Des réminiscences au signifiant. Philippe Wolosko, Metz 19 Octobre 2017

Des réminiscences au signifiant.

Séminaire I

 

Le thème de cette année: « Souffrons-nous encore de nos réminiscences ? » peut nous interroger dans plusieurs champs : sur l’état de la psychanalyse aujourd’hui, est-ce que la découverte freudienne est encore adéquate à notre monde numérique et financier, sur un questionnement sur la mémoire qui peut s’articuler avec les découvertes des neuro-sciences, et si on parle de mémoire, on ne peut éviter de questionner le refoulement.

 

Le signifiant « réminiscence » a été utilisé par Freud dans : « Les études sur l’hystérie », texte élaboré conjointement avec Breuer de 1892 à 1895, date de sa parution. Ce livre amène aussi la fin de cette collaboration. Il a donné des observations célèbres qui ont marquées l’histoire de la psychanalyse et qui restent tout à fait actuelles. Cet été, j’ai relu ce livre et il m’a semblé intéressant d’approfondir cette lecture et d’entamer ce thème   par ce premier texte psychanalytique.

 

Le monde dans lequel nous vivons change à une vitesse exponentielle. Les améliorations sont nombreuses et consistantes : il n’y a plus de famines de masse, la pauvreté régresse d’une façon très importante, l’accès à la lecture et l’écriture se généralise à l’ensemble du monde, les guerres tuent dix fois moins de gens qu’au début du XXè siècle et les maladies physiques sont mieux soignées, nous en avons presque oublié ce qu’est la souffrance physique qui est devenue anormale, exceptionnelle. Le progrès est « en marche ». Tout cela ne nous empêche pas de continuer à souffrir de nos réminiscences. Freud découvre l’inconscient freudien à la fin du XIXè siècle en distinguant l’inconscient du conscient. J’y reviendrai en parlant des « Etudes sur l’hystérie » parues en 1895. Il a transformé le rapport à la sexualité en libérant la parole, qui n’est plus frappée d’interdit et de répression. Nos névroses ne sont plus causées par la répression sexuelle, qui, dans les premières approches théoriques de Freud, il y a plus de 120 ans, étaient dues à l’accumulation d’énergie sexuelle, de libido, qui ne pouvait pas s’éconduire, se décharger par un coït bien senti! Les entraves à la sexualité ayant pour l’essentiel disparues, la souffrance névrotique aurait dû connaître le même destin. La multiplicité des objets proposés aux fins de satisfaction ne semble pas remplir cette fonction, pas plus que tout ce qui peut être proposé pour combler le manque. Par exemple, une des solutions proposée pour combler le manque de médecin, dans les régions peu urbanisées est la télé-médecine. Il s’agit de soigner un malade par un écran interposé, c’est l’humain réduit à la fonction, le sujet réduit à l’organe, la relation médecin-malade ignorée et la souffrance humaine ramenée à un dysfonctionnement. Comme si la misère de la condition humaine pouvait   être résolue par une possibilité de jouir plus, comme par exemple une augmentation des capacités du corps, en oubliant que l’humain est avant tout un parle-être, un sujet souffrant de réminiscences c.à.d. soumis aux lois du signifiant.

Cela nous a amené, aujourd’hui, à ce que chacun veuille jouir plus et compte souvent sur les nouvelles technologies pour « répondre efficacement au manque ». Comme vous le voyez, nous sommes passés de la répression de la sexualité du temps de Freud, à celui d’une demande de jouir. Est-ce un véritable changement ? En 1904, Freud parle du but de la cure analytique pour récupérer « ses facultés d’agir et de jouir de l’existence »1. Les questions de chacun sont bien entendu d’abord singulières, mais on ne peut pas dire qu’elles ont changées de nature, ce sont les signifiants au travers desquels les sujets viennent se dire qui ont changés. Ainsi, Anna O. ou Emmy von N. ne sont pas différentes de cette femme de 50 ans que j’ai reçue tout à l’heure se questionnant sur ses choix amoureux, ou de cet homme qui ne peut pénétrer une femme. L’hystérie existe toujours, elle vient toujours nous questionner, nous étonner et nous déranger; mais ses signifiants ne sont plus les mêmes, comme ses modes d’expression : les modes changent, pas la condition humaine. Les douleurs de patientes de Freud et Breuer n’ont rien à envier à nos fibromyalgiques d’aujourd’hui. Il en va ainsi de même pour leur talent à mettre en échec les puissants hommes de science que sont les médecins.

Ce mot, ce signifiant : « réminiscence » est étrange. Il est quasiment inusité aujourd’hui comme le semble t-il hier. Lorsqu’on regarde les définitions données par quelques dictionnaires, on trouve dans le Robert historique : « Le mot, repris en scolastique, désigne un ressouvenir, le renouvellement d’une idée presque effacée. Il s’est répandu au XVIe s., d’une part dans cette acceptation philosophique, notamment dans l’étude de Platon et d’Aristote ( 1580, Montaigne), et d’autre part dans la langue courante pour « souvenir vague, imprécis, à forte tonalité affective » (1651). Le sens large de « mémoire » (1684) est sorti d’usage, sauf avec la valeur de « mémoire collective ». Le mot s’est spécialisé à propos de l‘élément d’une oeuvre artistique inspiré par une influence inconsciente (1767, Diderot) et dans la terminologie psychologique2 ». On peut tout de suite noter deux choses : ce mot a été peu utilisé, sauf au XVIIè siècle, pour lier un souvenir à un affect. Ceci est au centre de ce que Freud découvre sur l’hystérie, nous y reviendrons tout à l’heure. Et aussi, on apprend que dès le XVIIIè siècle « réminiscence » est utilisé pour y mettre une orientation inconsciente et psychologique. Mes collègues parisiens d’analyse freudienne m’ont raconté que pour traduire « réminiscence » en anglais, ils ont du discuter longuement avec la traductrice qui soutenait : « memory » ; ils ont dû aller voir dans la Standard Edition que le mot retenu dans la traduction anglaise était : réminiscence.


1
S. Freud. La méthode psychanalytique de Freud. in La technique psychanalytique. P.U.F. 1977. P6.

2 Le Robert. Dictionnaire historique de la langue française. Sous la direction de Alain Rey. Paris. 1998.

Ma surprise fut encore plus grande lorsque je suis allé voir dans le Littré, qui donne :

  1. dans le langage philosophique, synonyme de
  2. dans la langue commune, rappel d’un souvenir à peu près effacé ; acte par lequel nous cherchons à ressaisir un souvenir
  3. pensée, expression, motif qui provient d’autrui, et qui, logé dans la mémoire est employé par nous comme s’il était nôtre.

D’après le Littré, fin XIXè, époque où Freud écrit Les études sur l’hystérie, une réminiscence est une pensée qui provient d’autrui. Cela préfigure Lacan qui situe l’inconscient dans l’Autre; ce qui est au fond la conséquence de l’usage et de la définition du signifiant dans la théorie analytique. C’est cette question de l’autrui, de l’Autre, de l’étranger, du clivage qui a conduit ce travail en renvoyant au sujet divisé, en particulier concernant ce qu’il en est du symptôme. Parler du signifiant réfère nécessairement au sujet : un signifiant représente le sujet pour un autre signifiant. Alors comment passe-t-on de la réminiscence au signifiant ?

 

Quand Freud et Breuer rédigent les études sur l’hystérie en 1895, il est déjà admis que les symptômes hystériques sont liés à des représentations. Breuer cite un dénommé Möbius, peut être pour nous donner un avant gout de la topologie lacanienne ? Il écrit : « En cela nous différons de Möbius qui en 1888 proposa cette définition: « Sont hystériques toutes ces manifestations morbides qui sont causées par des représentations 3 ». En effet, le signifiant n’est pas l’apanage de l’hystérie. Je ne vais pas me lancer dans cette question passionnante qui va de la représentation au représentant de la représentation, si l’un ou l’une d’entre vous a envie d’en parler lors d’un prochain séminaire, il.elle sera bienvenu.e. Le lien du symptôme hystérique et des mots est effectué, mais la découverte de Freud consiste en ce que tant pour provoquer que pour guérir le symptôme, le souvenir, le mot doit être relié à l’affect. Ceci est cohérent avec ce que nous dit le Robert. Qu’est-ce que ce fameux affect ? Laplanche et Pontalis nous disent: « Selon Freud, toute pulsion s’exprime dans les deux registres de l’affect et de la représentation. L’affect est l’expression qualitative de la quantité d’énergie pulsionnelle et de ses variations4 ». Ainsi, le symptôme névrotique apparaît, que ce soit pour sa formation comme pour sa disparition, comme un effet de la pulsion dont la décharge a été empêchée. J’ai parlé de symptôme névrotique, car à la fin des études sur l’hystérie, Freud affirme que les symptômes obsessionnels (il dit déjà à cette époque de   contrainte)   se   résolvent   de   la   même   façon   que   les   symptômes hystériques.


3
Freud. Etudes sur l’hystérie. OC.T II. P.U.F. 2009. ( 1895 ) P206.

4 Vocabulaire de la psychanalyse.P.U.F. Paris. 1967. P12.

La découverte de Freud est donc que les symptômes hystériques rendent compte d’une relation entre le corps et le langage, les mots et qu’ils en sont les témoins. Les pulsions qui ne sont pas liées à des mots restent inconnues du sujet, on ne sait même pas qu’elles existent. Sans ces symptômes, il n’y a rien qui permette d’envisager, d’étudier la relation du corps avec la psyché ; et de l’inscrire dans une pensée scientifique. On peut noter que les symptômes constituent l’expression singulière de la division d’un sujet entre son corps et ses signifiants. C’est cela à mon sens l’extraordinaire de la découverte de Freud. Il écrit : « Nous découvrîmes en effet, au début à notre plus grande surprise, que chacun des symptômes hystériques disparaissait aussitôt et sans retour quand on avait réussi à amener en pleine lumière le souvenir de l’épisode occasionnant, et par là même à réveiller aussi l’affect l’accompagnant, et quand ensuite le malade dépeignait l’épisode de la manière la plus détaillée possible et mettait des mots sur l’affect5 ». Si l’affect n’est pas impliqué, il ne se passe rien; et pour qu’une guérison se produise il faut « que les affects se déchargent6 ». C’est cette découverte qui l’amène à utiliser ce mot étrange de réminiscence : « l’épisode occasionnant continue à agir d’une quelconque manière des années après, non pas indirectement par la médiation d’une chaîne de maillons intermédiaires causaux, mais immédiatement en tant que cause déclenchante, (…) : l’hystérique souffre pour la plus grande part de réminiscences7 ».

J’espère que vous percevez maintenant, avec ce qui a été amené avec les définitions de ce mot « réminiscence », à quel point se précise la façon dont le sujet est impliqué dans le souvenir (réminiscence) avec son corps, ses symptômes, son inconscient, ses signifiants et sa division. La découverte freudienne témoigne bien de cette division en tant que le mot ne correspond pas à la chose, ne saurait être réduit à une simple désignation et qu’ainsi introduire le concept de signifiant est une nécessité. Le signifiant apparaît ainsi comme un pont conceptuel, effectué par Lacan, à partir des réminiscences grâce à l’apport de la linguistique et de la formalisation des lois du langage par Ferdinand de Saussure.

Je souhaiterais vous faire percevoir comment ce texte fondateur a déjà préparé le terrain pour deux autres questions que j’ai effleurées. Celle du clivage et donc de la division subjective, et celle de l’Autre, de l’étranger que je reprendrai à partir du symptôme.

Le texte des études sur l’hystérie est truffé d’occurrences du mot clivage. L’index en relève plus de 30, en tant que clivage de la conscience, de la personnalité ou de la psyché. Il me semble remarquable que le dernier texte de Freud, inachevé, soit : « Le clivage du moi dans le processus de défense » ( en fait l’avant-dernier ), ainsi le concept de clivage apparaît dans le premier et le dernier texte de Freud.


5
Freud. Op. Cit. P26/7.

6 Ibid. P28.

En relevant quelques unes de ces occurrences, nous pourrons ainsi suivre Freud, là où il veut nous amener au fil de son texte. Il écrit : « Ce qui fonde et conditionne l’hystérie, c’est l’existence d’états hypnoïdes. Ces états hypnoïdes, malgré toute leur diversité, concordent entre eux et avec l’hypnose sur un seul point : les représentations qui émergent dans ces états sont coupées de la circulation associative avec le reste du contenu de conscience8 ». Tout d’abord, quelques remarques à propos de l’hypnose.

C’est par cet artifice que sont mis au jour les premiers éléments cachés à la conscience. Freud insiste tout au long du livre pour dire que souvent l’hypnose ne marche pas et que finalement la technique d’imposition des mains sur le front des malades se révèle au moins aussi efficace ; mais tout cela relève encore de la suggestion la plus assumée. C’est toujours au médecin d’encadrer et de diriger la « talking-cure ». L’intérêt de l’hypnose réside dans le fait d’y rencontrer le même clivage que dans ce qui fonde et conditionne l’hystérie : c.à.d. des « représentations coupées de la circulation associative ». Nous retrouvons là, le début de la conception freudienne de l’inconscient de la première topique. Pour le dire vite, l’inconscient est un autre lieu, une conscience seconde comme nous le verrons tout à l’heure; et il suffira de rendre l’inconscient conscient, avec les affects afférents abréagis, pour aboutir à la levée du symptôme, voire de la névrose. Il faudra attendre jusqu’en 1914, début de la seconde topique, avec le texte : « Pour introduire le narcissisme » et l’invention de la pulsion de mort pour qu’il en soit autrement. Lacan formulera ceci plus adéquatement avec le concept de jouissance.

Ainsi, l’hypnose et les états hypnoïdes, sont la première approche de l’inconscient freudien, ici formulé comme une conscience seconde ou une condition seconde : « il existe dans l’hystérie des groupes de représentations apparus dans des états hypnoïdes, groupes qui sont exclus de la circulation associative avec les autres groupes, mais capables de s’associer entre eux, constituant un rudiment plus ou moins hautement organisé d’une conscience seconde, d’une condition seconde9». Il va même jusqu’à se poser la question d’une intelligence propre à cette conscience seconde !

Progressivement, Freud avance ses pions et dévoile sa conceptualisation de l’inconscient qu’il ne contredira pas ensuite. Il parle de clivage de la conscience, ce qui me semble être une première formalisation du refoulement. Ainsi, les réminiscences sont ces souvenirs provenant de ce même inconscient. Il a l’intuition que les symptômes sont l’effet d’un ratage du refoulement, d’un refoulement incomplet (il ne parle pas de refoulement mais de clivage) : « Seulement, ce clivage est rarement pur, des morceaux de complexe de représentations subconscients font saillie dans la conscience habituelle, et ce sont précisément ceux qui donnent lieu à de telles perturbations10 ». Ceci répond à une question : comment peut-on souffrir de souvenirs? Ce qui fait souffrir, c’est un refoulement incomplet, c’est le retour du refoulé, pas « bien » refoulé qui occasionne les souffrances des hystériques. Il y a là, tout un questionnement sur le refoulement, dont je vous parlerai peut-être lors de la prochaine séance du séminaire.

Freud note l’existence du clivage, tel qu’il en parlera dans son dernier texte, qui est de l’ordre du déni, en faisant bien la différence avec le refoulement, pour lui à ce moment encore proche de l’ignorance ou de la négligence intentionnelle. Il écrit dans une note : « Je n’ai jamais pu obtenir une autre ni meilleure description de cet état particulier dans lequel on sait quelque chose et en même temps on ne le sait pa

8 Ibid. P32/3.s11 ».

Tout au long de ce livre, il s’interroge sur cette question de la division de la personnalité dans tous ses aspects, les états de conscience différents, la mise à l’écart de la conscience de ce qui ne convient pas, l’état normal et l’état hypnoïde qui donne accès aux idées inconscientes, cela l’amène à penser cette division comme étant le traumatisme lui-même. La division étant constituante du sujet, il n’est pas possible de l’annuler.

Cela est manifeste dans cette longue citation : « Le moment proprement traumatique est par conséquent celui où la contradiction s’impose au moi et où celui-ci décide de bannir la représentation contradictoire. (Il affirme ici que le traumatisme correspond au moment où le sujet décide de mettre en acte sa division, en bannissant une partie de lui-même en dehors du moi , il ne peut pas la détruire et doit alors la rendre inconsciente ; le traumatisme et le refoulement se produisent en même temps). Par un tel bannissement cette dernière n’est pas détruite, mais seulement repoussée dans l’inconscient; lorsque ce processus a lieu pour la première fois, un noyau et point central de cristallisation se trouve ainsi constitué pour la formation d’un groupe psychique séparé du moi, centre autour duquel se rassemble par la suite tout ce qui aurait comme présupposé l’acceptation de la représentation antagoniste. (On retrouve cette idée d’une conscience seconde, presque d’un second moi ou opposé au moi, il élabore le concept d’inconscient dans un contexte d’opposition, de clivage et finalement de division du moi). Le clivage de la conscience dans ces cas d’hystérie acquise est donc un clivage voulu, intentionnel, tout au moins souvent introduit par un acte de volonté. A vrai dire, il se passe autre chose que ce que l’individu a comme intention; il voudrait supprimer une représentation, comme si elle ne lui était jamais parvenue, mais il réussit seulement à l’isoler psychiquement12». Il est impossible de supprimer la division du moi (aujourd’hui après Lacan : division du sujet), la solution du refoulement et donc du traumatisme qui en découle, est de l’isoler de la conscience. Il en est encore à penser que le refoulement est un acte relevant de la volonté consciente, au moins partiellement.

10 Ibid. Note P37.

 

11 Ibid. Note P136.

La division est qu’on le veuille ou non présente et s’impose au sujet, avec sa dimension conflictuelle. Le conflit est interne au sujet, n’est-ce pas déjà une façon de reconnaître l’existence de cette division ? Reprenons ce texte, incontesté comme fondateur de la psychanalyse : « la représentation inconciliable, qui plus tard, avec ses éléments annexes, sera exclue pour former un groupe psychique séparé, doit bel et bien avoir existé initialement dans la circulation de pensée, sinon le conflit n’aurait pas eu lieu ». Il poursuit

:   «  Ce   sont   précisément   ces   moments   qui   doivent   être   qualifiés  de « traumatiques » ; c’est dans ces moments là qu’à eu lieu la conversion, dont les résultats sont le clivage de la conscience et le symptôme hystérique13 ». Il apparaît bien, que le conflit intra-psychique, que je nomme ici division, est à l’origine du traumatisme, et que les effets de cette division sont le clivage de la conscience (le refoulement et l’existence de l’inconscient) et la production du symptôme. Ainsi, nier l’un ou l’autre: l’inconscient ou le symptôme et aussi en tant qu’émanant du sujet, revient à nier le fait que le sujet est divisé. Le symptôme est ainsi produit par la division subjective, qui est le lieu de la constitution du sujet. Dans le séminaire X «L’angoisse», Lacan précise que le symptôme est le résultat de la constitution du sujet : « Ceci veut dire que la cause, impliquée dans la question du symptôme, est littéralement, si vous le voulez, une question, mais dont le symptôme n’est pas l’effet, il en est le résultat. L’effet, c’est le désir 14 ».

Je voudrais dire rapidement quelques mots sur ce pas, ce pont que jefais en assimilant le conflit intra-psychique à la division subjective, telle que Lacan l’a développée.

Ce que Freud met en évidence dans la lecture que je fais de ce texte, et ceci se pose en totale contradiction avec le moi philosophique, le moi conscient, est l’impossibilité pour un sujet de maintenir en place l’unité de la personnalité. Pour en garder l’illusion, l’apparence, cela ne peut se faire qu’au prix d’un traumatisme et de l’apparition de symptômes. C’est finalement ce que nous dit Freud, quand il affirme que l’hystérique souffre de réminiscences, que ce dont souffre le sujet provient de cette part de lui- même dont il ne veut pas. Est-ce que notre clinique actuelle nous fait entendre autre chose ?

Il y a en chacun une part étrangère, qui échappe et dont on ne veut rien savoir; et qui se révèle dans la cure être notre part la plus intime. L’inconscient, c’est l’Autre nous dit Lacan. L’inconscient n’est pas dans un autre lieu, sur une autre scène, il est l’effet du langage et de la division signifiante. Il nous constitue sous l’habit d’un autre. Freud repère très vite cette affaire, avec les moyens conceptuels qui sont les siens et avec ses signifiants. La description qu’il en fait dans les études sur l’hystérie est remarquable de précision et de justesse de vue, je vous la livre : « Notre groupe psychique pathogène ne se laisse pas dégager du moi avec précision, ses strates externes se fondent de tous côtés dans des éléments du moi normal, faisant à vrai dire tout autant partie de ce dernier que de l’organisation pathogène. (c’est dire que le normal et le pathogène se confondent dans la sujet). La limite entre les deux devient dans l’analyse purement conventionnelle, mise tantôt ici, tantôt là, ne se laissant à certains endroits même pas repérer. Les strates internes deviennent de plus en plus étrangères au moi, sans que pour autant la limite du pathogène ne se fasse ou que ce soit visible


14
J.Lacan. L’angoisse. Séminaire X. Version Valas. P531/2.13 Ibid. P189.

15».

Il n’y a ainsi rien qui permette d’exclure du sujet cette part « étrangère », ce symptôme. L’étranger et le moi sont des prolongements l’un de l’autre. Poursuivons notre lecture: « L’organisation pathogène ne se comporte pas vraiment comme un corps étranger, mais bien plutôt comme un infiltrat16». Il était parti de l’hypothèse que l’organisation pathogène, le refoulé, se comportait comme un corps étranger, ce qu’il réfute maintenant pour en arriver ce que ce soit finalement le moi qui lui donne ce statut d’étranger, de migrant. Là, Freud amène une idée pour le moins surprenante, il écrit: « Dans cette comparaison, c’est la résistance qu’il faut prendre comme l’élément infiltrant17». Pour rester dans cette métaphore sur le racisme et la xénophobie, Freud nous dit que ce n’est pas le migrant qui vient infiltrer notre monde, qui vient lui faire perdre son identité, c’est la résistance à le reconnaître comme un semblable qui pose problème. C’est cette résistance contre laquelle il faut lutter : « La thérapie consiste d’ailleurs, non à extirper quelque chose -aujourd’hui la psychothérapie n’en n’est pas capable-, mais faire fondre la résistance et à ouvrir ainsi à la circulation la voie menant à un domaine jusqu’ici fermé18». Il s’agit donc de rétablir le droit de cité à ce qui semble étranger au sujet. La résistance apparaît alors comme une force visant à établir et maintenir l’unité du sujet, à mettre en place du un ; et se trouve en même temps être l’objet de la thérapie. C’est là une question que nous avions largement évoquée l’an dernier, quand nous disions que l’objet de la cure était de lever les résistances. À noter que les résistances sont celles de l’analyste, et concernant l’analysant on parle de jouissance, depuis Lacan. C’est cette jouissance qui est le principal obstacle à la guérison.

Pour en référer rapidement à Lacan, ce sont des questions que nous avons déjà travaillées ici, et peut-être une autre fois je les développerais plus longuement ; il démontre que la jouissance vise le un, l’unité, un monde unien etc. (voir séminaires XV et XVI), voire une représentation du sujet réduite à l’image. Comme cet analysant qui dit: « ce qui me dérange c’est que l’image que je me fais de moi ne correspond pas à ce que je suis ». Ce qui s’oppose à la jouissance est le désir ; le désir sépare. Si on prend la résistance du côté de l’analyste, quel moyen a-t-il à sa disposition pour ne pas résister ? C’est ce que Lacan a appelé le désir d’analyste dont la fonction est d’aller vers la différence absolue, de séparer, de ne pas confondre l’analysant et l’analyste, c.à.d. de ne pas en jouir.


15
Freud. Op. Cit. P317.

16 Ibid.

17 Ibid.

18 Ibid.

La résistance est la difficulté à accepter l’existence de l’inconscient et de la division qui lui est inhérente. Ce qui fait résistance, c’est la jouissance qui cherche à unifier, à gommer la subjectivité, mais sans laquelle nous ne pouvons pas vivre.

Pour conclure, je cite mon ami Serge Granier : « La découverte de Freud repose sur ce fait que nous sommes duels, et que ce dont il convient de parler, c’est de l’autre qui est en nous, l’autre ignoré, l’autre oublié, l’autre refoulé, voire l’autre forclos19».

 

 

 

Philippe Woloszko. Metz, le 19 octobre 2017.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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