec les Lebens Born de produire une filiation enfin purement arienne.
Évidemment le propre de toute société humaine c’est de réduire la définition de l’humain aux membres de son propre groupe, les autres étant des ennemis ou des non humains ce qui n’est pas tout à fait la même chose.
Dans cette dernière définition il y a toute la différence entre ceux que l’on considère comme ennemis et donc sont hais et les autres, « radicalement autres » à savoir ceux que l’on ne considère plus comme des humains et qui doivent donc être éliminés sans haine, puisque la haine est encore ce que l’on peut attribuer en dernier ressort à un identique à soi-même ou à un non identique à soi soi-même…
Mais l’affaire est un peu compliquée car comme le fait fort justement remarquer F. Héritier [4] « Chaque groupe humain est ainsi investi, croit-il, de l’humanité à l’exclusion de tout autre. » C’est dans une mesure différente ce qui se passe un peu avec les analystes qui pensent la plupart du temps que les autres ne le sont pas.
C’est ce qui permet que, comme ceux de l’extérieur n’en sont pas ( de ce quelque chose identique à moi même ), je peux les traiter avec mépris, les chasser pour en faire des esclaves ou encore des objets de sacrifice .
Mais la question est la suivante: ces actes sont ils commis dans la jouissance ou simplement dans l’application de ce qui a fait autorisation pour chaque un ?
Peut être y a t-il un début de réponse lorsque l’on considère, comme nous en avons brièvement parlé l’avant dernière fois, grâce à la question que jean jacques Valentin avait posée, le fait qu’un nombre très important de GI s’étaient suicidés au retour de la guerre du Vietnam, coté bourreaux donc.
C’est une question qui ouvre à nouveau le problème de la dimension traumatique puisque avec la théorie Freudienne de l’après coup, il faut absolument reprendre la notion de ce que l’on pourrait appeler un excès de jouissance dans cette mauvaise rencontre avec le réel.
En d’autres termes, l’effraction du fantasme donnerait libre cours à la jouissance et par conséquent n’est-ce pas cet excès qui serait dès lors traumatique ?…
Traumatique puisqu’en raison de l’effraction du fantasme il n’y a plus de refoulement possible et encore bien moins de symbolisation.
Par conséquent c’est la métaphore sur laquelle le sujet construit son identité qui vole en éclats et dans ce cas il ne reste plus que la mort réelle pour faire limite.
C’est également ce que l’on a vu aussi très souvent chez les rescapés des camps d’extermination qui se sont suicidés au sortir des camps en nombre très important.
Je voudrais de ce fait insister sur l’idée qu’il y a là une certaine forme de désidentifcation qui peut donc se rencontrer des deux cotés soit celui des bourreaux mais également celui des victimes.
S ‘agit il pour autant du même processus de désidentification ?
Néanmoins il faut ajouter peut être une autre figure qui n’est ni celle du bourreau au sens habituel ni celle de la victime mais celle paradigmatique de la figure d’Heichman, une figure de la « banalité du mal » qui ne se réfère peut être pas à la jouissance puisqu’il aboutit à une complète chosification de la victime en adhérant pleinement au projet nazi tel que Heidegger le théorise; où il ne s’agira plus dès lors que de « se dresser contre l’ennemi, cet adversaire incrusté dans la racine la plus intime du peuple Allemand, qu’il s’agit d’identifier et de débusquer avec pour but son extermination totale »[5].
La question de la mort de l’autre se pose via une autorisation qui se régit sous la forme de l’ensemble des possibles situés entre deux impératifs contradictoires « tu ne tueras pas / tu peux tuer à ton gré », ces deux impératifs sont rassemblés sous la rubrique « tu peux avoir le droit mais régi par la loi de tuer »[6].
Par conséquent il faut préalablement définir ce qui est identique à moi même et ce qui est différent et c’est bien dans cet « entre soi » de l’identique à soi même que l’on retrouve les dimensions de la consanguinité (ne pas se trouver de femmes extérieures au groupe pour rester pure ) et de la territorialité qui n’est autre que le prolongement de la nécessité de défendre la pureté de ceux qui sont les humains à quoi s’ajoute irrémédiablement la question du genre à ne pas confondre avec la différence des sexes…
Le modèle le plus achevé de ces éléments est celui des castes en Inde où l’on assiste à la constitution d’un Autre absolu exécré par le regard porté sur lui, comme le fait encore remarquer F Héritier[7].
Dans cette configuration d’un Autre absolu, le rapport honni à l’excrémentiel fait que seuls des intouchables peuvent êtres éboueurs ou vidangeurs.
Nous sommes ici encore bien confrontés aux questions de pureté et d’impureté qui seront si bien développées par Freud dans la thèse de Totem et Tabou.
Mais ne peut on pas dire que cette façon de procéder hindouiste est encore le dernier rempart contre l’élimination pure et simple, là où dans d’autres cas comme celui par exemple de la radio des mille collines où l’on parle des Tutsis comme des cafards et des rats ; « Il faut alors les balayer et les éliminer dans une série continue et aisée de dérivations de la métaphore de l’animal nuisible conduisant peu à peu à l’idée d’une invasion par des insectes et de l’excrémentiel ignoble qu’il va falloir nettoyer » .
La façon de voir l’autre autrement est toujours ici invoqué, le regard de l’autre s’en trouve peu à peu modifié jusqu’à ce que je puisse ne plus me reconnaitre dans le regard de cet autre qui n’a en fait plus de regard du tout puisqu’il n’est plus du ressort de l’humain.
On ne voit plus des hommes donc mais des excréments ou des nuisibles auxquels on ne peut pas, on ne peut plus s’identifier, ou encore se reconnaitre.
Peut on faire ici l’hypothèse, pour reprendre encore une question posée l’avant dernière fois, que en cet instant du passage à l’acte, la réduction de l’autre à l’animal nuisible ne fait plus métaphore ? Voire même que c’est parce que la réduction à l’animal ne fait même plus métaphore que le passage à l’acte de l’élimination peut se produire ?
De la même façon pour les nazis les juifs sont considérés comme une souillure morale et physique de la race Aryenne qu’il va falloir nettoyer et purifier pour échapper au danger de contagion.
Et alors que Primo Levi restituait de la métaphore par cette magnifique formulation: « si c’est un homme », Heidegger de son coté construisait une catégorie de sous hommes pour qui même la mort leur était niée.
Ainsi par cette opération de décontraction du regard on passe de l’homme réduit au nuisible à nettoyer à l’homme réduit au stuck préalablement numéroté; en d’autres termes à ces « morceaux » que comptabilisaient les gardiens des camps d’extermination pour compter les prisonniers.
A ce moment la déshumanisation est accomplie puisque la réduction de l’autre à des « morceaux » ne nécessite plus aucune métaphore.
Par conséquent il n’y a plus d’autre il n’y a plus que des choses, inanimées dont l’effet produit laisse l’homme sans plus d’identification possible.
En effet comment pourrait on se reconnaitre dans un « stuck » ?
Je pense que tous les mouvements plus récents tels que le djihadisme ont procédé de la sorte, chacun à sa façon en désidentifiant la race ou les « Koufards » de leur caractéristique identificatoire.
Il y a un élément très important qu’il faut ajouter à tout cela c’est à chaque fois la nécessité d’une vision du monde, d’une weltanschauung antisémite dans laquelle s’enracine d’emblée la conception du Dasein pour Heidegger mais peut être également dans le djihadisme dans lequel on retrouve nombre de ces éléments.
L’importance de la persuasion par la parole et le discours est capitale et s’enracine dans un « principe de la race » (rassenprinzip) qui se complète parfaitement comme l’écrit Heidegger avec « l’existence et la supériorité du führer se sont enfoncées dans l’être, dans l’âme du peuple, afin de le lier originellement et passionnément à la tache »[8]
Il s’agit de la domination et de la possession totale des esprits avec son outil principal : l’apprentissage de la soumission.
Cette soumission pouvant très bien également se produire au nom d’Allah ou encore au nom du parti communiste comme on a Pu le voir dans les massacres des Khmers rouges.
En ce qui concerne le génocide perpétré par les Khmers Rouges, on a assisté par exemple au fait qu’ils étaient tellement soumis et loyaux envers leurs maitres du parti qu’ils ont avoué des faits qui étaient faux et en particulier ceux qui constituaient les motifs de leurs accusations car leurs seuls désirs étaient de plaire à leurs maitres jusque dans la mort …
Dans ces massacres par les Khmers Rouges c’est le moi qui est estimé ennemi du peuple et la répétition de la figure de l’obéissance se fera outil de destruction de toute pensée personnelle .[9]
Ici c’est donc le sujet lui même qui est à éradiquer et non plus la race.
Le moi est alors réduit à une sorte de machine qui n’est plus qu’une fonction automatisée telle que travailler, se nourrir en petite quantité et être rentable jusqu’au bout de ses forces.
Le but recherché est donc la domestication de l’être via le détachement de tout désir.
Les ennemis du peuple sont par conséquent tout ce que l’on n’accepte plus de soi même : les affects, les fragilités, les singularités, les doutes et par dessus tout bien évidemment les désirs. Françoise Sironi prétend que c’est la haine qui va alors se fabriquer contre une partie de soi que l’on projette sur l’Autre. Elle emploie cette très intéressante métaphore d’ « homme système » pour qualifier ces Khmers rouges qui ne pouvaient plus qu’entrer dans une profonde dépression dès lors qu’ils n’avaient plus de modèle ni d’idéal..
Je suis assez d’accord avec elle sur cette analyse mais je la trouve cependant trop générale, car la « haine de soi » projetée sur l’Autre est constitutive de tout processus de haine et non pas tellement exceptionnelle.
En effet la question me semble plus celle de savoir à quel moment cette haine constitutive de l’Autre et de soi même devient une haine désidentificatoire ?
Puisque tant que la haine se situe dans ce registre « partagé entre soi et l’autre », elle demeure une identification négative; l’autre existe encore mais négativement.
Dans ce cas c’est sans doute grâce à l’avènement d’une véritable interdiction de penser que le passage de l’identification négative à la désidentification peut se produire.
Je crois que cette « interdiction de penser » est un des éléments fondamentaux de ce qui permet dans un second temps un passage à l’acte serein ; celui que l’on connait sous l’appellation de faire son travail » dans le massacre des tutsis ou encore celui de la « banalité du mal » chez Eichmann.
Il faut bien, en effet, que le mal soit banal pour que chacun puisse « faire son travail » sereinement, c’est à dire sans jouissance… Avec ou sans jouissance délimite forcément ce qu’il en est de l’élimination de l’autre avec haine ou sans haine c’est à dire dans le cadre d’une désidentification réussie.
Dans le registre de ce qui peut pousser un homme à détruire sereinement une partie de l’humanité il y a certainement recours à ce dont les Khmers rouges ont usé et abusé aussi bien d’ailleurs que tous les autres massacreurs ; c’est le recours à « l’identité collective ».
Une sorte de « pensée système » qui désolidarise avant tout le sujet de son moi.
Je n’aime pas beaucoup avoir recours à ce type de réflexion sur une « identité collective » car la frontière est souvent très vite traversée du passage à un inconscient collectif.
Pour ma part je pense qu’Il n’en est rien puisque une chose est le recours à une identification idéale collective et autre chose est la reconnaissance d’un inconscient collectif…
Vous l’aurez compris, c’est ici que toute la question du réel se pose.
On peut évidemment soutenir qu’il n’y a pas de réel universel et que donc tout réel n’est abordable qu’au un par un ; néanmoins on peut faire également une différence importante entre ce qu’il en serait d’une ‘identité idéale collective’ et d’un ‘inconscient collectif’ dans la mesure où on peut remarquer que cette identité idéale collective se trouve du coté du ‘semblant qui nous subjugue’.
Je reprends ici la terminologie fort utile qu’utilise Badiou quand il évoque que [10]; le réel est ce qui se découvre au prix que « le semblant qui nous subjugue » soit arraché, et il précise :
« Tout accès au réel lui porte atteinte, par la division inéluctable qu’en le démasquant on lui inflige. »[11].
Il faut repenser ici à nouveau à ce qu’il en est de la question traumatique des soldats de retour du Vietnam c’est à dire ceux qui parmi les bourreaux en l’occurrence se trouvent justement aux prises avec leur réel traumatique une fois arraché le masque du semblant, une fois donc que l’identification idéale collective ne fonctionne plus …
C’est également ce qui se produit à chaque fois que ce point ultime d’identification ne fonctionne plus comme on a pu le constater dans les camps d’extermination par exemple lorsque ceux qui ne croyaient plus en dieu ou en la politique ou dans le retour d’un être aimé mourraient instantanément alors qu’ils avaient pu survivre tant que cette « identification idéale collective » pouvait encore fonctionner ou était en mesure d’être chaque jour restaurée encore et encore.
Une « identification idéale collective » telle que celle que Primo Levi restaurait dans « si c’est un homme » ; une certaine forme d’identification collective à l’humain donc en faisant semblant justement chaque matin de se laver les dents et le corps alors qu’il n’avait ni brosse à dents et encore moins de savon …
Nous sommes donc face à ce constat que c’est un certain type d’identification idéale collective qui garantit pour un temps le semblant nécessaire pour que pour chaque sujet puisse s’élaborer une certaine forme de métaphore.
Alors que ce que produisent les discours sur l’Autre du type xénophobe et raciste ont des effets de démétaphorisation et par conséquent de désidentification du sujet à son identification idéale collective, sujet qui est alors présenté et réduit dans ces discours à n’être plus qu’une métonymie ; au sens où il n’est plus que partie de ce tout que l’on rejette en raison le plus souvent de son impureté… ( ANNA K)
Dès lors on peut donc dire qu’il existe deux formes d’atteinte envers l’Autre :
l’une qui par la haine propose une identification idéale collective inversée à partir de la projection négative de soi même et là nous restons dans une forme de semblant dans lequel le réel reste masqué par ce « semblant qui nous subjugue ». Alors que dans le second cas de figure le réel n’est plus masqué par quelque semblant que ce soit et ainsi destitue le sujet de son appartenance à tout idéal d’identification collective.
En d’autres termes on atteint le réel dans ce qui sont les points d’impasse de la formalisation; autant dire alors comme le fait remarquer Badiou: « qu’on peut accéder à un réel si l’on découvre quel est l’impossible propre d’une formalisation »[12].
Je reprendrai donc volontiers ce dernier terme de « découvrir quel est l’impossible propre d’une formalisation » puisque à mon sens c’est ce à quoi nous faisons face à chaque massacre de masse puisque nous avons pu faire le constat que chaque massacre aura été autorisé par un discours préalable qui pousse à extraire les futures victimes de leur place dans un universel de référence à l’humanité qui, dès lors que cela est acquis, met les victimes du coté de l’impossible d’une formalisation ; à savoir celle qui leur permettait de faire partie de ce grand ensemble des membres de l’humanité . (Anna)
C’est pourquoi il me semble aujourd’hui plus que jamais valide de qualifier ces crimes, de crimes contre l’humanité » dans la mesure où on entend par ‘humanité ‘cette forme d’identification idéale collective à laquelle chacun peut se référer comme semblant nécessaire à la production de métaphore .
Évidemment chaque sujet produit avec cette identification idéale collective quelque chose de singulier en tant que métaphore; donc ici encore je ne perds pas l’idée qu’il n’y a pas d’inconscient collectif fut ce celui de l’humanité puisqu’il n’y a pas d’énonciation collective de ce qui fait point de métaphorisation pour chaque un…
Évidemment ce semblant qui nous subjugue dans « l’identification idéale collective » n’a pas que des bons cotés et le Nationalisme en est également une des formes dont Tom Nairn écrit que :
« Le nationalisme est la pathologie de l’histoire moderne du développement, une pathologie aussi inévitable que la névrose chez l’individu, affligé de la même ambiguïté fondamentale, d’une même capacité intrinsèque de dégénérer en démence, enracinée dans les dilemmes de l’impuissance qu’éprouve tout un chacun (l’équivalent de l’infantilisme pour les sociétés) et largement incurable »[13].
Il va donc être nécessaire de dire maintenant quelques mots sur cette question de la Nation qui agite tant de haine actuellement et la récente élection au Brésil d’un président d’extrême droite en est un des exemples cuisants.
Tout d’abord j’en donnerai une définition que j’ai trouvée sous la plume de Benedict Anderson: la nation « est une communauté politique imaginaire et imaginée comme intrinsèquement limitée et souveraine »[14]
Cette Nation ne peut être qu’imaginée car même les membres de la plus petite des nations ne connaitront jamais la plupart de leurs concitoyens et donc cette soi disant « communauté » pèche forcément par un profond manque de communion justement, à moins qu’un certain imaginaire là encore en délimite les contours et la souveraineté.
Pourtant les nations inspirent très souvent l’amour et un amour qui va jusqu’au sacrifice.
Ainsi « elle est imaginée comme une communauté parce que indépendamment des inégalités et de l’exploitation qui peuvent y régner, la nation est toujours conçue comme une camaraderie profonde et horizontale.
En définitive , c’est cette ‘fraternité ‘qui depuis deux siècles , a fait que tant de millions de gens ont été disposés , non pas tant à tuer , mais à mourir pour des produits aussi limités de l’imagination . »[15]
Pourtant Freud nous met bien en garde contre toute tentative de faire de la Nation le seul point d’identification ; en effet écrit t-il :
« La vie en commun ne devient possible que lorsqu’une pluralité parvient à former un groupement plus puissant que ne l’est en lui même chacun de ses membres, et à maintenir une forte cohésion face à chaque individu. (…) En opérant cette substitution de la force collective, la civilisation fait un pas décisif (…). Poursuivant son évolution la civilisation semble alors s’engager dans une voie où elle tend à ne plus faire du droit l’expression de la volonté d’une petite communauté – caste, classe ou nation -, celle ci se comportant à son tour, à l’égard de masses de même genre mais éventuellement plus nombreuses ,comme un individu prêt à recourir à la force brutale. » [16]
C’est à cette même tentative de constituer un groupe ‘fraternel ‘pour lequel on peut mourir auquel on assiste avec la tentative d’un état islamique, qui offre comme proposition une puissante tentative d’inclusion de ceux qui ont été exclus de la Nation comme citoyens de seconde zone.
Pour ceux qui n’ont jamais pu profiter des promesses de la liberté, égalité, fraternité.
Et pour ceux qui ne savent pas quoi tout bonnement faire d’eux mêmes ayant raté le train de l’histoire.
Cet état islamique est effectivement une vraie proposition communautaire et comme telle suscite forcément une « identification idéale collective » là où celle proposée par la Nation ou la république est en échec.
Mais c’est une communauté tellement structurée de façon anti individualiste et autoritaire que chacun s’y trouve en fait privé de sa singularité. C’est pourquoi prendre ces éléments en considération empêche de psychopathologiser à tout crin les radicalisés.
Mais évidemment on y retrouve les éléments habituels de nécessaire purification dans la mesure où les croyants ont été affaiblis par les plaisirs du sexe et de l’estomac, de la musique, des femmes etc. Bref de tout ce qui peut là encore avoir trait au désir de manière générale.
Par conséquent « tout ce qui peut éloigner les musulmans de la pure adoration du dieu unique est désigné comme dégénéré ou ‘sale’[17] ».
C’est ce qui caractérise les fondamentalistes en général dans le monde réduit au mal et au bien dans lequel ils réduisent l’humanité à être sans métaphore , un monde dualiste donc dans lequel toute réflexion , argument ou citation doit être pris au premier degré.
C’est en fait ce que Lacan faisait remarquer à propos de l’interdiction de penser que produisent les religions et qui ont pour effet de délester le sujet d’être parti prenante de son désir en laissant à Dieu le soin d’en assurer la responsabilité.
C’est ce qui est écrit; dès lors il n’y a plus de soucis à se faire quant à la responsabilité du désir.
C’est ce que fait très bien remarquer Caroline Emcke à propos des vidéos de décapitations projetées par l’E.I dans lesquelles il y a assurément une certaine forme de jouissance à montrer au reste du monde, les koufards en l’occurrence; mais également une volonté que « le plaisir sadique à torturer un être humain soit purifié du facteur individuel et subjectif »[18].
Il faut ici que la violence fasse sens et par conséquent qu’elle ne se réduise pas à une jouissance personnelle mais toujours ‘intentionnelle et contrôlée de telle sorte que la terreur qui s’en dégage soit la manifestation logique d’un ordre qui entend « légitimer chaque acte » tout en étant pas un acte individuel.
Là encore on retrouve les questions de souillures liées à la définition de l’ennemi et par conséquent la nécessité d’envisager le nettoyage, la purification.
Pour l’état islamique c’est cela le « radicalement autre », celui qui est souillé par la diversité, la coexistence religieuse, et surtout celui qui a été Souillé par une vie dans les « états indépendants de toute religion et laïques » …
Tout ce qui est hybride ou mixé est à abhorrer en raison de son impureté c’est donc la mixité culturelle et religieuse qui est visée et qui n’est pas au fond si éloigné de cette droite extrême européenne nouvellement décomplexée ..
Tout comme ce fanatisme de l’ultra droite, celui de l’état islamique a besoin d’une doctrine pure du peuple d’une vraie religion et d’une tradition originelle, d’une famille naturelle et d’une culture authentique.[19]
Au fond pour l’état islamique l’autre qui ne suit pas les principes d’Allah est impur et les attentats dans le monde sont autant de façons de lui infliger un juste châtiment…
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[1]Heidegger Le sol, la communauté, la race ED BEAUCHESNE 2014 P.279
[8]Martin Heidegger sur l’essence et le concept de nature , d’histoire et d’état P. 77 cité P.319 Opus déjà cité .
[9]Françoise Sironi Comment devient on tortionnaire ED La découverte 2017 P.542
[10]Alain Badiou A la recherche du réel perdu Fayard 2015 P. 27
[13]cité par Benedict Anderson L’imaginaire National ED la découvert 2002 P.19
[16]S FREUD Malaise dans la civilisation P.UF 1976 P.44
[17]Caroline EMCKE Contre la haine SEUIL 2017 P. 183