Introduction au congrès AF 2016 2017. Robert Lévy
Tout d’abord je voudrais manifester ma joie à constater que nous célébrons notre 25ème anniversaire et que notre association, après nombre de péripéties et de difficultés a su s’adapter aux nécessités auxquelles la psychanalyse et sa formation la convoque.
La convoque toujours plus dans une relation aux quelques autres pris un par un mais aussi aux quelques autres associations dont Analyse Freudienne a considérée devoir participer tels que l’inter associatif européen de psychanalyse, Convergencia mouvement lacanien pour la psychanalyse Freudienne et également le groupe de contact qui a été à nouveau très actif depuis peu.
Ces quelques autres sans lesquels nous ne saurions nous autoriser sont également à entendre comme quelques autres langues dont je salue cette année la nouveauté de l’arrivée à notre congrès puisque après l’espagnol qui regroupe une partie importante de nos membres tant espagnols , qu’argentins ou chiliens , s’est adjointe l’anglais depuis l’année dernière avec la participation de nos collègues irlandaises que je salue chaleureusement et depuis peu l’italien puisque nous avons l’honneur d’accueillir cette année des collègues italiens .
25 années donc qui ont vu se développer nos activités nombreuses et variées dans les différents pays accueillant les différentes langues dont je viens d’évoquer la présence par l’intermédiaire de leurs représentants dont bon nombre sont aujourd’hui présents.
Bien sûr, on pourrait entendre cet ‘état de l’union ‘ comme une sorte de volonté d’hégémonie de notre association à la conquête de nouveaux territoires.
Je crois que ce serait passer à côté de l’essentiel, à savoir le souci de l’autre dans sa différence ; ce souci de l’irréductible singularité que nous avons dans cette association qui nous a mené notamment à envisager un dispositif original d’accueil aux personnes en grande difficulté.
Ce souci de l’autre je crois que c’est une façon de dire quelque chose de la psychanalyse que certains prétendent actuellement comme frappée d’une certaine obsolescence mais qui , dans sa façon de vouloir l’exclure ,exclue du même acte le sujet.
Les récentes luttes autour de l’Autisme et maintenant des TDAH en témoignent et nous obligent à préciser quelle clinique nous souhaitons soutenir pour la psychanalyse.
En effet il n’y a pas de jour où l’on ne vante les miracles de la prise en charge scientifique bio comportementale ; dont la Ritaline est aujourd’hui le fleuron de l’intérêt des laboratoires pharmaceutiques soutenus par bon nombre d’associations de parents qui semblent faire la pluie et le beau temps dans les hautes sphères de nos gouvernants .
C’est une donnée qui oblige également la psychanalyse et les psychanalystes à ne pas se tenir en dehors des recherches et débats scientifiques actuels car ce débat est aussi et avant tout un débat politique à l’égard de la conception que nous avons du sujet.
Le sujet c’est bien celui qui se représente par un signifiant pour un autre qui, par conséquent, ne peut se travailler, pour ne pas dire se maintenir, que pour autant que l’on fasse fonctionner la ‘lalangue’, la ‘leslangues’ ; d’où le grand intérêt et la grande originalité d’AF à l’égard du travail dans différentes langues.
Ce n’est donc pas l’effet du hasard si au cours de ces 25 dernières années nous avons pu développer un séminaire d’Analyse Freudienne à Paris bien sûr et dans certaines provinces, à Madrid, Buenos Aires, Valparaiso mais également depuis peu à Dublin et l’année qui vient en Italie. Ainsi faire fonctionner la ‘leslangues’ c’est le pari pour notre association de maintenir et défendre la dimension du sujet dans toutes ses difficultés. En effet ce n’est pas simple et parfois un peu chaotique, il faut bien le dire, de fonctionner dans plusieurs langues traduites ; souvent avec des problèmes techniques très importants, des détails de précision de traduction.
Mais cet effort se révèle toujours fructueux du point de vue de ce que l’on peut nommer la défense du sujet de l’inconscient.
En effet cet apparent chaos n’est autre, en fait, que celui du sujet ; il s’échappe d’un signifiant à l’autre, d’une langue à l’autre. .
Ce n’est d’ailleurs pas une mince affaire que celle d’ouvrir notre pensée et notre travail dans plusieurs langues puisque cela nous mène souvent à frôler les frontières de ce que chacun appelle pudiquement ‘sa’ différence, ‘ses’ différences qui sont toujours soutenues par les tenants de la soi-disant ‘culture locale’ qui échapperait à l’inconscient.
Force est de constater, en tout cas c’est la thèse que nous soutenons, qu’il n’y a pas d’inconscient anglais, juif ou sud-américain mais il Ya de l’inconscient face à un réel spécifique à chaque un, bouts de réel donc que l’on ne saurait assimiler à un réel universel qui serait celui de chaque culture, avec le risque dans ce cas de renvoyer l’inconscient à un inconscient collectif.
Je crois donc que c’est dans ce paradoxe entre l’irréductible singularité de chaque langue et la franche opposition à un réel universel que nous soutenons depuis 25 ans le projet d’une association de la formation à la psychanalyse.
D’ où une certaine forme de cohérence avec le fait qu’il n’y a à Analyse Freudienne qu’une seule catégorie de membres, qu’il soit d’un pays ou d’un autre d’une langue ou d’une autre ou enfin d’un parcours personnel ou d’un autre .
Bien entendu cela ne signifie pas que les membres d’AF soient tous égaux ou semblables, ou encore qu’il n’y aurait pas des parcours différents dans la structure mais en tout cas ce qui fait hiérarchie si elle existe n’est pas du ressort du gradus mais du discours analytique dont chaque membre a la responsabilité à un moment ou à un autre et d’une façon qui ne peut jamais être définitive.
C’est en ce sens que je comprendrais aujourd’hui cet aphorisme qui nous a fondés ‘l’institution si elle existe n’est autre que la cure elle-même ‘ .
Ce n’est sans doute pas non plus un hasard si le congrès qui scande nos 25 ans a pour thème ‘la cura, cura’ puisque ce concept de guérison est essentiel au paradoxe que la psychanalyse soutient dans la sauvegarde de la dimension du sujet de l’inconscient à une époque où tout le monde, enfin en particulier le monde régi par le discours du capitalisme, semble si bien pouvoir s’en passer.
Nous sommes aujourd’hui face à une transformation anthropologique sans précédent au cours de laquelle les questions de guérison ne vont plus pouvoir se poser en termes du meilleur médicament ou encore de la meilleure thérapie adapté à tel ou tel symptôme mais dorénavant en termes de comment grâce à l’homme augmenté ‘ nous allons pouvoir faire en sorte que le symptôme lui-même n’existe pas.
Un changement donc fondamental des façons d’envisager le concept même de soin, la cura, qui, grâce aux hybridations homme –machine vont pouvoir déprogrammer initialement toute forme de symptôme.
Dès lors ce n’est pas la psychanalyse qui deviendra obsolète mais toute forme de soin qui se situerait en termes de guérison puisqu’il ne s’agira plus de guérir mais d’empêcher que toute forme de maladie apparaisse en sachant que notre principale maladie c’est la mort. Le terme de soin ou de cure deviendra donc simplement obsolète.
Mais dans tous les cas c’est le réel, c’est-à-dire ce qui jusqu’alors n’était pas pensable qui recule ou pour le moins se déplace. En ce sens, l’analyse des progrès de la science se distingue de celle de la progression de la technique.
Afin de parvenir à ce but, il faut améliorer les capacités humaines, soit en jouant directement sur la biologie, soit par hybridation, ou encore par fusion homme machine. L’essentiel de l’économie capitaliste est de multiplier les objets sans jamais se préoccuper de la dimension éthique.
Pour certains transhumanistes , l’humanité grâce aux technosciences se dirige vers une post humanité supérieure. Ray Kurrzweil travaille à l‘avènement d’un post humain qui transcende la biologie, post humain dont l’intelligence artificielle surpasserait la nôtre, grâce à cette nouvelle ‘singularité ‘ qui
« Baignera l’univers d’une intelligence détachée de ses origines biologiques et du cerveau humain ».
Par conséquent, la confusion règne entre les qualités d’un sujet et ses performances dans ce monde où tout devient objet d’évaluation.
Il y a quelques temps le Dr Laurent Alexandre, un de nos grands transhumanistes affirmait à la radio que « la démocratie ne pourra survivre à des écarts de QI. La sécurité sociale devra rembourser des opérations pour augmenter le cerveau ».
Existe-t-il un fanatisme religieux si puissant qu’il puisse proposer de transformer les corps pour correspondre au nouvel ordre qu’il met en place ? Voici donc posé le nouvel intégrisme auquel la psychanalyse devra faire face si elle veut survivre.
Loin de toute position de défiance et encore moins de technophobie, il s’agit maintenant de comprendre comment la technologie a occupé la place laissée vacante par les utopies dévastées, la place laissée vacante par le discours du maître et pas du tout par celle soi-disant déclinante du père …Mais de nouvelles prophéties sont déjà à l‘œuvre, et nous annoncent un monde incroyable dans lequel le sujet a déjà disparu comme souci de soi ou de l’autre.
Nous pourrons donc voir dans l’obscurité, entendre à distance et télécharger de nouvelles compétences ; enfin récupérer nos souvenirs perdus et surtout les modifier en les reprogrammant.
On pourra donc traiter nos états dépressifs, voire même les prédire, moduler notre conscience à volonté et nos affects, grâce à un électroaimant qui, à l’aide d’une stimulation magnétique transcranienne, activera les neurones du cortex préfrontal …
Si tout acte n’est plus rien d’autre que la conséquence d’une chaine physiologique avec des processus surdéterminés, alors il n’existera plus de lieu pour concevoir l’acte d’un sujet comme fruit de sa singularité. L’irréductible singularité de l’acte disparaîtra elle-même avec le sujet …
Cette fois, une singularité nouvelle, technologique cette fois, qui nous est présentée comme inéluctable, ne laissera plus à l’homme la possibilité de choisir, décider et agir. On pourra alors satisfaire instantanément tout désir ; seul un temps linéaire pourra être maintenu, sans futur donc.
Il faut bien entendre que pour bon nombre de chercheurs en neurosciences, le sentiment d’être soi est une illusion créée par le cerveau qui n’a pas de réalité en elle-même. C’est à travers des ‘imperfections’ qu’il faudrait maintenant entendre notre subjectivité.
La notion de ‘dérèglement’ se réduit alors au résultat des dérèglements d’un organe dont le fonctionnement s’appuie sur des lois simples et physiques.
Dès lors, le sujet n’existe plus que comme dislocation de ses parties en diverses fonctions cérébrales.
Les conséquences en sont que le sujet, l’individu plus exactement, mu par l’intérêt que lui suggère le discours du capitaliste se laisse entrainer vers une forme particulière d’individualisme dans un univers de réseaux et de projets. l’individu est ainsi présenté comme indépendant de tout lien social et n’a d’autre loi que lui-même et celle du marché ; engendré par la rationalité et l’appât du gain.
Cette errance du sujet implique de nouvelles formes de consentement liées à la subordination qui suposent également des formes de résistance que l’on peut repérer à travers l’apparition des pathologies mentales et psychosomatiques en rapport avec le travail ; dont la plus connue actuellement est le burn out.
Par conséquent si la ‘cura, cura’ ce n’est que dans la mesure où elle est permet de toucher
« Cet oxymoron (servitude volontaire) qui désigne un état pathologique résultant d’un désir paradoxal d’asservissement de soi. Il est le fondement et l’aboutissement d’un lien tyrannique et se traduit par un rapport d’autodestruction de la subjectivité et du principe éthique d’humanité »[1]
Je vous souhaite donc un bon congrès
[1] Nicolas Chaignot LA SERVITUDE VOLONTAIRE AUJOURD’HUI puf 2012 P.129