Seville-Mercedes Morerco
DES INSCRIPTIONS SUR LE RÉEL DU CORPS. DES TRACES ET DES MARQUES EN PSYCHANALYSE. DU SYMPTÔME AU SINTHOME.
« Il est pourtant indispensable que l’analyste soit au moins deux : l’analyste, pour avoir des effets, et l’analyste qui, ces effets, les théorise. » Jacques Lacan, Séminaire XXII RSI, Séance 1.
« Au moins deux »… Celui qui analyse et celui qui théorise, n’ont pas la même position : celui qui réalise sa pratique n’est pas là comme sujet, puisqu’il n’y a qu’un seul sujet, l’analysant, et celui qui théorise à propos de sa pratique, comme c’est le cas dans cette présentation, lui, est sujet de ses dires et de ses paroles.
Les deux aspects sont indispensables, et peut-être ne peut-il y avoir l’un sans l’autre. Parler est une présentation et une exposition de l’analyste lui-même, nécessaire comme une éthique en acte. En ce qui concerne les effets, Lacan ajoute qu’ils sont d’inhibition, de symptôme, et d’angoisse, ce qui est intéressant, puisqu’il y aura à différencier ceux qui se produisent au cours de la cure et ceux qui affectent celui qui écoute. N’oublions pas que, dans le Séminaire VIII sur « Le Transfert », il parle de l’angoisse de l’analyste, en se demandant jusqu’à quel point et dans quelles conditions l’analyste peut supporter l’angoisse de l’analysant, et la sienne par conséquent. C’est en se débarrassant de certains signifiants que peut se réduire l’angoisse du patient, et Lacan préfère laisser en suspens celle de l’analyste puisque cela impliquerait de réviser les aspects fantasmatiques qui sont ici en jeu.
Deux autres effets indésirables sont à éviter, la production de sens (elle tend à se réduire tout au long d’une cure), et la production de jouissance, pour que ainsi l’analysant rencontre non pas le savoir, mais le manque de savoir, avec l’insu, le réel : du symptôme au sinthome.
Parler du corps, c’est pénétrer dans un sujet complexe. Le corps est une réalité à la fois révélatrice et mystérieuse qui parle par ses symptômes en cachant leurs origines. Ce corps qui nous est étranger d’une certaine façon, et de ce fait, producteur d’angoisse.
Et comme l’analyste doit parler de sa pratique, voici une vignette, concernant Sally, une analysante, qui met en évidence certaines marques et certaines traces, la différence entre la « naissance adoptive » de son premier fils et celle du second, adoptions précédées par son impossibilité, jamais éclaircie, d’avoir des enfants en propre. Le second enfant sera autiste. On a là un aspect important du désir en jeu dans cette seconde adoption et qui va s’avérer avoir des conséquences inattendues.
Ainsi commence son analyse. Elle est atteinte de psoriasis depuis longtemps, mais elle le dissimule en parlant de furoncles, de boutons, etc… Apparemment, elle résout la question de la maternité par l’adoption, et comme son manque de fécondité n’a pas été pour elle une énigme, et qu’elle n’a pas employé tous les moyens pour en découvrir la cause, nous ne savons pas non plus si son corps aurait pu répondre d’une autre manière. Pendant une séance, au lieu de dire « vers l’extérieur », elle dit « accouchais » (en espagnol « para afuera » et « paria afuera »). Les termes « Pari », (j’accouchai), « paria » (j’accouchais), « partos afuera » (accouchements) repris dans leur fonction de signifiants, ouvrent un espace possible d’élaboration sur les questions des accouchements, des naissances non désirées, et de l’impossibilité d’accoucher. Jusque là, nous avons sur le plan de l’analyse freudienne, la relation du symptôme au symbolique, à ce qui est interprétable, à ce qui est métaphorique . Mais ses conflits avec la féminité renvoient aussi à des expressions marquantes de sa mère, expressions devenues marques signifiantes : j’en citerai trois : « yeux de chatte enragée », « langue de vipère » et « grosse comme une cochonne ». Leur analyse permet de repérer du point de vue du regard (I), les yeux enragés de la parole (S), la langue venimeuse, et finalement du corps (R), qui n’évoque pas seulement sa laideur et son embonpoint, mais aussi la grossesse et l’animal qui accouche de plusieurs petits à chaque fois. Une atteinte à ses attributs féminins a commencé de cette manière : chatte, vipère et cochonne, sous le regard réprobateur de sa mère. Ses rêves la montrent avec des attributs phalliques, ou mieux, bisexuels, pour que rien ne lui manque : même si elle s’effraie et si elle a honte de rêver, elle arrive à associer qu’elle aimerait être un homme, avoir un pénis et se prostituer. Elle arrive à dire :« Je me sens un homme », évènement dans le discours qui laisse des traces au niveau du corps.
« Le symptôme est l’effet du Symbolique sur le Réel » dit Lacan dans RSI. Nous appelons sinthome, ?, ce qui ne se prête pas à des effets de sens, mais au « savoir faire là avec ». A mon avis, ce « savoir faire là » touche d’une part, l’analyste, et d’autre part l’analysant. Il touche l’analyste pour que ses différentes fonctions : telles que SSS, objet a, incarnation de l’agalma, etc, produisent des effets sur l’analysant et aussi pour que l’analyse ne devienne pas interminable. Il touche l’analysant en fin d’analyse, là où il n’y a pas d’issue toujours valable, ni d’adaptation aux circonstances, mais une mise en jeu de la vie elle-même (M.B. de Moresco « RSI » Editions Lugar 1995)
Tenons compte de la persistance d’un reste, de l’indestructibilité de la trace et du retour du travail de la pulsion. La théorie de la cure montre qu’il est impossible de laisser quelque chose derrière soi simplement pour l’oublier, mais qu’il est nécessaire d’apprendre à vivre avec cette trace.
Le moindre récit de Sally relie son corps à ses symptômes et aux phrases signifiantes qui viennent s’incarner en elle : là, on peut lire la soumission au désir maternel imposé et mortifère. La pulsion est une trace que le langage dépose sur l’être vivant, qui modifie ce qui paraissait nécessaire, qui frappe et qui s’inscrit sur le corps.
Freud, dans « Analyse finie et infinie », se demande si l’analyse laisse une trace persistante ou pas ; on pourrait avancer que cette expérience laisse une marque indélébile, pour que ses effets ne restent pas lettre morte.
Une fois terminé le travail de transfert, Freud désire qu’il n’y ait pas une trop longue période avant une autre intervention éventuelle, c’est-à-dire qu’il se demande si cette pratique a touché un point de réel. C’est une question que tous les analystes se posent.
Il y aura toujours un savoir manquant, en lien au réel de la pratique.
Le réel exclut le sens et il n’y a pas de sens dans le réel, ce qui ne veut pas dire qu’entre le réel et le sens, il n’y ait aucun lien.
Ce court récit me permet de dire qu’en analyse, il s’agit de retrouver quelques marques et de délimiter certains trous en en reconnaissant les traces.
De ce fait, il n’y aura pas formation d’un savoir absolu, ni d’un savoir scientifique.
Comme il n’y a pas d’expérience sans transmission, nous essayons de nous y tenir, puisque maintenir vivante la
psychanalyse, c’est aussi le travail des analystes.
Traduction Serge Granier de Cassagnac