Là où il n’y a pas de réminiscences. R.Lévy Paris 21/03/2018

SOUFFRONS-NOUS ENCORE DE NOS REMINISCENCES ?

Robert Lévy

21/03/2018

SEMINAIRE V

Là où il n’y a pas de réminiscences

 

 

 

Je vais essayer de travailler dans la continuité de ce que Jacquemine nous a dit la dernière fois. En effet, tout ce qu’elle a apporté concernant le Sinthome et les relais du symbolique nous conduit à entendre qu’il y a des structures pour lesquelles la question des réminiscences se joue d’une toute autre façon, voire même n’existe pas ou plutôt n’a pas lieu. Je crois que la question du lieu, lieu psychique est plus à même de préciser ce que je vais essayer de vous dire ce soir.

J’ai le sentiment que les réminiscences sont un faux-ami en quelque sorte. A vouloir entendre la question du symptôme du coté des réminiscences, cela nous conduit à être à coté de ce qui est le plus important. C’est une hypothèse que j’essaierai de vous proposer, à discuter bien entendu.

C’est aussi avec grand intérêt que je reprendrai tout d’abord ce que Carole Waters nous a amené lors de notre demi-journée sur les psychoses.

Ainsi comme elle le fait remarquer. On peut donc partir de l’idée que la réminiscence est : « en un mot, un réveil fortuit de traces anciennes dont l’esprit n’a pas la conscience nette et distincte ; »[1]écrit Sainte-Beuve. Je crois que ce n’est pas suffisant pour travailler cette question de la réminiscence dans l‘analyse même si cela me semble assez proche d’une première écoute de ce que l’on peut dire sur cette question.

Donc une trace laissée en un lieu  dont le sujet n’a pas idée, qui amène directement Carole à se reporter à Freud dans l’Esquisse : « Quand une chaîne de pensées se heurte à l’image mnésique encore « indomptée », des indices de qualité (souvent d’ordre sensoriel) surgissent en même temps que des impressions déplaisantes et des tendances à la décharge dont la combinaison caractérise un affect particulier. La chaîne des pensées se rompt alors. »[2]

Et donc nous pouvons faire la différence entre deux lieux :

1/ Celui où la réminiscence est symbole phonologique représentant le son de la langue, défini par les propriétés distinctives qui l’opposent, qui contrastent avec les autres sons de cette même langue.  Et,

2/  Celui de la remémoration qui   concerne les choses imprimées dans le système nerveux, et pourvues de lettres.

Par conséquent la réminiscence s’inscrit du côté du son et la remémoration du côté de la lettre.

On a d’ailleurs également bien suivi la dimension du son de la  lalangue avec l’exposé de Charles MARCELLESI.

Je rappelle que la langue et la lalangue ne sont pas la même chose. La lalangue est un bain de langage familiale et culturel dans lequel l’enfant a été construit.

Ne sommes-nous pas alors à nouveau confrontés à ce débat sur la double inscription dans l’inconscient, à savoir pour Freud :

1/ la première inscription

Celle dans la fameuse lettre du 6 décembre 1896 où Il précise le processus psychique de la mémoire et de la remémoration, il nomme« trace mnésique perceptive». Quand il reprend la question en 1923 dans l’introduction de son article Le Moi et le Ça, Freud souligne que cette première inscription n’est pas susceptible de « devenir consciente » sous cette forme, elle va donc devoir être transformée. »

Il souligne que les premières expériences sont celles qui tendent le plus à se répéter par la suite et ceci en fonction de la faiblesse des processus de synthèse à cette époque. De telles hypothèses impliquent que les traces premières se répètent tant qu’elles n’ont pas été intégrées par la capacité de synthèse psychique. On reviendra sur ce thème de synthèse psychique, terme un peu énigmatique… S’agit-il de la capacité ensuite de pouvoir accéder à une sorte de symbolisation ? Ou est-ce plus prosaïquement la possibilité de pouvoir ensuite transformer ces traces mnésiques en Vorstellungsrepräsentanz c’est-à-dire en représentant de la représentation ? Les deux hypothèses ne sont pas incompatibles, il faut simplement essayer de préciser s’il s’agit ici de l’une ou de l’autre…

Pour Freud, dès 1891 et la contribution à l’étude de l’aphasie, la représentation n’est rien d’autre que l’ensemble des liaisons établies entre des diverses données perceptives. Vous voyez que tout de suite, c’est le terme de perception qui nous embarrasse un petit peu. Qu’est-ce que c’est qu’une perception ? Est-ce de l’ordre du pulsionnel ? De l’ordre de la sensation ? Du mot ? C’est assez imprécis. Et c’est bien là où l’on retrouve cette différenciation dans le mode de représentation et par conséquent d’inscription dans l’appareil psychique, différenciation pour Freud entre représentation de mot et représentation de chose, que l’on peut aisément diviser également entre réminiscence du côté du son, du phonologique et remémoration du côté de la chose, de la lettre donc (voir le schéma).

 

 

Pourtant la question demeure de savoir s’il existe des perceptions, c’est-à-dire des inscriptions sans représentations, puisque l’appareil psychique tend à toujours produire des représentations à fin de pouvoir soulager la composante traumatique de toute inscription qui n’aurait pas de représentation. Il y a là d’ailleurs un débat que l’on peut ouvrir comment le réel impacte cette dimension de ce qu’on appelle perception. C’est bien gentil d’avoir une peau qui a des perceptions, des oreilles qui peuvent entendre, un nez qui peut sentir, est-ce que tout ce ressort du perceptif s’inscrit indépendamment de la question dont le réel impacte tous ces éléments là ? Au départ, l’enfant est baigné dans un bain de réel par lequel il est totalement bombardé et pour lequel il y a peu de recours si ce n’est celui de sa mère qui pendant assez longtemps lui sert de filtrage avec son propre fantasme. Vous voyez déjà que cette question des perceptions, si on ne la complète pas avec l’apport lacanien sur le réel, cela reste une sorte de livre blanc sur lequel s’inscrit, petit à petit un certain nombre d’éléments qui vont constituer peu à peu l’appareil psychique. Or je ne crois pas que l’on puisse dire ça comme ça, parce que cette constitution, si elle existe, est quand même lié à ce qui peut se représenter  ou non ; c’est-à-dire à la façon dont le réel impacte toutes ces représentations qui dans, un premier temps, sont impensables.

Du coup la question en revient alors  à celle de savoir comment, non pas une perception mais un « impensable » peut s’inscrire dans l’appareil psychique. Cela me semble plus adapté à la façon dont cliniquement on perçoit l’infantile par exemple.

Nous verrons tout à l’heure que le choix de Lacan pour l’exclusivité de l’inscription du signifiant, en laissant de côté la théorie Freudienne des pulsions, est peut être une façon de répondre à cette question de comment le réel impacte ces « dites » perception. C’est-à dire comment l’impensable travaille la question du psychique avant toute autre question.

Or La matière psychique première selon Freud va donc devoir être métabolisée psychiquement (P. Aulagnier, J Laplanche) et cette métabolisation, clé de l’intégration psychique, va s’effectuer par un processus de symbolisation. Là on commence à être un peu plus dans les questions que l’on connaît puisqu’en effet, qu’est-ce qu’il y aurait d’autre comme possibilité de synthétiser ou métaboliser toutes ces questions de perceptions, c’est à dire de travail du réel, si ce n’est la symbolisation. Or le problème est que le réel ne se symbolise pas. Nouvelle problématique et nouvelle question : comment symboliser le réel ?

Ce processus de symbolisation rendrait possible un processus de subjectivation, un processus d’appropriation ou d’intégration subjective, c’est-à-dire un processus par lequel le parlêtre  s’approprie son expérience vécue. Nouveau problème : comment peut-on s’approprier une expérience vécue si ce n’est à travers le fantasme ? Or dans un premier temps, on peut quand même dire que le fantasme n’est pas constitué. Donc comment s’approprie-t-on dans ce premier temps non constitutif du fantasme ce qui est de l’ordre de l’expérience vécue ?

C’est ce que nous appelons également les « processus de métaphorisation », qui vont permettre de comprendre comment on s’approprie une expérience vécue. C’est-à-dire que l’on ne peut pas se l’approprier si ce n’est à partir d’un certain mode de métaphorisation. Du reste, ce mode de métaphorisation ne peut se produire qu’à partir du moment où le fantasme nous permet d’une part de filtrer le réel ( à ce moment là quelque chose peut se mettre en route) et d’autre part de métaphoriser quelque chose à partir du fantasme. Alors métaphoriser au sens des processus de métaphorisation, il n’y en n’a pas qu’un… La question de l’intégration du signifiant du nom du père est un processus de métaphorisation majeur et sans doute principal mais cela ne s’arrête pas là. On ne peut pas considérer que pour autant qu’un enfant ait pu constituer quelque chose du père, au sens de son signifiant, que cela suffise pour rentrer complètement dans le symbolique. C’est une étape importante, nécessaire, mais sans doute pas suffisante.

Pourtant, Freud ne nomme pas le processus de métaphorisation comme tel. Il reste sur ses idées de subjectivation, d’intégration subjective etc..

C’est en effet un apport tout à fait fondamental de la pensée freudienne issue de la seconde topique (ou de la seconde métapsychologie) que celui de considérer que « l’expérience subjective » n’est pas immédiatement saisissable et appropriable mais qu’il existe une tension psychique en direction de cette appropriation.

Il faut, je crois, entendre cette notion comme ce qui est aussi dépendant des processus de refoulement qui permettent, ou pas, que les processus de métaphorisation se mettent en place. En gros, il n’y a pas d’intégration dans la métaphore si les refoulements secondaires ne sont pas en place.

Du reste on voit bien que certains adolescents pour qui la question de la psychose se pose avec le débat de la psychose partielle, état limite, on voit bien que c’est un faut débat. C’est un faut débat parce qu’en fait, on passe à coté des processus de métaphorisation qui pour certains ne se sont pas mis en place. Pas  pour des raisons de psychose mais pour des raisons de non intégration des processus de refoulements secondaires. Car si le processus de refoulement secondaire ne se fait pas, les processus ne peuvent pas entrer en travail et donc on voit des adolescents qui ont l’air psychotiques mais en fait, je pense que c’est plutôt  du registre de la difficulté pour eux d’intégrer les processus de métaphorisation pour des raisons de manque de refoulement.

Quoi qu’il en soit,  cette « tension psychique » est clairement indiquée par Freud dans le célèbre énoncé de 1932 « Wo es war Soll ich Verden », que l’on peut traduire par « Là où ça était, je doit advenir », le ça étant ici le lieu d’inscription, ce que Freud nomme     «matière première psychique », qui est justement de l’ordre de l’impact des sons et de la lettre ; en d’autres termes, ce qui va produire ou des réminiscences ou des remémorations …

Mais comme je l’avais fait remarquer déjà lors du dernier séminaire Freud propose trois types d’inscriptions  de l’expérience psychique :

 

 

I                II                   III

P                Sp             ics               pcs         cs

W               Wz           Ub               Vb         Bw

XX                XX           XX               XX          XX

X

X                 XX             X        X               X

 

P = perception (wahrnehmung)

sP= signe de perception (wahrnehmungszeichen)

Ics = l’inconscient (Unbewusste)

c= conscient (bewusstes)

 

Une première inscription qu’il nomme, dans le fil de la lettre, « trace mnésique perceptive » pour la différencier du processus de perception qu’il imagine différent à l’époque.

Une inscription inconsciente ou une seconde inscription dont il dira qu’elle est conceptuelle et qui est inscrite sous forme de représentation de chose.

Enfin une troisième inscription préconsciente qui représente l’inscription en représentation de mot et en langage verbal.

Par la suite on note une hésitation chez Freud et quand, par exemple, il reprendra la question en 1915 dans les Essais de métapsychologie, il évoque le problème de la double inscription qui désigne alors la question des rapports entre représentation de chose et représentation de mot. Ce qui va donner lieu à des débats extrêmement riches mais aussi à une coupure lacanienne par rapport à cette question de deux représentations

Mais au fond Freud accorde peu d’intérêt à la linguistique scientifique et comme le fait très justement remarquer MILNER[3]« En revanche, un très grand intérêt est porté à d’éventuelles propriétés du langage. Exemple célèbre entre tous : le sens opposé dans les mots primitifs sont censés témoigner d’une propriété de langage, propre à éclairer des processus inconscients ».

Lacan rompt absolument avec cette séparation entre représentation de chose et représentation de mots et porte un intérêt majeur à la « linugisterie »

En effet c’est avec la référence à Saussure  et un grand intérêt pour la linguistique dans sa forme post saussurienne et plus spécialement structuraliste   qu’il modifie  cette conception. Ainsi  le signifiant, d’élément acoustique indissociable du signifié, devient élément du langage «à caractère matériel[4] ». Ou encore de la «lettre», c’est-à-dire « ce support matériel que le discours concret emprunte au langage [5]».

Avec « L’inconscient est structuré comme un langage », il adopte le point de vue structuraliste selon lequel : étant admis qu’un langage a des propriétés de structure, et cela est démontré par la linguistique, l’inconscient a les mêmes propriétés. Peu importe les procédures par quoi ces propriétés sont établies[6].

Le signifiant pourtant emprunté à la linguistique   est alors tout à fait distinct du signifié. C’est une tentative pour trouver un fondement matériel à la structure symbolique et à l’inconscient. On peut faire la remarque que pour Lacan, la structure, ce qui fait symbolique, c’est le signifiant et la loi du signifiant. «Plus il ne signifie rien plus le signifiant est indestructible[7]  ».

Cette orientation s’accentue encore un peu plus avec une référence à la cybernétique vers 1954.

En effet, sans son séminaire, Lacan illustre le symbolique par les séries de chiffres du langage informatique et le rapport syntaxique qui les lie.

C’est la théorie selon laquelle ce n’est pas en tant qu’il serait une langue que l’inconscient connait la métaphore et la métonymie, mais en tant qu’il est structuré[8].

De ce fait le symbole peut s’incarner dans une machine,  le sens est apparent et il n’existe que des rapports entre éléments formels.[9]

Puis en radicalisant progressivement son propos, Lacan en vient à répudier le sens. Lacan va essayer de travailler dans le hors sens. C’est-à-dire réduire la fonction de l’imaginaire le plus possible. Le langage devient « dénué de signification[10]». C’est la période hyper structuraliste de Lacan. En effet, par « structuré comme un langage », on peut dire alors qu’un langage n’a rien de plus que les propriétés de la structure.

Mais la doctrine du signifiant a un programme puisque dans ces propriétés de plus en plus quelconques du signifiant (donc hors signifié) considéré comme structure, il y a l’émergence du sujet.

C’est pourquoi on constate une mise à l’écart du sens et de la pensée qui atteint son maximum dans les développements sur la « machine » qui se réfère aux robots.

La machine cybernétique est identifiée à une structure détachée de l’activité du sujet si bien que « le symbolique, c’est le monde de la machine » [11]De cette comparaison, il en découle que « si la machine ne pense pas il est clair que nous-mêmes ne pensons pas [12] ». C’est aussi une façon d’abraser le système de pensée ; la pensée ne venant alors que produite par les effets de la structure à savoir le signifiant.

Le symbolique est réduit à des phénomènes de code qui effectivement sont toujours actualisés au travers d’un support matériel dans l’informatique. Il y une autonomie et une primauté du signifiant. Le signifiant devient un élément « discret  » [13](au sens mathématique), c’est-à-dire individué, indivisible, caractérisé par sa présence ou son absence. On voit bien la tendance à ce « réductionnisme » du sens et de l’imaginaire qui va l’amener à essayer de trouver une modélisation de structure qui ne passe pas par le langage. Ce sera alors le recours au nœud borroméen et à une écriture qui ne soit plus du tout référée au sens.

Vers 1955/1956 lors du séminaire sur la psychose, Lacan est poussé à récuser les deux piliers traditionnels de la psychanalyse que sont, l’idée d’une psychogenèse et celle d’un inconscient fondamentalement pulsionnel. En effet, si c’est la structure symbolique qui constitue le sujet cela ne peut se faire que d’un coup et il n’y a pas de genèse progressive du psychisme dans l’interaction avec l’autre. La référence à Saussure se modifie et le signifiant, d’élément acoustique indissociable du signifié, devient élément du langage  «à caractère matériel[14] » Ou encore « lettre », c’est-à-dire « ce  support matériel que le discours concret emprunte au langage[15] . ».

Il est alors tout à fait distinct du signifié selon Ferdinand de Saussure. C’est une tentative pour trouver un fondement matériel à la structure symbolique et à l’inconscient. « Plus il ne signifie rien plus le signifiant est indestructible [16]»

L’orientation s’accentue encore un peu avec une référence à la cybernétique vers 1954. Dans son séminaire, Lacan illustre le symbolique par les séries de chiffres du langage informatique et le rapport syntaxique qui les lie.

Finalement le contenu de l’inconscient est constitué par des signifiants  ce qui conduit Lacan à réinterpréter le déplacement et la condensation en termes de métonymie et de métaphore.

Cela aboutit à donner une formule phonématique de l’inconscient. C’est ce que fera Serge Leclaire qui nous dit au sujet du cas de Philippe en 1964 que la formule de son inconscient est « Poor(d)j’e-li », ce qui est approuvé par Lacan [17].

L’idée de chaîne phonématique a été suggérée dans L’instance de la lettre dans l’inconscient [18]d’ailleurs référé à son aspect le plus matériel possible, celui des caractères d’imprimerie.

Pousser  au maximum l’hypothèse du signifiant aboutit à suggérer que la chaîne phonématique des signifiants produit le désir du sujet et est constitutive de son inconscient. C’est-à dire que d’une part le sujet vient parce qu’il y a du signifiant et d’autre part, le désir du sujet est constitutif de son inconscient pour autant que cet inconscient soit structuré comme un langage, par les signifiants.

Tout ceci pour vous montrer que la double inscription Freudienne est évacuée par Lacan au bénéfice d’une inscription essentiellement du signifiant qui revêt en lui-même les caractères de lettre et d’image acoustique  comme on vient de le voir dans l’évolution de la construction du symbolique ce qui  peut se résumer par la formule : « Il n’y a pas de psychogenèse car l’inconscient est constitué par une structure signifiante »  [19]

Il me semble que tout ceci  nous amène très directement à rectifier l’intitulé du thème de l’année et passer de « souffre-t-on encore de nos réminiscences ? » à « souffre-t-on encore du signifiant ? » Là où donc on croit souffrir d’une image ou du retour d’un son ; ce n’est en fait que du signifiant dont il s’agit ….

En d’autres termes on pourra toujours interpréter ou encore retrouver tous les signifiés d’une réminiscence, si on y entend pas le signifiant en jeu, la souffrance continuera à se répéter …

Je crois que nous pouvons alors nous engager sur un nouveau débat qui serait plus tôt autour de ce qui est du ressort du spécularisable  ou du non  spécularisable puisque la tendance du psychisme est toujours à produire de la représentation que l’on peut assimiler au spécularisable. Cette tendance aboutit donc à produire le Fantasme, domaine par excellence du spécularisable ; mais tout autant à rappeler que le premier spéculaire se produit au stade du miroir.

C’est, lors du stade du miroir, et avec l’avènement de la matrice symbolique où le « Je » va se précipiter en une forme primordiale orthopédique de sa totalité, qu’advient pour Lacan le passage  dans une acception classiquement freudienne de l’auto-érotisme au narcissisme proprement dit.

Ce que Lacan désigne par « image du corps morcelé » correspondrait à la première étape, à ce que Freud a décrit jadis par l’auto-érotisme et le règne des pulsions partielles, alors que le stade du miroir correspondrait à l’avènement du narcissisme primaire, mais ici appréhendé en tant que forme, en tant que Gestalt.

C’est par cette forme, cette Gestalt, que le sujet anticipe, et à laquelle il s’aliène, que se soutient le caractère imaginaire du Moi chez Lacan ; Moi constitué d’emblée comme Moi-Idéal et souche des identifications secondaires. C’est pourquoi Lacan, avec le stade du miroir, ouvre la question de la spécularité.

Néanmoins rappelons que c’est à Winnicott que l’on doit la reconnaissance dans le visage de la mère du miroir premier des états internes du bébé.

Cette reconnaissance de l’Autre comme miroir premier ouvrira véritablement à l’appréhension de l’objet dans sa fonction réflexive.

Tout ceci pour rappeler qu’il existe également du non spéculaire que j’aurais tendance à assimiler d’ailleurs à l’impensable puisque je crois que l’on peut dire que ce qui n’est pas pensable est non spécualrisé au sens où ça n’entre pas dans un processus de symbolisation.

Une petite vignette clinique à laquelle j’avais déjà fait référence. Celle d’un jeune homme souffrant d’angoisses envahissantes qui ont petit à petite nécessité la prise de neuroleptiques puis d’antidépresseurs. C’est un jeune homme mis en maladie longue durée par son psychiatre après que plusieurs tentatives de vie au travail se soient révélées un échec suite à la prise d’alcool systématique pour juguler ses angoisses. C’était plutôt un alcoolisme du ressort du médicament.

Finalement il arrive en analyse et peu à peu décrit ses moments de crises de panique dans le RER Sans qu’apparemment quoi que ce soit ne soit signifiant.

Parallèlement  il associera assez vite  sur les managers maltraitants qui le renvoyaient à la pression que son père exerçait sur lui. Puis peu à peu  il peut énoncer   l’angoisse qu’il éprouve alors qu’il se  croit être  l’objet de tous les regards du wagon, comme si il était nu et sans recours, livré donc en pâture au regard dévorant des autres au point de devoir quitter le wagon et terminer son parcours à pied.

Ces moments ou plus tôt ces scènes le renvoient aux mêmes scènes vécues à l’école au cours desquelles il éprouvait également le regard de ses camarades comme  une dévoration…

C’est sur la sensation d’être  dans une angoisse sans recours qu’il associe directement des scènes répétitives de son enfance au cours desquelles il entendait son père monter les escaliers pour gagner sa chambre et être battu en raison de la plainte que sa mère faisait pour les mauvaises conduites qu’il avait eues dans la journée. Il décrit ces moments au cours desquels il attend puis entend son père monter dans es escaliers comme des épisodes qui lui donnaient envie de sauter par la fenêtre.

Il éprouvait alors ces mêmes sensations d’être sans recours, angoisses qu’il qualifiera très vite d’angoisses de mort au cours desquelles il se retrouvait livré à la violence d’un père à la Schreber, une angoisse de mort  donc qui le laissait à chaque fois sur le carreau au sens propre et figuré.…

On ne peut pas faire autrement que de rapprocher le bruit de l’impact des talons du père montant les escaliers de celui de la rame de métro. Ici le signifiant se réduit à ce bruit d’impact.

J’ajouterai que sa chambre était mitoyenne à celle de ses parents et que les bruits la nuit dans la chambre d’à côté le laissaient également dans une grande angoisse. Autant d’éléments réels impensables et sans représentations.

Ce qui se répète est qu’il n’a pas les éléments pour penser ce qui se produit.

On peut dire qu’avant son entrée en analyse, il ne souffrait pas de  pas de réminiscences mais seulement de ses  symptômes.

C’est le travail analytique qui lui a permis de s’apercevoir que ce symptôme ou plus exactement cette angoisse n’était autre que la manifestation d’une réminiscence à laquelle il n’avait pas encore accès et dont il pouvait souffrir maintenant comme telle et non plus comme angoisse  innommable.

Pouvoir mettre un nom sur ces réminiscences et démonter les signifiants du symptôme lui ont permis de reprendre un  travail après avoir passé un brillant concours et donc, ce qui n’est pas banal, d’abandonner son statut d’adulte handicapé en longue maladie dans lequel il avait vécu 3 longues années.

C’est en ce sens que je conclurai ce soir sur cette idée qu’au fond nous souffrons plus de nos signifiants que de nos réminiscences.

 

[1](Nouveaux lundis tome IX p. 36)

[2](Freud L’Esquisse in La naissance de la psychanalyse p.390)

[3]JC MILNER LE PERIPLE STRUCTURAL ED VERDIER 2008 P.197

[4]LACAN SEMINAIRE III LE SEUIL 1981

[5]J. Lacan, Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 495.

[6]MILNER opus déjà cité

[7]J. Lacan, Séminaire III, Paris, Le Seuil, 1981,

[8]MILNER OPUS P. 200

[9]J. Lacan, Séminaire II, Paris, Le Seuil, 1978

[10]J. Lacan, « Symbolique, imaginaire, réel

[11]J. Lacan, Séminaire II, Paris, Le Seuil, 1978, p. … ».

[12]Ibid., p. 350. ».

[13]J. Lacan, Séminaire V, Paris, Le Seuil, 1998,

[14]J. Lacan, Séminaire III, Paris, Le Seuil, 1981

[15]J. Lacan, Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 495

[16]J. Lacan, Séminaire III, Paris, Le Seuil, 1981, p…..

[17]J. Lacan, Séminaire XI, Paris, Le Seuil, 1973, p. ….

[18]J. Lacan, Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 501, 510,…,

[19]J. Lacan, Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 575.

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