Discussion de l’exposé de Charles Marcellesi : Faire tomber le symptôme et modifier le sinthome. (Annick Hubert Barthelemy)
Comment le déroulement de la cure (avec chute du symptôme et modification du sinthome) est tributaire, voire fondamentalement lié aux représentations mentales d’une époque ?
Introduction :
Merci pour ce texte, Charles, qui m’a fait revisiter un certain nombre de concepts…Pour me permettre de rentrer dedans et te discuter j’ai fait le petit tour de tes postulats.
- Les bases mathématiques pour suivre ton travail.
Chez Freud, on parle de topique c’est-à-dire d’un mode théorique de représentation du fonctionnement psychique comme ayant une disposition spatiale. Cet espace freudien est un espace euclidien comme nous l’avons appris à l’école.
Mais dans les cinq éléments qui définissent l’espace euclidien, le 5° se trouve bouleversé par l’avancée des recherches mathématiques. Je vous le rappelle : « c’est l’axiome des parallèles, par un point extérieur à une droite, on peut mener une et une seule parallèle à cette droite ».
En effet, l’espace euclidien n’est pas l’espace de la réalité. Du coup, cet espace voit ses limites poussées par ce qu’on va appeler l’espace projectif. (document 1)
Dans cet espace projectif, les éléments de la géométrie euclidienne sont respectés sauf celui des parallèles.
A partir des schémas L et R, Lacan se démarque de Freud en donnant une représentation du sujet qui n’est plus limité par le plan euclidien.
Dans le plan projectif, l’ensemble des droites passent par l’origine. Poussés dans le plan projectif, les surfaces habituelles se déforment (car il s’agit bien de surfaces et non pas d’objet) et donnent lieu à la découverte d’une nouvelle géométrie. Dans les déformations connues on trouve la bande de Möebius ect…Une autre surface se déforme de façon très intéressante c’est la sphère, c’est delà que découlent le cross cap, la bouteille de Klein, la surface de Boy…
Le traitement de la sphère par immersion dans le plan projectif entraîne la naissance de surfaces dont la spécificité est une ligne d’interpénétration sans coupure. Cette ligne imaginaire permet à la surface de se traverser elle-même sans véritable intersection. Un chemin sur cette surface franchit cette ligne sans quitter la partie de la surface à laquelle ce chemin appartient localement, ce chemin ne peut pas bifurquer sur une autre partie. (Présentation surface Boy 2 Document 2)
Il semble exister localement un endroit et un envers qui sont partout joignables. De plus, la surface obtenue n’est pas spécularisable. Seule la topologie du plan projectif peut résoudre les contradictions du schéma R.
L’espace hyperbolique est le saut nécessaire, que font les mathématiciens, pour représenter les évolutions d’un objet dans un espace non euclidien de dimension 2,3, 4…pour arriver à cela, les mathématiciens disposent de l’algèbre, des lois euclidiennes et de la topologie. Ces représentations ne sont pas grand-chose dans le domaine de la psychanalyse si elles ne sont pas accompagnées d’un discours.
On peut dire que Lacan a réalisé le passage de l’algèbre de Freud à une géométrie euclidienne incluant un espace projectif puis d’une géométrie non euclidienne incluant un espace hyperbolique. Ces transformations se sont accompagnées de plusieurs changements de discours. (Document)
- Ces changements de discours induisent donc des représentations psychiques différentes. Qu’est-ce que ces représentations mentales ont pu induire dans le déroulement de la cure ? Et de quelles façons ont-elles joué dans la construction du sujet ?
Tous ces schémas ne sont utiles au champ psychanalytique que dans la mesure où ils se trouvent dans un rapport dialectique avec le discours qui les accompagne.
Dans RSI, tu rappelles que le symptôme est l’expression métaphorique du refoulé inconscient et qu’il prend la forme d’une écriture. La dialectique de ce discours entre en relation avec la représentation du nouage borroméen (nœud à 3) auquel il faudrait ajouter un quatrième rond (comme dans le cas de la psychose).
C’est ce 4° rond qui permet de visualiser le phénomène du sinthome, advenu après la chute du symptôme. Ce 4° rond représente-t-il l’objet a ou le petit autre ? Ce 4° rond permet pourtant de visualiser la transformation d’une nomination qui se soutient du Nom du Père à une nomination issue de lalangue maternelle faisant effet de sens pour le sujet qui peut ainsi organiser sa vie.
La représentation du nouage borroméen comme celle de la surface de Boy donne l’autorisation de penser un changement des problématiques du sujet et de son objet dans un basculement de la structure impliquant des transformations sans coupure et des trans formations dans une dynamique de trajets sans répétitions et sans retour en arrière.
Cette modélisation montre bien que l’inconscient fonctionne comme une structure en mouvement qui se déploie en avant du sujet.
- Le cas Albrecht Dürer, le processus de transformation est porté par l’objet, le sujet avant tout sujet regardé dépend de l’Autre quant à sa nomination.
Dans le cas d’Albrecht Dürer, comme tu dis avant l’avènement de la science, il y a Dieu qui permet de déchiffrer dans la nature un ordre, une logique, mathématique qui est celle de l’harmonie divine. (Première étape du cartésianisme).
Cette étape de représentation mentale organiserait le S2 mais laisserait le S1 sous l’emprise du discours du maître régit par la réalité religieuse. La seule possibilité d’échapper à cette représentation mentale serait la voie du savoir-faire de l’art. C’est par cette porte, celle de l’inconscient, que peut advenir une représentation mentale affranchie (libre, désaliénée). Rappelons-nous que les peintres de la perspective en ont trouvé les règles avant que les mathématiciens ne les découvrent et les démontrent).
Prenons l’exemple du rêve de Dürer dans la nuit du 7 au 8 janvier 1520 dont la peinture qu’il en a fait montre une cataracte tombant du ciel sous forme de 12 trombes d’eau. Ceci le jour de la pentecôte qui est aussi le jour de sa naissance (envoi de l’esprit saint aux apôtres).
La représentation mentale créée par Dürer se fabrique à partir du discours religieux (Pentecôte) sur lequel il tricote sa propre origine mêlée aux traumatismes de la fièvre.
Il tient ainsi le vecteur qui lui permettra à travers la Mélancolie de trouver sa place comme sujet (de sa vie). Il s’agit de l’autoportrait en mélancolique où l’objet a pointé est situé dans le corps (la bile noire), polarisant le fonctionnement de la pensée en incluant une limite qu’il ne peut pas franchir, limite dont d’ailleurs tu donnes la structure. Il s’agit d’ « activité sans pensée et de pensée sans activité », Lacan avait d’ailleurs souligné cet effet de structure chez le sujet : « là où je suis, je ne pense pas et là où je pense, je ne suis pas ». Le sujet est insaisissable pour lui-même.
Mais on est au temps de la perspective et donc du traitement d’un certain type d’objet qui, lorsque l’on se déplace pour le regarder permet de découvrir un autre objet (cf Holbein, Les Ambassadeurs). Dans le tableau de Mélancolia I, l’objet curieux est un tétraèdre, un objet de l’espace projectif plongé en dimension 3, rejoignant ici les travaux des mathématiciens pour qui la surface de Boy donne un tétraèdre en espace hyperbolique.
Le tétraèdre serait une métaphore du sujet ? Ce n’est pas si simple. On peut en effet voir que les évolutions de la représentation mentale de Dürer passent par ce sujet qui s’offre au regard de l’Autre comme de l’autre, sujet regardé plus que sujet regardant. Cet être regardé qui n’échappe pas à la dimension christique du martyr. Pas d’autonomie pour le sujet qu’il est devenu car sa nomination lui vient de l’Autre. Je dirai que le symbole n’est donc pas le sinthome.
- La vignette clinique de la crise du couple, comment l’écouter ?
Je dirais que c’est une histoire en devenir structurelle et la forme structurelle se dit à travers cet énoncé : « la crise du couple est fille de la passion de l’ignorance ? ». Tu dis remarquer que les places d’objet a et de sujet obéissent aux lois de l’objet transitionnel dont la surface romaine de Steiner pourrait rendre compte. Je suis d’accord pour visualiser ceci dans une représentation topologique d’une ligne de pénétration sans coupure (zone d’objet a et de non a).
Mais je ne suis pas d’accord avec la suite de ta démonstration. Je dirai simplement que la passion de l’ignorance est la position du sujet dans ce qu’il a à vivre avec l’après coup du fonctionnement inconscient dans un espace hyperbolique qui se déploie.
Conclusion :
Seul un objet de l’espace hyperbolique pourrait rendre compte de la construction d’un objet a comme quatrième rond et comme avènement du sinthome. Nous pouvons donc dire que la représentation psychique permise par l’espace hyperbolique nous libère des limites de l’espace projectif. Nous pouvons donc, nous psychanalystes, écouter les chemins de l’ignorance en autorisant l’avènement d’un sujet qui se sait écouté dans un autre espace de de représentation mentale.