La position éthique du psychanalyste dans la cure d’enfants. Isabel Cerdan. 11/03/2017

Dans le travail avec les enfants on aperçoit la nécessité de soutenir un équilibre entre, d’un côté, l´accueil du corps réel, la pulsion, la parole et, de l’autre, la position de l’analyste. Et c´est depuis cette articulation que nous pouvons freiner le  furor curandis  dans lequel il est beaucoup plus facile de tomber quand il s´agit de sujets en construction, en raison de leur fragilité, ainsi que des possibles identifications parentales du coté de l´analyste.

Le dispositif de la cure avec des enfants accueille un sujet qui s´inscrit dans un entourage qui le soutient physiquement et psychiquement : ses parents, fondamentalement, tel ou tel membre de sa famille élargie ou encore une institution, ce qui complexifie toute l´interaction et les lignes transférentielles. L´enfant est parfaitement au courant de sa dépendance vitale et psychique à l’égard de ses parents réels ou de ceux qui remplissent cette fonction. Et lorsque une telle vulnérabilité et un tel lien existent, cette dépendance implique la nécessaire présence des parents dans le dispositif, nous obligeant à avoir présent à l’esprit ce dont l’enfant a besoin :

« Afin de délimiter les choses, il faut supposer que dans Le Champ de l´Autre se trouve le marché, qui englobe les mérites, les valeurs, qui assure l´organisation des choix, des préférences et qui implique une structure ordinale, même cardinale ». (Lacan, Le Séminaire, D’un Autre à l’autre.)

Ainsi, s´il n´existe pas « le champ de l´Autre », nous pourrions nous trouver avec des enfants en péril de mort physique, comme c’est le cas dans « l’hospitalisme » décrit par René Spitz, enfants privés de leurs mères et soignés par des anonymes, parvenant au marasme et même jusqu’à la mort.

Je voudrais centrer ma réflexion sur certains aspects particulièrement difficiles de cas de cures avec des enfants, tels qu’il se formulent dans ces questions : qui est le patient ? Quelle est la demande ? comment faciliter le processus d´émergence du sujet ? Comment faire pour ne pas se laisser envahir par les demandes « urgentes » avec lesquelles nous bombardent les parents et les éducateurs ? Ce sont des questions clés pour la direction de la cure et son efficacité.

Dès les premiers entretiens, le désir d´analyste, le désir dont émerge le sujet de l’inconscient, va être la clé pour la cure. Pour pouvoir penser ces questions je me servirai de différentes vignettes cliniques issues des deux champs dans lesquels j’ai exercé mon écoute analytique : l´institution éducative en tant que « pédagogue thérapeutique » (la maîtresse qui enseigne de sorte qu’en résulte des effets thérapeutiques) et, comme analyste, dans un cabinet privé.

Il y a des enfants qui arrivent dans ces deux endroits, sans avoir pu franchir le stade du miroir, sans avoir pu réaliser les opérations basiques d´aliénation et de séparation, en proie à un grand débordement pulsionnel et à une grande difficulté de construire leur fantasme. Ils arrivent en étant l´objet de jouissance de quelqu´un ou de certains adultes qui l´entourent. Et face à la question  « qu´est-ce que tu me veux maman ? » Il n´y n’a eu personne qui ait incarné la loi, ou tout au moins, pas d´une manière efficace , quelqu´un qui ait pu empêcher cette maman d’engloutir l’enfant[1] et faire coupure à la jouissance de la mère ou de ses substituts  en prononçant un « non » symboligène, un « non » qui impose la loi de la prohibition de l´inceste.

 

En lien avec cette idée et avec mon devenir dans l´institution éducative comme pédagogue thérapeutique, je souhaiterais parler d´un enfant, que j´appellerai Jonas. J’ai fait sa connaissance quand il avait 4 ans, et il fut affecté dans ma classe. Il était arrivé dans le Centre un an avant moi et fut accueilli par d’autres professionnels durant quelques mois au cours de l’année scolaire antérieure. Il était considéré par l´ensemble de l´équipe éducative comme s´il était un agalma : il fascinait « tous » les adultes et Jonas s’en trouvait ravi. Il était diagnostiqué autiste et il éclipsait les enfants de son entourage qui présentaient eux aussi des difficultés. Transférentiellement je l´ai accueilli avec le désir de trouver le fil qui permettrait une rencontre avec lui d’une autre façon, en faisant le pari du sujet dont je présupposais qu’il n’avait pas encore pu émerger et dont je ne pouvais d’ailleurs pas même savoir s’il émergerait.

Ma plus grande préoccupation était de savoir si je pourrais créer des situations éducatives qui favoriseraient la création de liens avec lui et avec ses parents, ce qui faciliterait l’émergence du sujet. En même temps j’étais animée par un sentiment de révolte face à au regard que mes collègues portaient sur Jonas et à tant de jouissance dans la relation avec lui.

J’ai travaillé durant cinq ans avec Jonas : une première période, de ses quatre ans à ses sept ans comportant une interruption de deux ans durant laquelle je ne me trouvais pas dans le Centre, et une seconde période de deux ans supplémentaires, de ses neuf ans jusqu’à ses 11 ans. La première étape, à raison de cinq séances par semaine, et la seconde, à raison de deux. Elles se déroulaient dans la salle spécialement dédiée à la pédagogie thérapeutique. Il y avait des séances individuelles, d´autres, avec une autre enfant et à certains moments en petit groupe, en faisant en sorte que ce soit lui qui choisisse un camarade de sa classe pour former ce groupe. Au cours des séances de travail je combinais des formes plus structurées de travail, avec d´autres séquences où il y avait des objets (jouets, matériaux…) dont il pouvait disposer selon le principe du  ad libitum, c´est-à-dire du « à son gout », « son bon plaisir », en fonction de la manière dont se déroulait la séance . Face à ces dernières il opposait une certaine résistance : je crois qu´il a commencé à faire comme si il jouait parce qu’il y avait d’autres enfants que lui qui en faisaient autant.

Au début, il n´osait même pas tracer une ligne, il ne voulait pas laisser de trace. Il parlait de façon écholalique, sa voie ne présentait aucune tonalité et aucune variation dans son intensité. Il paniquait facilement face à des bruits ou au tumulte. Et tout au long du processus il n´interagissait de sa propre initiative avec aucun de ses camarades. C’étaient les autres, peu nombreux, qui s’approchaient de lui. Je crois que ceux qui le faisaient étaient comme fascinés, sûrement influencés par le regard de ces adultes dont je parlais auparavant. Jonas ne jouait pas, ni seul, ni avec personne spontanément, tout au moins durant un certain temps. Et si on demandait à d’autres enfants de jouer avec lui, ils disaient : « c’est que Jonas ne te demande jamais rien ! » En revanche il se montrait complaisant avec les adultes. Il « se laissait faire », et non pas « se faire faire ».

Il était important que la salle se transforme en un dispositif qui permette une expérience différente, une expérience ou l’on puisse instaurer le champ de l´Autre, qui donne une place au sujet de l´inconscient et qui permette d’attendre que quelque chose bouge, que puisse apparaître son transfert envers moi, que puisse apparaître la lueur du désir. J’essayais en permanence de créer des situations de jeu où se produisît   une séparation : un moi et un toi, où apparût un peu de subjectivité comme dans le stade du miroir.

Jonas apprenait rapidement ce qui était répétitif et ne modifiait pas sa position dans la structure, principalement dans le but que rien de subjectif n´apparaisse. Il apprit au même rythme, voire souvent plus rapidement que les enfants de sa classe, se fâchant tout spécialement quand les notes données par ses professeurs le frustraient ou lorsqu’il recevait une critique de l’un d’eux. Le fait de suivre le programme scolaire était très important pour ne pas qu’il s’isole davantage, car s’il avait pris du retard dans les apprentissages cognitifs, il aurait pu se retrouver séparé physiquement de ses camarades de classe. Ceux de son entourage, les autres, continuaient à ses côtés ; lui, cheminait aux leurs, aux côtés de ses pairs, bien que de façon parallèle. Leurs chemins ne se croisaient pas, sinon par la force des choses ou par hasard. Mais le fait que les autres, ses pairs, fussent en miroir par rapport à lui, pût favoriser le fait qu’à un moment précis il voie son image en eux.

 

Je me suis absentée de ce Centre durant deux ans. A mon retour, Jonas ne faisait plus partie de la classe de pédagogie thérapeutique. Comme il n’apprenait que les contenus à caractère intellectuel, les professeurs ne savaient plus quoi faire avec lui sinon quelque chose de l’ordre de l’orthophonie, au niveau de la prononciation, car il semblait avoir du mal à prononcer les « r » . J’ai sollicité son retour dans la classe de pédagogie thérapeutique, bien qu’il fût seul durant deux séances. Cela fut accepté pour des raisons administratives. Selon mon point de vue, ce dont Jonas avait besoin n’était pas exactement d’un entraînement cognitif, mais du désir de l’Autre pour que puisse émerger son propre désir ; il avait besoin que quelqu’un lui parle, l’introduise dans le langage, dans le symbolique.

Mon absence dans le centre et mon retour ont eu des effets thérapeutiques, et bien que la résistance fût toujours là, je crois que, comme dans une psychanalyse, l’analyse des résistances devint notre tâche. Durant ces deux dernières années, je combinais deux modalités de rencontres : seul ou en petit groupe, avec d’autres enfants, du même âge ou plus petit, présentant des déficits narcissiques ou d’autres types – mais désinhibés dès lors qu’il s’agissait d’exprimer leurs affects – et ayant une bonne relation transférentielle avec moi, ce qui renvoyait aux yeux de Jonas une image que l’on pourrait qualifier d’ « assez complète ». Cela éveillait-il sa jalousie ? Je ne pourrais pas l’affirmer mais à ces moments semblait s’exprimer quelque chose qui se rapprochait du discours. Etre en relation avec des petits autres manquants se trouvant en position d’objets à l’égard du grand Autre, lui ouvrait la possibilité d’apporter ses propres signifiants, ce qui dans sa façon même de le faire, témoignait de toute évidence de la violence avec laquelle ils émergeaient, du fait d’avoir à traverser le manque structural qu’implique le langage. J’ai assumé des risques à son égard, lui donnant des responsabilités par rapport à des enfants plus petits, lui faisant voir que la loi était valable pour tout le monde, moi y compris.

J’ai maintenu des entretiens réguliers avec la mère et sporadiques avec le père. Ce dernier opposait une résistance. Il vint peu de fois. Mais sans ce travail avec eux, et plus particulièrement avec la mère, les succès obtenus auraient été impossibles. Il me semble important de noter le fait que tout ce processus de travail avec un enfant autiste se produise dans une institution éducative ordinaire espagnole où il est coutumier de nier l’inconscient. Mon hypothèse est qu’en dépit de la difficulté que puisse émerger la demande dans une institution éducative de ce type – d’après mon expérience, je précise – la dimension cognitive par elle-même n’est pas suffisante pour modifier véritablement la position dans la structure, et ces acquisitions par elles seules ne permettent pas le passage au troisième temps de la pulsion. Mais cela dit, les progrès cognitifs de Jonas, ont contribué à ce que se produise une précipitation de quelque chose de l’ordre du subjectif, à travers notamment les activités créatives lors de jeux de construction à propos desquels ensuite, je lui proposais d’écrire ou de dessiner quelque chose. Presque toujours, dans ces moments, comme je le disais, une lueur de subjectivité a pu apparaître car ses progrès scolaires et cognitifs lui ont permis d’assumer plus de risques au moment même où se précipitait quelque chose de son devenir comme sujet. Comme je le disais, la narcissisation obtenue par ces apprentissages à partir du cognitif pourrait avoir facilité en partie le « se faire faire ».

Selon mon point de vue, toute émergence du sujet est suspendue à la question de savoir si une relation transférentielle va se produire avec un Autre, un Autre avec un désir « suffisant » dans lequel se situe le  « marché », pour qu’en son sein puisse émerger sa subjectivité, pour que puisse y émerger le sujet de l’inconscient.

« Dans le stade du miroir vont se structurer pour l’infans la matrice de l’identification primaire, l’agressivité, l’envie et la jalousie.

Cet autre dans le miroir, c’est toi. Par anticipation, – ce que tu n’es pas encore tu vas le devenir – et à la fois rétrospectivement : – parce que celui du miroir est complet, toi tu es morcelé -. A cet instant où l’infans, par identification à cet autre complet du miroir perd son être morcelé, nous situons l’origine de l’agressivité.

L’envie trouve fondamentalement sa demeure dans le regard… Devant quoi le sujet pâlit-il ? Devant quelque chose de fini qui se ferme sur lui-même »[2]

Avec Jonas on a parcouru en partie un certain nombre des questions qui ont permis qu’il y ait certains effets de cure : le fait que cela se passe bien au collège, qu’il ne se sente pas attaqué, envahi par ce qui vient du dehors comme les bruits ou le tumulte ; le fait qu’il soit capable de jouer avec les autres en respectant les règles ; le fait qu’il tolère de bon gré la proximité avec d’autres garçons lorsqu’ils s’approchaient de lui ; le fait qu’aient diminué ses déambulations solitaires ; le fait qu’il puisse s’acquitter de petites responsabilités à l’égard d’un enfant plus petit.

J´ose penser que ma présence-absence a eu un effet décisif sur le fait qu’il puisse constituer un Autre dont la permanence a résisté à la destruction.

Peu de temps après avoir quitté l´institution, comme je le rencontrais dans la rue accompagné de son père et de ses frères, ces mots jaillirent de sa bouche :  « Comme tu me manques! ».

Le fait d’avoir consacré un grand nombre d’années à l´éducation m´a permis d´être en relation constante avec des enfants, et quand j´ai commencé à concilier cela avec mon activité clinique, ma plus grand préoccupation fut de ne pas tomber dans la pédagogie. J’ai toujours observé une certaine réserve à l’égard des effets qu’était susceptible de produire ma pratique analytique, la raison de travailler dans ce domaine étant l’insuffisance à mes yeux de l’éducatif. Cela ne suffisait pas pour que certains enfants puissent pour autant se lever et crier « le roi est nu ! », comme dans le compte  Les habits neufs de l’empereur . Il y a des enfants dont le cri est muet, comme celui de Munsch. Ce sont leurs symptômes qui parlent pour eux, leurs inhibitions, leur violence, leurs peurs démesurées, leur aliénation.

Les deux dispositifs, pédagogique et analytique, utilisent les outils du jeu, du dessin et de la parole. Dans les dispositifs pédagogiques l´objectif n´est pas la cure, toutefois ces derniers peuvent avoir des effets de cure puisque l’institution peut faire tiers, loi et cela surtout dans le cas où on a une écoute analytique et que l’on ne nie pas l’inconscient. Le dispositif de la cure obéit à d’autres principes. Dans le dispositif de la cure des enfants, la présence des parents est fondamentale.

L´expérience nous montre que certains cas constituent des échecs et il est important de pouvoir en parler parce qu’ils nous permettent de prendre du recul : « De quel réel s’agit-il dans ces cas qui compromettent l’analyse ? Est-ce lié au fait qu’ils relèvent de l’hospitalisme? Quel est le réel en jeu qui rend impossible l’analyse ? S’agit-il de la place qu’occupe l’enfant pour ses parents ou pour l’un des deux ? Est-ce dû à la résistance de l’analyste ?

Il s’agissait d’un cas d’enfant adopté par une mère célibataire, il y a de cela douze ans. Ce qui se produisit est qu’elle était allée chercher au départ un enfant dans un pays de l’Est, mais elle qu’elle était finalement revenue avec deux petits garçons, qui avaient pratiquement le même âge. Cela est certainement dû à la perversion du système mais aussi à la toute puissance de cette femme.

Il se peut que mon désir d’analyste, quelque peu annulé par le furor curandis ait joué, imprégnée alors de l’idée selon laquelle on peut toujours faire quelque chose, que l’on peut toujours provoquer certains infléchissements dans le sujet. Existe-t-il des impossibles ? Mais s’agit-il d’hospitalisme dans ce cas ?

J´ai commencé à travailler avec Ruperto, quand il avait huit ans. Quand il est arrivé à mon cabinet il présentait un certain retard de croissance. Sa mère parle de :

« épisodes agressifs depuis son arrivée » ;

« J´ai cherché dans des livres le schéma de ce qui se passe entre lui et moi. » ;

« La première année il n´était pas là, il était paumé. Il te fait la bise, t´embrasse, et il disparaît, se perd » ;

« Il m’échappait, il fallait imposer l’autorité par la force, lui donner des coups de pied au cul. Elle poursuivait avec des signifiants comme : « Chaos » », « petit mioche » ;

« J’ai peur d’avoir la main leste. Nous nous frappons – la mère et le fils se frappent – . » ;

« Mon père est mort l´année dernière » ;

« Celle qui le garde dit qu´il veut se sentir entendu et qu’on l’écoute» ;

« Il a besoin d´un père » ;

« Il porte des couches, il est énurétique » ;

Elle poursuit en me racontant que Ruperto n´avait pas eu de père et que sa mère était en prison, alors que l´autre enfant avait été reconnu par ses parents. Lors du deuxième entretien, la mère ajoute :

« Le garçon me dit : tu n´es pas ma mère, je me marie avec toi » ; « Tu es une mère-grand-mère ».

Elle insiste : « Il s´auto-agresse, frappe, m´insulte, me donne des coups de pieds »

« C’est un homme silencieux, il ne te raconte pas grand-chose … il est  trop collant». La mère reconnaît qu´elle a l’impression de parler davantage d´un conjoint, que d´un fils.

L´enfant dira : « Je suis Ruperto Pérez García, comme ma mère, María Pérez García, que mon frère, Pedro Pérez García et mon chien, Lucas Pérez García ».

Tous sur le même plan. J´ai travaillé avec lui et sa mère, pas tout à fait un an, et quand les symptômes se sont un peu atténués, la mère a décidé d’interrompre les séances. Ruperto coupait les cheveux et les têtes des poupées. Comme dans un désir de se-détruire, il cassait tous les éléments qu´il y avait dans sa caisse de jeux. Mais dans ce chaos il ne voulait rien perdre, et les récupérait. Il conservait tout, que cela soit détruit ou non. Je sais qu´aujourd´hui, adolescent, il se trouve dans un centre pour mineurs.

Le travail fait en séance ne lui permit pas de sortir de sa jouissance, de dominer ses pulsions si désintriquées et prises par la pulsion de mort. Cette jouissance destructrice à laquelle on n´avait pas pu mettre un frein et qui comportait une charge d´excitation dans les affrontements physiques avec sa mère, ne cédèrent absolument jamais. La mère était en thérapie, mais il ne s’agissait pas de psychanalyse. Elle était elle-même psychothérapeute. On partait d´un réel tel que, même si l’enfant connut une période durant laquelle ses symptômes s’améliorèrent, ces derniers finirent par s’aggraver quand le travail s’interrompit.

Les évolutions sociologiques qui se sont produites ces dernières années, rendent compte du fait que ce soit le plus souvent les mères qui viennent seules avec leurs enfants au cabinet, bien que les pères maintiennent une relation avec leur enfant. Parfois se sont des pères séparés ou ignorés et les mères cherchent en l´analyste un complice, un allié face au père. Quel effet peut avoir la décision d´accepter de recevoir ces enfants dans ces circonstances ? Ne nous faisons-nous pas alors complice des mères pour effacer le tiers ? Ou au contraire ne reculons-nous pas face aux symptômes actuels en ne les recevant pas? Bien que nous sachions que nous ayons toujours à faire au cas par cas et que nous ne pouvons admettre un critère général, c’est quelque chose qui me pose question et qu’il me plairait de débattre avec vous.

Il est difficile de mettre un bâton dans la gueule du « crocodile », s´il n´y a personne qui incarne la fonction paternelle. Pour que les parents puissent passer de la plainte à la demande, Il est nécessaire de favoriser l’émergence du sujet de l´inconscient au niveau des figures parentales pour qu´elles ne cherchent pas à résoudre leurs problèmes à travers leurs enfants.

Dans le dispositif de la cure avec des enfants plusieurs transferts croisés se produisent entre les membres de la famille ainsi qu’entre chacun des parents avec l’analyste. L’enfant va se tourner vers chacun de ses parents pour répondre en fonction de la façon dont il est situé dans le fantasme de chacun, et spécialement, de celui qui est en position de représentant de la loi, celui dont le complexe de castration est le plus élaboré, ce qui va l’autoriser à faire confiance à l’analyste. Si, selon mon expérience, un des deux parents s’est davantage conduit comme père que comme mère, il ne désire pas entrer dans le processus de l’analyse, ni engager sa subjectivité. Il se peut alors que nous commencions un travail mais qui se révélera être plutôt un « comme si » produisant des changements superficiels puisqu’on ne peut toucher aux endroits de la structure familiale qui sont perturbés.

Pour pouvoir faire un bon pronostic et analyser la demande, les entretiens préliminaires avec les parents sont très importants. Ils aident à ouvrir les questions afin que ces derniers puissent passer de la plainte à la demande et puissent établir des liens entre leurs conflits et ceux de leur enfant, afin que puissent apparaître leur désir et leur histoire. Lorsque les parents viennent, résolus à ce qu’il ne soit question que de leur enfant, je considère qu’il faudrait mettre un frein et faire en sorte que le dispositif les confronte à leur propre désir. Le risque existe alors qu’ils s’en aillent et qu’ils recourent à une thérapie comportementale qui consiste en une adaptation de l’enfant avec sa position d’objet, de symptôme. Mais nous autres analystes pouvons-nous nous faire complices de ce genre de travail ? Ou plutôt, devons-nous assumer ce risque et donner au commencement de la cure une direction consistant à énoncer un « non » symboligène à ces parents, de sorte qu’ils puissent faire l’expérience qu’il y a des professionnels qui agissent à partir d’une éthique et que ces derniers développent leur activité professionnelle sous les auspices de la loi, en ne promouvant pas l’inceste en laissant le père en-dehors, et en fuyant la « furor curandis ».

Accepter le désir et les décisions des patients nous rapprochera de l´éthique de la psychanalyse. Cependant, dans le cas de Gloria, qui était venue à la consultation pour pouvoir bien prendre soin de Manuel, son fils de huit ans, qui la frappait et avec qui elle se sentait impuissante, cela me faisait me demander qui était le patient. Les parents de Manuel étaient séparés depuis qu´il avait un an et demi. Je me suis entretenue avec le père et l’enfant, qui voyait son fils quotidiennement et qui disait ne pas rencontrer ce genre de problème avec lui. Il accepta donc que son fils vienne, mais au bout d’un certain temps il m’informa qu’il ne voulait plus assumer le paiement des séances car il estimait que c’était la mère qui avait un problème. Devant son refus je n’ai pu qu’accepter l’interruption. C’est donc la mère qui est devenue l’analysante et pas son fils.

Il n’est pas facile d’apporter une réponse à toutes ces réflexions, liées à l´éthique de la psychanalyse. Mais le fait que nous puissions mener ces réflexions en nous réunissant pour rendre compte de notre pratique et l’aborder de façon ouverte, contribue à nous soutenir comme analyste, à maintenir un discours analytique dans nos consultations et, au-delà de celles-ci.

[1]     L’expression espagnole est : “poner el palito”, mettre un batônnet à la glace afin de en pas l’engloutir directement. Personne n’a donc pu mettre un batônnet à la mère dans la relation avec son enfant, de sorte qu’elle ne l’engoutisse pas totalement dans son avidité orale.

[2] Cristina Catalá Roza Uriz, «  Qu’est-ce qu’un enfant en psychanalyse?

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