Guy Le Gauffey "Hiatus sexuali" par Brigitte Hamon

« Hiatus sexualis ». Le titre de l’ouvrage de Guy Le Gaufey provoque le lecteur à sa lecture au sens où l’on peut y aborder la question du réel sexuel à travers un jeu de connaissances savantes qui relèvent de champs aussi divers que l’histoire, la psychanalyse et la théologie. Nombreux y sont les textes de référence dans ces domaines, et qui contribuent à la construction même du texte de l’auteur, sa lecture des élaborations de Lacan sur « l’impossible rapport ».

Après un chapitre introductif éclairant « la lente éclosion des « Il n’y a pas … », Guy Le Gaufey renouvelle en le reprenant un moment déterminant dans l’évolution de la théorie de Freud, dans l’évolution des Trois essais sur la théorie du sexuel. Après avoir posé la pulsion comme auto-érotique, sans objet, dans la version de 1905 de ce texte, Freud la caractérise d’être « non centrée ». Guy Le Gaufey retiendra cette nouvelle acception comme étant sur le seuil de désolidariser le couple homme/femme. Freud aura, en 1905, repoussé l’idée de l’existence d’un instinct qui orienterait le garçon ou la fille vers un objet prédéterminé au titre d’objet sexuel global et génital. Il s’agit alors des « aberrations sexuelles », terme de Freud, probablement inspiré, comme le pense Le Gaufey, par le contexte de la psychiatrie de l’époque.

Un chapitre de l’ouvrage est consacré à l’œuvre de Paul Moreau ainsi que d’autres psychiatres, dans un XIXème siècle qui se passionne pour l’ « instinct génésique », notion refusée par Freud. Guy Le Gaufey cite un passage évocateur concernant les croyances en cours : « L’existence d’un type primitif que l’esprit humain se plaît à considérer dans sa pensée comme le chef d’œuvre et le résumé de la création ». L’hérédité est bientôt invoquée dans ses liens à la folie, au thème de la dégénérescence. Les mouvements d’idées dont le récit nous est proposé auront mis en place une partition « qui va séparer, d’un côté la médecine, le savoir, la sicnece et le pouvoir bourgeois défenseur de la morale avec ou sans la religion, et de l’autre côté les fous les pervers, les déviants […] ». L’idée de norme liée à la nature, au « contre nature », justifiera bientôt le terme d’ « aberration ».

Guy Le Gaufey nous propose alors un détour par la théologie morale sur la question de la sodomie, invention qui, par le biais des luttes de pouvoir à même les conceptions religieuses et les croyances, sera devenue un péché à travers la réforme grégorienne, en ce qu’elle caractèrise celui qui rompt avec la nature, et donc avec Dieu.
À travers une extraordinaire illustration de la manière dont les usages langagiers ont été en jeu dans les différentes époques qu’il évoque, l’auteur nous fait percevoir la prévalence accordée non seulement à l’impératif de la sexualité conçue comme reproductrice mais surtout à l’exclusion d’une échappée incontrôlable qui romprait avec l’ordre humain – telle que la sodomie est considérée – dans les mythologies en cours, la théologie morale et la psychiatrie du XIXème siècle.
Par le biais du terme de jouissance, tel que « lancé » par Lacan, l’ouvrage paraît s’orienter alors vers les voies que celui-ci a empruntées pour renouveler l’usage de ce terme, non sans sa référence à l' »au-delà du principe de plaisir » freudien. Néanmoins, il sera surtout question de l’impossible écriture due rapport sexuel.

Il est alors annoncé au lecteur un retour à l’incommensurable. Ce chapitre nous a paru rassembler de manière éloquente les points critiques que Lacan a voulu ne plus éviter en faisant entendre à l’auditoire de son séminaire, le 12 avril 1967, que « Le grand secret de la psychanalyse, c’est qu’il n’y a pas de rapport sexuel ». Il a en effet, au fil du séminaire « La logique du fantasme », procédé de manière empirique à une articulation de termes pour rendre compte de ce qu’il en est de la répétition impliquée dans l’acte sexuel – a, A, l’Un (l’unité du couple dont le modèle est pour lui l’unité mère-enfant) et 1 – le trait unaire.

L’auteur nous invite à nous interroger sur le recours qu’a fait Lacan aux égalités des mathématiques grecques, les plus surprenantes, dans son approche de l’acte sexuel. Par exemple, le recours au partage en « moyenne et extrême raison » conduit au nombre d’or, terme de logique euclidienne, nombre irrationnel dont les relations à l’Unité, que les mathématiques peuvent écrire, sont telles qu’il n’a pour autant aucun rapport à elle. Guy Le Gaufey situe les usages métaphoriques – souvent analogiques nous semble-t-il – par lesquels Lacan a cherché à décrire ce qui est en jeu dans l’acte sexuel, en quoi sa répétition est inhérente au drame de la subjectivation du sexe.

L’auteur relate un travail itératif, une expérience de discours non pas à l’aveugle mais qui s’attache, au risque de la pléthore, à faire confiner à la science mathématique l’une des grandes questions de la psychanalyse et de la cure. « On est ici dans le désordre du laboratoire où est en train de se forger le ‘il n’y a pas de rapport sexuel’ « . Les raisons d’une telle mise que Guy Le Gaufey reconnaît chez Lacan en sont formelles, qu’elles soient basées sur la logique, ou sur la conviction, sachant que pour celui-ci, il n’y a conjonction sexuelle que lorsqu’il y a « un trois de départ », pas un « deux plus un ». Sont appelés ici les termes « le phallus, l’enfant, le manque, l’objet a » – tout autant de termes que reprend l’auteur en tant qu’ils sont, entre autres, destinés à contrer la perspective d’un rapport sexuel qui serait dicté par la nature entre deux essences – homme et femme – ou tout du moins « conçu », dit l’auteur, « comme le gond qui articule les partenaires de l’acte sexuel ».

À travers bien d’autres rappels d’une dynamique rapide, en particulier sur la question des jouissances et de l’impossibilité d »établir le Un, le lecteur pourra percevoir la lente élaboration de l’assertion lacanienne « Il n’a pas de rapport sexuel », dont Guy Le Gaufey élargit finalement la portée dans la psychanalyse et, nous le pensons, dans la cure en tant qu’elle dévoile, chez l’être parlant, l’incomplétude radicale inhérente au symbolique : « Cet énoncé ne relève pas d’une nouvelle loi scientifique délivrée dans l’approche psychanalytique de l’humain ». Au-delà de passages pleins d’humour, c’est aussi sur la fragilité d’un tel énoncé que l’auteur attirerait notre attention, dans la dépendance du discours où il se produit en toute rigueur.

 

Brigitte Hamon
 

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