Discussion du texte d’ EVA VAN MORLEGAN, Chantal Cazzadori – Congrès 2019-Paris
Discussion du texte d’ EVA VAN MORLEGAN
Chantal Cazzadori
Congrès 2019-Paris
Il n’est vraiment pas simple d’aborder conceptuellement cette notion de Haine, de l’au-delà de la haine surtout, avec son cortège d’identifications formées au cours des différents moments du développement de l’ Infans, de l’enfant puis du sujet qui est capable un jour, de « Tuer » l’autre, son semblable, véritablement, sans état d’âme, froidement et sans jouissance.
L’hypothèse de « désidentification » proposée par Robert Levy, pour aboutir à ce destin funeste a stimulé notre réflexion thématique durant un an déjà.
Au seuil de ces processus complexes et variés, Eva Van Morlegan nous donne l’opportunité de commencer notre démonstration par le pré-spéculaire, l’infantile, le hors métonymique là où se constitue la haine primaire.
La première question à se poser serait celle-ci :
« De quoi nous souvenons-nous ? ». Le traumatisme se présente sous la forme de traces, de marques, de crainte du vide, sans inscription signifiante dans notre psychisme, c’est-à-dire, hors symbolisation, le langage n’étant pas encore là chez l’infans.
Cette haine, plus ancienne que l’amour, expulse l’autre, le rejette à l’extérieur de lui, puisque le moi n’est pas encore capable de l’intégrer. Cette empreinte dans l’inconscient non réprimée dont parle Lacan est traitée par R. Lévy dans son livre « l’Infantile en psychanalyse », comme vous le savez.
Et oui ! C’est notre histoire singulière qui rend compte de la relation inscrite quelque part originellement, c’est-à-dire dans ce fameux lieu, appelé déjà par Freud, l’Autre primordial, avec un grand A, repris par la thèse lacanienne du côté du grand Autre, lieu des signifiants qui nous représentent là où la garantie de la parole ou pas, va se manifester dans le vrai, dans la vérité donc dans le mensonge aussi, de cette parole qui nous vient des parents au départ de notre existence humaine.
L’intersubjectivité est bien précédée par cette expérience de l’Autre, autrement dit, notre inconscient qui s’invite comme un hôte inattendu et insaisissable. Avec Lacan, nous savons maintenant que la haine est au registre des passions de l’ETRE, alors que l’agressivité est du registre du spéculaire. C’est aussi à entendre que la haine est dirigée contre le grand Autre non spéculaire, celle qui vise à faire disparaître ni plus ni moins que le sujet comme « parlêtre ».
En faisant encore un bon en arrière, Eva Van Morlegan, nous convoque à entrevoir les modalités de l’altérité du prochain et du lointain qui nous constitue à notre insu bien entendu. Le constitutif dont elle nous parle, ce qui malheureusement arrive parfois, s’est arrimé à un manque de désir non mis en jeu par la mère lorsqu’elle porte son bébé, ce qui va créer chez lui une crainte du vide, de l’effondrement dont Winnicott soutient qu’il est bien antérieur à l’édification du moi.
Le « Che Voi » reste angoissant. Comment ce vide peut-il soutenir l’enfant à se construire face à la question du « Que me veut l’Autre ? ».
« Manque donc vécu comme un abandon lié à un excès pulsionnel impossible à élaborer par lui-même », nous précise-t-elle.
Comment donc entendre la question de l’Altérité chez chacun, eu-égard au grand Autre primordial ? Puisque le grand Autre est une instance au sens où c’est là, dans ce lieu, que la parole se manifeste, là ou précisément et heureusement des figures viennent s’installer.
Même si l’Altérité, c’est bien sûr apprendre à mieux connaître son alter-ego, découvrir la différence, l’intériorité de cet autre semblable et si différent, ce n’est pas une mince affaire contrairement à ce qu’en pense tout à chacun. Il s’agit en effet derrière cette dimension d’en connaître son aspect insupportable qui nous confronte en nous-même du côté de l’insoutenable.
En effet, l’Altérité c’est s’approcher aussi de soi-même, de quelque chose dont nous ne préférerions rien en savoir, le laisser à distance, le dissimuler sous des tas d’énoncés pour mieux travestir nos idéaux. Chassons donc cette part énigmatique et mystérieuse en nous-même, telle serait l’injonction surmoïque à suivre… Vite dit… Pas si facile à tenter …
Que se passe-t-il alors quand nous dissimulons cet étranger en nous-même, non assimilable ?
Dans le champ social et politique, souvent la dénégation est de mise. Les violences, les passions se déchaînent et c’est toujours la faute de l’autre, à cause de l’autre qu’il faut du coup persécuter, rejeter, exclure radicalement, voire en effacer la trace.
Dans notre construction psychique, il faut se rappeler que l’infans, a d’abord affaire avec une instance non familière mais plutôt persécutrice qu’est le langage comme lieu d’Altérité.
Comment faire alors pour que la dimension d’étrangeté du langage lui-même devienne familière ?
Ce que peut en dire la clinique psychanalytique, c’est que nous éprouvons bien des difficultés à communiquer, tellement les malentendus entre nous-mêmes et les autres nous parasitent.
Dans la pratique clinique avec les enfants, ce sont leurs symptômes (phobies, peurs paniques, etc, d’où l’on peut déchiffrer, saisir quelque chose de leur Altérité en mouvement. Quand l’enfant découvre véritablement l’altérité au sens fort du terme dans la différence des sexes par exemple ou par la naissance d’un puîné, il vit cela comme une persécution puisque l’autre différent ne peut pas ne pas être là ?
C’est dans les traces et les mémoires des traumatismes de l’altérité que s’inscrivent nos rapports à la fois agréables et persécutants que ce soit individuellement ou collectivement.
Pour éviter que cet Autre primordial inscrit lui aussi, dans nos altérités par la parole et le langage ne surgisse violemment par des passages à l’acte, il est important de le reconnaître.
La psychanalyse par son dispositif peut permettre cette approche, cet apprivoisement, ce dépassement de l’insupportable en chacun par une forme d’accès à la créativité, la création, la culture autour d’un « sinthôme » qui nous sortira de nos lourds symptômes invalidants, pour manifester quelque chose de non familier, soit d’arriver à mieux faire avec nos défenses ou agir autrement.
Pour accéder à une inscription signifiante, il faudra recréer des altérités avec des mots nouveaux, une parole qui dégage de la jouissance de la haine envers soi ou l’autre, afin que celle-ci ne s’oppose plus au symbolique mais fasse aussi bon ménage avec l’amour, comme le disait hier, notre collègue Philippe Woloszko.
SEPTEMBRE 19
CHANTAL CAZZADORI
Psychanalyste