Jean Claude Milner "Pour une politique des êtres parlants" par Laurent Ballery
S’interroger sur la manière dont les analystes peuvent prendre la parole dans le débat public et à quel titre, ne revient pas seulement à questionnner ce qu’est le discours de l’analyste, mais aussi ce qu’est la politique aujourd’hui. Pourquoi l’analyste se sent-il en effet interpellé par les questions politiques? Qu’a-t-il à en dire si tel est tant qu’il ait à en dire quelque chose ? Inversement, a-t-il même le choix de ne rien en dire ? Serait-ce parce que le psychanalyste est intimement interpellé par la question de la parole qu’il se sent particulièrement concerné par le cas qui en est fait aujourd’hui dans la Cité ? Or précisément, c’est à réfléchir sur le lien existant entre parole et politique que Jean-Claude Milner nous invite à travers son livre intitulé « Pour une politique des êtres parlants « , qui est tout autant une réflexion sur ce que pourrait être aujourd’hui une politique du sujet. De toute évidence, sur ces questions, psychanalyse et politique s’articulent.
Pour Milner en effet, il est important de ne pas ignorer plus longtemps l’importante mutation qu’a subi le lien entre parole et politique depuis la Révolution Française, dont l’une des conséquences est la naissance d’une forme nouvelle de discours : la discussion politique. Cette dernière donne l’illusion à celui qui parle politique, comme à ceux qui l’écoutent, d’être en place de décideur.
Or c’est une véritable imposture conduisant le citoyen à une réelle impuissance. Ce d’autant plus qu’une des racines de cette dite Révolution a rendu possible l’extension de la marchandisation considérant et traitant les êtres parlants en choses substituables les unes aux autres et évaluables, les soumettant à de nouvelles formes de contrôle et de subordination.
Il est donc urgent de sortir de l’ère de la discussion politique pour retrouver une véritable parole politique. Pour autant, il est illusoire de penser renouer avec le lien que les grecs établissaient entre parole et politique. La Révolution a rendu inadéquat ce parler face aux réalités de la modernité et ce, de manière irréversible. Il y a donc à en tenir compte pour réfléchir à ce que pourrait être aujourd’hui un parler politique redonnant à l’homme son vrai statut de sujet.
C’est ce que se propose de faire Jean-Claude Milner dans Pour une politique des êtres parlants, dont nous suivrons ici la trame, en le mettant en lien avec le livre qui le précède et dont il est le prolongement logique, La politique des choses (2). Afin d’en éclairer les articulations essentielles, nous exposerons aussi les propos développés dans Constats (3) et Clartés de Tout (4).
Du monde clos à l’univers infini : quand le nom de Révolution fait son entrée dans le domaine politique.
Ce qui sépare la politique grecque de la politique moderne, c’est la découverte galiléenne et ses conséquences : l’affirmation d’un univers infini et donc illimité. Si la politique au sens grec a toujours été élaborée à l’horizon d’un monde clos (5), la découverte d’un univers illimité ne pouvait pas être sans conséquence sur la pensée politique elle-même, rupture plus ou moins pensée, voire dissimulée par les penseurs eux-mêmes(6) .
Le mot révolution ouvre en effet la langue politique à la modernité(7) . S’il est inconnu des grecs dans le registre politique, il l’est en revanche dans le domaine de l’astronomie : la révolution des astres désigne le retour au point de départ et a à voir avec ce qui se répète de manière immuable. La révolution politique entend au contraire ouvrir une ère nouvelle, aux antipodes de la répétition du passé, au point parfois d’avoir l’ambition d’en faire table rase. Si, sur le plan de l’action politique, les grecs ignorent le mot révolution, en revanche, ils connaissent celui de rébellion. Mais précisément, ce dernier ne peut faire partie du domaine politique. La rébellion est soit un acte singulier, soit un acte collectif. En tant qu’acte singulier il reste isolé, étranger à la pensée dont il ne peut donc prétendre être la traduction effective (à la différence de ce que considéreront les révolutionnaires depuis 1789). Collectivement, elle est irrecevable car « les effets matériels de la pensée ne trouvaient leur accomplissement légitime qu’en un ordre, une forme stable – une constitution. »(8)
Dire que la politique au sens grec s’inscrit dans un cosmos, un monde clos, ne signifie pas seulement que l’homme y occupe une place privilégiée dans la mesure où la terre est considérée comme le centre de l’univers, ni qu’en dehors de la Cité l’homme est : « soit un être dégradé soit un être surhumain. »(9) La sphère politique grecque s’inscrit en effet dans l’horizon du fini au sens de la finitude que constitue la mort – ce qui distingue d’ailleurs les hommes des dieux -. Comme le rappelle Milner – qui critique ici la pensée politique maoïste qui méprisait ceux qui préféraient la vie à la révolution – : « la survie est l’axiome fondateur de toute politique possible (10) ».
Or qu’est-ce que l’univers galiléen ? Un univers infini, autrement dit qui n’admet pas de limite extérieure (à la différence du monde clos des grecs) ; un univers dans lequel les effets matériels n’ont que des causes matérielles (11).
Le synchronisme entres galiléisme et Révolution Française donne naissance à une nouvelle conception de la politique, irréductible à celle des grecs : il ouvre le domaine de l’action à la dimension de l’infini et de l’illimité sous la forme de ce que Milner appelle la conjonction(12) .
La politique et l’éthique du maximum : la conjonction de la pensée et de l’action
La conjonction concerne au premier chef le lien entre la pensée et la matière. D’après les Classiques, les grecs ont établi un lien entre la politique et le fait qu’elle avait des effets matériels : une pensée n’est appréciée ou dépréciée qu’au regard de ses effets matériels(13) . Ces derniers cependant ont toujours tenu qu’il existait un écart irréductible entre eux(14) . En renversant la monarchie – dit Milner – « l’effectivité de la politique fait son retour » et établit la conjonction entre politique et effectuation matérielle de la pensée. Ainsi, toute pensée qui n’a pas d’effet matériel n’est pas une pensée aboutie, concrète ; inversement, toute action qui n’est pas la traduction d’une pensée n’est qu’une passion ou une réaction(15) . C’est donc à son caractère d’effectivité que l’on reconnaît que la pensée atteint sa pleine vérité. La Révolution, est donc pensée transformant le monde. Si donc pour les Grecs la rébellion n’est, soit qu’un acte singulier, soit quelque chose d’irrecevable en tant qu’action collective, elle devient la forme même de l’effectuation de la pensée. Désormais une production culturelle (comme une philosophie) ou un événement seront évalués à l’aune de la conjonction et seront ainsi jugés digne d’intérêt ou méprisable selon qu’ils incarnent ou non la conjonction âme-corps (16)
Puisque la pensée et l’action se mesurent désormais par le degré de proximité ou d’éloignement avec un point maximal – celui de la conjonction – la politique se confond désormais avec une éthique du maximum (17) – que Milner oppose au minimalisme politique que nous avons évoqué plus haut et que nous reprendrons -.
On voit donc bien en quoi la pensée de la conjonction qu’incarne la Révolution ne peut que s’inscrire dans l’univers galiléen qui la rend possible : l’illimité de l’univers signifie que rien ne lui est extérieur; de même la pensée sera illimitée dans la mesure où elle ne recontrera aucun obstacle à son effectuation (18) ; si dans l’univers galiléen n’est effectif que ce qui a un effet matériel, alors toute pensée ne sera elle-même effective que si elle trouve à pouvoir se traduire par un effet matériel. Ainsi, comme le dit Milner, si la pensée a un effet matériel et
que depuis Galilée tout effet matériel doit s’inscrire dans l’univers, alors « toute doctrine de l’effectivité de la pensée doit donc dire oui ou non à la science de l’univers » (19)
On voit donc bien le fossé que franchit avec le mot révolution la pensée politique moderne, rendant sa langue – malgré les apparences – inadéquate à celle des Grecs. Elle considère la révolution comme ce qui opère la conjonction même de la pensée et de l’effectivité matérielle(20) .
L’illimité et la mort
Pour les grecs la rébellion entraîne tôt ou tard la mort. Or – et c’est là que le terme de politique minimaliste par opposition à éthique du maximum prend tout son sens – la mort est la limite à ne pas franchir, faute de quoi on tombe dans le domaine du hors-politique. D’une limite qu’a toujours en effet constituée la mort pour le monde clos des grecs, les révolutionnaires de 1789 (et surtout de 1792 avec Robespierre) la constitue comme l’incarnation même de l’illimité dans la mesure où on ne peut pas même reculer devant la mise à mort pour réaliser l’idéal révolutionnaire de liberté et d’égalité. Car toute rébellion inclut la possibilité de la mort. Or si la rébellion est une pensée, alors la mort elle-même n’est pas un néant de pensée. La mort a des propriétés. C’est ce que Mao Tsétoung ramassait dans la phrase suivante : « Tout homme doit mourir un jour, mais toutes les morts n’ont pas la même signification[…]. Mourir pour les intérêts du peuple a plus de poids que le mont Taichan, mais se dépenser au service des fascistes et mourir pour les exploiteurs et les opresseurs a moins de poids qu’une plume. » (21) Ainsi la guerre, comme la Terreur, peuvent s’inscrire dans l’action révolutionnaire.
La réalisation de l’idéal révolutionnaire passe donc logiquement par le mépris des corps : la Terreur en devient le moyen inévitable, voire une fin en soi. Ce faisant, la Révolution « produit l’événément le plus hétérogène qui soit à la politique » puisque la mort du corps est en même temps abolition de la parole. En revendiquant la Terreur comme instrument, voire comme fin de l’action politique, elle fait entrer le hors-politique, dans la politique : « La Terreur est le hors-politique par excellence, dans la mesure exacte où rien par elle ne se parle. »(22) .
A cet égard, le maoïsme s’inscrit dans la même logique. La Révolution Chinoise est une révolution culturelle dans la mesure où elle tente d’éradiquer toute culture ayant eu cours jusque-là en Chine. Elle refuse en effet toute limite qu’une culture puisse lui donner » (23) Or toute culture est fondée sur la survie. Donc la vie est l’obstacle par excellence à l’effectuation de la Révolution. Tout homme qui pense à sa vie avant de penser à la Révolution – dit le maoïsme -, est contre-révolutionnaire. Il ne s’agit pas de l’éthique classique de la Révolution Française – donner sa vie pour la révolution – car dans ce cas, s’il s’agit de sacrifier sa vie pour la révolution, il n’en demeure pas moins que la vie reste une valeur. Dans le slogan « la Révolution ou la mort », il s’agit de ne pas accepter de vivre si l’on n’est pas libre. Dans la Révolution Chinoise au contraire, le seul fait de penser à sa vie est un obstacle à la Révolution Culturelle(24) .
Dans les pays anglo-saxons, la conjonction entre le limité et l’illimité a pris la forme de la marchandise (25). Tout peut être ainsi transformé à l’infini en marchandise, et tout ce qui s’oppose aux lois du marché doit être éliminé. Cette traduction de l’illimité sous la forme marchandise est ce qui donne lieu à « la politique des choses » que l’on connaît de manière sensible sous la forme qu’est la mode envahissante de l’évaluation – sur laquelle nous reviendrons après (26).
Pour l’auteur donc, le prestige dont jouit la Révolution Française provient de ce qu’elle suscite à propos de la politique les paradoxes de la limite et du sans-limite : limite de langue confrontée au sans-limite du projet révolutionnaire. En inscrivant l’illimité dans la politique, elle constitue une rupture dans l’histoire politique que les Révolutionnaires eux-mêmes ont échoué à penser faute d’avoir le vocabulaire politique adéquat pour la parler. Ainsi : « jamais elle n’a su bien dire les ruptures qu’elle opérait »(27) .
Comment donc, s’interroge Milner, la Révolution Française a-t-elle pu faire surgir un parler politique nouveau – la discussion politique – puisqu’elle est restée attachée au limité de la parole grecque tout en ayant un projet illimité ? Autrement dit, comment le passage du hors-politique à la discussion politique a-t-elle été possible ? (28)
Milner s’interroge donc au tour nouveau que prend le lien entre parole et politique depuis la Révolution Française. Sa thèse est que ce lien est désormais fondé sur la mimétique constitutive de la discussion politique dont l’auteur fait de sa généalogie le thème central de son ouvrage intitulé Pour une politique des êtres parlants.
Naissance de la discussion politique
Aujourd’hui en effet parler politique prend la forme de la discussion politique (29). Cette dernière, à la différence du parler politique qui peut engendrer le risque de la mort, peut s’apparenter à un art de la conversation, voire à un bavardage, discussion « sans conclusion logique ni conséquence de fait » (30) Ainsi prend-on trop souvent à tort l’indifférence à la discussion politique pour une indifférence à la politique.
Milner fait remonter l’avènement de la forme discussion politique à Napoléon 1er qui proclame le 15 décembre 1799 en tant que premier Consul de la République : « La révolution est finie » (31) signifiant par-là que la Révolution qui a visé l’illimité – notamment par le biais de la Terreur et de la mort – se conclut sur le retour au fini. La politique moderne naîtrait ainsi de cette formule que Goethe a retranscrite de sa rencontre avec Napoléon à Erfurt le 2 octobre 1808 : « Que nous importe aujourd’hui le destin ? Le destin, c’est la politique. » (32)
La discussion politique est donc la nouvelle forme du parler politique au sortir de la Révolution, en rupture avec l’Antiquité. En effet, chez les Grecs, ce qui « présentait à la parole publique, sous les espèces du destin, l’instance qui, aux yeux de chacun, maîtrise les destinées de chacun » est la tragédie.(33) Dans la société moderne, via Les Lumières et la Révolution, cette instance est laïcisée, sécularisée : le destin devient la politique elle-même. Autrement dit Napoléon inverse le rapport aristotélicien entre la poétique et la politique(34) . La poétique n’explique plus le théâtre mais la politique (ce qui annonce Brecht). Dit autrement, la politique « absorbe la fonction qu’assurait naguère la tragédie » et en ce sens s’esthétise (Walter Benjamin). La politique devient l’analogue de la tragédie antique : discours du destin. Comme elle, elle peut être considérée comme une œuvre avec un début, un milieu et une fin, scandée par des péripéties dans laquelle, le peuple se donne à lui-même une représentation de lui-même(35) . « Stricte mise en analogie » du théâtre et de la politique, il n’y a plus d’hommes politiques, mais des personnages, des actions, une scène, une œuvre politique et même des spectateurs : on n’applaudit plus, mais on prend parti. » (36)
Et le plus grave gît là : en se substituant au théâtre, la politique fait du crime – qui ressortissait jusque-là à la tragédie et au destin – une faute ou une erreur de calcul : elle devient un « épisode » politique. En déclarant que la Révolution est finie, Napoléon la réinscrit dans la politique. En faisant d’un crime une faute il « arraisonne » le hors-politique. Cette domestication se traduit doublement : soit sous la forme de la judiciarisation de la mise à mort (à l’issue d’un procès ou de sa parodie), soit par la guerre (les cadavres qu’
elle laisse sont alors tenus pour quantité négligeable). Comme le conclut Milner, avec Napoléon, le hors-politique est réhabilité dans la politique et ne « la rongera plus de l’intérieur »(37) . Sa visée n’a donc été ni de rendre la parole à la politique, ni la survie.
En substituant la politique au destin et donc au théâtre antique, le lien entre parole et politique change fondamentalement : la discussion politique repose désormais sur une mimétique. La mimétique est la forme moderne de la mimésis du théâtre antique tragique. Cette dernière était fondée sur la catharsis reposant elle-même sur la possibilité de s’identifier au passions mises en scène pour mieux les expurger, cela d’autant plus que l’on sait que l’on n’est pas soi-même l’acteur tout en partageant avec lui des passions communes(38) .
Les idéaux de la Révolution Française, parce qu’ils rendent les hommes « semblables et égaux » (39), favorisent par là le mimétisme : que l’on soit gouvernant ou gouverné, l’on partage la qualité d’être citoyen tous égaux au regard de la loi. Cette homogénéité forme un tout.
Mais ce Tout qu’est la politique – que Milner proposera de pourfendre en proposant l’idée d’une politique du fragment afin de sortir de la discussion politique – transcende pour ainsi dire gouvernants et gouvernés qu’elle englobe dans sa totalité. Si la politique est une figure du Tout, alors tout est politique. C’est ce qu’exprime l’éthique du maximum : tout est politique car rien n’est extérieur à la politique en vertu de l’axiome de la conjonction entre la pensée et son effectivité, tel que le galiléisme en permet l’émergence.
L’idée d’un Tout fait en même temps apparaître l’objet de la politique comme étant au même titre – mais pas au même degré – éloigné des gouvernants et des gouvernés. En vertu en effet de l’axiome de la conjonction, ce Tout n’est réalisé que lorsque la pensée atteint son maximum d’effectivité, ce qui repousse toujours plus loin dans l’horizon politique le point ou s’effectue cette conjonction. Cet éloignement du point politique permet de le saisir comme un Tout et ce faisant, le rend visible (rien ne nous est en effet visible s’il ne nous est pas d’une manière ou d’une autre extérieur). C’est en ce sens que l’expression révolutionnaire « changer le monde » devient possible, expression qui témoigne de son inscription dans « le registre du visible » (40).
Dans le nouvel idiome politique issu de la Révolution Française, tel que Napoléon entend y mettre fin, il y a donc un lien étroit entre « éloignement, visibilité » et mimétisme(41) . L’éloignement est en effet comblé imaginairement par la mimétique : « l’individu moderne sait qu’il n’a pas part directement à la politique sauf dans la dimension du semblant. Quand il n’est pas en position de commander, il lui faut parler comme s’il décidait de tout en son moindre détail »(42) Mais l’inverse est vrai aussi : « si le moindre passant se comporte, quand il parle politique, comme s’il était maître de quelque chose », le gouvernant lui-même peut imaginer se mettre à la place du gouverné et l’imiter en ceci qu’il se met sur le même plan que lui en déclarant : « j’obéis à des contraintes plus hautes » (43). C’est cela le véritable fondement de la « société du spectacle » tant décriée par Guy Debors car : « la dimension du spectacle naît dès l’instant que la politique ressortit à l’imitation. » (44)
C’est ainsi que, depuis Napoléon, la mimétique est au fondement de la relation qui s’est établie entre parole et politique, d’où résulte la discussion politique : « en échangeant leurs places, celui qui décide et celui qui ne décide pas ne rencontrent pas de fracture qui brise le mouvement »(45) . Les Modernes s’imaginent ainsi que parler politique, c’est parler comme un qui décide. Toute fracture entre gouvernant et gouverné, de ce point de vue – que certaines politiques tentent de réduire ou de nier comme nous le verrons – est inconcevable, à moins de considérer qu’elle signe la rupture entre parole et politique, réduisant l’être parlant au silence. Tels sont donc les présupposés de la discussion politique moderne.
La politique et l’incommensurable
La politique minimaliste : le corps et la survie
Si Jean-Claude Milner affirme sans cesse qu’il ne faut jamais faire l’impasse sur le fait que, depuis Galilée, la politique s’inscrit désormais à l’horizon d’un univers illimité, il ne souscrit pas néanmoins à l’idée d’une définition maximaliste de la politique. Ses conséquences, en faisant désormais de la mort un moyen, voire une fin de la politique, entrent selon lui en contradiction avec le lien étroit que la politique entretient avec la vie. C’est pourquoi, dès le début de Pour une politique des êtres parlants, Milner affirme l’idée d’une définition minimaliste de la politique (46).
La politique est en effet ce qui se parle. Elle naît même de la découverte qu’il n’est pas besoin de tuer un être parlant pour le faire taire, étant entendu que parler -prendre la parole – implique d’abord d’imposer, l’espace d’un instant, le silence de l’autre (47). Ce qui lie donc intimement et indéfectiblement la parole à la politique est donc l’exclusion, non de la mort, mais de la mise à mort. Il y a donc un lien consubstantiel entre la parole, la politique, et le corps. Car il n’y a pas d’être parlant sans corps : « le corps parlant de l’être parlant »(48) . C’est pourquoi l’assasinat politique peut être considéré comme antinomique de la politique(49) . En dernière instance donc, la survie « est l’axiome fondateur de toute politique possible »(50) – question que remettront en cause, chacun à sa manière la Terreur et le maoïsme -. C’est pourquoi Milner qualifie de « matérialiste » cette définition « minimaliste » de la politique car en dernière instance le corps est l’alpha et l’omega de l’être parlant.(51)
Au-delà de ce point toute considération politique est un égarement(52) . Toute politique qui ne se soucie pas du corps relève d’un idéalisme coupable – dit l’auteur. Ainsi les libertés ne sont qu’une formulation des droits du corps parlant. C’est en ce sens que « la demande de survie est au fondement des droits et des libertés, parce qu’elle est au fondement de la politique. » En effet : « la politique ne consiste pas à se demander pour qui ou pour quoi on doit mourir, mais pour qui ou pour quoi on doit vivre. (53) » La première position renvoie en effet au maoïsme qui dénonçait la philosophie de la survie comme étant en effet contre-révolutionnaire. L’obstacle premier à l’action révolutionnaire est de tenir à sa vie. C’est en ce sens que la politique dite minimaliste est aux antipodes d’une politique maximaliste tel le maoïsme(54) . C’est en ce sens aussi que les libertés modernes – fondées sur les corps – ne sont plus qu’homonymes et non synomymes des libertés antiques – fondées sur l’âme. Mais si la politique entretient un lien essentiel à la survie, elle entretient aussi un lien non moins essentiel à la multitude.(55)
Collision entre la parole et la langue dans le sujet parlant.
C’est précisément sur la dimension du corps que Milner – reprenant à son compte une remarque fondamentale de Hannah Arendt – fonde sa réflexion sur la pluralité humaine(56) . Car si des corps muets ne peuvent fonder une politique, les êtres parlants sont des corps parlants. Or ce pluriel est de l’ordre d’un réel irréductible : « les êtres parlants sont irrémédiablement plusieurs depuis toujours et pour toujours »(57) . Parler implique en effet une altérité, une pluralité. Mais pouvoir parler donne au sujet le statut d’un être singulier, ce faisant unique, voire – sur un versant imaginaire – privilégié, pensant pouvoir être le seul à parler et faisant des autres de simples « résonnateurs passifs ». La singularité fonde ainsi le narcissisme primaire(58) . Or ce privilège est
illusoire, car qu’il s’agisse de parler le premier ou de vouloir avoir le dernier mot, cette qualité est partagée par tous les êtres parlants. L’être parlant doit donc admettre qu’il n’est pas seul. Il ne peut contraindre les autres au silence, car ces derniers pourraient avoir à son égard la même intention. C’est pourquoi – avons-nous dit – la politique naît de la découverte qu’il n’est pas besoin de tuer un être parlant pour le faire taire.
De ce fait surgit « la pression du réel » de la pluralité humaine(59) : la pluralité humaine constitue une limite au narcissisme ; les autres peuvent me faire taire ; je peux ne pas parler en premier, ni avoir le dernier mot. Cette pluralité qu’est « la multitude parlante » est « le seul réel qui mérite de susciter la peur »(60) . La qualité d’être parlant fonde à la fois le narcissisme et ce qui le limite en raison du fait qu’elle est partagée par une multitude illimitée en théorie. Milner de conclure : « Cette combinaison de la multitude, de l’illimitation, de la parole et du silence, cela s’appelle la foule. »(61)
La possibilité de la foule n’est donc pas historiquement un produit moderne de la civilisation moderne, elle est une « donnée primitive »(62) . La langue en effet est la présence de la foule dans le soliloque de l’être parlant. Avec la langue, l’être parlant est en effet « d’emblée plus d’un »(63) . Un langage privé est en effet une contradiction dans les termes. Cette pluralité dans l’être parlant est une blessure narcissique. Elle est un autre nom de l’inconscient en tant que ce dernier est « insistance, au plus secret de l’être parlant, de son être plusieurs »(64) . Comme le dit Milner en effet : « L’inconscient freudien, qu’est-ce après tout, sinon la découverte que l’être parlant n’est jamais un, même quand il dort ? »(65) Cette pluralité en lui, à supposer qu’il la reconnaisse, le divise. Il ne peut être cette conscience, ce «un » dont les philosophes parlent, à quoi ils réduisent la qualité de sujet. Or ce sujet, en tant qu’il est parlant est déjà plus d’un. Admettre qu’il est «un entre autre » est souvent chose narcissiquement difficile, souvent rabattue du côté de « l’ en trop » (voire de l’en-trop-ologie)(66 .
La politique naît de cette collision : « Dès l’instant que l’être parlant se voit contraint d’admettre qu’il n’est pas seul à être parlant, la politique a prise sur lui. Elle émerge au point exact où le sujet est contraint de passer du singulier au pluriel, qui est un pluriel des corps. De là une réversibilité ; ce que la politique touche d’individuel, elle le convertit immédiatement en collectif et, inversement, ce qu’elle touche de collectif, elle le restaure en individuel. La cause de la blessure narcissique devient remède, jusqu’au moment où, toujours possible, le remède rouvre la blessure. »(67) Mais justement, le pari d’une politique des êtres parlants est de « maintenir la légitimité du singulier – être parlant ne fonde aucun privilège – non pas en opposition au pluriel, mais comme condition de possibilité du pluriel »(68) . D’où la tension inhérente à une politique des êtres parlants entre narcissisme et pluralité. Ainsi : « une politique des êtres parlants est-elle possible, quand on sait qu’à son fondement, on découvre la plus profonde des blessures narcissiques ? (69) »
Ce qui est donc fondamental dans le « plus d’un » et l’ « en trop », c’est le fait de la division du sujet, « collision de l’être plusieurs et de l’être parlant au croisement des trois impossibles : éduquer, gouverner, analyser » dont parlait Freud.
A cette collision s’articule celle dont nous avons parlé plus haut entre le caractère limité de la langue politique grecque et la dimension de l’illimité découverte par Galilée confrontant de ce fait la Révolution Française à l’absence de limite du projet révolutionnaire : faire en sorte qu’aucun aspect de la vie humaine n’échappe à la politique (esclavage, marchandise, monnaie, religion, calendrier etc.).
Tel est le fait politique moderne qui a trouvé deux traductions. D’une part la version anglo-saxonne qui fait porter l’accent sur l’idiome marchand – il n’y a pas de limite à ce que tout puisse avoir une valeur d’échange et devenir ainsi une marchandise – dont le corrolaire est la recherche du confort et de la prospérité sur le plan du souci du corps ; de l’hygiène ainsi que de la tranquillité sociale sur le plan de la survie(70) . D’autre part la version révolutionnaire qui, en tentant à sa façon d’inscrire l’illimité au cœur de l’action politique, produit, ce faisant, le hors-politique au sein de la politique elle-même, celui de la Terreur.
Ou bien donc l’illimité se traduit par la forme marchandise et la politique n’est plus que le porte-parole du marché ; ou bien – au nom du mépris des corps – la politique refuse de se soumettre au marché, mais confrontée à l’illimité, les mots lui manquent et elle engendre le contraire de ce qu’elle vise : le massacre(71) . Ainsi, si le mot Révolution ouvre la langue politique sur l’univers moderne, la chute du mur de Berlin en 1989 fait perdre à cette même langue le seul vocable moderne et restaure la division irrémédiable entre langue politique et pratique politique(72) .
La Révolution, par ses références constantes à la Grèce antique a dissimulé, voire nié cette double collision entre le plusieurs et le parlant d’une part, le limité et l’illimité d’autre part(73) . Le compromis qui en est sorti comme nous l’avons dit est la discussion politique, inaugurée par Napoléon annonçant la fin de la Révolution et déclarant pour ce faire : « la politique, c’est le destin », fondant l’ère d’une mimétique impliquant l’interchangeabilité des places des gouvernants et des gouvernés. Or c’est faire l’impasse sur une dimension irréductible de la politique : la dimension de l’incommensurable.
L’incommensurable
D’une certaine manière, la dimension de l’incommensurable peut être totalement déduite de la tension irréductible entre la singularité du corps parlant et la pluralité que véhicule la langue, hiatus qui divise l’être parlant. Milner situe donc la politique aux antipodes d’une « plénitude de soi », allant jusqu’à affirmer qu’elle « naît chez l’être parlant de l’expérience du manque toujours possible. »(74) .
La discussion politique fondée sur la mimétique, donne l’illusion d’une interchangeabilité des rôles entre gouvernants et gouvernés : parler comme un qui décide lorsque l’on ne décide pas ; parler comme un qui ne décide pas lorsque que l’on décide. La discussion politique fait illusoirement commme si existait un rapport entre gouvernants et gouvernés, rapport justifiant l’idée d’une commensurabilité, d’une commune mesure entre les deux.
Or la discussion politique masque, banalise, voire nie l’incommensurabilité existant entre les êtres parlants, du fait même qu’ils sont parlants. L’incommensurabilité est tout autant effet que cause de la parole(75) . Elle est l’autre nom de la singularité à laquelle la parole est coextensive. Seule « la politique des choses » – comme nous le verrons – prétend réduire cet incommensurable en dissolvant la singularité dans la statistique et en faisant des sujets, des objets.
Milner établit ainsi une analogie entre le « il n’y a pas de rapport sexuel » de Lacan et la politique : de même que le « sexuel est le sténogramme (a) de ce qu’il n’y ait pas de rapports entre les êtres parlants et (b) de ce que cette absence de rapports a affaire avec les corps […] », de même on peut dire que « les êtres parlants parlent parce qu’ils sont incommensurables ; ils sont incommensurables parce qu’ils ont des corps ; ils parlent parce qu’ils ont des corps ; les corps sont incommensurables, parce qu’ils parlent […] »(76) . De même que – pour poursuivre cette analogie et en confirmer la pertinence – le discours freudien sur la sexualité fait scandale et
« désigne à l’imagination la cause du mal », de même la politique devrait-elle mettre fin à ce mal qu’est l’incommensurabilité, aux dissensions entre les êtres humains(77) . Or « la dissension est essentielle au parler politique, non parce qu’il est politique, mais parce que telle est la loi de tout parler »(78) . Revenant ainsi sur ses écrits antérieurs, Milner nuance le propos tenu dans Pour une politique des êtres parlants : il ne faudrait pas imputer à la seule Révolution Française la défaillance de n’avoir pu se dire, faute d’une langue adaptée à l’illimitée ; sans doute du fait de l’incommensurable, « le parler politique ne dispose d’aucune langue »(79) .
Le mot politique a un privilège : celui d’être « un parler qui contient le nom qui concentre sur lui l’incommensurabilité. »(80) De même – dit-il – : « au sein de ce parler, certains vocables en viennent à concentrer sur eux la dissension politique »(81) . Milner propose de qualifier ces vocables politiques de « noms diviseurs » : « car ces noms qui divisent, ils rassemblent aussi, mais à la suite et sous l’effet de la division.»(82) C’est le cas par exemple des vocables « Révolution », « ouvrier », « prolétariat », « juif » etc. Ces noms ont pour caractéristique de rassembler tout autant ceux qui se reconnaissaient en eux que ceux qui le rejetaient : « Autour de ces noms, les êtres parlants se sont rassemblés, opposés, combattus. Chaque être parlant était appelé, s’il voulait parler politique, à se situer par rapport à ces noms. »(83) Mais la division qu’occasionne ces noms n’a pas que pour effet d’opposer des groupes d’individus les uns contre les autres. Ils divisent chacun en lui-même : « un nom n’est politique que s’il divise les être parlants, pris ensemble, et chaque être parlant, pris isolément ». Un nom perd son sens politique lorsque l’on veut en ôter son caractère diviseur. C’est ce que fait le marketing : « Quand un nom diviseur accepte d’entrer dans le consensus, il cesse d’être audible en politique. A partir de cet instant, le parler politique n’en aura aucun usage, sauf en guise de slogan. » De même l’indignation vise à faire consensus et, ce faisant, ne divise pas(84) .
Parler politique c’est donc retrouver le pouvoir tranchant et diviseur des mots et renouer avec l’incommensurable. Parler politique implique donc de sortir urgemment de la discussion politique.
Sortir de la discussion politique ou comment se réapproprier une parole politique ?
Comme nous l’avons dit, la politique dépend de l’incommensurable et, ce faisant, ne peut le maîtriser. Il n’a donc pas à le prendre en charge. Pour désengluer le parler politique, il faut sortir de la discussion politique(85) – celle qui autorise le quidam à produire un énoncé du type : « à sa place, j’aurais agi autrement »(86) -. La mimétique sur laquelle elle repose prétend donc combler l’éloignement entre gouvernants et gouvernés(87) . Or s’imaginer qu’à simplement parler, on imite la décision, relève d’une pure posture(88) .
Jusqu’à 1815, comme nous l’avons dit, le semblant ne jouait pas le rôle majeur en politique(89) . Mais il serait illusoire de penserr que renoncer à la discussion politique impliquerait le retour au monde clos. Comme nous l’avons dit en effet, on ne peut faire néanmoins comme si la révolution galiléenne n’avait pas eu lieu. C’est en ce sens que le nom de Révolution est le seul vocable politique véritablement moderne. Milner se réfère donc aux philosophes classiques, à la fois contemporains et synchrones avec la découverte galiléenne qui ont problématisé la question de l’illimité.
C’est à Descartes que Milner pense et principalement à une lettre qu’il écrivit à la Princesse Elisabeth, en septembre 1646(90) au sujet de la question de la décision politique.
Descartes contre Machiavel
Machiavel – dont Descartes critique précisément la position dans cette lettre – écrit en effet : « De même que ceux qui veulent dessiner un paysage descendent dans la plaine pour obtenir la structure et l’aspect des montagnes et des lieux élevés, et montent au contraire sur les hauteurs lorsqu’ils ont à plaindre les plaines : de même , pour bien connnaître le naturel des peuples, il est nécessaire d’être prince ; et pour bien connaître les princes, il faut être peuple. »(91)
Pour Milner, à travers cette phrase, Machiavel met en effet en place les rouages de la mimétique en instituant le principe de l’échange imaginaire des places. Voila ce qui fonderait le parler politique du prince. Or, selon Descartes, cette position ressortit au délire(92) . Et il n’est donc pas innocent que dans sa lettre, Descartes tronque cette citation de Machiavel, qui devient sous sa plume : « Au reste, je ne suis pas aussi de l’opinion de cet Auteur [Machiavel], en ce qu’il dit en sa préface : Que comme il faut être dans la plaine pour mieux voir la figure des montagnes lorsqu’on en veut tirer le crayon, ainsi on doit être de condition privée pour bien connaître l’office d’un prince. Car le crayon ne représente que les choses qui se voient de loin ; mais les principaux motifs des actions des Princes sont souvent des circonstances si particulières, que, si ce n’est qu’on soit Prince soi-même, ou bien qu’on ait été fort longtemps participant de leurs secrets, on ne les saurait imaginer. »(93) Ainsi, les deux maximes de Machiavel : « Pour bien connaître le naturel des peuples, il est nécessaire d’être prince » et « pour bien connaître les princes, il faut être peuple » sont « deux maximes de la déraison »(94) .
Ce que Descartes écrit en effet en substance, c’est qu’il est vain de se mettre à la place de celui qui gouverne, car nul ne peut, s’il n’est prince lui-même, ou de son entourage proche, imaginer ce que le prince décide(95) . La décision politique – véritable objet de la politique souligne Milner, commentant Descartes – confronte en effet le prince à la dimension de la contingence inhérente aux affaires humaines : la prudentia est donc la vertu cardinale de tout homme politique, vertu se définissant comme « capacité de savoir répondre à la contingence »(96) Cela ne signifie pas que le Prince doit être doté d’une qualité d’exception, car « cette capacité est elle-même contingente, elle échappe au sujet, elle lui est opaque »(97) .
Quand le Prince décide, « il s’installe non dans le raisonnement, mais dans le domaine de l’imagination, de surcroît impossible à partager, dans l’obscur et le confus »(98) – qualité caractéristiques de ce qui ressortit à un jugement ne pouvant atteindre aux critères cartésiens de la vérité : clarté et distinction. En matière de décision politique, il est impossible en effet de passer du particulier au général, ni même de recourir aux probabilités. On est donc dans le domaine de la conjecture(99) .
Dans le monde des être parlants, depuis Descartes, et en raison de la division – claire et distincte – qu’il opère entre substance pensante(âme) et substance étendue (corps) : « la politique, c’est décider sur l’obscur et le confus »(100) Le prince voit qu’il a à décider, mais personne d’autre ne peut imaginer ce qu’il décide : « Descartes n’exclut même pas que celui qui décide ne sache absolument pas pourquoi il décide ainsi plutôt qu’autrement ; ces circonstances « si particulières » peuvent l’être au point qu’elles relèvent de ce qu’on ne saurait se dire à soi-même. »(101)
La décision du prince relève donc d’un « impossible à imaginer »(102) . Et Descartes en tire des conclusions absolument radicales : l’écart entre ceux qui décident et ceux qui ne décident pas est irréductible, l’échange des places entre ceux qui décident et ceux qui ne décident pas est impossible : « il ne saurait être comblé que par le rêve ou par la folie ou par la fiction »(103) .
Milner d’en conclure : « Il est vain de parler politique ; la seule chose, c’est de décider ou de pre
ndre part à la décision, puisque l’objet de la politique c’est la décision. » (104)
Depuis Descartes il y a eu la Révolution Française qui, avec l’avènement de l’égalité démocratique, a donné une consistance à la possibilité de se mettre imaginairement à la place de celui qui décide et a effectivement rendu possible le fait de pouvoir prendre par la force la place de celui qui décide .(105) L’efficace du détour par Descartes réside dans le fait de « retirer toute évidence au modèle mimétique (106) » : quiconque qui ne décide pas parle comme s’il était au pouvoir est, s’il se prend au jeu, un imposteur. En être conscient n’en fait qu’un jeu innocent.
L’enjeu politique fondamental est donc de savoir ce qu’il en est de ceux qui ne décident pas. Il peut se formuler de la manière suivante : il est néanmoins nécessaire pour ceux qui ne décident de parler politique et précisément sans faire semblant de décider. C’est de connaître cette position qui permet de construire des stratégies efficaces lorsqu’on veut s’opposer à ce qui est décidé ; c’est au contraire en faisant semblant d’échanger sa position que l’on se trompe inévitablement. Milner propose donc de sortir de la discussion politique en substituant à cette dernière la « politique du fragment » (107).
La politique du fragment
La liberté – dit Milner – se pense à partir de la place que l’on occupe ici et maintenant et non dans la perspective d’un « avenir plein d’espérance » (108). Or cet ici et maintenant consiste avant tout dans les rapports de force entre le faible et le fort. Penser pouvoir s’extraire de ce rapport de force par la discussion politique, par la mimétique de l’échange des places est une pure illusion. Pire encore – écrit Milner – : « La mimétique s’achève en anorexie ; dévoré par le faire semblant, le sujet veut de moins en moins ; puis il ne veut rien ; puis il veut le rien. » (109)
La fragmentation que Milner propose de réintroduire dans la politique consiste en premier lieu à prendre acte de la division entre ceux qui décident et ceux qui ne décident pas et de cesser de croire que l’on peut, lorsqu’on ne décide pas, parler comme un qui décide – et réciproquement. Autrement dit, tenir compte des rapports de force réels tout en sortant de la mimétique revient, pour celui qui de ne décide pas, à imposer son vouloir, en tant qu’il ne décide pas(110) . Ainsi dans son principe « l’instant du vote cisaille la mimétique » (111) car il donne au gouverné, en tant que gouverné, un pouvoir (112).
Saint-Just a perçu avec acuité les limites de l’idée selon laquelle « celui qui décide représente celui qui ne décide pas » (113). Car cette affirmation n’est pas réversible : celui qui ne décide pas, même représenté politiquement, ne peut devenir celui qui décide. De plus, les rapports de force peuvent, eux, s’inverser : le fort devenant faible et réciproquement. Les institutions, selon Saint-Just, peuvent remplir cet office : il ne s’agit pas de faire que l’enfant, par la mimétique, échange sa place avec celui de l’homme adulte ; ni l’enfant ne devient « « fort de cette manière, ni l’homme ne peut devenir enfant. C’est en tant qu’enfant, en tant que « faible », qu’il faut réfléchir à la manière pour ce dernier de tenir face au « fort », c’est-à-dire tout en maintenant sa place et non en pensant illusoirement pouvoir en changer. Autrement dit : « faire que le faible, tout en restant faible, soit fort en face du plus fort. » En effet « la possibilité d’un renversement du faible et du fort ne change rien à la difficulté réelle – le substrat des corps parlant demeure, quand bien même les représentations sociales du corps ont changé. » (115)
Cet irréductible du corps est en dernière instance, la souffrance physique – y compris quand la souffrance morale vient à s’imprimer dans le corps. Ce réel du corps s’éprouve politiquement dans l’injustice et pourrait servir de curseur pour l’action politique : s’imaginer que l’on parle comme celui qui décide ne change en rien sa condition réelle de faible : « la liberté, ce n’est pas de considérer la subordination injuste comme renversable, c’est au contraire de considérer la subordination telle qu’elle est, au temps et au lieu où elle est, comme un éternel présent, qui dure exactement aussi longtemps que dure l’instant où on en ressent l’insupportable. Le critère de l’insupportable en politique est à chercher du côté du corps. » (116)
La politique du fragment consiste donc à renoncer à l’idée de la politique comme un tout. Ce tout est, en premier lieu, ce qu’engendre la confusion des places entre gouvernants et gouvernés du fait de leur interchangeabilité. Un tout au sens d’une négation de la division existant entre eux – division sur le point précis et central de la question de la décision politique.
Mais la politique est aussi un tout au sens où, selon le point de vue maximaliste de la conjonction entre pensée et action, tout est politique : s’il n’y a de pensée achevée qu’effective, alors rien n’existe en dehors de la politique. Or c’est précisément cela que le renoncement à la discussion politique fragmente. Si le nom de Révolution, depuis 1789, était le paradigme même de la possibilité d’une conjonction entre pensée et action, l’effondrement du mur de Berlin en 1989 opère un dénouement entre les deux : « La révolution n’est pas le type matriciel de toute effectivité »(117) . Une pensée peut être effective, parce que subversive, sans être une rebellion. L’occurence d’une conjonction entre rebellion et pensée n’est donc qu’un fait contingent et surtout singulier. Autrement dit, Milner remet en question l’idée que la politique revêtirait ce privilège d’incarner l’effectivité : « Gouvernements et Etats n’ont aucun privilège particulier au regard de la pensée […] pourquoi la pensée s’accomplirait-elle de manière maximale dans cette théorie ? Il faut pour le croire, croire à la nécessité de la conjonction, mais c’est justement ce que l’on ne croit plus. »(118)
Dernier point : la politique du fragment vise à lutter contre les politiques désignant l’incommensurable entre les êtres parlants comme la cause du mal – la division, la dissension – et visant ainsi à le colmater. La fragmentation tente de maintenir ouverte la division entre la singularité du sujet parlant et la pluralité en lui, du fait de la langue. Les noms politiques – diviseurs – s’érodent lorsqu’autour d’eux naît le consensus.
Sans doute peut-on voir dans cette théorisation un écho à l’aphorisme de Lacan selon lequel « l’inconscient c’est la politique ». Si la psychanalyse en effet produit du sujet en maintenant ouverte la division entre conscient et inconscient, la politique aurait ceci de commun avec elle qu’elle n’existe que dans et par la division due à la qualité d’être parlants des humains. Alors précisément, pour qu’il y ait encore de la politique, il faut renoncer à l’idée de politique comme un Tout, un Un (autre nom de la conscience au niveau psychique. La politique du fragment, en conservant au noms politiques le tranchant de leur pouvoir diviseur est en ce sens homéomorphe à la division intrapsychique qu’elle fait ainsi résonner. Or qu’est-ce que ce manque – pourrions-nous ajouter – à l’oeuvre dans l’incommensurable sinon le désir. L’inconscient c’est la politique au sens où le désir, en sa béance, maintient, voire génère un espace politique possible.
Sortir de la politique des choses : l’évaluation
C’est précisément à l’incommensurable, la division, le désir, que s’attaque la politique des choses (119). Car si le pari d’une politique des êtres parlants consiste à « maintenir la légitimité du singulier », c’est toujours au risque d’une blessure narcissique, au regard de quoi la politique des choses est plus séduisante et plus prometteuse en matière de tranquillité(120) .
Si la collision de l’être plusieurs et de l’être parl
ant a pris la forme de la démocratie, le problème politique auquel la Révolution se confronte naît de la qualité des êtres parlants à être à la fois incommensurables et insubstituable, fondement même de leur liberté. Dès lors, ce problème se formule ainsi : « quelle égalité peut-on instituer entre incommensurables? »(121) .
Si la Révolution Française a établi une égalité et une liberté en droit, c’est-à-dire formelle pour dépasser la contradiction existant entre ces deux concepts, la démocratie moderne issue de la mimétique est devenue une démocratie purement verbale visant l’égalité substantielle : l’égalité entre les choses, celle qui rend tout commensurable et substituable, celle donc qui instaure la politique du chiffre(122) . Les menaces pesant sur les libertés des modernes proviennent en effet des « techniques mathématisées de la foule appelées statistique »(123) . Car comme le dit Milner : « une fois saisie par ces techniques, [la foule] perd tout lien avec l’être parlant, pour devenir une chose, aussi muette qu’elle est bavarde.(124) » Cette version de la démocratie est congruente avec cette traduction de l’illimité qu’a opéré le monde anglo-saxon : l’illimitation du marché et de la forme marchandise(125) . L’égalité fondée sur la négation de la dimension de l’incommensurable et de l’insusbstituable transforme en effet les êtres parlants en choses, de ce fait, commensurables et substituables.
Le paradigme de cette réification des êtres parlants est l’évaluation, aujourd’hui omniprésente aussi bien dans les activités du secteur privé que du secteur public. Par définition, parce qu’elle n’est possible qu’à la condition de faire abstraction de la singularité, l’évaluation n’étend son territoire qu’à la condition d’en gagner sur celui de l’intime. Cela apparaît avec évidence dans toutes les campagnes de « dépistage », notamment de la délinquance auprès des plus jeunes enfants. Or, s’il est bien un domaine dans lequel règne l’intime, c’est celui de la psyché. C’est pourquoi l’évaluation voit dans le secret professionnel la dernière limite à son pouvoir d’extension. Il devient donc important de ne plus en tenir compte(126) . Pourtant le seul garant matériel pour les libertés effectives consiste dans « le droit au secret, garanti au plus faible à l’égard du plus fort.
Mais l’évaluation ne sera satisfaite que si ce droit est aboli et spécialement pour l’individu. »(127) Or le droit au secret a une vertu politique majeure car il « assure une déconnexion entre singulatif et collectif » – faute de quoi les individus peuvent être réduits à des données statistiques- , déconnexion qui seule « assure la résistance à la force du contrôle. »(128) Evaluer les êtres parlants est en effet un contrôle(129) .
L’évaluation est en effet du côté du plus fort. C’est « l’étendard d’une mise au pas »(130) . Son but est de rendre sensible le pouvoir. Elle l’atteint d’autant plus qu’elle est inadéquate. Son objectif est en effet d’ « établir que l’évalué soit insuffisant »(131) . Milner d’ajouter : « L’important n’est pas en effet que les objectifs soient définissables mais qu’ils soient impératifs, contradictoires et de préférence humiliants »(132) . Le paradoxe de l’évaluation – par où elle montre qu’elle n’est qu’un dispositif de pouvoir – est qu’ « elle ne repose sur aucun savoir, ni sur une responsabilité civique, ni sur une épistémologie »(133) . En effet, n’ayant ni « contenu propre », ni critères, elle se situe aux antipodes d’une évaluation scientifique(134) . Elle relève d’une pratique d’appareil où l’évaluateur n’est pas même un « instrument de pouvoir [mais] le pouvoir même. »(135)
La promesse de l’évaluation : que les choses se gouvernent elles-mêmes et gouvernent les hommes ; que les choses décident à la place des hommes(136) . On voit bien que la politique des choses est aux antipodes de la politique des être parlants dans la mesure où elle évacue l’objet propre de la politique : la décision. Il y a en effet de la politique parce que « les choses ne gouvernent pas »(137) . Le gouvernement des choses dispense de toute politique, y compris aux hommes politiques qui n’ont plus qu’à se contenter de « résidus ». Le « pédagogisme » n’a plus qu’à « traduire en langage humain les contraintes non-humaines »(138) . Puisqu’on ne peut « rien changer à rien », il ne reste plus qu’à « bien communiquer » ; et les gouvernés, qu’à « bien écouter »(139) .
La demande d’expertise, paradoxalement dans le secteur médical, n’a plus aucun souci de la souffrance corporelle ou psychique(140) . Le respect de la souffrance a pourtant toujours constitué une « borne » au contrôle, plus même qu’une « limite », puisque « le contrôle n’a pas de limites »(141) . C’est que la demande d’expertise est du côté du contrôle et non pas du côté de la souffrance. Il y a eu dès les débuts de la psychiatrie un partage entre le versant du contrôle et le versant de la souffrance. Avant Foucault, Lacan avait annoncé que « la criminologie formera l’horizon ultime des sciences humaines »(142) . Comme le dit Milner, aujourd’hui, le paradigme criminologique est à la pliure entre deux panneaux qui se réfléchissent en miroir : d’un côté le panneau répression et prévention du crime ; de l’autre, le panneau traitement et prévention des maladies : « leur réfraction combinée produit […] le type idéal de toute expertise possible quand il s’agit des êtres parlants.»(143) Il s’agit alors d’étendre à tous les techniques inventées pour dépister les criminels (c’est le dossier médical). Les individus sont indifféremment considérés comme des malades ou des criminels en puissance et, d’un point de vue économique, comme des « gaspilleurs potentiels »(144) . Ainsi Milner écrit-il : « d’un côté l’évaluation fabrique le malade comme pure et simple occasion de diminuer les coûts ; de l’autre, elle fabrique le suspect comme pure et simple occasion de diminuer les libertés. »(145) . Et l’auteur d’en conclure : tout individu, en tant qu’il peut être le support d’un sujet est déjà en trop.(146)
Avec la politique des choses s’est instaurée une novlange dont l’efficace permet de se dispenser d’un « appareillage autoritaire »(147) : ainsi l’evidence-based medicine(148) , le cognitivisme. Tout ce qui résiste à l’évaluation est criminalisé, à commencer par ce qui relève de l’incommensurable que le parler relatif à la politique des choses prétend prendre en charge – c’est-à-dire à la fois désigner la cause du mal et gérer le mal -. Face à la politique des choses, le parler politique est présenté comme étant insuffisant(149) .
Comment lutter contre ce parler relevant de la politique des choses ? Face à l’objectivation, la quantification, la statistique, tout parler préservant la dimension de l’incommensurable peut apparaître comme une posture défensive, sur le mode de la défiance. Il peut être alors soupçonné de vouloir dissimuler le charlatanisme(150) . A ce jour aucun courant politique, ne remet en cause le gouvernement des choses : « après avoir promis d’ajuster les hommes à un avenir de prospérité maximale, l’évaluation peut tout autant promettre de les ajuster à un avenir de pénurie grandissante. »(151) On pourrait penser qu’il s’agit alors de s’en prendre non à l’évaluation, mais à ceux qui la commanditent. Or le gouvernement des choses est impersonnel ; en ce domaine il n’y a pas de maîtres, mais plutôt, tout le monde est le valet de tout le monde. En effet : « le contrôle a cette capacité de se rendre si naturel qu’on peut s’en faire l’agent sans l’avoir décidé »(152) .
Milner de conclure : « Grâce à l’évaluation, le contrôle atteint sa forme pure ; il n’est plus que le libre enchaînement de la subordination. Tous asservis, telle est la nouvelle forme de l’ égalité et de la liberté. »(153) . Une note d’optimisme cependant : quand la politique des choses e
nvahit le domaine public, le contribuable peut encore demander des éclaircissements sur l’usage qui est fait de son argent ; et comme citoyen, il peut protester contre une atteinte à ses droits(154) . Il y a donc une décision à prendre puisque : « si le nom de politique a un sens, il s’oppose résolument au gouvernement des choses »(155) . On ne demande pas au politique d’être généreux en se battant pour les libertés de tous – dit Milner – « on serait trop heureux qu’ils se battent pour leur propre liberté. »(156)
Discussion et perspectives
La réflexion concernant le lien entre parole et politique est aussi ancienne que la philosophie politique d’Aristote et la fonde même. Plus près de nous, Hannah Arendt y a consacré des développements passionnants liant la parole à la dimension de l’espace public dans lequel le sujet parlant se révèle(158) . A cet égard – ses analyses ne sont pas loins – à travers la question du daimôn – d’évoquer quelque chose du sujet divisé(159) . Mais l’intérêtde du propos de Milner est de mettre en évidence la mutation du lien entre parole et politique après Galilée, puis après la Révolution Française. Mutation d’autant plus efficace qu’elle n’a pas été véritablement pensée, alors qu’elle a pour effet de mettre paradoxalement le citoyen dans une impuissance d’autant plus grande qu’il s’imagine précisement, à travers la discussion politique et la mimétique, parler politique. L’enjeu étant de montrer comment, en sortant de cette forme de discours, le sujet-citoyen peut se réapproprier une parole politique.
Son propos nous intéresse particulièrement car il montre que ce qui lie la parole à la politique n’est rien moins que la division du sujet, division dont il montre la portée politique : vélléité de voir dans cette division le mal ; tentation de penser la politique comme retour au Un du consensus. Autant donc de négations de ce qui peut produire un effet de sujet. Car Chez Milner, la politique est avant tout politique du sujet : parler politique c’est parler en tant que sujet divisé ; c’est maintenir ouverte la division et la faire jouer. Peut-être est-ce en ce sens qu’il faut entendre l’aphorisme de Lacan : « l’inconscient, c’est la politique », dont le propos de Milner nous donne le sentiment qu’il s’attache précisément à l’expliciter. L’incommensurable entre les êtres parlants est irréductible. Souvent pensée comme ce qui affaiblit la pluralité humaine, la division est ici promue au rang de tiers : c’est parce que la politique divise qu’un espace politique est possible.
En développant ce thème de la double collision constitutive de la modernité en politique – celle se produisant dans l’être parlant entre la langue et la parole, celle concernant la langue politique grecque et l’univers galiléen illimité -, Milner propose une articulation entre sujet de l’inconscient et être parlant politique, et ce faisant, entre discours analytique et discours politique. Pour autant – et là peut résider un malentendu dans l’aphorisme l’inconscient c’est la politique – la psychanalyse n’est pas la politique. Si cet autre aphorisme de Lacan : « il n’y a pas de rapports sexuels » est – dit Milner – le sténogramme de l’incommensurabilité existant entre les êtres parlants, il n’y a tout au plus qu’une analogie – celle de l’incommensurable – entre le sexuel et le politique. Si le « il n’y a pas de rapport sexuel » est au cœur de la psychanalyse, la politique minimaliste insiste, certes sur la division de l’être parlant, mais en tant qu’elle suppose comme sa condition de possibilité, la survie du corps. C’est en ce sens que la politique pourrait davantage se présenter comme une technique non pas sexuelle, mais comme « une technique des corps désexués »(160) .
Néanmoins cette articulation a pour effet de faire naître la question de savoir comment le sujet parlant, face à la politique moderne, peut encore se maintenir comme sujet parlant. Cette question est fondamentale à l’heure de la politique des choses et de sa potentialité totalitaire à travers la mise en place généralisée de l’évaluation.
Or la réponse de Milner qui argumente en faveur d’un retour à une définition minimaliste de la politique – la survie du corps parlant comme alpha et omega de tout horizon politique – propose là encore une articulation intéressante entre le réel du corps et le champ du politique. Le réel du corps ainsi visé est tangible à travers la souffrance qui, dans le domaine politique est pensée comme effet de l’injustice, du déséquilibre entre les rapports de force. La souffrance – proche en ce sens de l’angoisse-signal – pourrait jouer le rôle de garde-fou voire de signal d’alerte(161) pour toute politique risquant de perdre de vue son essence minimaliste. Sans doute est-ce aussi cette dimension qui provoque l’analyste à intervenir dans les questions concernant la Cité et notamment quand il pense que la dimension du sujet tend à être niée ou en tout cas maltraitée.
Alors il est important de ne pas méconnaître cette mutation du lien entre parole et politique que Milner met en évidence. Car, tout psychanalyste qu’il soit, s’il peut l’être dès lors qu’il prend une parole publique, peut-il prétendre échapper aisément à la dimension mimétique de la discussion politique ? Cette question est d’autant plus sensible lorsque l’analyste a à se positionner par rapport aux initiatives de l’Etat prétendant régir – directement ou non – son champ d’intervention(162) .
Notes
1Jean-Claude Milner, Pour une politique des êtres parlants, Court traité politique 2, Verdier, 2011.
2Jean-Claude Milner, La politique des choses, Court traité politique I, Verdier, 2011.
3Jean-Claude Milner, Constats, Gallimard, Folio Essais 2002.
4Jean-Claude Milner, Clartés de tout, de Lacan à Marx, d’Aristote à Mao, Verdier, 2011.
5Jean-Claude Milner, Pour une politique des êtres parlants,op. Cit., § 13, p. 33. Le terme « clos » s’oppose ici à celui d’infini et fait référence à un ouvrage d’Alexandre Koyré, Du monde clos à l’univers infini, Gallimard, coll. Tel, 1992 décrivant le passage et la rupture entre le géocentrisme du système astronomique de Ptolémée – celui dans lequel la politique grecque est pensée – à l’univers infini des Modernes (Galilée et Newton) dont notre soleil n’est plus le centre.
6 Milner va jusqu’à poser la question : « Y’a-t-il vraiment une pensée politique moderne ? » : si, depuis Léo Strauss, on oppose les Classiques et les Modernes, ne mériteraient le titre de Modernes que les penseurs qui ne sont pas seulement contemporains de la révolution galiléenne, mais ceux dont la pensée politique est « synchrone du galiléisme ». Or les Modernes n’en tiennent pas nécessairement compte. Milner propose donc de les qualifier plus proprement de Récents, réservant celui de Modernes à ceux qui tirent les conséquences du galiléisme. Cf. Jean-Claude Milner, Constats, op. Cit., note de bas de page n° 1, p. 17.
7 Ibid., §14, pp 34-35.
8 Jean-Claude Milner, Constats, Gallimard, Folio Essais 2002, p. 22.
9 Aristote, Les politiques I, 2, Trad P.Pellegrin, Garnier-Flammarion, 1993, I, 2, p. 90. La cité est en effet le lieu où l’homme peut s’épanouir comme citoyen, c’est-à-dire en se livrant à des activités spécifiquement humaines (notamment l’élaboration des lois). L’espace public se définit en effet comme ce qui n’est possible qu’à la condition que la vie humaine soit affranchie des nécessités naturelles – communes à l’homme et à l’animal, soit la sphère du travail et de l’économie -.
10 Jean-Claude Milner, Clartés de tout, de Lacan à Marx, d’Aristote à Mao, Verdier, 2011, p. 161. Nul mythe n’est ici plus éloquent que celui forgé par Platon dans son Protagoras, revisitant le mythe de Prométhée : le feu volé aux dieux et la technique, s’ils permettent à l’homme de lutter contre les bêtes sauvages et les forc
es naturelles, ne les mettent pas à l’abri des dissensions internes nées des injustices commises entre eux. Il faudra donc aussi apporter aux hommes l’art politique pour que l’espèce ne disparaisse pas totalement (cf. Platon, Protagoras, Garnier-Flammarion, trad. E. Chambry, 1967, 320c-322d, pp. 52-53.
11 Ibid., p. 23. Puisque, comme le théorisait Descartes en vertu de la distinction entre substance pensée et substance étendue, seul un corps peut agir sur un corps.
12 Jean-Claude Milner, Constats,op. Cit.,p. 15 et 23.
13 Ibid., p. 34.
14 Ibid., p. 19.
15 Hegel – qui a nourri les penseurs marxistes et maoïstes – a résumé cela dans une formule devenue célèbre : « tout ce qui est réel est rationnel et tout ce qui est rationnel est réel ». En fait Hegel ne parle pas tant de réel que d’effectivité (wirklichkeit). Une pensée effective est en même temps concrète. Faute d’effectivité elle n’est encore qu’abstraite, et en ce sens inaboutie pourrait-on dire. Cf. G.W.F. Hegel, La phénoménologie de l’esprit, T. I. Trad. Jean Hyppolite, Aubier, 1977, notamment la préface.
16 Ibid., pp. 39-40.
17 Ibid., p. 39.
18 C’est ce que Hegel – encore lui – théorisera comme l’infini concret : non pas l’infini mathématique abstrait au sens où une limite implique par définition quelque chose qui l’outrepasse (et donc le limite), mais l’infini concret qui trouve dans son Autre (la matière), lui-même (la pensée). D’où l’idée que réel et rationnel s’articulent dialectiquement dans une unité rassemblant les deux termes (c’est l’effecivité). Cf. Hegel, Science de la logique, Vrin, 1986, Add. § 28, p. 484.
19 Ibid., pp. 56-57.
20 Ibid., p. 34. Le mot Révolution en est l’exemple le plus frappant puisque l’équivalent, comme nous l’avons dit, n’existe pas en grec pour le domaine politique – ces dernirers ne connaissant que celui de rébellion, le terme de révolution n’existant que dans le domaine de l’astronomie. Or pour les grecs, selon les Classiques la rébellion est l’Autre même de toute pensée.
Mao Tsetung, in « Servir le peuple », Oeuvres Choisies, III, p. 185, cité par Jean-Claude Milner, Constats,op. Cit., pp. 41-42.
Ibid., §17, p. 40.
Ibid., § 11, pp. 27-28.
Ibid.
On pense au « laisser-faire, laisser-passer » d’Adam Smith, et à sa traduction néo-libérale aujourd’hui selon laquelle tout pouvant devenir une marchandise, rien ne doit faire obstacle à la logique du marché.
Il s’agit du développement qui a donnné lieu à : Jean-Claude Milner, La politique des choses, Court traité politique I, Verdier, 2011.
Jean-Claude Milner, Pour une politique des êtres parlants,op. Cit.,§ 16, p. 39.
Ibid., § 20, pp. 48-49.
Ibid., § 3, pp. 10-12.
Ibid., p. 12.
Ibid., § 21, p. 53.
Ibid., p. 51 : « Was will man jetzt mit dem Schicksal ? Die Politik ist das Schiksal. » Cette phrase est à rapprocher de celle de Freud : « L’anatomie c’est le destin » (cf. S. Freud « Sur le plus général des rabaissements de la vie amoureuse », in La vie sexuelle, PUF, 1969, p. 65, et « La disparition du complexe d’Oedipe » ( Ibid., p. 121.). Freud, écrit Milner, en affirmant l’anatomie c’est le destin, s’oppose à Napoléon et affirme le passage de l’ère de la politique à l’ère de la science (Cf. Milner, op. Cit., p. 52). Nous pouvons rapprocher ces formules de celle de Lacan qui affirmera : « l’inconscient, c’est la politique » (cf. Jacques Lacan, Le Séminaire, Livre XIV, La logique du fantasme, leçon du 17 mai 1967).
Jean-Claude Milner, Pour une politique des êtres parlants,op. Cit.,§ 22, p. 54.
C’est en effet dans la célèbre Poétique d’Aristote que l’on trouve une première théorisation de la tragédie. Cf. Aristote, Poétique, livre de poche, 1990, Ch. VII à XI, pp. 114-121.
Ibid., § 23, p. 55.
Ibid., § 25, p. 59.
Ibid., § 24, p. 57.
Jean-Claude Milner, Pour une politique des êtres parlants,op. Cit.,§ 27, p. 62.
Pour reprendre l’expression de Tocqueville
Jean-Claude Milner, Constats,op. Cit.,p. 15.
Jean-Claude Milner, Pour une politique des êtres parlants,op. Cit.,§§ 26 et 27.
Ibid., § 26, p. 61.
Ibid., § 29, pp. 65-66.
Ibid., § 26, p. 65.
Ibid., § 27, p. 61.
Jean-Claude Milner, Pour une politique des êtres parlants,op. Cit.,§1, p. 7.
Ibid., §8, pp. 20-21.
Ibid., §1, pp. 7-8. De fait la politique se ramène à des techniques du corps : écouter, discourir, se regrouper, se disperser. Les oppressions s’en prennent au corps. La politique renvoie en effet aux oppositions corporelles les plus élémentaires : actif/passif, fort/faible.
Jean-Claude Milner, Clartés de tout, op. Cit., p. 162.
Ibid., p. 161
Ibid.
Ibid.
Ibid., §10, p. 25.
On se rappelle à cet égard la chanson de Georges Brassens : « Mourir pour ses idées/ l’idée est excellente/ Moi j’ai faillir mourir/ de ne l’avoir pas eue. »
Jean-Claude Milner, Pour une politique des êtres parlants,op. Cit.,§ 6, p. 17.
Comme Hannah Arendt avait déjà pu l’écrire : « la politique repose sur un fait : la pluralité humaine. » Et – ajoute-t-elle – : « C’est parce que la philosophie et la théologie [mais elle ajoute à cette liste la science dont la psychologie] s’occupent toujours de l’homme, parce que toutes leurs déclarations seraient exactes quand bien même n’y aurait-il qu’un seul homme ou seulement deux hommes, ou uniquement des hommes identiques, qu’elles n’ont jamais trouvé aucune réponse philosophiquement valable à la question Qu’est-ce que la politique ? L’homme n’existe pas en effet, mais les hommes. Le fait politique est constitué de et par la pluralité humaine. », in Hannah Arendt, Qu’est-ce que la politique ?, Seuil, Coll. Essais, 2001, p. 39.
Jean-Claude Milner, Pour une politique des êtres parlants,op. Cit.,§ 4, p. 13.
Ibid., § 4, pp. 12-14.
Ibid., § 4, p. 13.
Ibid., § 6, p. 18.
Ibid., p. 14.
Ibid., § 5, p. 14.
Ibid.
Ibid.
Ibid., p. 16
Ibid., p. 15.
Ibid., § 11, p. 29.
Ibid., § 12, p. 30.
Ibid., p. 31.
Ibid., § 16, pp. 37-38.
Ibid.
Ibid., § 14, pp. 34-35.
Ibid., § 15, p. 37.
Jean-Claude Milner, Clarté de tout, de Lacan à Marx, d’Aristote à Mao, Verdier, 2011, p. 176.
Ibid., p. 165.
Ibid., p. 166.
Ibid., p. 167.
Ibid., p. 178.
Ibid., p. 178. Je reproduis ici l’intégralité du passage : « En conclusion, le parler politique ne dispose d’aucune langue. J’ai longtemps cru qu’il lui en fallait une et qu’il fallait donc changer la langue politique. Je ne le crois plus. Changer la langue politique pour recommencer à parler politique ? Ceux qui s’y sont essayés ont échoué lamentablement, dans le ridicule ou dans le sang. Il vaut donc mieux ne pas la changer, mais l’employer, en en connaissant les détours et en surveillant sans cesse les zones de méconnaissance. Parler dans une langue qui n’est pas notre genre, n’est-ce pas ce que nous faisons tous les jours ? »
Ibid., p. 166.
Ibid., p. 171.
Ibid., pp. 171-172.
Ibid., p. 172.
Ibid., p. 176.
Ibid., p. 177.
Ibid., p. 170.
Jean-Claude Milner, Pour une politique des êtres parlants,op. Cit.,§ 30, p. 66.
Ibid., pp. 66-67.
Jean-Claude Milner, Clarté de tout, op. Cit., p. 170.
Ibid. Cf., Descartes, lettre à Elisabeth, septembre 1646, in Oeuvres complètes, Classiques Garnier, 1989, t. III, pp. 665-671. Le passage de Machiavel qui est cité se trouve dans la lettre qu’il adresse à Laurent de Médicis à qui il dédicace son livre. Cf. Machiavel, Le Prince, Garnier-Flammarion, 1980, p. 88.
Ibid., § 34, pp. 71-72.
Sur toute cette problématique, cf. Jean-Claude Milner, Pour une politique des êtres parlants,op. Cit.,§ 34, pp. 71-73.
Ibid., § 32, p. 68.
Ibid., § 34, p. 72.
Ibid., § 32, pp. 68-69.
Jean-Claude Milner, Clarté de tout, op. Cit., p. 162.
Ibid.
Jean-Claude Milner, Pour une politique des êtres parlants,op. Cit.,§ 33, p. 70. Cf., aussi ; aussi Jean-Claude Milner, Constats, op. Cit., pp. 37-38 : la rébellion est du côté du corps et des passions, c’est-à-dire le plus bas degré de l’action (passion au sens classique de subir). Passion et corps sont du côté de l’obscur et du confus ou règne le probable et non le certain. En raison de la disjonction cartésienne entre âme et corps, une passion, même noble, ne se confond pas avec une pensée.
Ces développements ne sont pas sans rapport avec ce que Lacan dit de l’acte analytique et de la solitude de l’analyste face à son acte dont aucun Autre ne peut garantir la vérité.
Ibid., § 34, p. 71.
Ibid.
Ibid., § 33, p. 69.
Ibid., § 32, p. 69. Le Don Quichotte de Cervantes en est une illustration très parlante, notamment quand ce dernier promet à Sancho Panza de faire de lui le gouverneur d’une île. Sur les péripéties de ce gouvernement, Cf. Cervantes, Don Quichotte, t. II, Gallimard, Folio classique, Trad. F. de Rosset,1994,ch. XLII-LIII.
Ibid. On peut peut-être trouver dans cette affirmation une lecture de l’action des psychanalystes ayant constitué le groupe de contact, de se rapprocher de ceux qui décident, pour participer à la décision. Si cette décision a pu être qualifiée de collaborationniste, celle consistant à se draper dans une posture éthique de non compromission, ne ressortit-elle pas à la fiction consistant à imaginer qu’on décide lorsqu’on n’a pas le pouvoir ?
Ibid., § 35, p. 74.
Ibid., § 36, p. 75.
Ibid., § 37, p. 77.
Ibid., § 40, pp. 81-82.
Ibid., § 37, p. 77.
Ibid.
Jean-Claude Milner, Clarté de tout, op. Cit., p. 180.
Mais à cet égard Milner est sans illusion car le vote est pris dans la discussion politique de sorte que celui qui vote – en témoignent les discussions au sortir du bureau de vote – s’imagine en position de gouvernant. Ibid.
Jean-Claude Milner, Pour une politique des êtres parlants,op. Cit.,§ 38, p. 79.
Ibid., § 38, p. 80.
Ibid.
Ibid., § 40, p. 81.
Jean-Claude Milner, Constats,op. Cit.,p. 56.
Ibid., pp. 57-58.
Jean-Claude Milner, La politique des choses, Court traité politique I, Verdier 2011.
Jean-Claude Milner, Pour une politique des êtres parlants,op. Cit.,§ 12, pp. 29-31.
Jean-Claude Milner, La politique des choses,§ 7, p. 30.
Ibid., § 7, pp. 30-33.
Jean-Claude Milner, Pour une politique des êtres parlants,op. Cit.,§ 10, p. 26.
Ibid. Cet aspect concerne ce que Jean-Claude Milner a appelé la politique des choses, ouvrage qui précède Pour une politique des êtres parlants, et sur lequel nous reviendrons plus loin.
Cf., Jean-Claude Milner, Clarté de tout, op. Cit., p. 150-151 et Pour une politique des êtres parlants,op. Cit.,§ 16, pp. 38-39.
Il existe en psychiatrie un fichier informatisé appelé « Rimpsy » dont la particularité est d’associer au patronyme du patient, un diagnostic (CIM10), fichier qui ne peut techniquement pas être renseigné s’il manque l’une ou l’autre information. De ce renseignement dépend la tarification à l’acte de l’activité, par quoi l’hôpital peut recevoir des subventions dans le cadre de la loi HPST.
Jean-Claude Milner, La politique des choses,§ 4, p. 22.
Ibid., § 4, pp. 22-23.
Ibid., § 3, p. 21.
Ibid., § 1, p. 13.
Ibid., § 3 p. 18.
Ibid.
Ibid., § 2, p. 16.
Ibid., § 10, p. 39.
Ibid., § 8, p. 38.
Ibid., § 5 , p. 25.
Ibid.
Ibid., § 5, p. 26.
Ibid.
Ibid., § 13, p. 48.
Ibid., § 13, pp. 52-53.
Ibid., § 13, p. 53.
Ibid., § 14, p. 55.
Ibid. § 14, p. 56.
Ibid., p. 57.
Ibid., pp. 57-58.
Jean-Claude Milner, Clarté de tout, op. Cit., p. 168.
Jean-Claude Milner, La politique des choses, op. Cit., § 12, pp. 44-45. Le mot anglais « evidence » se situe à la jonction du raisonnement scientifique et de la preuve policière. A quoi l’on peut rajouter les mots « preuve » et « autopsie. Auparavant l’expertise visait à prévenir l’arbitraire de la police. Désormais elle peut devenir l’arme de l’arbitraire. (Cf. p. 45.)
Jean-Claude Milner, Clarté de tout, op. Cit., p. 169.
Jean-Claude Milner, La politique des choses,op. cit., § 13,p. 48.
Ibid., § 15, p. 60.
Ibid., § 17, p. 65.
Ibid.
Ibid., § 10, p. 39.
Ibid., § 17, p. 66.
Ibid.
Cf. Aristote, Les politiques I, 2, Trad P.Pellegrin, Garnier-Flammarion, 1993, pp. 91-92 : « seul parmi les animaux l’homme a un langage […] Le langage existe en vue de manifester l’avantageux et le nuisible, et par suite aussi le juste et l’injuste. »
Cf., Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne, trad. G. Fradier, Calmann-Lévy, coll. Agora, 1983, ch. V, pp. 231-268.
Ibid., p. 236 : « cette révélation du « qui » par opposition au « ce que » – les qualités, les dons, les talents, les défauts de quelqu’un, qu’il peut étaler ou dissimuler – est implicite en tout ce que l’on fait et tout ce que l’on dit […] il est propable que le « qui », qui apparaît si nettement, si clairement aux autres, demeure caché à la personne elle-même, comme le daimôn de la religion grecque qui accompagne chaque homme tout au long de sa vie, mais se tient toujours derrière lui en regardant par-dessus son épaule, visible seulement aux gens que l’homme rencontre. »
Jean-Claude Milner, Clarté de tout, op. Cit., p. 169.
J’emprunte cette idée à Claude Breuillot, qui lors de son intervention dans le cadre du groupe de travail sur la psychanalyse et la cité à la journée institutionnelle d’Analyse Freudienne du 05 octobre 2013 disait au sujet de l’analyste dans la cité : « pourrait-il être un veilleur, un lanceur d’alerte ? »
Que l’on songe ici aux débats sur l’autisme et aux recommandations de l’HAS en la matière, ou encore à la réglementation sur l’usage du titre de psychothérapeute et ses effets collatéraux.
Laurent Ballery