E pur Si Muove. Gilbert Poletti. 28/01/2017

Il y a plus de deux mille ans un homme probablement psychotique, s’adresse à un autre homme paraplégique, probablement hystérique, en ces termes « Lève-toi, prends ton brancard et marche » et ça a marché. A mon avis on doit pouvoir retrouver ce modus operandi aujourd’hui, grâce à l’hypnose, ou les thérapies cognitivo-comportementales. Deux millénaires plus tard, quelqu’un que nous respectons tous, a débuté ainsi l’exercice de la psychanalyse balbutiante; avec Emmy von N par exemple, mais s’est très tôt détaché de la suggestion « L’hypnose ne détruit pas les résistances et ne fournit ainsi que des renseignements incomplets et des succès passagers » .Surtout n’allez pas croire que par ailleurs, l’hypnose n’est pas efficiente, de multiples exemples pourraient confirmer cela, ne serait-ce que la parole et surtout la voix d’un homme qui a malheureusement existé au siècle dernier, doté d’une moustache ridicule, appelée en argot bavarois « Rotzbrems » frein à morves, dont Lacan faisait un plus-de-jouir, qui en a hypnotisé plus d’un, et pas des moindres, avec le succès que l’on sait, d’une boucherie sans nom. Mais nous nous bornerons ici, a élaborer dans le registre de notre travail, la guérison.

Pour quelles raisons devrions nous nous plonger dans une telle recherche? ne serait-ce pas pour extraire de la gangue médicale cette prise en compte de la souffrance psychique? Ou celle-ci n’aurait rien à voir avec notre discipline? En effet l’instigateur de cette méthode était médecin, il voulait s’en départir , mais c’est sur cette voie, qu’elle s’est révélée, et à mon avis, il se trouve dans la situation de celui qui tente de se débarrasser d‘un papier collant, passant de sa main droite à sa main gauche. En tout cas, elle a la peau dure, car l’indécision des acceptions des termes médicaux, est toujours bien présente. Entendons: soins, cure, thérapie, j’en oublie sans doute.

Dans le vocabulaire de la psychanalyse de Jean Laplanche et J.B Pontalis il y a bien dans le deuxième niveau de la définition de psychanalyse l’aspect de soin sous l’expression « méthode psychothérapique….. ».

Dans le dictionnaire de la psychanalyse de Roland Chémama et Bernard Vandermersch on passe à la rubrique « cure psychanalytique »

Chez Pierre Kaufman « apport freudien » c’est la cure. De même chez Elisabeth Roudinesco il est mentionné, traitement, psychothérapie. On a beau tergiverser, on n’en sort pas, Lacan lui-même utilise cure, même si cure n’est pas guérison, d’ailleurs au congrès sur la transmission à paris1972 il dit « comment se fait-il que, par l’opération du signifiant, il y a des gens qui guérissent ».De même que nous utilisons symptôme dans deux sens différents pour le médecin et l’analyste, que penseriez vous de conférer au signifiant guérison deux acceptions différentes, deux signifiés distincts, l’un dans le registre psychanalytique, l’autre en médecine. Ouvrons le champ de la signification médicale: on rencontre alors,

Guérison comme retour ou tentative de retour à l’état antérieur, celui d’avant la maladie.

Et aussi comme le considère le chirurgien René Leriche « la santé c’est la vie dans le silence des organes » donc il conviendrait de lutter contre tout ce qui vient briser ce silence.

Cette acception de sens implique le discours du maitre, l’idée du Bien, dont le médecin et l’O.M.S se trouvent être les dépositaires.

La guérison est le but à atteindre, même si le patient ne le désire pas ou ne le demande pas, chez le bébé, patient dans le coma, inconscient, dans le refus de soins avec placement sous contrainte etc….Néanmoins il serait tout aussi faux de penser que la médecine ne s’occupe que du symptôme, dans le sens d’un signe, la toux par exemple est un des signes d’une simple irritation, d’une bronchite, d’une tuberculose pulmonaire ou autre, et il ne s’agit pas seulement de se préoccuper à la faire cesser.

Si nous utilisons le terme de guérison en psychanalyse, il faut sans doute prendre un virage opposé il ne s’agit pas de suturer une plaie, prescrire des antibiotiques, ou de proposer des électrochocs.

Tout chirurgien viscéral quelque soit sa nationalité, sa formation, son humeur, qu’on le trouve sympathique ou pas, est à même de pratiquer une appendicectomie. Il n’est pas nécessaire que ce praticien ait lui-même subit cette intervention pour en être capable.

Ma première expérience d’analysant , lors du premier entretien, m’a tout simplement déçu, il faut que je précise que le collègue qui m’avait conseillé ce divan, ne me tenait pas en haute estime. Le chirurgien lui m’aurait opéré.

Je pense que l’idée d’une autre forme de

guérison est toujours présente chez le psychanalyste, mais il s’agit de tout autre chose; pensons à l’archer qui pratique le tir à l’arc Zen, voilà ce que dit le maître Awa Kenzo, de ses élèves « leur volonté tendue vers un but, se révèle en réalité un obstacle majeur, plus ils visent un objectif avec détermination, plus il va leur échapper » il faut atteindre le bon geste, celui-ci accomplit, la flèche doit toucher la cible. On perçoit le lien avec le psychanalyste qui doit d’abord passer par le divan, il sait que penser à la guérison en terme médical ne conduit pas à cette guérison, il doit pour que celle-ci puisse se produire, créer les conditions nécessaire à son obtention, à savoir, entendre une demande qui pour l’analysant est un désir de guérir, la création d’un transfert, ne rien attendre de déjà là, le psychanalyste n’est pas un « gagne petit » il veut le jackpot, c’est le sujet qui se manifeste, dans les méandres du dire de l‘analysant: ses lapsus, ses actes manqués, ses rêves…… qu’il vise et si par la suite un symptôme qui est ici l’expression d’un conflit inconscient, moins gênant vient en place d’un symptôme insupportable personne ne s’en plaindra, mais là il convient d’être modeste, la guérison comme absolue est inenvisageable.

Lacan nous le dit bien au fond il s ‘agit « d’atténuer l’inconfort du patient »

Une petite référence à la philosophie qui même si on ne se trouve pas dans le même rapport, offre néanmoins une similitude, en effet Kierkegaard oppose au gros pain hégélien, nourriture totale, déjà mangé, restent les miettes philosophiques à picorer.

Les miettes non analysée du psychanalyste, sont là aussi impliquées, « tout » ne peux s’envisager.

J’ai lu qu’on pouvait décrire «  la guérison » en psychanalyse, comme un phénomène asymptomatique par rapport à l ’idéal, à l’image d’une courbe qui se rapproche d’ une droite sans jamais la rencontrer ni l’atteindre, comment ne pas penser à l’ idéalité Platonicienne, dont ironisait Aristote de la manière suivante « il n’existe pas de chevalinité, qui ne hennit pas, dans le ciel des idées et de laquelle descendent au galop tous les chevaux de la terre »

Laissons donc l’optique de la disparition du symptôme à qui de droit, pourquoi ? On ne peut le considérer isolément, mais intégré dans un contexte ou il occupe une fonction dans l’économie psychique de l’analysant. D’autre part du fait que nous ayons affaire au signifiant, dés le départ, la jouissance est intriquée au langage et marquée par le manque, ce manque signe le fait que l’étoffe de la jouissance n’est pas autre chose que la texture du langage, donc restons modeste quant à la guérison. Alors occupons nous du sujet suspendu à son désir et allons à la pêche, quand je pêche, bien des fois, après avoir longtemps admiré le paysage , sur mes rochers rouges plongeants dans une mer bleue de Prusse, bien seul, je pars dans ma rêverie, laissant couler mes songes les plus doux, j’oublie que je tiens une canne, mais un poisson de roche mordant l’hameçon, me sollicite tel le signifiant épinglé par le psychanalyste, et comme pour le poisson tétant l’appât, l’analysant tète aux mamelles du psychanalyste, qui doit en avoir.. des mamelles. A ce moment se produit le transfert, l’analysant va pouvoir transférer ses investissements d’amour ou de haine sur son analyste, je vous prie donc de noter ici un point de bascule, on est plus du tout dans la visée guérison mais plongés dans une mer, un entre-deux (pas le vin) ou se déplacent les signifiants et ou l’analyste « supposé savoir » a déroulé ses filets flottants, « e la Nave Va » c’est au fond l’idée de la création d’un champ transférentiel de liberté, ou le mouvement de la chaine signifiante y trouve son expiration, figée qu’elle était auparavant. Et Dieu sait l’importance de ce mouvement, citations que j ‘ai déjà utilisées. Ame ne vient-elle pas de anima, mouvement. Heidegger «  l’homme est l’être des lointains ». La psychanalyse nous offre cette possibilité, sans avoir à se référer, ni à un Dieu ni à un Maître.

Qu’est-ce mouvement? il libère de la régression, de la fixation, de la répétition, de l’impuissance, de l’inhibition …. Positions qui l’entravent, et nous voilà plongés dans l’allégorie de la caverne: des hommes sont enchainés dans une caverne et ne peuvent connaitre d’eux même que des ombres projetées au mur de celle-ci, que l’un d’eux soit libéré des dites chaines, et alors ……on Connait la suite, la libération est pérenne puisque c’est le sujet qui est concerné et de plus, de «  surcroît », puisqu’il fallait le mentionner, apporte une modification lénifiante au symptôme. Cette magnifique allégorie est digne d’un vrai philosophe, elle donne à penser et pas qu’une fois, ce n’est pas le cas de certains, ennemi de la liberté, il ne sont pas pour le mouvement, nous «  On ne freine pas », On leurs répond « E pur si muove » .

Soyons musiciens, et exécutons notre phrase musicale en légato, épinglant les notes piquées du staccato, il nous reste à les faire rentrer dans la danse.

Alors guérir, quand ces conditions propices sont réalisées, c’est quoi ?

Dévoiler la vérité du sujet, Socrate ne saute pas sur Alcibiade quand celui-ci lui déclare son amour, il lui dit ce n’est pas moi que tu aimes, il le renvoie à Agathon, en ne cédant pas, il peut lui dévoiler l’objet de son désir inconscient, c’est la vérité du désir et cela va avoir des effets sur le sujet: accession à son manque à être, assomption à sa castration et de sa division, renoncement à une part de sa jouissance( celle qui le rattache à son fantasme et à son symptôme) reconnaissance enfin de l’objet qu’il est et qu’il choisit d’être pour l’Autre. Là le dispositif de la cure peut bien s’arrêter, le confort de l’analysant amélioré, mais est-ce pour autant le terme de la psychanalyse,

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