Déni d’humanité déni de grossesse. Robert Lévy séminaire 3, Paris 19/12/2018
AU-DELA DE LA HAINE … DES VIOLENCES INÉDITES
Robert Lévy
19/12/2018
SEMINAIRE 3
DENI D’HUMANITE DENI DE GROSESSE
Après les deux remarquables interventions de Radjou et de Philippe qui nous éclairent considérablement sur cet « au delà de la haine », je voudrais prolonger aujourd’hui la question en reprenant une interrogation posée par Christian Hoffman : si le sujet est le résultat de ses identifications peut on modifier le sujet en modifiant ses identifications ? Ou encore le politique peut il modifier les identifications du sujet ?
Je me servirai de deux exemples pour mener cette réflexion, le premier concerne ce fait divers dramatique d’une femme actuellement jugée pour avoir accouchée d’un enfant qu’elle a caché et laissé dans le coffre d’une voiture sans quasiment lui prodiguer quelque soin que ce soit et de l’autre coté poursuivre la réflexion sur ce qui fait ce point de « désidentification » permettant de perpétrer des massacres de masse. S’agit il de déni alors, ou d’une dénégation, Et en quoi ces deux évènements ont ils une quelconque proximité si on se réfère à l’idée d’un déni qui porterait sur l’autre identifié comme humain ?
Je crois que les remarques de Radjou nous sont précieuses puisqu’il nous apporte un élément fondamental qui concerne la question et la fonction du miroir dans le processus d’identification.
En effet il suppose avec Lacan d’ailleurs qu’une part de la haine fonctionne dans une adresse à un autre non spéculaire. Il disjoint la haine et l’agressivité la première dirigée à l’autre spéculaire, la seconde la haine donc, adressée à l’autre non spéculaire que je préciserai surtout comme étant un moyen de dé-supposer l’autre.
Dans ce cas le rapport amour haine tombe et dès lors nous nous trouvons hors champ, me semble-t-il de toute identification. Puisque l’identification suppose toujours un certain type de rapport à l’opposition amour haine.
La haine s’éprouve donc hors champ du spéculaire. En d’autres termes existe-t-il un mode d’identification hors spéculaire ?
Aussi pour dé-supposer l’autre encore faut il l’avoir supposé, or la question se pose très tôt avec la naissance d’un enfant; en effet la mère doit le supposer comme un autre d’abord dans son fantasme puis lui donner un statut d’autre réel ce qui suppose une opération compliquée qui n’aboutit pas forcément ou en tout cas qui n’aboutit pas forcément comme attendu. Quoi qu’il en soit le passage à la supposition par la mère est une étape fondamentale car elle devra supposer à cet autre enfant des désirs et interprètes sa soif, sa faim ou encore ses désagréments lorsqu’il pleure. Mais bien entendu cette étape de ‘supposition est si je puis dire à double entrée ; d’un coté il faut que la mère s’identifie à ce bb pour pouvoir lui supposer quelque chose et ce bb devra s’identifier plus tard dans le miroir à sa mère pour s’en déprendre .C’est un mécanisme qui implique là encore l’identification puisqu’on ne peut pas supposer l’autre sans s’y identifier .C’est un mécanisme précisé par Bergès sous le nom de transitivisme qui requiert forcément un certain type de projection identificatoire puisque c’est à partir d’elle même que la mère suppose à son enfant un certain nombre d’affections. Lacan pour sa part a fait allusion au concept de « transitivisme ». En 1938, dans son article sur les complexes familiaux, paru dans l’Encyclopédie médicale, il reprend d’une manière explicite et freudienne le concept de transitivisme pour l’articuler avec les mécanismes d’identification et les rapports du sujet à tout ce qui lui est autre. Lacan fait recourt de nombreuses fois dans ses Écrits (1966), ses Séminaires, notamment le Séminaire XI. Et plus prosaïquement Le transitivisme enfantin indique les situations de symétrie et de projection pendant lesquelles l’enfant, avant trois ans, attribue à son compagnon du même âge les émotions qu’il ressent à l’intérieur de lui-même.
Par exemple, l’enfant qui bat dit avoir été battu, l’enfant qui voit tomber l’autre pleure, etc.
Par conséquent on ne peut pas envisager ces différentes opérations sans indiquer cette double entrée de l’identification coté mère et coté enfant. C’est ce qui me fait dire également qu’il y a différents moments d’identification dans la vie et que le stade du miroir est un important moment qui contribue à l’établissement du symbolique mais qui peut donner lieu à d’autres reprises comme par exemple le moment de la naissance d’un enfant pour une femme. C’est finalement à chaque fois toute la dimension de l’incomplétude qui se joue et se rejoue à chaque étape.
D’où certainement ce que Winnicott nous indique lorsqu’il nous indique que la haine est première pour la mère puisqu’à éprouver cette identification à ce petit elle éprouve d’abord ce sentiment d’incomplétude de la différence entre l’enfant attendu et l’enfant réel. C’est par conséquent toujours un enjeu narcissique que l’on retrouve très souvent dans le meilleur des cas dans ce qu’on appelle dépression post natale et dans le pire des cas dans la psychose puerpérale, où il s’agit alors d’autre chose que du simple enjeu narcissique.
Sauf évidemment à laisser l’enfant dans une identification éternelle à son fantasme; ou encore ne pas avoir de place pour un enfant dans son fantasme, ce qui dans les deux cas aura des conséquences catastrophiques, que Lacan situe de cette façon : « Schématiquement, on considère que si le symptôme représente la vérité du couple nous sommes dans le registre de la névrose et que si le symptôme relève seulement du fantasme maternel et que l’enfant incarne l’objet de ce fantasme, nous sommes dans celui de la psychose pour l’enfant. »[1]…
Mais il faut également préciser qu’il existe deux registres de l’identification à l’autre, le principal, autre imaginaire, c’est l’autre du spéculaire qui constitue la structure narcissique de l’amour; là où s’est constitué la naissance du moi qui se fait donc par identification à l’autre spéculaire.
Mais il y a aussi ce que l’on trouve seulement à travers la haine, un autre non spéculaire à l’origine certainement de cette haine première dont parle Winnicott c’est à dire un investissement libidinal qui ne parvient pas à s’investir dans le spéculaire …
Sur ce dernier point c’est Philippe qui nous a apporté la dernière fois des éléments de réflexion fondamentaux puisqu’à partir de l’idée qu’il n’y a au fond qu’une seule et même pulsion, il en déduit qu’on ne peut plus opposer haine et amour, mais considérer qu’il ne peut y avoir dès les premiers temps que hainamoration qui se situent donc sur une même bande de Moebius. La conséquence essentielle de ces deux premiers points : l’ambivalence n’a plus de raison d’être comme concept.
C’est un point fondamental qui nous ramène à ce que Winnicott nous avait proposé, à savoir que « Ce qui devient très claire, c’est la très grande différence entre ce qui est en cause : la haine de la mère et la haine refoulée de la mère. Autrement dit les enfants paraissent capables de faire face à la haine à leur égard et cela n’est bien sure qu’une façon de dire qu’ils peuvent affronter et utiliser l’ambivalence que ressent et manifeste la mère.
[2]« Mais , et c’est là l’essentiel : Ce qu’ils ne peuvent jamais utiliser de manière satisfaisante dans leur développement affectif, c’est la haine inconsciente refoulée de la mère, qu’ils ne rencontrent dans leur expérience vécue qu’à l’état de formations réactionnelles. Au moment où la mère hait elle manifeste une tendresse particulière. Il n’y a aucune manière pour un enfant de faire face à ce phénomène »
Donc les enfants ne peuvent affronter et utiliser l’ambivalence que ressent et manifeste la mère. Point que l’on peut alors remettre en question puisque si ce que nous avons évoqué lors du dernier séminaire est juste c’est plus tôt que le jeune enfant ne peut rien faire, non pas de l’ambivalence, mais plus de cette hainamoration qui n’est pas compréhensible ni symbolisante pour lui puisque cela ne ressort plus du spécularisable et d’ailleurs peut être pas non plus symbolisable pour la mère puisqu’on a vu que la supposition d’un autre comme sujet passe par la double entrée de l’identification coté mère et coté enfant …
Ces deux remarques nous amènent à reprendre également les concepts de déni et dénégation que l’on va essayer de développer à travers un exemple tout à fait étonnant de procès qui s’est tenu récemment; et peut être devoir remettre en question quant à a justesse de l’application que l’on peut en faire à des situations comme celle dont nous allons parler maintenant.
Donc Rosa Maria Da Cruz vient d’être condamnée à 5 ans de prison, dont 3 avec sursis par la cour d’assises pour avoir caché pendant deux ans son BB dans une pièce en sous sol et un coffre de voiture .
Un bébé donc, la petite Séréna ayant fait l’objet de violences, privée de soins et d’alimentation est aujourd’hui atteinte d’Autisme .
A l’audience la Psychologue estime que le terme déni est impropre puisqu’il renvoie à « je sais bien que je suis enceinte mais je ne veux rien en savoir » mais qu’il s’agit de dénégation puisqu’alors « Je sais bien que je suis enceinte mais ce n’est pas possible que je le sois »…
D’ailleurs Rosa Maria Da Cruz avait affirmée au départ s’être aperçue seulement au huitième mois qu’elle était enceinte puis était revenue sur ses propos au cours de l’instruction à la barre expliquant avoir fait cette déduction à posteriori…
Évidemment, vous l’aurez compris du point de vue judiciaire il y a une différence importante entre un déni de grossesse partiel et un déni de grossesse total ayant évolué en déni d’enfant sans qu’elle ait éliminé ce qui était sorti d’elle, ce qui se produit la plupart du temps dans les dénis de grossesse partiels…
Elle avait 9 ans auparavant accouchée d’un garçon dans ce qui fut également un déni de grossesse qui pourtant n’avait pas non plus abouti à une exécution car « elle a vu le regard de son garçon » et c’est ce même regard qui lui a servie à la naissance de la petite fille qu’elle décrit de la façon suivante
« C’est sorti, j’ai attrapé, c’est difficile de dire, la chose, ça me ramène neuf ans en arrière pour A, je ne voulais plus ça, surtout pas. »
Il faut préciser qu’à l’occasion des précédentes naissances, à la maternité de Brives, aucun suivi psy ne lui a été Proposé …
Il faut remarquer que le déni de grossesse n’est pas considéré comme une maladie psychiatrique mais comme un symptôme.
Un des experts psychiatres a d’ailleurs plaidé que « son comportement était bien équivalent à celui de certaines personnalités perverses qui chosifient autrui sans état d’âme, sans empathie »… Un autre expert, gynécologue cette fois a plaidé « l’état de sidération ou de psychose puerpérale » dans lequel se trouvait Rosa Maria Cruz au moment de son accouchement.
Quoi qu’il en soit, pour Rosa Maria Cruz il y a deux versions, l’une énoncée lors de l’émission de TV sept à huit au cours de laquelle elle avait prénommé l’enfant, l’avait nourrie, voir même s’allongeait à coté d’elle lui disait qu’elle l’aimait; et la version qu’elle avait changée du tout au tout lors de sa comparution devant le juge de la cour d’assises au cours de laquelle Séréna était devenue une chose dont elle ne s’occupait pas et dont elle avait inventé le prénom au moment de sa découverte par des garagistes le 25 octobre 2013.
Sur ces deux versions les experts concluent qu’il n’y a aucune notion manipulatrice mais que Mme Da Cruz s’adapte « elle dit ce qu’il convient de dire. On lui donne un récipient, elle prend la forme du récipient ».
Pourtant la petite a été découverte à l’occasion d’une demande d’aide auprès d’un garagiste pour réparer les « warning » de la voiture qui ne fonctionnaient plus.
Évidemment nous n’avons pas rencontré Rosa Da Cruz directement et nous ne pouvons relever que des éléments établis dans la presse, c’est là la limite de notre analyse possible. Néanmoins comment ne pas entendre que cette femme finit par demander de l’aide à un garagiste pour réparer ses feux de détresse qui ne fonctionnaient plus…
Que faire de tous ces éléments si ce n’est essayer de les entendre à travers notre sujet de recherche de cette année sur un « au de la de la haine, des violences inédites » puisqu’il plusieurs éléments que l’on peut relever dans ce cas.
La mère de Séréna finit par appeler sa fille « chose » et en même temps nous indique que c’est son regard qui lui a rappelé celui de son fils né huit années auparavant qu’elle avait épargné grâce déjà à ce regard.
Un regard qui ne reflète rien pourtant et dans lequel elle ne peut pas s‘identifier, et par conséquent ne trouver aucune empathie possible. Pourtant c’est un regard qui permet avec ce minima d’épargner « la chose ».
En tout cas aucune supposition d’un autre, aucune velléité de transitivisme puisque celui ci passe nécessairement par une modalité d’identification de la mère à son enfant. On pourrait dire d’ailleurs que les deux sujets se subjective mutuellement. N’est ce pas ce qui se présente en fait derrière ce qu’on appelle communément « l’instinct maternel » ?
Il n’y a d’ailleurs rien de naturel à cela et bon nombre de mères se trouvent souvent en grande difficulté pour « interpréter » les cris de leur enfant … Il n’y a pas de naturelle fonction maternante.
Mais dans le cas de Rosa da Cruz quelque chose ne parvient pas à advenir de ce lien subjectivant puisque son enfant est comme elle le dit « une chose », Comment s’identifier à une chose ?
On peut par contre supposer en ce qui nous concerne que le vide de la personnalité évoquée de Mme Da Cruz nous amène à faire la supposition d’un vide d’enfant à la place de son fantasme et que c’est bien là le noeud du problème…
Nous savons que l’identification passe nécessairement par le fantasme dans un premier temps et qu’ensuite il est question d’accueillir l’enfant de la réalité auquel la mère doit s’adapter en renonçant à celui du fantasme. Seulement quid de l’enfant de la réalité quand il n’a pas eu de place préalable dans le fantasme de la mère ?
L’hypothèse de la dénégation en ce qui concerne Mme Dacruz me semble un peu improbable car les autres éléments qui concourent à cette hypothèse sont peu convaincants notamment par ce qu’il n’y a pas manipulation et aussi parce que l’on vient de supposer que l’enfant n’avait pas de place dans le fantasme de cette mère or si il y avait verleugung, louche refus, il y aurait nécessairement une structuration particulière du fantasme.
Reste l’absence d’empathie, mais c’est un élément que l’on retrouve dans bien d’autres symptômes. D’ailleurs comme je l’ai déjà évoqué précédemment: comment avoir de l’empathie pour une chose ? Reste la question du sourire qui peut à minima évoquer quelque chose d’une empathie minimale ; en tout cas quelque chose qui permet de ne pas complètement « éliminer cette chose »…
Mais revenons un peu sur les définitions de déni et dénégation afin d’examiner ce qui se réfère à notre démonstration.
le déni protège le moi en mettant en question le monde extérieur, par opposition au refoulement qui effectue un travail similaire mais en faisant basculer à l’intérieur cette même réalité intolérable qui se trouve alors intégrée.
Le déni engendre, lui, une absence de conflictualité, puisqu’il fait coexister au sein du moi deux affirmations incompatibles, qui se juxtaposent sans s’influencer dans ce cas ce serait: « Je ne suis pas enceinte, il n’y a pas d’enfant ».
Le déni donc, en prenant appui sur le clivage, donne au moi la possibilité de vivre sur deux registres différents, mettant côte à côte, d’une part, un “savoir” et de l’autre, un “savoir-faire” infirmant ce savoir, sans lien entre les deux.
On se trouve ainsi dans une sorte d’en-deçà du conflit, une suspension de tout jugement, généralement effectuée face à la perception d’un manque, d’une absence, d’une perte pourtant évidents aux yeux du monde environnant.
Pour la dénégation :
Freud observe qu’il arrive à des patients de formuler une idée ou une représentation tout en déclarant qu’ils la jugent fausse et donc qu’ils n’y croient pas. Dans le cas de Mme Da Cruz on dirait ‘qu’elle voit un enfant mais qu’elle ne croit pas que ce soit possible ‘
- Cette déclaration d’incroyance (c’est-à-dire cette dénégation) doit être tenue, dit Freud, pour le signe de la vérité de la représentation évoquée et donc pour le signe qu’on a là affaire à une représentation refoulé
- Dans un deuxième temps, Freud avance cette explication : par la dénégation, la représentation refoulée passe dans le conscient, mais sur un mode strictement intellectuel et non affectif.‘un mode intellectuel et non affectif’ Ce serait pour ce qui nous concerne le passage de : ce n’est pas possible à celui de ‘c’est une chose et pas un enfant’ ‘Et même si on imagine parvenir à lui faire accepter qu’il y a là une vérité (autrement dit : à la faire passer de l’incroyance à la croyance), cette acceptation reste strictement intellectuelle, le refoulement n’étant pas par là supprimé.
La dénégation est donc une levée seulement partielle du refoulement.Peut être que le ‘regard ‘ serait un élément de cette nature ?
Cela implique un clivage entre la fonction intellectuelle et le processus affectif. À ce propos, il faut préciser, que ce que Freud vise par l’affectif n’est pas la simple coloration sentimentale qui accompagne une représentation, mais ce qui procède de la charge pulsionnelle (et donc aussi de sa décharge), laquelle se signale non exclusivement mais principalement par l’angoisse. C’est bien ce qui annule chez Mme Da Cruz toute empathie .
C’est dire que, dans la dénégation, la charge pulsionnelle liée à la représentation refoulée est mise hors-jeu, de sorte que ne reste que la portée intellectuelle de cette représentation. Cette mise hors-jeu de la charge pulsionnelle atteste que le refoulement n’est pas par la supprimré.
Mais je voudrais soulever une autre hypothèse qui est celle évoquée à travers ce que le Gynécologue a soutenu, c’est celle de la forclusion , ou plus tôt d’une forclusion partielle portant sur la désupposition de l’enfant comme chose .
Arrivés en ce point il faut nous reposer la question suivante que winnicott nous apporte : « Ce qui devient très claire , c’est la très grande différence entre ce qui est en cause : la haine de la mère et la haine refoulée de la mère . »
Si nous supposons qu’il s’agit bien de haine chez Mme Da Cruz, ce qu’aucun des experts ne mentionne il est très important de savoir en effet si il est question de haine refoulée ou de haine directe puisque cette distinction nous orienteras vers les discutions autour de déni et dénégation ; le point clé ou le signifiant clé si vous préférez c’est celui de ‘la chose’.
En effet peut-on haïr une chose ? C’est toujours la question qui se pose lors des passages à l’acte génocidaires. En d’autres termes cette haine non spéculaire n’est pas dirigée vers l’autre comme Radjou nous l’a fait entendre, par conséquent il ne peut s’agir de refoulement.
D’ailleurs pour qu’il y ait refoulement il faudrait entrer dans la dimension du spécularisable et donc de l’investissement narcissique du moi auquel on assiste dans la plupart des autres cas… Or nous considérons pour acquis qu’il ne s’agit pas pour Mme DaCruz de ce registre .
Il n’y a pas eu désubjectivation car il n’y a pas eu subjectivation du tout puisque nous ne sommes pas dans le registre du ‘narcissisme ‘.
Par conséquent son enfant ne peut avoir le statut d’autre ; il n’y a rien entre elle et cette chose qui (ne) sort (pas) d’elle.
Comment donc qualifier ce ‘rien’ entre elle et la chose ? C’est me semble-t-il ce « regard » qui l’empêche d’éliminer ce ‘rien’ purement et simplement , alors quel statut lui donner ?
En effet Sommes nous encore dans le registre de la désidentification que j’écrirai pour l’occasion en un seul mot ?
On ne peut pas dire d’ailleurs qu’elle ait caché sa grossesse ; elle dira lors de ses précédentes grossesses qu’elle s’était aperçue dans une sensation de mort, que c’était un accouchement. C’est peut être le seul moment ou quelque chose d’un vu vœux de mort sur cette enfant apparait furtivement retourné sur sa propre personne.
C’est le point majeur de discussion car de deux choses l’une ou bien ce regard est le dernier bastion d’une identification aussi minimale soit elle ou bien c’est autre chose et alors il s’agit me semble t il plus d’une forclusion… D’un point de forclusion plus exactement que l’on peut également rapprocher de la description que l’on fait d’elle; de ce « vide » qui la décrit.
Je ne m’engagerai pas pour autant sur le diagnostic de ce gynéco expert qui soutient le diagnostic d’une psychose puerpérale néanmoins on peut quand même parler de point de forclusion .Pas de psychose puerpérale car il n’apparait pas d’éléments délirants encore que pour pouvoir nourrir un peu cette « chose » cela suppose un support imaginaire dont nous ne disposons pas en raison du peu d’informations dont nous disposons.
Toujours est il que pour ce qui concerne cet acte de désubjectivation de l’enfant nous sommes servis et face à quelque chose de plus fort que la haine, ou encore pour reprendre le sujet de notre séminaire de l’année d’un « au de la de la haine »; C’est en tout cas un très bon exemple de cette haine si particulière du registre du non spéculaire ; une haine donc hors sens , sans doute hors signifiant . Alors s’agit il de désubjectivation qui supposerait qu’il y en ait eu une préalable et donc une identification et un processus de désidentification Ensuite ou plus radicalement peut on dire qu’il n’y a jamais eu de subjectivation de cet enfant, la chose et par conséquent un point de forclusion d’origine . Ce qui nous amène à nous interroger du coup sur cette haine du registre non spéculaire comme étant peut être du ressort de la forclusion ? Qu’est ce qu’une haine donc qui ne parvient pas à s’investir dans le spéculaire ?
Alors évidemment sur le « cas » lui même ce qui cloche par rapport à cette dernière question c’est , comme je l’ai dit précédemment ce ‘regard ‘ qui lui rappelle l’autre enfant. Il y a ici un minimum d’investissement libidinal qui garantit d’ailleurs que la petite fille ne soit éliminée purement et simplement; pourtant cela n’apparait pas comme de l’ambivalence ; concept que nous avons d’ailleurs remis en question au début de notre propos .
Nous ne disposons pas je crois, arrivés en ce point d’éléments suffisants pour en dire plus
Quoi qu’il en soit je pense que ces éléments nous permettent d’avancer quelques point supplémentaires sur les questions qui nous agitent autour des génocides. Il apparait en effet que certaines formes de désubjectivation ou encore de désidentification peuvent se développer en dehors même de ces concepts puisque comme on vient d elle voir la haine peut être hors spéculaire et ne supposer aucune forme d’ambivalence ; ce qui suppose alors qu’il y ait un au de la de la haine sans subjectivation, une sorte de point d’élimination de l’autre comme une chose au sens de la forclusion partielle . En effet forclore l’autre ce n’est pas lui dénier ses qualités d’humain ni s’en dés identifier mais purement et simplement l’éliminer du registre du signifiant.
N’est ce pas ce qui ressort de « la banalité du mal »?
Cette chose dont parle cette mère n’est elle pas en tout point assimilable aux « stuck » des camps de la mort ? Ces camps , mais aussi dans les massacres des khmers rouges dans lesquels les gardiens pouvaient passer dans les rangs en regardant ces « stuck » comme invisibles. C’est à dire n’avoir même pas à faire d’opération de désidentification mais passer directement à la forclusion, littéralement éliminer ‘ces détenus des camps ?
C’est une hypothèse que je fais à partir de l’idée que dans Le Syndrome Post Traumatique on peut aboutir à un comportement en tout point proche de la psychose chez des personnes que l’on ne peut pourtant pas supposer psychotiques ; de la même façon n’y a t il pas des processus de forclusion de l’autre chez des personnes que l’on ne peut pas non plus supposer psychotique chez les matons ou responsables des crimes contre l’humanité ?
En tout cas les procédés de détention ont produit chez les victimes des effets forclusion , des effets produits de destruction de la métaphore du sujet qui ne pouvant plus s’identifier de façon minimale à au moins un point finissaient par mourir de cela alors qu’ils s’étaient trouvés dans des conditions de survie identique depuis longtemps .Ce que je veux dire par là c’est que dès lors le dernier point de croyance déchu , les prisonniers mourraient . Mais la croyance, le point de croyance qui constitue de la métaphore peut être tout aussi destructeur lorsqu’il s’érige en certitude absolue et représente la définition de ceux des hommes qui en sont et ceux qui n’en sont pas puisqu’ils n’en font pas partie. Ce à quoi nous assistons avec Daech où la question de l’élimination de l’autre passe par ce point de certitude d’une choya, choyante qui fait que l’humain n’a ce statut que pour autant qu’il fait parti de cette croyance.
En tout cas je laisse en suspens ce qui serait du registre du déni ou de la dénégation de l’autre qui ne me semblent pas comme concepts pouvoir rendre compte de ce qui est enjeu dans ces processus de l’au de la de la haine… Ce qui n’exclue pas pour autant que nous ayons à nous demander si ce qui est enjeu dans la perversion est du ressort de la haine c’est à dire d’un louche refus qui peut aussi aboutir dans certains cas à l’élimination de l’autre . D’ailleurs l’autre dans ce cas n’a de valeur que pour autant qu’il corresponde à la place de ce qui est attendu de la part du pervers dans son fantasme .Mais ici nous avons affaire à de la jouissance ; c’est même le but essentiel de la réalisation du fantasme pervers : une jouissance absolue…
Enfin , et je m’arrêterai là dessus; j’ai bien conscience des questions auxquelles je ne saurais répondre ce soir ; en particulier celle de savoir que devient la notion de sujet divisé dans la haine ; et en rapport avec la même question, ce que j’appelle désubjectivation dans la haine est elle du coté de celui qui hait ou de celui qui est haï ?
J’espère que nos prochains séminaires permettront un éclairage plus précis sur ces points et notamment celle de savoir répondre à la question posée en début de ce propos : ‘si le sujet est constitué par l’ensemble de ses identifications, le politique peut il modifier les identifications ?….
[1]Lacan J., Autres écrits, Paris, éd. du Seuil, 2001.
[2]WINNICOTT Opus cité dans le séminaire I 2018 2019