Galo Eidelstein "La science des structures comme un bastion"

Texte suivi de la discussion de Laurent Ballery

Il y a une question qui rode autour de la psychanalyse depuis sa naissance  concernant la question de savoir si elle est une science ou non.

Il existe de nombreux arguments pour montrer que la psychanalyse n’est pas une science. Nestor Braunstein, au cours de sa controverse avec Allouche[i], nous dit que l’irréductibilité du Sujet et de l’Autre, leur incommensurabilité radicale, rend impossible l’intégration de la psychanalyse à la Science. Après d’autres arguments tout aussi convaincants, il cite Lacan (1977): “…l’on doit prendre la psychanalyse au sérieux même si elle n’est pas une science.[ii]

Ajoutons que l’hypothèse forte de Lacan selon laquelle “le sujet sur quoi nous opérons en psychanalyse ne peut être que le sujet de la science”, n’implique pas que la psychanalyse soit une science, comme le précise Lacan.

 

Nous savons également que la psychanalyse, contrairement à la science, implique le corps, la jouissance et la souffrance, et qu’elle introduit la dimension de la mort et de la vérité dans le savoir.

 

La science, pour sa part, n’opère pas sur le sujet et elle forclôt la vérité de son savoir. Elle opère de manière totalement indépendante du fantasme de son créateur et c’est pourquoi elle peut l’oublier.

Les deux domaines, la science et la psychanalyse, opèrent sur le réel au moyen du symbolique, mais elles le font d’une manière différente. Dans le cas de la science, ce symbolique modèle la praxis réelle sur la nature, et dans celui de la psychanalyse il s’agit d’opérer dans ce réel qui surgit dans les interstices du discours. C’est sur la différence de conception de l’objet dans l’un et l’autre champ que se situe la radicalité de leur différence.

Malgré ces arguments et d’autres encore, la question de  la science et de la psychanalyse insiste et fait retour. J’essaierai de comprendre quelques éléments de cette impasse, qui peuvent apporter quelque chose à propos de l’exclusion du sujet de la psychanalyse.

 

“Que la psychanalyse soit née de la science est une chose manifeste.  Qu’elle ait pu naître d’un autre champ est inconcevable” [iii](Lacan). Voilà un acte fondateur, et comme tout acte fondateur, il insistera encore et encore.
 

Retraçons ce parcours.

 

Lacan considère que la science de la Modernité est la condition de l’émergence du sujet dont il  s’agit dans la psychanalyse: “…un certain moment du sujet que je tiens pour être un corrélat essentiel de la science : un moment historiquement défini…celui que Descartes inaugure et qui s’appelle le cogito”.[iv]

Les inaugurations ne sont effectuées qu’une fois le bâtiment construit, et en la matière les constructeurs sont nombreux, mais convenons qu’ils sont bien représentés par la science de Galilée et que Descartes développe dans le savoir philosophique.

 

Le savoir dans le monde antique n’est pas un mais divers, et convenons qu’on en trouve une expression très représentative dans le savoir antique grec à travers le Timée de Platon, dont l’aristotélisme constituera le prolongement jusqu’au 17ème siècle.

 

Dans ce texte, Platon propose d’expliquer l’origine de l’espèce humaine, en remontant d’abord à l’origine de l’univers et de sa connaissance:

 

“Si je ne m’abuse, il est nécessaire de  commencer par distinguer deux  choses : ce qui existe depuis toujours sans être né, et ce qui naît sans cesse sans jamais exister.  Le premier est saisi par la pensée  accompagnée du raisonnement parce qu’il demeure toujours le même ; le second est conjecturé par  l’opinion basée sur le témoignage irrationnel des sens du fait qu’il naisse et périsse sans jamais véritablement exister. ”[v]

 

La connaissance du premier type, c’est-à-dire, de ce qui est éternel et nécessaire, était l’épistémê. La seule partie chez l’homme capable d’accéder à cette connaissance était son âme, dont l’essence avait pour origine  sa relation transcendantale avec la divinité. A côté d’elle, l’instrument privilégié pour  cette connaissance était la mathématique avec ses figures et ses nombres, eux-mêmes proches par nature de l’éternité et de la nécessité, du fait qu’ils ne sont pas susceptibles de devenir différents avec le temps, et parce que rien de l’ordre de la sensibilité ne parviendrait  altérer leur caractère nécessaire.[vi]

 

À la différence de l’âme, le corps de l’homme représentait ce qui est passager et contingent. Le caractère empirique du corps consiste dans ce qui est sans cesse différent de ce qui est sans jamais parvenir à être. Cette caractéristique de l’empirique exclut que la mathématique puissent s’y appliquer, toujours considérée égale à elle-même dans son éternité.[vii] .C’est pour cela que dans le monde antique, il ne pouvait y avoir une  véritable  science du contingent.

 

Se définissant comme le savoir portant sur ce qui est parfait et éternel, l‘épistémê  supposait la perfection de son objet. Les astres, dans leur mouvement et leur texture parfaitement circulaire et immaculée, étaient la manifestation de la divinité, elle-même éternelle et parfaite. Rien de sensible ne parviendrait à altérer une telle nécessité.

A côté de ce concept d’épistémê, surgit une autre forme de connaissance : la technè. On ne peut assimiler ce concept à notre idée moderne de technique, parce que celle-ci est davantage reliée à l’idée d’une contribution à une vie éthiquement bonne et politiquement juste, par conséquent très éloignée de celle d’utilisation de moyens ainsi que de celle de production d’objets utiles.

Que s’est-il produit pour que le couple épistémê/technè ait pu être remplacée  par celui de  science/technique du monde moderne? [viii]

Nous avions établi que dans le monde Antique, la subjectivité humaine, son âme éternelle et nécessaire, étaient constituées par la divinité au sein d’une relation transcendante.

 

Dans l’Église Catholique, cette relation transcendante, héritée de l’épistémê grecque et prolongée par l’aristotélisme médiéval,  se rompt avec  la Réforme  Luthérienne, et  se cristallise avec  Descartes dans l’idée d’une subjectivité humaine auto-constituante, une subjectivité  qui pourra  désormais également avoir une relation avec Dieu, mais à partir de sa propre autonomie[ix].

 

Ce tournant n’a pas été le produit de Luther ou de Descartes, qui l’interprètent à partir de la théologie et de la philosophie, mais à partir du chemin construit par Galilée. Avec lui, la mathématique quitte son siège divin et est utilisée pour déchiffrer le domaine empirique, qui est sans cesse différent de ce qu’il est, sans se référer à aucune forme de hiérarchie de l’être. La mathématique ne sera plus le langage des dieux ni le langage pour les comprendre et les corps célestes ne seront plus ni éternels ni parfaits.

 

C’est de cette façon que, dans la modernité, la science devient une théorie qui porte sur la technique et qui opère sur ce qui est toujours changeant, chassant de son lieu l’ancienne épis
témê.

 

De même la science moderne de Galilée dépouille l’objet de ses qualités sensibles dans la mesure même où il le mathématise. Par conséquent une théorie du sujet qui répond à ce type de physique, devra aussi dépouiller son sujet de toute qualité.  Tel est le sujet de la science, que Lacan tiendra pour être le même que celui de la psychanalyse. Ce sujet ne portera pas les marques de l’individualité empirique, qu’elle soit psychique ou somatique ; il n’aura pas les qualités d’une âme et ce faisant il ne sera ni mortel ni immortel, ni pur ni impur, ni juste ni injuste ; il n’aura ni  lui-même, ni réflexivité, ni conscience. Tel est le sujet qui émerge du cogito cartésien, du moins dans sa première partie, celle du « Je pense ».[x]

 

Voici comment la disparition de l’ancienne épistémê est liée à l’émergence de la psychanalyse.

 

Dorénavant la science ne se définira plus, ni par ses méthodes, ni par son objet, mais par sa désacralisation de la nature et par le fait de la débarrasser de toute forme d’épistémê entendue comme ce qui comporte toute forme de lien  que ce soit de nature transcendantale au sein de son être.

 

Si nous comprenons de cette manière le dépassement de l’ épistémê, on peut affirmer que la psychanalyse mène ce programme à son terme  d’une façon plus radicale que la science, car non seulement elle déplace le Moi vers une position secondaire en tant qu’il est le plus grand producteur d’ épistémê imaginaire, mais qui plus est, la vérité qui se révèle en lui ne peut provenir que du discours particulier de chaque analysant, évitant ainsi radicalement le transfuge de toute forme de transcendance dans son savoir.

 

Où donc ce qui unit la science à la psychanalyse trouve-t-il son expression ?  C’est ce que Nestor Braunstein explique à partir des idées de Lakatos et de sa conception de la science moderne : “L’épistémologie lakatosienne est parfaitement compatible avec le programme de recherche que constitue la Psychanalyse”. Comme toute science, celle-ci reconnaît un noyau dur de la doctrine, l’existence d’ hypothèses, l’existence de la critique aussi bien interne qu’externe, l’évaluation de ses résultats, la redéfinition de son savoir chaque fois que celui-ci est remis en cause. [xi]  À ces caractéristiques on peut en ajouter d’autres tout aussi chères à la science et à Lakatos, comme par exemple, la création de nouveaux concepts et leur articulation dans des théories, et de trouver des relations qui se dérobent au regard superficiel. 

C’est ce que fait Freud dans le cadre de sa première nosologie quand il construit les conceptions de la névrose et de la psychose à partir de sa critique de la nosologie psychiatrique de l’époque. Si celle-ci différenciait très bien l’obsession de l’hystérie, elle le faisait cependant d’après des critères très différents de ceux que Freud utilisait. 

 

La psychiatrie comprenait basiquement sous le terme de névrose tout ce qui se rattachait à des symptômes corporels, et sous celui de psychose, tous les symptômes consistant fondamentalement en des manifestations mentales.  C’est pourquoi elle considérait  l’hystérie comme relevant du domaine des névroses et l’obsession dans celui des psychoses. La grande originalité de Freud a consisté – à la faveur de la découverte, derrière ces deux manifestations, d’un mécanisme commun – à réunir dans un même groupe nosographique l’obsession et l’hystérie, ce qui allait à l’encontre de toutes les idées de la psychiatrie de l’époque. [xii]

Dorénavant, hystérie et obsession ne signifieraient plus ce qu’elle avaient signifié jusque-là, elles étaient ordonnées à un concept et non plus à une pure manifestation extérieure.

Ce qui précède correspond à une première nosographie chez Freud, que son créateur a ensuite fait évoluer.  Ce qui importe ici de souligner c’est que Freud fait de la science, découvre des relations cachées à l’observation directe, construit des concepts et les met à l’épreuve de la clinique, ce qui a produit un socle explicatif beaucoup plus profond et puissant que celui de la nosographie antérieure.

Si nous nous en tenons d’un côté aux raisons données au début, pour lesquelles la psychanalyse n’est pas une science, et d’un autre côté ensuite aux raisons pour lesquelles elle pourrait l’être, nous verrons qu’elles renvoient à des choses différentes.

Dans le premier cas il faut avoir présent à l’esprit l’approche de Lacan selon laquelle  la psychanalyse “est une pratique de parlote” [xiii].. Et une pratique de parlote n’est pas une pratique scientifique. D’autre part, quand Freud a étudié et  conceptualisé  l’obsession et  l’hystérie, il a fait œuvre de science, dans la mesure où il ne la  pas fait au moment où il pratique la parlote avec l’analysant.

Quand Lacan écrit ses mathèmes il fait de la science, non parce qu’il écrit les mathèmes, mais parce qu’il ne développe pas ce travail théorique durant le transfert avec son analysant.

C’est pourquoi il n’y a aucune contradiction entre le caractère non scientifique de la pratique analytique, qui est ce en quoi consiste la psychanalyse, avec le fait que le développement de la théorie psychanalytique peut être régie par des critères scientifiques. Par la même condition qui a rendu possible le sujet – la science moderne-, tout savoir associé à cette pratique ne peut être que scientifique, c’est-à-dire affranchi de toute forme de transcendance (ce n’est ni un savoir magique, ni un savoir religieux).

Ce n’est pas facile de théoriser sur la pratique de la psychanalyse, étant donné qu’en la matière “le réel de Lacan n’est pas rationnel mais un reste qui échappe à la raison” [xiv]

Cependant, on peut théoriser sur ce réel. La mathématique n’est pas non plus étrangère à ce problème, en ce qui concerne les concepts de nombre imaginaire et infini. Ceux-ci ne peuvent être articulés qu’à la structure (mathématique) au moyen d’une définition, de la même manière que des points de capiton arrêtent la métonymie imaginaire qu’ils convoquent.

 

De la même façon, le savoir sur la psychanalyse ne s’arrête pas devant ce qui est inexprimable dans la parlote, et elle crée des fictions comme celui d’un signifiant qui nous dit que l’Autre n’est pas complet, qu’il y manque un signifiant et que ce manque est inscrit au moyen d’ un autre signifiant, S(Ⱥ), qui est différent de tout autre signifiant de l’Autre, donc le même ne bouche pas la manque qu’il inscrit et que c’est la raison pour laquelle «le signifiant par lequel tous les autres signifiants représentent au sujet» [xv]

 

Cette science, dépouillée de toute épistémê, à la différence du sujet pris dans le  transfert, conserve ce qui est cher au savoir scientifique : la rationalité, la mathématisation, la communicabilité, l’accumulation de savoir, le respect du principe d’identité et de non-contradiction, entre autres.

Il est nécessaire de préciser ici que toute élaboration qui se fait au sujet de la pratique de la psychanalyse n’est pas de la science.  Nombre d’autres formes d’expression sont nécessaires pour approcher la compréhension de cette pratique.  Il s’ensuit que l’expression poétique, la création de néologismes, le fait d’établir des liens avec d’autres champs comme la littérature, le ci
néma etc. sont tout aussi nécessaires en la matière.

 

Arrivés à ce point, nous pouvons substituer à la question de savoir si la psychanalyse est une science, celle de savoir s’il y a de la science dans la psychanalyse ?

Je pense que c’est inévitable. La psychanalyse (sa praxis) n’est pas une science, mais il y a de la science dans la psychanalyse. Telle est justement ce qui est en jeu dans la théorisation sur les structures.

Comme l’a dit Robert Lévy, le désir, le fantasme dans le transfert et l’objet, sont les trois concepts qui nous permettent de suivre le parcours du sujet dans une structure.[xvi]

La construction théorique des structures permet que les différents concepts qui jouent en elle (fantasme, désir, objet, plus leurs articulations selon le cas, avec les concepts d’obsession, de phobie, de délire, de dénégation, de répression, de forclusion, de symptôme, de jouissance, de pulsion, etc.), puissent être compris en un sens spécifique qui se réfère au discours de chaque analysant.  Le fantasme ou le désir ne sont pas par exemple obsessionnels par eux-mêmes mais au sein d’une structure obsessionnelle[xvii]. Classer un symptôme par lui-même, c’est le classifier par sa description, par l’imaginaire qu’il convoque, en ne tenant pas compte de la structure dont il fait partie. Mais il n’y a pas non plus de structure par-soi, c’est-à-dire, une structure sans le sujet qui la parcourt. La structure se manifeste par le sujet qui en fait le tour.  Il s’ensuit que le fait d’affirmer que le symptôme détermine la structure, revient à ignorer le sujet, l’exclure.

 

Dans la structure ainsi conçue, réside la science qui existe dans la psychanalyse.

 

On pourrait conjecturer que « l’explication tue le mot d’esprit « . Oui, mais comme il n’y a pas de logique complète, il y aura toujours un reste qui relancera la dérive signifiante. Tout consiste dans le fait que le psychanalyste ne s’identifie pas au savoir, qu’il en reste à l’orée, afin de pouvoir, chaque fois, reconstruire la structure dont le sujet dessine les contours.

 

En nous basant sur les critères qui définissent une science, nous pouvons facilement conclure que la construction des DSM de la psychiatrie en  est très éloignée. Ses rédacteurs déclarent eux-mêmes que son objectif est de décrire les symptômes avec des termes a-théoriques qui n’ajoutent rien de plus à ce qui est strictement observable.[xviii]  Cette approche est inconcevable pour la science, car si celle-ci a démontré une chose par dessus tout, c’est bien une aptitude spéciale pour découvrir, au-delà des apparences, les lois internes qui déterminent son objet. Le DSM n’est pas un savoir scientifique, et la psychanalyse dans la position qui est la sienne de se différencier de la science, n’a pas à être opposée à lui comme si il en était une.

Cette science sur les structures, comme toutes les autres sciences, oublie  ses fondateurs, puisque ce qui importe ici c’est la construction logique et sa transmissibilité. Cependant, la psychanalyse n’oublie pas les fondateurs, tout au moins dans sa pratique. Le transfert dans l’analyse ne renvoie pas à la personne de l’analyste, mais comprend ce que celui-ci représente par rapport au fantasme de ses créateurs. C »est ce qui empêche que cette pratique soit scientifique.

Lacan considérait parfois la psychanalyse comme une science et d’autres fois il contestait cette idée. À propos de ce dernier point, il a déclaré que «le statut du champ scientifique est universitaire» et a ajouté ensuite : «et c’est pour cette raison que le discours universitaire ne pourrait être articulé qu’à partir du discours du Maître»[xix]. Il justifie la première phrase en faisant valoir que l’on ne pourrait établir la vérité de la science autrement que par le consentement des scientifiques. Cette raison que donne Lacan pour inclure la science dans le discours universitaire est discutable (Il ne faut pas donner raison à Thomas Kuhn), étant donné que la vérité de la science s’établit par l’expérience, par la confrontation avec le réel et non par l’accord des scientifiques entre eux. Le discours universitaire peut ou non faire sienne une théorie scientifique.

Une fois éclaircie la première phrase, la deuxième phrase prend un autre sens. Effectivement, il n’a pas manqué d’Associations psychanalytiques qui l’ont démontré. Et de plus, précisément, le fait que le discours de l’Universitaire ait été traversé par celui du Maître, a laissé de nombreuses fois en dehors de lui des théories scientifiques.

 

Malgré tout ce qui précède, on peut remettre en question et même qualifier d’artificielle la séparation de la pratique et la théorie dans la psychanalyse. On peut affirmer que deux aspects qui sont si intimement liés, ne peuvent pas être séparés en champs aussi distincts. Cependant, face à cette objection raisonnable, nous pouvons nous demander si ce que fait le psychanalyste dans sa pratique sur le divan,  a quelque chose à voir avec ce qu’il fait quand il est assis à son bureau, en théorisant sur ce que fait apparaître l’expérience de l’analyse. Cela n’arrive pas dans la physique, où, aussi bien dans le fait d’expérimenter que dans celui de théoriser, le sujet de la science est exclu de la même façon. Tout en reconnaissant les articulations qui peuvent exister entre la pratique et la théorisation de la psychanalyse, il y a de toute façon une différence fondamentale. Sur le divan, à la différence du bureau, il y a un sujet opérant et opérable. « L’irréductibilité du sujet et de l’Autre » à laquelle il était fait référence au début est effective, mais sur le divan, et c’est pourquoi la pratique de la psychanalyse ne peut être scientifique. Mais dans la théorie psychanalytique on peut parler et écrire au sujet de cette irréductibilité, puisqu’on le fait à partir de cette scène, et non à partir de l’attention flottante.

 

Conclusion:

  1. La psychanalyse n’est pas une science, ce n’est pas un savoir sur quelque chose. Ce n’est pas une théorie, bien qu’elle en comporte, mais une pratique, et c’est ce en quoi elle se différencie de tout autre discipline, scientifique ou non. Tout comme la psychanalyse, la religion, la magie et la science ont leur propre champ d’action liée à leur pratique, que ce soit dans le rite, la conjuration, l’expérimentation ou encore la cure, par quoi s’établit une différence radicale entre elles. 

 

  1. Il y a de la science dans la psychanalyse. C’est le savoir sur les structures. Ce savoir crée des concepts, met en évidence leurs relations, envisage des causes et des effets, et classifie.

 

  1. L’exclusion du sujet provient du fait de ne pas comprendre la structure en fonction du sujet qui la parcourt, mais de la comprendre comme une simple vue de l’esprit symbolique dans laquelle le réel n’a aucune place.[xx]

 

 

 

 


[i]
                  [i]Nestor Braunstein, “Freudien et Lacanien”, Ed. Manantial, 1994, pag. 50.

 

[ii]

    
              [ii]Ibid, Pag. 51.

 

[iii]

                  [iii]Lacan, “Du sujet enfin en question, (1966), Escritos 1, siglo veintiuno editores, pag. 221.

 

[iv]

                  [iv] Lacan, “La science et la vérité”, Escritos 2, siglo veintiuno editores, pag 835.

 

[v]

                  [v]Platón, “Timée”, Obras Completas, ed. Patricio Azcárate, 1872, tomo 6, Madrid.

 

[vi]

                  [vi]Milner, “L’Oeuvre Claire”, Ed. Manantial, 1995, pag. 50. Dans toutes ses références, Milner commente Koyré.

 

[vii]

                  [vii]Milner, op. cit., pag. 51.

 

[viii]

                  [viii]Milner, op. cit., pag. 49.

 

[ix]

                  [ix] Andrés González Gómez, “Notes pour tenter une interprétation matérialiste de la théorie es idées de Platon.”

 

[x]

                  [x]Milner, op. cit., pag. 41.

 

[xi]

                  [xi]Nestor Braunstein, op. cit., pag.56. Il faut préciser que Braunstein reconnaît cette caractéristique du programme de recherche qu’est la psychanalyse, non pour montrer que la psychanalyse est une science, mais plutôt son approche générale va absolument dans le sens opposé.

 

[xii]

                  [xii] Roberto Mazzuca, “Névrose obsessionnelle”, Ed. Tekne, pag 22.

 

[xiii]

                  [xiii]Lacan, citation de Nestor Braunstein, op. cit., pag. 51.

 

[xiv]

                  [xiv]NestorBraunstein, op. cit., pag. 38.

 

[xv]

                  [xv]Lacan, “Subversion du sujet et dialectique du désir”, Escritos 2, siglo veintiuno editores, pag 799.

 

[xvi]

                  [xvi]Robert Lévy, “Seminario I, Névrose, psychose, perversion, ultime bastion contre l’exclucsion du sujet de l’inconscient ou psychopathologie désuète?,  sept 2015, pag. 7.

 

[xvii]

                  [xvii] Alfredo Eidelsztein, “Les structures cliniques à partir de Lacan”, Vol 1, Ed. Letra Viva, 2001, pág. 57.

 

[xviii]

                  [xviii]Roberto Mazzuca, op. cit., pag. 22 et suivantes.

 

[xix]

                  [xix]Lacan, cité par NestorBraunstein, op. cit., pag. 49.

 

[xx]

                  [xx]E. Van Morlegan, in Robert Lévy, op. cit., pag. 8.

DISCUSSION  Laurent Ballery

Dans cette réflexion qui articule science et psychanalyse au sujet des structures, vous proposez donc de passer de la formulation « la psychanalyse est-elle une science ? » à «  y a-t-il de la science dans la psychanalyse ? », ce qui paraît très astucieux car cela permet, d’une part, d’éviter l’écueil consistant à placer la psychanalyse en miroir avec la psychanalyse – vous dites à cet égard que la poésie, les néologismes, le cinéma, et l’on pourrait ajouter les arts en général, contribuent tout autant  à nourrir l’élaboration théorique de la psychanalyse – et, d’autre part, d’éviter de séparer de façon absurde la théorie analytique, censée être davantage justiciable de critères scientifiques, de la pratique analytique réputée irrémédiablement perdue pour la science, puisqu’elle se situe du côté de la subjectivité.

            Mais malgré tout vous remarquez qu’il y a, dans ce débat sur la distinction théorie/pratique, quelque chose qui achoppe en permanence et ce, quelle que soit la façon dont on l’articule, puisqu’il peut avoir lieu dans la tête du psychanalyste lui-même, indépendamment de la question de la scientificité, lorsqu’il fait le constat de l’écart qu’il y a  entre ce qui se passe dans sa pratique, seul avec son savoir inconscient, et ce qu’il en élabore dans ses écrits théoriques.

            Vous dites d’ailleurs que cette butée répétitive porte l’empreinte du fondateur de la notion moderne du sujet, dont a hérité la psychanalyse (à cet égard je trouve remarquable le panorama que vous retracez de la notion antique d’âme à la notion moderne de sujet car on comprend alors mieux le problème) : Descartes en effet est face à ce même dilemme au sujet du doute qui est en même temps la seule chose dont il peut être certain.

 

            On peut alors se demander si cette façon de buter de façon répétitive et symptomatique sur cette articulation entre théorie et pratique n’est pas liée indissolublement à notre structure de sujet divisé, telle que Lacan la théorise à travers le « ou » du vel de l’aliénation et l’aphanisis de sorte qu’en apparaissant du côté de l’Autre comme sens, le sujet disparaît de l’autre côté comme être, qu’il ne peut être à la fois l’un et l’autre, ni
l’un ou l’autre, mais pas l’un sans l’autre. Ainsi ne peut-on être à la fois dans l’acte de la pratique et dans la théorisation de son acte après-coup, ni dans l’une à l’exclusion de l’autre- comme certains se prévalent d’être meilleurs psychanalystes selon qu’ils seraient davantage théoriciens ou davantage clinicien -, car l’une ne va pas sans l’autre. C’est sur ce pas-sans, me  semble-t-il, que la question s’articule et je ne suis pas sûr qu’en privilégiant la formulation « y a-t-il de la science dans la psychanalyse ? » on échappe finalement davantage au dilemme. C’est un premier point.

 

            Car en effet le hiatus entre science et psychanalyse porte, comme vous le dites, sur la conception de l’objet et du savoir, donc du sujet. D’ailleurs il est intéressant de noter que c’est au sujet de l’angoisse – phénomène qui devrait interpeller la science dans sa recherche de la vérité, de la certitude, ou encore du réel, puisque Lacan la définit comme « ce qui ne trompe pas » (à la différence du malin génie de Descartes qui, lui, trompe) -, c’est au sujet de l’angoisse donc que Lacan est amené à réviser la conception que l’on sait de l’objet en psychanalyse. Si effectivement, parce que le sujet est l’effet du signifiant, l’objet est irrémédiablement perdu, alors c’est tout le rapport du sujet au savoir, à la représentation, à l’objet tel qu’il est conçu par la science, qui est subverti. Le sujet de l’inconscient ne peut se saisir lui-même dans une représentation sinon sous la forme aliénante ou fantasmatique du moi. Mais le je n’est pas le moi, comme on le sait.

 

            La théorie de la connaissance, au sens de la science, est soutenue par cette conception d’un sujet non divisé. Alors, même si des nuances s’imposent, on peut dire qu’avec la science, on reste dans le monde de la représentation, de la Weltanschaaung, qui peut tout à fait voisiner avec l’imaginaire, puisque pour la psychanalyse l’objet est de toute façon à jamais perdu.

           

            Vous avez donc raison de faire remarquer que la psychanalyse accomplit finalement jusqu’au bout, et plus que la science elle-même, le projet de la Modernité née au XVII ème siècle. Si Descartes rompt en effet les amarres d’une relation transcendante du sujet à Dieu, si son « Je pense » est irréductible à la conscience de soi, au moi, la psychanalyse, plus que la science, en a tiré les conséquences en soutenant que le moi est du côté de l’imaginaire, et dégageant ainsi la dimension du sujet. Quant à la vérité, affranchie désormais de toute relation à la transcendance et à l’universalité, la psychanalyse ne peut la loger hors de la singularité de chaque sujet. Alors peut-on dire que la psychanalyse, sommée plus que jamais aujourd’hui de faire la preuve de sa scientificité, est paradoxalement davantage l’héritière de la science moderne ?

 

            Si en effet il ne peut y avoir de sujet de l’inconscient sans le sujet de la science, on constate qu’à l’inverse de la science, la psychanalyse, moyennant une conception subversive, a pu maintenir la notion de sujet. Une des conséquences en effet de cette conception d’un sujet non divisé est d’avoir abouti à la destruction de la notion de sujet : en se saisissant comme moi connaissant, lui-même susceptible d’une représentation scientifique, la science a donné lieu en l’occurrence à l’essor des neurosciences, du cognitivisme dont une des conséquences a été d’évacuer la dimension même du sujet : le paradigme du logiciel informatique est venu modéliser la vie psychique débarrassée désormais du fantasme, du désir, de l’inconscient.

 

            Ce n’est donc pas un vain mot d’évoquer l’idée d’une science des structures comme dernier bastion contre l’exclusion du sujet de l’inconscient. Que devient en effet la psychopathologie prise dans les rets d’une telle conception d’un sujet indivis ? Car il s’agit alors de déceler les divers « dys »-fonctionnements du patient, dont les symptômes, parce qu’ils ne sont plus référés à la structure signifiante, sont perçus comme des signes dont il faut chercher le sens, favorisant ainsi pour le sujet, toute les identifications aliénantes  et préparant sa soumission aux divers thérapeutiques rééducatives : en témoigne la fréquence avec laquelle on rencontre de nos jours des patients se présentant eux-mêmes comme « bi-polaires », « dyslexiques » et même « autistes Asperger ».

        On ne mesure peut-être pas assez la révolution que la psychanalyse a introduite dans l’univers de la représentation hérité de la philosophie – représentation toujours porteuse d’idéaux imaginaires, aliénants, totalisants, voire totalitaires – laquelle,  en promouvant la conception d’un sujet réduit à n’être plus que l’effet du signifiant, rompt précisément avec le paradigme de la représentation et de la signification. Mais dire cela ne signifie-t-il pas qu’avant même d’être une science des structures – névrose, psychose, perversion -, la psychanalyse est d’abord la science du sujet en tant qu’effet de la structure signifiante, puisque l’inconscient est structuré comme un langage ?

 Dire en ce sens qu’une science des structures serait le dernier bastion contre l’exclusion du sujet de l’inconscient, fait de la psychanalyse, à tout le moins, un instrument critique face à la façon dont la science conçoit et traite le sujet, notamment du fait de son articulation avec le discours du capitaliste et de ses effets de normativité dans le champ du bio-politique.

            Mais si sa critique peut avoir des effets, c’est parce que la pratique analytique a un caractère efficient eu égard à tout ce qui permet au sujet de se libérer des identifications aliénantes, et ce dans la mesure même où elle renonce à la dimension de la représentation, du sens et de la signification, au profit de la seule logique du signifiant. Or seule cette optique permet que du sujet advienne. Ne pourrait-on dire alors que la psychanalyse n’est scientifique que de surcroît, que sa scientificité n’est qu’un effet de l’éthique du sujet qu’elle est d’abord et avant tout ?

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