La constitution du refoulement et ses avatars. R. Lévy, 20/12/2017

SOUFFRONS-NOUS ENCORE DE NOS REMINISCENCES ?

Robert Lévy

20/12/2017

SEMINAIRE III

LA CONSTITUTION DU REFOULEMENT ET SES AVATARS

Je vais essayer de reprendre tous ces éléments pour les repréciser parce qu’il me semble, et cela paraît évident, que la question des réminiscences ne peut pas se traiter en dehors des questions qui concernent les refoulements de la façon la plus proche puisque, au fond, il n’y a pas de réminiscences sans refoulement. Les réminiscences étant essentiellement le résultat du ou des refoulements.

Après cela, toute la question se pose de savoir, ce que l’on a déjà essayé d’évoquer un certain nombre de fois à savoir : où commence la pensée ? (La réminiscence étant un type de pensée) qui entraîne une autre question, ou commence le refoulement ?

En sachant qu’il n’y a pas de pensée sans refoulement et de l’obligation de situer la question du ou plutôt des refoulements. C’est là où les choses se compliquent un peu étant donné que le rapport entre les pulsions et le refoulement est un rapport qui suppose une question qui concerne le refus de l’accès à la conscience d’un certain nombre d’éléments et c’est en cela que le refoulement nous intéresse.

Le refoulement originaire

Toute la question de la pensée en termes psychiques se pose de la façon suivante : ou commence le refoulement ?

C’est en tant que processus de mise à l’écart des pulsions qui se voient refuser l’accès à la conscience que le refoulement nous intéresse, comme l’origine même de ce qui constitue chez le parlêtre ce que l’on appelle penser ; en d’autres termes la condition de la pensée, c’est le refoulement.

Mais ce sont autant de formes de pensée qui se définissent aussi grâce à la forclusion, au déni et, bien entendu, à la dénégation. Je crois qu’il faut envisager ces éléments comme autant de pensées différentes.

Cela va jusqu’au point d’envisager la perversion et la psychose, comme structures, comme deux mondes auquel un névrosé n’a pas accès, ce qui rend compliqué le travail avec ces personnes qui relèvent de cette différence quant aux formes d’exclusion.

Je situerais ces éléments que sont la forclusion, le déni et la dénégation comme autant de formes d’exclusion que le sujet opère pour pouvoir construire quelque chose de l’ordre d’un mode de penser

Mais également, comme nous allons le voir tout ce qui est inconscient n’est pas nécessairement refoulé.

On pourrait presque dire autant d’opérations d’exclusion qui déterminent, entravent, définissent, inventent et produisent des théories sexuelles également constituées, chacune, par les variantes opératoires des formes d’exclusion que sont la Verdrängung (refoulement), Verneinung (négation), Verwerfung (forclusion).

L’intérêt pour ces opérations et, en particulier celle du refoulement, vient du constat que, par exemple, dans l’analyse avec les enfants, et surtout dans l’infantile, on fait à chaque fois l’expérience de cette sorte de magie de la disparition du symptôme si et seulement si on se met à une certaine place d’écoute des parents ou de ceux qui ont cette fonction pour l’enfant. Ce constat a donc pour conséquence qu’il doit bien exister un lien entre le symptôme et le refoulement tel que, si le refoulement se produit ou s’il ne se produit pas, les formes de la construction du symptôme seront différentes…

Alors, que s’agit-il d’exclure ou bien de réprimer (Unterdrückung) ou encore de refouler au sens allemand (Verdrängung) c’est-à-dire de mettre à l’écart (Abweisung) ou bien encore de tenir éloigné du conscient (die Fernhaltung) ?

Penser chez l’être parlant c’est, dès le départ, exclure, trier et surtout décider de quelque chose. C’est très important pour comprendre ce qui, très vite, deviendra la dimension de la socialisation par l’opération psychique d’exclusion du frère et bien sûr pour comprendre aussi ce qu’il en est des aléas que l’on connaît depuis toujours de l’exclusion, de l’hétérogène, c’est-à-dire de tout ou de tous ceux qui voudraient rompre notre propre homéostasie, cet équilibre nécessaire à ce que nos tensions soient réduites au minimum.

Le refoulement originaire et sa constitution

Ce qui pose le plus problème dans la théorie freudienne que Lacan va reprendre sous une autre forme est la question du refoulement originaire. Quand le refoulement commence-t-il ? D’ailleurs je trouve que la question est mal posée car ce n’est pas tant quand le refoulement commence mais quels sont les différents types de refoulement, ce qui n’est pas tout à fait la même chose.

Le terme même d’originaire est problématique car en évoquant cet Ur de Urverdrängung, on entend bien que ce « primaire » en Allemand, l’originaire, est en Français dans une connotation d’appartenance de lieu : être originaire de. Mais c’est aussi un paradoxe qui insiste sur ce fait de savoir comment il pourrait bien y avoir un refoulement avant même que l’inconscient ne soit constitué ? Je trouve que si l’on veut essayer de comprendre la question du refoulement originaire, cela ne peut pas être autrement qu’en faisant cette supposition. A savoir qu’il existe un mode particulier d’exclusion, de refoulement, avant même que l’inconscient ne soit constitué.

C’est donc bien une notion paradoxale et limite qui pose problème dont finalement Freud dit peu de choses en 1915 : « Nous sommes donc fondés à admettre un refoulement originaire »[1] comme s’il y avait une supposition nécessaire pour que sa théorie du refoulement puisse s’écrire.

Ainsi, le refoulement originaire questionne d’abord la dimension topique de la métapsychologie, c’est-à-dire celle qui désigne l’hétérogénéité des systèmes dans lesquels circule et se répartit l’énigme libidinale. C’est-à-dire la question des pulsions qui n’est d’ailleurs pas beaucoup plus simple si on la reprend puisqu’on a eu un certain nombre de discussion avec mon ami philippe Wolosko à Metz la semaine dernière ; parce que si la pulsion reste dans le biologique, cela laisse quand même quelque chose d’assez problématique. Mais on reviendra là dessus…

Ce que l’on peut tout à fait rapprocher de ce que Lacan nous indique : comment le premier refoulement concerne le passage du désir de la mère au Nom-du-Père via le phallus en tant que manquant.

Désir de la mère, Nom-du-Père, phallus sont donc à entendre comme cette hétérogénéité des systèmes où circule et se répartit l’énergie libidinale de la mère et de l’enfant avec laquelle peut, ou non, se produire une opération telle que l’enfant sorte de la valeur d’équivalent phallus pour sa mère. Il faut donc pouvoir penser à la fois un indissociable et un dissymétrique pour concevoir cette aire partagée que constitue le lien mère-enfant.

C’est assez compliqué car vous voyez bien que cette idée qu’il faudrait que l’enfant sorte de la valeur d’équivalent phallus pour sa mère est bien-sur l’aboutissement mais si en amont il n’a pas une place de phallus, c’est aussi un drame et c’est cela qui est compliqué. Il faut qu’il puisse avoir une place dans le phallus de sa mère, et on peut bien se demander quelle autre place il pourrait avoir si ce n’est cette place de phallus, mais que cette place il va falloir s’en départir à un moment donné. Évidemment, toute la question pour un sujet parlant va être celle-ci…

Le refoulement originaire s’y inscrit et se «transmet» à l’enfant en relation avec la structuration maternelle. C’est un truisme que de dire que dès le départ, s’opère un lien psychique entre la mère et l’enfant, puisque la mère est celle qui code les appels de l’enfant, c’est ce que J. Bergès appelle le transitivisme nécessaire de la mère, qui interprète d’emblée les désirs et/ou besoins de son enfant, leur prête un sens.

L’enfant est donc objet des messages de sa mère et installe son devenir grâce et à partir de cette première aliénation. Aliénation aux signifiants de la mère et en même temps aliénation nécessaire car si cela ne se produit pas, là encore, c’est la catastrophe.

Le refoulement originaire de l’enfant est à la mesure de la marque des refoulements maternels, comme autant d’énonciations venant de la part de sa mère, porteuse des signifiants que l’enfant introjectera. C’est une situation compliquée parce que ces signifiants sont introjectés sans représentations. Sans encore la possibilité qu’ils puissent se représenter pour le sujet enfant à cette époque en tout cas. Et donc, on peut faire là supposition que ce manque de représentations ou cette introjection de signifiants venant de la mère ne trouve d’autre impact que dans le corps même de l’enfant. C’est-à-dire que tout ce qui ne trouve pas de mode de représentation s’inscrit directement dans le corps. C’est à partir de ce grand malentendu de part et d’autre que se constituera le « bien entendu » du refoulement originaire chez l’enfant. Le refoulement originaire apparait dès lors comme le point zéro à partir duquel l’inconscient peut se constituer.

On pourrait presque forcer ce trait en disant que le refoulement est transmis par la mère au nourrisson qui lui-même y participe instantanément comme instance refoulante. L’enfant est « parlé » par la mère, par conséquent son inconscient « advient » à partir du désir de l’Autre inscrit par le langage. La jouissance maternelle accompagne les soins donnés à l’enfant, elle lui transmet une énigme ignorée de l’adulte et d’elle-même et c’est ceci, c’est-à-dire ces signifiants énigmatiques qui constituent cette instance du grand Autre.

Signifiants énigmatiques constituant justement ceux qui sont refoulés originairement. Il faut noter ici, comme le fait très justement encore remarquer J. Bergès, que la disparité entre le grand Autre, (ce stock de signifiants de départ énoncés par la mère) et le sujet, que l’on retrouve dans la différence que fait Lacan entre le grand Autre et l’inconscient, est nécessaire.

Il y a donc dans ce concept de refoulement originaire un deuxième point qui concerne l’idée qu’il s’agit de la représentation psychique de la pulsion. Le refoulement originaire serait donc à la fois un contre investissement et une fixation. Là encore cela pose problème parce que dire que c’est la représentation psychique de la pulsion supposerait qu’il y ait un inconscient déjà constitué. Hors c’est plutôt là, dans un premier temps, quelque chose qui n’est pas encore constitué sur le mode de l’inconscient.

Un inconscient sans sujet                                     

Mais alors dire , comme nous l’avons fait tout à l’heure que ce refoulement originaire suppose qu’ il pourrait bien y avoir un refoulement avant même que l’inconscient ne soit constitué, c’est admettre qu’il puisse y avoir également un inconscient sans sujet.

L’idée est la suivante : dans le séminaire XI, « L’acte analytique », Lacan fait en effet l’hypothèse d’un inconscient sans sujet, c’est-à-dire un ensemble de signifiants qui n’ont entre eux qu’un rapport de pure signifiance logique: la chaîne signifiante. Sans que le sujet y soit partir prenante. C’est cet inconscient qu’il faut pouvoir penser comme tel, inconscient sans sujet, faute de quoi on ne peut même pas soutenir la notion de refoulement originaire. S’agirait-il donc là d’une sorte d’arbitraire du refoulement ? En tout cas, il s’agit de ce que l’on nomme la matérialité du signifiant, signifiant dont Lacan trouve l’origine dans le Erinnerung symbol freudien, symbole mnésique dont on sait à quel point il s’enracine dans la matérialité du corps. C’est exactement ce que j’évoquais tout à l’heure c’est-à-dire ces signifiants qui n’ont pas de représentations et qui s’inscrivent directement dans le corps. Cet inconscient sans sujet est· « dans son fond structuré, tramé, chaîné, tissé de langage ». Mais il faut ajouter que c’est justement parce que le signifiant y joue un rôle fondamental que ce qui le constitue est sans sujet, c’est-à-dire arbitraire et fluctuant comme peuvent l’être les séparations entre unités sur la ligne du discours. Il y a ainsi des signifiants sans sujet mais, en revanche, à partir du moment où le refoulement existe on ne peut pas le concevoir indépendamment du sujet et ce sujet est celui qui origine aussi bien l’inconscient que le grand Autre qui, lui aussi, est constitué par des signifiants mais ceux-ci ne peuvent se penser, dans leur articulation logique, indépendamment du sujet.

Lacan, dans le séminaire « L’acte analytique », montre qu’aucun inconscient ne peut se soutenir si deux sujets dans leur disparité n’y contribuent. Cette disparité est essentielle et centrale et porte à la fois sur le sujet et le grand Autre : « Elle est nécessaire encore en ceci qu’elle seule permet de penser la castration au sens du refoulement. Sans refoulement, c’est-à-dire sans castration, il y a forclusion ».

La notion de transitivisme nécessaire de la mère, que développent G. Balbo et J. Bergès, semble très importante pour comprendre cela puisque c’est par ce transitivisme « tu as froid, tu as faim » que celle-ci vient constituer le grand Autre de l’infans en attribuant un savoir à l’enfant : « Elle fait appel au sujet qui sait », au savoir de l’infans en lui disant « tu as froid » Il est là en place de sujet supposé savoir que la mère interprète.

Mais on peut aussi constater, dans le cas où la mère n’a pas été assez transitiviste, que le grand Autre de l’enfant n’a aucun signifiant qui lui soit propre. Si la mère n’est pas transitiviste, selon l’hypothèse très intéressante de Berges, elle n’attribue pas de savoir à son enfant et par conséquent vide ou plutôt ne remplit pas le grand Autre de l’enfant de signifiants. Ou bien encore, il peut arriver que la mère, par son incapacité à faire l’hypothèse d’une demande chez son enfant, laisse ce dernier dans le besoin ou plutôt dans un excès de besoin impossible à élaborer dans le symbolique. Ce qui aboutit au non-accès à la parole, et peut aller du simple retard de langage jusqu’à l’autisme total, et faire ainsi passer le besoin non plus du côté du signifiant mais du corps. Au fond, dire cela c’est dire que la mère fournit des représentations… C’est-à dire que ce transitivisme est un mode d’attribution de représentations au signifiant et à quelque chose de l’ordre de ce qui vient du coté de la pulsion pour que cela puisse être « refoulable » et refoulé par l’enfant.

Comment ne pas entendre alors combien l’infans est parlé, combien il est l’objet de messages et que c’est justement cela qui fonde sa vie psychique pour autant qu’il mémorise et qu’il intériorise les signifiants auxquels la mère donne sens et qu’elle interprète comme autant d’expériences partagées qui s’ancrent sur l’inconscient maternel. L’enfant, de l’infans à l’infantile, devient donc désirant à partir du désir maternel, mais aussi de l’inscription d’un certain type de refoulement.

Le refoulement originaire est en rapport avec la naissance du sujet.

C’est peut être ici que la notion de sujet et de refoulement originaire se retrouvent dans l’idée que d’une part le refoulement n’est possible que s’il y a possibilité de distinguer plaisir et déplaisir et d’autre part que l’opposition plaisir/ déplaisir est un paradoxe nécessaire à l’existence et par conséquent fondamental à la constitution du sujet. Il s’agit toujours et il faut le rappeler de refouler quelque chose qui a un rapport avec du déplaisir. Ce ‘déplaisir’ il faut ici le préciser encore un peu plus car il ne s’agit pas tant de l’opposer à plaisir mais de le considérer plus tôt comme ce qui est du ressort d’un excès, d’un excès de jouissance, plutôt excès de plaisir dans laquelle le sujet se trouve alors aliéné.

Ce qui est également constitutif de l’autre puisque l’imitation est un des premiers modes avec lequel le petit d’homme se constitue

Alors évidemment ceci n’est pas vrai pour tout sujet puisque par exemple dans certaines formes d’Autisme on a pas du tout l’impression que cette distinction plaisir / déplaisir fonctionne. C’est une des caractéristiques de certains enfants autistes.

Il y a bien entendu une très importante modalité constitutive du sujet via l’inconscient de ses parents et de ce fait, l’enfant se trouve assujetti à l’inconscient du couple parental et par conséquent objet d’autant plus assujetti aux chaînes signifiantes de ses géniteurs. Mais l’enfant devient également créatif à partir de sa propre activité et tout aussi imprévisible malgré cette structuration. D’où toute une série de conséquences qui lient définitivement le symptôme de l’enfant à ses parents : « Dans la conception qu’en élabore Jacques Lacan, le symptôme de l’enfant se trouve en place de répondre à ce qu’il y a de symptomatique dans la structure familiale (…) Le symptôme peut représenter la vérité du couple familial ».

Nous ne saurions mieux préciser ceci qu’en continuant à paraphraser Lacan dans ce même texte:

« L’articulation se réduit de beaucoup quand le symptôme qui vient à dominer ressort à la subjectivité de la mère. Ici c’est directement comme corrélatif d’un fantasme que l’enfant est intéressé », fantasme de la mère où l’enfant à la place de phallus. (…) « Il devient l’objet de la mère, et n’a plus de fonction que de révéler la vérité de cet objet ». « L’enfant réalise la présence de ce que Jacques Lacan désigne comme objet a dans le fantasme ». L’opération est compliquée puisqu’il faut à la fois que l’enfant ait une place dans le fantasme de sa mère mais encore qu’il puisse en sortir.

Constitution du refoulement originaire et du grand Autre

Cet « échange » mère/enfant, constitutif du grand Autre et de l’inconscient de l’enfant, correspond très exactement à la différence de conception du signifiant chez Saussure et Lacan. En effet, chez Saussure la théorie du signe est indissociablement liée à une théorie du signifiant et du signifié, sorte d’union intime de cet appariement, alors que pour Lacan la théorie du signe ne doit rien à Saussure puisqu’elle est empruntée à la théorie de Peirce : « Le signe représente quelque chose pour quelqu’un », « le signe suppose le quelqu’un à qui il fait signe de quelque chose ». Ne retrouvons-nous pas là l’exacte définition des rapports de transitivisme mère/enfant? A savoir : le signe suppose le quelqu’un à qui il fait signe de quelque chose. « Mais aussi d’une certaine façon si le signifiant est signe, il est signe d’un sujet ».

Mais il s’agit ici de sujet au sens spécifique de l’inconscient. « Sujet ponctuel et évanouissant, car il n’est sujet que par un signifiant et pour un autre signifiant ». Sujet véhiculé « de signifiant en signifiant » sur la chaîne qu’ils constituent.

Il semble nécessaire d’insister ici sur l’idée de l’extension que Lacan va donner au signifiant. La notion de signifiant en vient à être explicitement présentée comme un équivalent de celle de structure (quoique métonymique):

Ce qui pourrait bien définir le refoulement primaire comme l’exclusion d’un signifiant : un trou dans la chaîne. C’est-à-dire un signifiant qui fasse trou dans la chaine.

Ce sont « les mécanismes originels de l’aliénation, ce Vorstellungsrepräsentanz, dans ce premier couplage signifiant qui nous permet de concevoir que le sujet apparaît d’abord dans l’Autre, en tant que le premier signifiant, le signifiant unaire, surgi au champ de l’Autre et qu’il représente le sujet, pour un autre signifiant, lequel autre signifiant a pour effet l’aphanasis du sujet. C’et-à-dire la disparition du sujet, d’où division du sujet. Je crois que l’on peut reprendre cette idée de division du sujet dans ce fait que si le signifiant représente le sujet pour un autre signifiant, entre les deux, au moment de ce passage d’un signifiant à l’autre, il y a forcément division du sujet…

La pensée, effet du signifiant                                    

Peut-être faudrait-il à nouveau préciser cette notion de « pensée ». On trouve dans le séminaire « La logique du fantasme » et particulièrement dans la séance du 15 février 1967 les remarques suivantes de Lacan qu’il me semble important de rappeler pour suivre cette question : » qu’est-ce-que penser ? Qu’est-ce que la pensée au sens psychique : « (…) la pensée telle que nous l’entendons n’est pas l’animé, elle est l’effet du signifiant, c’est-à-dire : en dernier ressort de la trace ; ce qui s’appelle la structure c’est cela. Nous suivons la pensée à la trace et à rien d’autre, parce que la trace a toujours causé la pensée (…) que Freud inventant la psychanalyse ce soit l’introduction d’une méthode à détecter une trace de pensée là où la pensée elle-même la masque de s’y reconnaître autrement que la trace ne la désigne, voilà ce que j’ai promu.»

Pour reprendre cette question, il suffirait peut-être de dire qu’une trace est quelque chose qui, par excellence, est effacé. Sur le thème : « pas de trace de trace de pas », je vous rappelle cette métaphore qui est celle que l’on puisse marcher sur le bord de mer, on inscrit sa trace, une vague arrive et la trace disparaît. Donc ce que nous explique Lacan est que la pensée est issue de cette opération de trace et d’effacement de la trace. Et c’est à partir de ce deuxième temps que l’on peut aussi qualifier de négation au sens de ce qui institue fondamentalement le sujet, que la pensée peut se mettre en route. Au fond la pensée c’est toujours quelque chose de conflictuel. Freud la définie d’ailleurs tout à fait comme cela. C’est à partir du moment où l’enfant se trouve confronté à l’idée de la mort qu’il y a conflit, à savoir quelque chose d’impensable.

En d’autres termes, pour Lacan la pensée est l’effet du signifiant, c’est-à-dire de la trace qui constitue ce qu’on appelle la structure.

Par conséquent, la psychanalyse est une méthode qui consiste à détecter cette trace (de pensée) là où la pensée en masque la trace. Dans cette façon de poser les choses, la question même du Réel est posée ; on pourrait dire que de cette façon, rien de plus réel que cet effacement de la trace c’es-à-dire ce qui devient impensable à partir du moment où quelque chose s’est produit et qui n’existe plus et que c’est ce que nous avons pour tâche. Cette dernière définition pourrait constituer en elle-même la définition de toutes les modalités d’organisation d’exclusion par lesquelles la pensée masque la trace : Verdrängung, Verwerfung, Verleugnung ( autour de la perversion que Lacan va traduire par « louche refus ») et bien sûr Verneinung qui sont tout autant de modalités structurales produites pour masquer la trace et donc des modalités de pensée, c’est-à-dire différentes modalités d’effets du signifiant.

La grande proximité du refoulement originaire et de la forclusion

Il y a plusieurs courants de pensée que je voudrais maintenant éclairer quant à savoir si les psychoses supposent un refoulement ou non. Je fais l’hypothèse qu’il s’agit d’une certaine confusion entre les termes de refoulement originaire et forclusion.

Il y a une grande proximité dans la façon dont Lacan définit Verwerfung et Verdrängung. En effet, dans la séance du 15 février 1967 du séminaire « La logique du fantasme », il nous dit ceci : « Je ne fais pas allusion ici à autre chose qu’à la formule que j’ai donnée de la Verwerfung ou rejet qui est que tout ce qui est rejeté du symbolique reparaît dans le réel ».

Définition de la Verwerfung qui n’est pas très éloignée de celle de l’Urverdrängung, refoulement originaire, que l’on trouve alors comme définition du refoulement originaire que Lacan nous indique dans la séance du séminaire le Sinthome du 9 décembre 1975 : « (…) il y a une Urverdrängung, il y a un refoulement qui n’est jamais annulé. Il est de la nature même du symbolique de comporter ce trou ; et c’est ce trou que je vise, que je reconnais dans l’Urverdrängung elle-même. »

En résumé, dans la Verwerfung, la forclusion est ce qui est rejeté du symbolique et qui reparaît dans le réel alors que le refoulement originaire est le trou dans le symbolique, refoulement à jamais présent qui constitue la nature même du symbolique, refoulement donc irréductible, manque central dans le système symbolique. Vous voyez que c’est quand même dans une très grande proximité puisque dans les deux cas il y a trou. Dans l’un, le refoulement originaire, on n’en entend plus jamais parler, il n’y a pas de retour de ce refoulement originaire ; dans l’autre, la forclusion, il y a retour de ce qui a été rejeté initialement du symbolique initialement et qui revient dans le réel sous forme de toutes les modalité d’expressions des psychoses. Selon Lacan, Verwerfung et Urverdrängung sont dans un rapport de définition homéomorphe, de même nature. C’est-à-dire de la nature qui définit la structure même du sujet qui pour la forclusion recouvre cette définition.

L’objet qui est soumis à la Verwerfung/forclusion c’est « ce qui a été mis hors de la symbolisation générale structurant le sujet ».

La définition peut encore être identique à celle de l’Urverdrängung (refoulement originaire) mais pas à celle de la Verdrängung (refoulement simple ou encore dit secondaire) puisque justement équivoque ou plutôt hésitation de Lacan autour de la définition de la forclusion.

En effet, comme le fait remarquer Michel Arrivé qui en fait un historique remarquable, les non-lacaniens cherchent à diluer la Verwerfung parmi d’autres mécanismes voisins de l’exclusion au sens d’un refoulement particulier, alors que les lacaniens au contraire visent à garantir la spécificité de la Verwerfung comme la forclusion c’est-à-dire ce qui est initiatique de la psychose.

Pourtant, si la lecture de la définition de la forclusion nous amène à la rapprocher de celle de l’Urverdrängung du refoulement originaire, il n’en demeure pas moins que la Verwerfung (forclusion) est très différente de la Verdrängung (refoulement) même si les objets sur lesquels elle s’exerce sont de même nature : « De quoi s’agit-il quand je parle de Verwerfung ? Il s’agit du rejet d’un signifiant primordial dans les ténèbres extérieures, signifiant qui manquera dès lors à ce niveau (…), il s’agit d’un processus d’exclusion d’un dedans primitif, qui n’est pas le dedans du corps mais celui d’un premier corps de signifiant ».

On reste très proche de la définition de la pensée que nous avons indiquée précédemment et qui renvoie à l’Urverdrängung (refoulement originaire).

Il n’en demeure pas moins que l’on se trouve face à un véritable problème de traduction puisque, pour forger son terme de forclusion, Lacan utilise ou plutôt extrait de Freud dans « l’Homme aux loups » : « Il la [castration] rejeta et s’en tint à la théorie du commerce par l’anus. Quand je dis : il la rejeta, le sens immédiat de cette expression est qu’il n’en voulut rien savoir au sens du refoulement ».

Et là, Freud parle bien de Verdrängung (refoulement) et non pas de Verdrängt (refoulé). Toujours est-il que Lacan se saisit de cette remarque de Freud et en donne deux traductions.

Il n’en voulut rien savoir au sens du refoulé

Il n’en voulu rien savoir au sens du refoulement.

Freud, toujours dans le même passage de « L’Homme aux loups », rapproche ou plutôt définit le rejet (traduction des PUF) par le refoulement, en laissant équivalent Verwerfung = Verdrängung. Il ne distingue pas les deux modes de rejet, en quelque sortes ou d’exclusion dans ce qu’il attribue à la question posée par « L’homme aux loups

Lacan de son côté finira par différencier totalement Verwerfung (le rejet, la forclusion) de son rapport à la Verdrängung ou refoulement et fera remarquer ceci :

« Le texte de Freud, incontestablement éclatant, est loin d’être satisfaisant, ça confond tout, ça n’a rien à voir avec une Verdrängung ».

Ce qui le conduira à lui donner une nouvelle définition ; en effet, ce n’est plus la forclusion de la castration mais « de quoi s’agit-il quand je parle de verwerfung ? Il s’agit d’un rejet d’un signifiant primordial dans les ténèbres extérieures, signifiant qui manquera dès lors à ce niveau ».

Si dès lors la forclusion n’a plus rien à voir avec le refoulement, néanmoins, cette dernière définition de Lacan a beaucoup à voir avec celle qu’il nous avait donnée dans le séminaire « Le Sinthome » :

« Il y a une Verdrängung, il y a un refoulement qui n’est jamais annulé, il est de la nature même du symbolique de comporter ce trou ; et c’est le trou que je vise, que je reconnais dans l’Urverdrängung elle-même ».

Et si, à nouveau, on rapproche de cela la définition que donne Lacan de la Verwerfung/forclusion « tout ce qui est rejeté du symbolique reparaît dans le réel », on peut alors se poser la question suivante : la différence entre Verwerfung et Urverdrängung serait telle que dans un cas : celui de la forclusion (Verwerfung), ce qui est rejeté du symbolique reparaît dans le réel et que dans l’autre cas : celui de l’Urverdrängung (le refoulement originaire) ce qui est rejeté, exclu, fait trou, dans le symbolique, donc ne reparaît plus dans rien. C’est une différence très ténue puisque dans un cas quelque chose fait trou mais réapparait et dans l’autre cas, quelque chose fait trou mais ne réapparait plus jamais.

On pourrait résumer ainsi ces deux concepts :

Dans le refoulement originaire, une exclusion sans retour (Urverdrängung),

Dans la forclusion, une exclusion avec retour (Verwerfung) dans le réel.

La définition de la psychose, de la forclusion donc, serait plutôt du côté de ce qui fait trou dans le symbolique. Or c’est justement là la définition non pas de la forclusion mais du refoulement originaire alors que la forclusion renvoie à ce qui reparaît, donc ce qui fait retour comme le fait le refoulé. Il y a donc une certaine conception du refoulement même dans les psychoses qui est celle du refoulement originaire dont le devenir particulier sera que ce qui a été exclu du symbolique réapparaitra dans le réel.

Tout ceci pour montrer que Lacan, bien loin de proposer une doxa constituée par la définition de concepts, hésite. Jusqu’à un certain point puisqu’il nous proposera dans Ecrits la définition suivante :

« La forclusion sera donc tenue par nous comme forclusion du signifiant. Au point où, nous verrons comment, est appelé le nom du père, peut donc répondre dans l’Autre un pur et simple trou, lequel par la carence de l’effet métaphorique provoquera un trou correspondant à la place de la signification phallique ».

Dès lors, la forclusion est en effet l’exclusion d’un signifiant : le signifiant du Nom-du-Père qui, par son exclusion, produit un trou dans l’Autre car sa fonction de métaphore (métaphore produite par le signifiant Nom-du-Père qui n’a pas lieu) n’ayant pas son efficacité, provoque un trou à la place de la signification phallique.

Ainsi pour reprendre la question de Freud chez l’homme aux loups, il n’est plus question de vouloir savoir quelque chose ou pas de la castration, comme le refoulement en laisserait, en tant que mécanisme, la possibilité puisqu’il en reste toujours quelque chose mais d’un autre mécanisme d’exclusion où l’on n’a pas ce choix qu’offrait le refoulement. La forclusion, c’est un non-savoir sur la castration qui fait trou, donc rien à voir avec la castration ou bien encore avec son déni. C’est donc le point d’achoppement pour Lacan là où pour lui, Freud confond forclusion et refoulement. Il n’y a pas de choix dans la forclusion alors qu’il y en a un possible dans le refoulement.

 

[1] Freud Métapsychologie Paris PUF 1974

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