La réminiscence entre romance et abîme. Anna Konrad, Paris 6/12/17
Séminaire AF 6 décembre 2017
La réminiscence entre romance et abîme
Anna Konrad
Mon premier intérêt quand à la réminiscence a porté sur les relations entre souvenir et répétition, remémorable et non remémorable. Une intime excitation, je ne sais pas comment vous le dire autrement, m’est tombée dessus à la lecture d’une page pourtant en soi plutôt savante d’un livre que je trouve par ailleurs très intéressant : Introduction à Freud, le refoulement de la vérité, de Christian Hoffmann. Ce livre répond à un défi intéressant : produire un manuel introductif à la lecture de Freud, explicitement destiné à des étudiants, et présenter une lecture engagée de Freud en 2017 sur la question de la relation à la vérité, un abord si particulièrement contemporain.
Je ne trouve d’abord rien dans les pages 122-123, justifiant mon émotion comme si une question essentielle pour moi avait été touchée (il s’agit à cet endroit du dualisme de Freud qui, après avoir établi que le moi était une formation investie de libido, était confronté au fait que les pulsions sexuelles opposées à celles du moi ne pouvaient plus servir d’appui solide. La question se posait donc de savoir si tout est sexuel, ce que Jung et d’autres reprochaient à la psychanalyse… L’introduction par Freud de la pulsion de mort sous diverses entrées cliniques et diverses entrées théoriques viendra redéployer l’indispensable opposition de forces contraires dans une théorie analytique qui suit le progrès dialectique et conflictuel des analyses elles-mêmes).
p 122-123 :
… « Est-ce pour autant que tout est sexuel ? La réponse de Freud est clairement négative,… [le] dualisme pulsionnel s’affichera désormais entre pulsions de vie et pulsions de mort. La démonstration part de la reconnaissance d’une nouvelle polarité […] amour et haine, ce que montre bien le Fou d’Elsa :
Les autres hommes mon amour
Eux ne t’ont pas aimée jusqu’à la haine
Jusqu’à l’éclatement de leur prunelle
Dès lors, comment concilier Eros avec une pulsion sadique dont le but est de détruire l’objet d’amour ? […] On se souvient de F. Dolto racontant que son fils ainé disait , à la naissance du frère cadet, qu’il mangeait maman lors de la tétée. […] Si cette explication était satisfaisante, elle donnerait un bel exemple de pulsion de mort. »
Mais, Christian Hoffmann poursuit, ajoutant que Freud n’est pas satisfait de cette manière de retrouver l’opposition, citant Freud dans Au-delà du principe de plaisir, perturbé « de ne pas pouvoir prouver, justement pour la pulsion sexuelle, le caractère de compulsion de répétition qui nous a d’abord mis sur la trace de la pulsion de mort ». Freud fait alors appel au mythe de Platon sur l’amour, énoncé par Aristophane dans Le Banquet , celui d’une humanité composé d’êtres coupés en deux par Zeus, de demi-êtres mâles ou femelles qui cherchent à rejoindre leur moitié perdue pour s’y accrocher dans la passion de ne faire qu’un… La nature intrinsèquement régressive de la pulsion trouverait là un appui dans le mythe. La recherche d’un retour à l’état antérieur serait la fonction de la pulsion sexuelle, certes avec une aide conceptuelle qui n’est pas tirée de façon satisfaisante de l’expérience, laissant Freud sur des réserves quand à l’innovation qu’il a introduit. Ch. Hoffmann termine sur l’Au-delà du principe de plaisir en soulignant qu’avec Lacan, dans le fil de l’élaboration freudienne, toute pulsion apparaît virtuellement comme pulsion de mort.
En dehors de l’expression que je trouve libérée dans l’écriture de Hoffmann sur la question de la haine, qui se relie à la destruction, je ne vois pas ce qui a éveillé mon intérêt. Le chapitre suivant poursuit la question du refoulement de la vérité (qui pourrait bien à mon sens avoir un lien avec la haine) à travers Le moi et le ça (publié en 1923) prolongement de Au-delà du principe de plaisir (1920). Il apparaît à la fin de ce chapitre la formule d’une réclamation que le moi adresse au ça de recevoir de l’amour ou de la haine. Rappelons que le ça est de l’inconscient refoulé et de l’inconscient non refoulé tel le surmoi. Mais le ça est structuralement dans l’impossibilité de donner au moi ce que celui-ci réclame. Le discours du moi est voué à l’insatisfaction.
Je pense qu’à l’origine de ma lecture était l’intérêt suscité par la relation entre souvenir et répétition. De quoi est fait le souvenir ? S’il est fait de matière signifiante, de traces, est-ce que la répétition qui s’impose à l’observation analytique peut conduire au souvenir là où le refoulement est le plus puissant ? La répétition est-elle sous-tendue par du non encore analysé, remémoré, ressouvenu ?
La répétition qui conduit jusqu’au au non-sens là où l’analysant dans le transfert attendait du sens, est-elle le dernier mot de l’inconscient ?
Le « sens » s’épuise-t-il dans l’incapacité de l’analyse à le satisfaire, conduisant ainsi à l’impossible tâche analytique et au désir d’analyste par la rencontre avec ce qui apparaît comme l’impossibilité structurale à satisfaire la « réclamation du moi » ?
La trace, là où elle est attendue, n’apparaît pas. Ce n’est que par la répétition qu’une certaine connaissance de la structure se fait valoir. Ainsi, dans l’analyse comme expérience concrète, arrive quelque chose qui renvoie dans la théorie au refoulement originaire, à la disparition d’un signifiant qui ne réapparait pas. L’inconscient apparaît alors dans son ressort essentiel comme cette béance. Le signifiant est donc ici presque dé-particularisé, le refoulement en acte qui est le principe de l’inconscient comme nous l’affirme et le rappelle Hoffmann, renvoie à un trou.
Ce trou, Freud n’y a pas contredit, mais il n’a jamais assigné à l’analyse comme but de s’épuiser par la répétition. Il reconnaît à la répétition un pouvoir de signifier ce qui est oublié, longtemps avant l’introduction de la pulsion de mort. Il l’exprime ainsi en 1914 dans Remémoration, répétition, perlaboration : « le patient n’a aucun souvenir de ce qu’il a oublié et refoulé et ne fait que le traduire en actes. Ce n’est pas sous forme de souvenir que le fait oublié reparait, mais sous forme d’action. Le malade répète évidemment en acte, sans savoir qu’il s’agit d’une répétition. »
En effet, quel que soit le point où l’on est arrivé dans l’analyse, la répétition est bien sûre dans sa nature toujours reconnue après-coup. Freud ne se départit pas de l’objectif de ramener le souvenir. Il dit : « La tactique que le médecin doit adopter […] est aisément justifiable. Son but est le rappel du souvenir à la vieille façon, la reproduction dans le domaine psychique. Ce but, il le poursuit même quand il se rend compte que la […] technique ne permet pas de l’atteindre. Afin de maintenir sur le terrain psychique les impulsions que le patient voudrait transformer en actes, il entreprend contre ce dernier une lutte perpétuelle et quand il arrive, grâce au travail de la remémoration, à liquider ce que le patient voudrait décharger par une action, il considère ce résultat comme un triomphe du traitement. Lorsque le transfert aboutit à un attachement utilisable de quelque façon, le traitement est en mesure d’empêcher tous les actes itératifs les plus importants du malade et d’utiliser in statu nascendii les intentions de celui-ci en tant que matériaux pour le travail thérapeutique. » C’est dire que Freud établit un lien de toujours, en vigueur depuis les Etudes sur l’hystérie, entre se souvenir et guérir. Mais tout en soutenant sans faille le ressouvenir comme acte psychique qui conduit à la guérison, Freud met en question la nature de ce souvenir. De souvenir d’événements vécus, les « représentations apparues » dans les associations du malade passent à la qualité de pensées inconscientes ressurgies d’un souvenir inconscient.
Psychothérapie de l’hystérie, dans Etudes sur l’hystérie, p 243 :
« Les représentations émanant des plus grandes profondeurs et qui constituent le noyau même de l’organisation pathogène sont celles auxquelles les malades ont le plus de peine à attribuer le caractère de souvenirs. Même quand tout est terminé, quand les malades ont été vaincus par la logique qui s’impose à eux et par l’effet curatif qui a coincidé avec l’apparition même de ces représentations […] ils ajoutent […] : “Mais quand à me souvenir d’avoir pensé ça, je n’y arrive pas ! “ On parvient facilement à s’entendre avec eux, c’est de pensées inconscientes qu’il s’agissait. […] S’agit-il […] de pensées inachevées ayant simplement eu la possibilité d’exister ? En pareil cas, la thérapeutique consisterait simplement en l’achèvement d’un acte psychique resté jadis inaccompli. »
Au déclanchement de la maladie, le souvenir (ou pensée) et l’acte se présentaient simultanément. A ce moment-là aussi, se produit le trauma. (Freud devait alors placer le trauma dans une configuration conceptuelle où sa thérapeutique était déjà la psychanalyse, comme en témoigne l’intérêt qu’il montre envers les patientes des Etudes sur l’Hystérie et tout ce qui s’échange en paroles et en actes entre elles et lui dans ces ambiances on ne peut plus teintées d’érotisme, dans ces maisons de santé et autres lieux où ces dames issues des classes privilégiées pouvaient le faire appeler à leur secours… Le trauma n’était nullement pour Breuer, le collègue « vénéré » de Freud, son co-auteur et détracteur, de nature nécessairement sexuel et Freud concède encore des tas de « traumas » apparemment dénués de cette dimension à Mme Emmy von N., présentée comme sa première observation, tout en s’approchant de plus en plus des motifs sexuels devinés dans l’arrière plan. )
… « …le véritable moment traumatisant est […] celui où la contradiction s’impose au moi et où celui-ci décide de chasser la représentation contradictoire. Par ce rejet, la représentation n’est point anéantie, mais seulement repoussée dans l’inconscient » (p. 96)
Après l’expulsion hors du moi de la représentation inconciliable, le moi dont il est question ici contiendra la « réminiscence somatisée par conversion », un morceau de souvenir méconnu. Il s’agit de Miss Lucy R., la seconde des quatre observations de Freud dans les Etudes sur l’hystérie.
Rappelons quelle est cette représentation inconciliable dans le cas de Miss Lucy R : c’est une romance qui la met dans les bras du « Directeur », c’est à dire du père de famille, là où elle travaille comme gouvernante des deux enfants n’ayant plus que leur père. Elle travaille depuis des années, jusqu’au moment où son amour à elle même caché, par instants conscient, se retrouve en contradiction flagrante avec l’attitude pas du tout chaleureuse du « Directeur ». La déconstruction par Freud de son symptôme d’anosmie et de sensations olfactives désagréables conduit à une première scène où odeurs plaisantes et déplaisantes se mêlent alors que la gouvernante est en compagnie des enfants dont elle s’occupe et qui la traitent « comme ses enfants ». Elle chasse ce qui est inadmissible, la pensée du bonheur de devenir réellement leur mère en épousant leur père, car elle sait bien que le Directeur ne l’aime pas. Et c’est là qu’elle tombe malade. La deuxième scène plus refoulée et antérieure se déroule avec une tonalité de violence où le Directeur rabroue un convive à table en lui interdisant d’embrasser les enfants, et conduit à une autre scène encore auparavant où il la rabroue elle, pour avoir laissé une dame embrasser les enfants sur la bouche. C’est alors qu’elle comprend que sa romance est condamnée, mais c’est le refoulement de sa pensée amoureuse au moment de la première scène (la dernière dans le temps) qui a coïncidé avec l’apparition du symptôme. Rappeler ces scènes et les pensées qui les ont accompagnées avec les affects adaptés à leur contenu, grâce à Freud qui les lui interprète avant que la malade les admette, la soigne et met fin au traitement.
Nous sentons dans cette histoire la présence obscure d’autre chose que le dilemme entre l’idée amoureuse, la romance, et les intérêts du moi, sociaux et pragmatiques, qui s’y opposent. Comme si la violence du Directeur, les enfants embrassés, signalait encore que l’analyse, comme Freud le dit d’ailleurs, n’a pas été poussée très loin…
Ce vent qui apporte un souffle froid, celui qui apporte de l’inconscient des images et des pensées violentes avec un air de destruction est aussi associé au trauma tel que Freud l’a ramené à l’attention avant d’introduire la pulsion de mort, avec les névroses de guerre. Le souvenir se répète dans la souffrance, en bribes, non relié aux intérêts et investissements conscients. Il n’a plus la qualité de pensée inconsciente mais de morceaux détachés d’un édifice qui s’écroule. Dans la réaction thérapeutique négative aussi, autre phénomène qui met Freud sur la voie de la pulsion de mort, la répétition apparait dénuée de passerelles avec les pensées inconscientes et le souvenir. Ici, l’empire du surmoi du patient s’est étendu à la cure et veut détruire celle-ci. Comment le surmoi arrive-t-il ainsi à prendre la commande et à interdire le progrès dans la cure, empêcher de se souvenir et de penser ? Ch. Hoffmann la met en relation avec l’effet inverse constaté parfois par l’analyste, quand il encourage son patient dans le progrès thérapeutique déjà visible dans la cure ou bien quand il l’a en début de cure d’une façon ou d’une autre encouragé avec confiance à entreprendre celle-ci. Un transfert négatif trop prononcé conduit à l’interruption du traitement. Mais une analyse ne doit-elle pas mettre à l’épreuve une instance étroitement associée, bien que distincte du surmoi, l’idéal du moi ? La réaction du surmoi contre l’atteinte de l’idéal n’est-elle pas inévitable et donc une mesure de réaction thérapeutique négative aussi ?
Il me paraît, personnellement, particulièrement difficile de faire face à ces situations. Je me sens rabougrie, coupable, bien souvent et effrayée, facilement dégagée des « associations flottantes » requises pour toute écoute analytique. Pour utiliser une expression de Robert Levy pour caractériser la position analytique : « être là sans raison d’être », je me sens brutalement ramenée à une raison d’être là, par exemple une bien soudaine indifférence à toute autre considération que les honoraires bientôt perdues, une vague de sensations pénibles anticipant un dénouement pénible et imminent avec une interruption de cure, une agressivité réactionnelle, etc… Comme si le « monde des bisounours » comme disent les adolescents, était encore sensé régner sur mon ciel analytique et me préserver des périls menaçant mon narcissisme. C’est peut-être la raison pour laquelle j’ai l’impression que je ne tiens pas la route en cas de transfert négatif. Je ne me console pas de ce que Ch. Hoffmann souligne après Freud qu’en cas de réaction thérapeutique négative, le plus souvent, le patient abandonne la cure en la déclarant inefficace.
Dans le séminaire vraiment extraordinaire et exceptionnellement riche qui clôt le séminaire XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, celui du 17 juin 1964, que nous avons récemment eu l’occasion de discuter dans un cartel, Lacan formule des coordonnées qui jusqu’à aujourd’hui guident la réflexion sur le désir de l’analyste, la fin de l’analyse, ce qui se joue entre l’analysant et l’analyste en dernier lieu, ainsi que le dénouement du désir de l’analysant pris dans le transfert. Les événements traités ici sont comme des coupures dans la structure, des expériences dans le transfert de nature à faire advenir le lieu de la pulsion, ni plus ni moins l’objet a.
Ce qu’il dit de l’objet anal est pas mal aussi, mais je vais me centrer sur l’objet oral : « … l’analysé dit en somme à son partenaire, à l’analyste – Je t’aime, mais parce qu’inexplicablement j’aime en toi quelque chose plus que toi – l’objet petit a, je te mutile. » Pour Lacan, c’est le sens de la relation à la mamme, à la pulsion orale.
Je mets en rapport ce reportage analytique de Lacan sur les grâces du transfert avec la dernière leçon du séminaire VII quelques années auparavant, l’Ethique de la psychanalyse, où Lacan rentre dans la question « éthique », de l’analyse comme expérience éthique avec cette question : une fois le sens de l’action libérée par la parole, une fois opérée ce retour au sens caché auquel on peut aller par l’analyse, «… tout va-t-il tout seul ? Et pour mettre les points sur les i – n’y a-t-il plus que bienveillance ? » (p. 360) Et Lacan de distinguer la dimension qui s’exprime dans ce qu’on appelle l’expérience tragique de la vie, selon lui impliquée par l’éthique de la psychanalyse et ce qu’il appelle le service des biens, l’ordonnancement des affaires de la Cité dont il plante si bien l’incarnation avec le Créon de l’Antigone de Sophocle. Lacan ne se prive pas de faire le lien avec la position du pouvoir. Il voit dans l’invitation à continuer à travailler surtout sans s’inquiéter, que les conquérants adressent au pays conquis, une injonction à ne pas se préoccuper de son désir. « Pour les désirs, vous repasserez. Qu’ils attendent. » (p. 363)
En somme, l’analyse conduit à faire le deuil de la relation imaginaire entre les Biens, mon bien, le bien de l’autre, celui qui entre en jeu dans tel glissement dans le transfert, et le désir qui en lui même n’a cure du bien et il ne peut pas en être autrement. Lacan renvoie à Kant avec Sade pour la démonstration. Cette mutilation de l’analyste, si elle révèle le désir, est-elle provoquée par l’amour de transfert ? Par la haine dans le transfert ? Est-elle un effet surmoïque de l’analysant intervenant structurellement dans le transfert ? Un passage obligé sur le chemin de son désir ? Et pour l’analyste une épreuve qu’il ne peut passer et faire passer à son patient sans que son être narcissique soit, en effet, touché ?
De tels événements touchant à la structure narcissique des deux protagonistes de l’analyse, ont-ils un quelconque rapport avec un souvenir, avec l’histoire et quel peut être ce rapport ?
L’histoire telle qu’elle peut apparaître dans et à l’issue d’une cure, racontable, transmissible, évocable à renfort de souvenirs, peut-elle encore révéler des dimensions cachées, des pans entiers habitués à être racontés peuvent-ils être soulevés, renversés, tomber dans l’insignifiance, d’autres continents apparaissant soudain pour prendre une place jusqu’ici inoccupée ? Le souvenir peut-il revenir quand déjà tout semblait dit ?
Freud raconte un intéressant exemple de condensation de tout un ensemble de désirs et de liens entre ces désirs, de conflits et de transformation avec la solution trouvée à aux conflits, à travers un souvenir d’enfance précis. Il s’agit d’un souvenir de la petite enfance, avant que l’ordre chronologique s’installe dans la mémoire, du temps où certains souvenirs conservés semblent inexpliqués, peu importants apparemment et pourtant fidèlement conservés. Freud construit à cette occasion le concept de souvenir-écran ou « souvenirs-couverture » et la notice de l’article du même nom dans l’édition des Œuvres Complètes III (Ed PUF), signale que son exemple est « autobiographique », nous dirons : tiré de son analyse personnelle. Freud se rappelle d’une scène où il gambade dans une belle prairie, il est très petit, en compagnie d’un cousin et d’une cousine, le cousin arrache des mains de la cousine le beau bouquet de pissenlits qu’elle avait ramassés, elle pleure ; ensuite les enfants courent vers deux femmes qui sont à la porte d’une maison de paysan : la paysanne et une bonne d’enfants ; la paysanne leur donne à manger du pain noir qui a un goût délicieux. Freud s’interroge sur le pourquoi de s’être souvenu d’aussi loin d’un événement qui ne semble pas tellement significatif. Il doit y avoir une raison à la conservation de ce souvenir. Il le décortique, le souvenir se transforme en une construction d’éléments qui en font plutôt une formation de l’inconscient. Les niveaux plus superficiels le ramènent au souvenir d’une énamoration adolescente lors de vacances dans le pays même d’où sa famille était venue à Vienne lorsqu’il avait trois ans environ. Les rêves éveillés qu’il faisait alors se trouvent représentés dans la scène : revenir vivre dans cette région où il vivrait dans l’aisance, le « pain » serait abondant et bon… Un autre niveau concerne un projet familial lors de ses années d’étudiant de le marier à la cousine même qui est représentée dans le souvenir et de l’orienter vers le commerce, projet repoussé par Freud mais cependant rappelé avec nostalgie plus tard au cours des années de pain dur de ses études prolongées. Le décor alpestre du souvenir rappelle, c’est un point très intéressant de l’analyse de Freud, l’époque de ces dures années où il randonnait dans les Alpes. Il en conclut que le temps où ce souvenir s’est formé est indiqué dans le rêve par le décor. Mais plus profondément dans ce « souvenir » est caché une allusion à un désir sexuel agressif : la dé-floration (arracher les fleurs de la petite fille), à l’opposé de sa conduite en tant que jeune homme, timide dans un cas et indifférent dans l’autre des situations sexuelles réelles.
La valeur du souvenir-écran provient donc d’une époque ultérieure à celle dont il semble venir, moment dont les impressions et intérêts sont connectés à son contenu. Freud écrit sous forme de dialogue avec lui même. Il s’exclame en revenant sur l’apparente banalité de la scène du souvenir : « On ne peut plus la qualifier d’inoffensive lorsque, comme nous l’avons trouvé, elle est destinée à illustrer les plus importants tournants de votre histoire de vie, l’influence des deux plus puissants ressorts, la faim et l’amour. » (p. 269, OC III) A cette époque (1899), les deux ressorts pulsionnels freudiens étaient précisément la faim et l’amour, pulsions du moi et pulsions sexuelles. Freud en vient pour finir à remettre en doute l’authenticité de la scène présente dans le souvenir, pour en garder quand même probablement une partie, mais en admettant que l’image de la prairie avec les enfants puisse être une construction où le jaune du pissenlit, fleur alpestre peu estimée, vient surtout rappeler la robe jaune de la jeune fille de ses amours adolescentes. Le souvenir d’enfance précoce est devenu ainsi un complexe échafaudage où s’imbriquent des « fantaisies » d’époques différentes avec leurs contextes et dans sa plus obscure racine s’y rattache un désir crument sexuel irreprésentable visuellement mais évoqué par l’artifice d’un rébus.
Dans l’article consacré au souvenir-écran de son dictionnaire de la psychanalyse, Bernard Vandermersch souligne l’aspect quasiment hallucinatoire de la satisfaction procurée dans le souvenir-écran. La prairie aux pissenlits rapportée par Freud, se substitue aux impressions choquantes ou désagréables refoulées. Le texte de Freud ne révèle pas quelles elles peuvent être. Mais le dernier renvoi verbal caché dans le souvenir à un désir sexuel agressif oriente vers la nature possible de la représentation refoulée, une scène, peut-être, que le petit garçon aurait bien été tenté de répéter. Vandermersch écrit dans ce même article à propos de la différence entre rêve et souvenir-écran ces quatre phrases, éclairantes et stimulantes qui m’ont fait comme par enchantement entrouvrir une porte insoupçonnée. Il écrit : « c’est à partir d’un rêve que Freud tente d’établir la réalité de la scène primitive. Ces scènes réelles ne sont généralement pas reproduites sous la forme de souvenirs mais « rêver est bien aussi un ressouvenir quoique soumis aux conditions de la nuit et de la formation du rêve ». Le rêve est certainement d’une aide plus sûre quand à l’approche du réel et s’il lui arrive, rarement, de faire comme le souvenir-écran, miroiter le temps mythique d’une jouissance absolue, du moins l’on s’en réveille. »
Ces phrases m’ont fait penser à un souvenir-écran personnel sur lequel je pensais n’avoir rien de plus et même n’avoir jamais rien eu de très particulier à dire. Le rapprochement du souvenir-écran et du miroitement du temps mythique d’une jouissance absolue m’ont fait comme me dire : « mais bien sûr, il suffisait d’y penser ». Ici se rencontre mon souvenir avec non seulement un sens caché, mais l’explication de tant d’impressions répétées et inexpliquées au cours de ma vie. Comme si ce « souvenir retrouvé » était celui de la structure de mon désir déterminé en un temps T pour tous les temps à venir et condensé dans une représentation que je portais depuis de longues années sans l’avoir jamais regardé.
Ce dont je me souviens remonte à mon enfance très reculée. Le souvenir consiste en ce que je pars avec mon père dans une maison qui est sa petite villa à lui tout seul, je sais qu’elle se trouve sur une colline qui s’appelle Csillebérc dans les abords de Budapest.
Je suis en robe très courte, c’est l’été, il y a du soleil.
Une image sur une route où nous sommes seuls, en allant vers ce lieu qui est à lui : il fait très chaud et je joue sur l’asphalte, l’asphalte est fondue.
Je m’assois en jouant et ma culotte se colle dans l’asphalte.
Incident pénible, je dois m’extraire de ma culotte et continuer fesses nues sous ma petite robe. Mon père est impatient.
Il y a ensuite, ou avant, ou à côté, une image de mon père et moi sur l’escalier de sa petite villa de Csillebérc.
Comme une hésitation sur l’escalier : entrer ou sortir ?
Et un long retour en ville dans le métro où je suis entourée de gens aux mines maussades et habillés de gris, des hommes au regard inamical qui ont tous « vu », deviné que j’étais sans culotte sous ma petite robe, malgré mes jambes très serrées l’une contre l’autre pour me cacher.
Les phrases qui terminaient le texte de Vandermersch m’ont éclairée d’une question qui est devenue une certitude depuis : ce souvenir cache-t-il une scène sexuelle traumatique, une scène primitive ?
Les regards absolument perçants, physiquement palpables dans mon souvenir qui « voient » ma nudité sont aussi bien mon regard qui voit ce qui ne doit pas être vu. La scène se cache encore d’une autre manière : à l’époque où j’ai pu assister à un acte sexuel entre mes parents, j’avais des couches et je dormais dans la même pièce qu’eux dans un lit à barreaux.
L’enfant qui laisse une culotte blanche collée dans une matière noire en se relevant est aussi bien le bébé qui se dresse sur son séant et puis debout, et qui naturellement défèque, comme l’homme aux loups, mais aussi comme tout bébé devant une émotion qui le submerge.
Mais cette culotte sale laissée là et abandonnée sur la route de la petite villa de mon père est aussi une image de l’ambition sans mesure dans cette entreprise de séduction : tout juste sortie des couches culottes, j’entreprends en petite robe courte l’ascension du plus grand des défis amoureux…
Mais le retour est un désenchantement complet. Il y a dans le regard des ces voyageurs indifférents quelque chose de méprisant adressé à mon corps. La nudité visible comme je le crois, à travers ma petite robe à présent trop courte révèle un manque honteux ; sur cette image plane le spectre de devoir rester ainsi à jamais, dans une pauvre nudité sans consolation.
Est ce que la romance, le rêve éveillé qui forme la partie lumineuse du souvenir, le projet amoureux, est brisé sur le réel traumatique de la scène cachée ? L’enfant a-t-elle pu réaliser au cours de son ascension vers les sommets du plaisir d’avoir son père pour elle toute seule, dans quel danger inexprimable elle se lançait ? Qu-t-elle entrevu depuis la colline de Csillebérc (le mot renvoyant à « étoile » et « sommet ») ?
Les réminiscences des patientes des Etudes sur l’hystérie consistent en des représentations intolérables qui doivent à tout prix être refoulées. Freud associe étroitement le trauma avec l’acte qui le repousse loin du conscient. L’enfant a-t-elle réalisé à un moment du parcours de ce dimanche de plaisir où son désir pouvait l’emmener ? et où pouvait l’emmener son père dont « l’impatience » dans le souvenir prend maintenant une autre signification que celle que j’ai toujours perçue consciemment comme preuve d’un manque d’empathie de sa part.
La terreur ressentie devant le réel où s’abîment les corps dans la scène aperçue et la solitude totale devant ce spectacle se sont elles présentées comme limite radicale au désir et mis en échec l’histoire d’amour ? La punition qui donne l’impression de colorer tout au long ce retour humilié en ville, l’aspect de fable morale de toute l’histoire, tente de raconter un fait de la structure, ce manque corporel. En gardant l’idée apparente que quand même la perte est due à la grande malchance de cette petite fille et peut être aussi à la cruelle absence de compatissance de son papa. Mais l’échec de cette histoire d’amour précoce a mis l’humiliation et l’injuste indifférence paternelle à la place du manque présent et d’une promesse à venir possible. Il se peut aussi que le souvenir condense toute la relation des années ultérieures. Il habille d’une histoire un fait majeur, la découverte d’un manque aussi terrible qu’une mutilation.
- Levy a utilisé l’expression d’effervescence pulsionnelle, d’une façon que je trouve très intéressante pour ce qui concerne la clinique avec l’enfant, pour désigner ce qui chez le bébé, le petit enfant, nécessite, pour se lier à des traces, qu’il y soit répondu. Le bébé doit recevoir une réponse particulière, à lui et à nul autre adressée pour qu’en lui s’inscrive quelque chose. Il est traumatisé de sa propre effervescence pulsionnelle s’il reste sans réponse. La scène primitive est une situation d’effervescence pulsionnelle à laquelle nulle réponse particulière n’a pu venir, devant laquelle le sujet a ressenti sa perte, sa disparition. Mais tout cela a lieu dans un après-coup où le désir déjà constitué rencontre cette limite où il s’abolit en même temps que le sujet. La représentation intolérable est vouée à être repoussée non parce qu’elle contredit aux intérêts du moi ou pas uniquement pour cette raison. Elle touche à ce qui abolit le sujet, à l’effervescence pulsionnelle sans bords, à un réel sur lequel échoue le programme du désir. La réminiscence effleure en effet les abîmes. Chaque fois que la petite fille éprouva par la suite cet abandon radical comme punition de son excès et de son ambition, la réminiscence douloureuse de la honte et de la mutilation de l’image jusque là soutenue d’elle-même revenaient. L’image d’avant la mutilation est véritablement l’identification qui a instauré une relation de passion à jamais active au phallus. Le souvenir, s’il s’écrit, réécrit toujours l’histoire de cette première passion brisée qui inscrit l’opération à partir de laquelle un objet extérieur au corps propre pourra entrer dans la fonction de cause du désir
Débat
Robert Lévy :Le sujet- dans tous les sens du terme- c’est la question de la haine ; ce qui me semble un point assez fondamental, à savoir comment est-ce que le souvenir traite la haine ou est-ce qu’il y a une place dans le souvenir, de la haine ? je crois que vous répondez assez clairement OUI mais, dans le souvenir écran ; ce qui est une façon que je trouve vraiment très intéressante de reprendre cette question, cette question où évidemment le souvenir écran est une forme de répétition après tout ; c’est ce qui se répète d’une construction qui revient qui revient sans cesse, on va dire, toujours à la même place, jusqu’à ce qu’elle puisse être élaborée alors, élaborée, vous dites que ce e n’est pas pour autant que l’on retrouve……Freud est assez ambigu là-dessus … , à savoir sur la question thérapeutique : je crois qu’il est quand même , quand même un peu resté sur cette idée qu’il y aurait quelque part l’espoir de retrouver…quelque chose de constitutif d’un souvenir premier.
Alors vous, vous reprenez les choses évidemment à une autre place c’est-à-dire une place de remise en question du lien entre ce -se souvenir- et –guérir-.
Alors à ce sujet je trouve que, au fond, Lacan lui, reprend cette même question de la haine et d’une certaine façon de la réaction thérapeutique négative ou la question de la répétition dans la pulsion de mort, non pas en reprenant à partir du sexuel, en ne reprenant pas l’idée du tout sexuel de Freud – même si Christian Hoffman met cette idée-là en doute ,enfin quand même ça se retrouve partout, que le désir est essentiellement sexuel- en effet jusqu’à l’introduction de la pulsion de mort ; sauf que une fois qu’il a introduit ça, il ne sait pas quoi en faire.. Il s’arrête, je pense sur ce point- là, avec une espèce de patate chaude…ce qui est une découverte tout à fait extraordinaire puisqu’elle vient dire quelque chose sur le pourquoi des névroses de guerre, sur le pourquoi et le comment des névroses de guerre et aussi sur la question du traumatisme.
Alors, je voudrais vous interroger ,vous poser quelques questions sur et à partir de ce que Lacan va introduire sur la dimension de la haine dans les complexes familiaux en psycho- car je trouve que c’est une façon de reprendre cette question non seulement de la haine mais de la pulsion de mort comme constitutives du sujet lui-même et ce qu’il ne faut pas oublier, de son lien social premier : çà, çà me semble un point vraiment essentiel ; c’est-à-dire que bien loin de s’appuyer à ce moment-là sur Freud , ce que Lacan a produit, c’est l’idée… c’est cette invidia première du BB, qu’il tire de Saint-Augustin : observations d’un bébé qui regarde son petit frère allaité, et, à ce moment-là ,c’est l’invidia , c’est-à-dire que l’enfant n’a de cesse que de détruire, de s’approprier ce sein, de le bouffer, en l’occurrence, de bouffer la mère. Donc je trouve que là où Freud reste un peu en suspens sur la question… et dans un certain embarras avec cette pulsion de mort et d’une certaine façon sans pouvoir y repérer quelque chose qui serait constitutif justement d’un souvenir premier, Lacan est beaucoup plus explicite, je crois, parce qu’il arrive à poser l’idée selon laquelle, c’est la haine qui est constitutive et du sujet et du rapport à l’autre et donc au-delà, du lien social d’une certaine façon.
Alors après, c’est la question que je voulais vous poser : est-ce que selon vous, il y aurait dans ce cadre de la haine et de la pulsion de mort – je préfère haine, d’ailleurs , je ne sais pas pourquoi , mais c’est quelque chose qui est plus…plus utilisable, car la pulsion de mort on ne sait pas très bien ce qu’on peut en faire, c’est un peu, il me semble une sorte de patate chaude – donc est-ce que… il me semble que dans une analyse – et ça je crois que vous l’avez dit assez clairement, merci de reprendre ce point fondamental – au fond si on n’a pas touché à ce point fondamental, de haine, il y a quelque chose qui n’est pas analysé c’est un peu comme ça que j’entends ce que vous évoquez et à juste titre avec quoi, je suis assez d’accord, mais bien évidemment, le risque c’est la réaction thérapeutique négative. C’est là où ça se complique bien entendu, à la fois rien de la constitution fondamentale du sujet et de son lien social primitif ne peut être abordé si ce n’est à travers la dimension de la haine, mais en même temps, lorsqu’on touche à ce point- là, évidemment, le risque est quand même très très grand que quelque chose s’arrête de l’analyse. Alors, c’est pas toujours vrai non plus, heureusement, la réaction thérapeutique négative, finalement, elle n’a lieu que dans des temps assez premiers de l’analyse, de la cure ; et je crois que le fait que l’on puisse avoir une longue analyse- je dis ça comme ça, parce que je pense que la temporalité a un sens- permet, à un moment ou à un autre, de pouvoir aborder cette question de la haine autrement que dans une perspective de réaction thérapeutique négative. D’ailleurs je voudrais ajouter que la réaction thérapeutique négative, au fond, elle ne porte , me semble-t-il, que sur l’invalidation de la capacité de l’analyste à guérir les premiers symptômes pour lesquels le patient est venu demander une analyse, et pas sur ce qui va faire symptôme dans le transfert ensuite, et qui est donc l’objet même de l’analyse.
Je pense qu’à partir du moment où, en effet, on peut traiter la question de la haine dans le symptôme qui apparaît comme tel, grâce ou dans le transfert, à ce moment- là la question de la réaction thérapeutique négative ne se pose plus. C’est une question d’ailleurs que je vous pose parce que je trouve qu’on pourrait essayer de voir les choses un peu dans ce sens-là.
Sur la construction du souvenir enfance précoce et irreprésentable, en effet, je trouve que vous avez fort bien montré dans le fond, qu’il n’était représentable que comme souvenir écran et que du coup ça donne toute sa valeur au souvenir écran car on va le prendre au sérieux ; je trouve que vous avez amené la quelque chose de très important qui donne toute sa valeur…au souvenir écran. Parce qu’on a aussi tendance à dire « ça c’est un souvenir écran, on s’en fout ». En fait, vous nous avez montré qu’il ne faut pas du tout s’en foutre, parce que, tout est là. C’est-à-dire tout ce qui est irreprésentable, est là construit, ramassé, réduit, dans ce souvenir écran. Alors à traiter, finalement comme un rêve. Et c’est comme ça que vous l’avez déplié ensuite, je trouve que c’est vraiment important et intéressant C’est comme ça que Freud le traitait.
Alors la scène primitive comme effervescence pulsionnelle, oui certes, mais avec quelque chose dont la dimension de l’irreprésentable repose là sur du réel. C’est pas seulement une effervescence pulsionnelle, comme résultante de ce qui se passe là devant, mais comme résultant, plus exactement, d’une prise dans un réel irreprésentable ; en fait que ce qui est irreprésentable, c’est pas la scène primitive, c’est le réel dont il est question à partir de cette scène primitive, ce qui n’’est pas tout à fait la même chose. Voir ses parents faire l’amour, ça c’est tout à fait représentable, voire même rejetable, la plupart du temps, on ne veut pas le savoir et on ne veut pas l’accepter ; en revanche ce qui est traumatique, c’est la dimension du réel en jeu dans cet acte. C’est ça qui est irreprésentable, impensable plus exactement. Faudrait apporter ce petit décalage, me semble-t-il, parce que, au fond, on voit, on entend dans beaucoup de traumatismes, ce qui est important, c’est la prise dans le réel que ça engage par rapport au fantasme.
C’est ma dernière question, j’ai été étonné dans votre démonstration, que vous n’ayez pas du tout fait allusion à la dimension du fantasme. Parce qu’au fond et dans l’exemple très personnel que j’avais pris moi-même, très intéressant et très éclairant et également, dans l’exemple que vous prenez chez Freud, aussi très intéressant : ce qui a attiré mon attention c’est qu’à aucun moment il n’est question du fantasme. Or bien évidemment que la construction du souvenir écran ne peut se produire que adossée à la dimension du fantasme. Sinon il n’a pas de raison d’être. C’est-à-dire que c’est une émanation même de la structure du fantasme. Ce que vous expliquez très bien ensuite, mais sans nommer cet aspect dans votre démonstration.
Anna Konrad: j’ai perdu….
Robert Lévy : Vous avez perdu le fantasme en cours de chemin.
Robert Lévy : C’est important parce que c’est vrai car ce qui est peut-être aussi le point de bascule pour Freud, c’est cet aspect du fantasme, c’est ce qui va faire qu’il va pouvoir renoncer à cette idée que toutes les petites filles ont été tripotées…quand elles étaient petites. Évidemment il y en a eu, mais pas toutes. En fait ce dont lui parlent les hystériques, puisque c’est de ces études dont il s’agit, c’est plutôt de leurs fantasmes.
Fantasmes, qui est justement, je vais terminer là-dessus, qui est supposé être un mode de filtre contre ce réel justement irreprésentable. C’est qu’il y a là quelque chose d’une économie qui n’est jamais très très bien en place.
Voilà ce que je voulais dire de ce que j’ai entendu. Alors ce que vous venez d’évoquer est véritablement très intéressant, je vous remercie d’avoir ramené dans le séminaire de cette année, la question de la haine, de l’agressivité et de la difficulté d’un analyste à supporter l’agressivité et la haine du patient : ça c’est quelque chose dont on parle extrêmement rarement d’abord parce que c’est risqué et que, d’ailleurs, la plupart du temps, une fois qu’on en a parlé, le patient a foutu le camp. Donc on n’a plus rien à dire. Si on s’y arrête un petit peu, je trouve qu’il y a beaucoup de choses à dire sur ce point- là, et comment accueillir véritablement dans une analyse ces questions d’agressivité et de haine des patients ?
Anna Konrad : moi j’ai juste à dire que ça me semble très intéressant de ramener- parce que c’est peut-être parfaitement lisible dans la littérature – de ramener le fait de la réaction thérapeutique négative concerne la mise en route de l’analyse ; le passage où c’est pas encore installé comme analyse, à un moment où ça l’est….dans ces cas -là on peut aussi dire quel que soit ce qui se passe par la suite, c’est une histoire avec le symptôme.
Robert Lévy : oui, mais alors on peut aussi dire – c’est l’hypothèse que je vous livre- mais on peut aussi dire , que ça ne se fait pas, je veux dire ,si l’analyse ne démarre pas, aussi parce que l’analyste est dans une position où il ne peut pas accueillir cette première agressivité, cette première haine ; ça aussi c’est quelque chose qui semble peut être… à la source de cette dimension de la réaction thérapeutique négative… c’est-à-dire au fond, il y a quelque chose comment dirais-je ; ..Quand j’ai démarré il y a quelques années maintenant, j’ai aussi perdu entre guillemets, beaucoup de patients qui venaient me voir, autour de ces questions de l’agressivité d’emblée, voire même de haine, c’était parce que je n’avais pas, pour des raisons de ma propre analyse, menée suffisamment loin, je n’avais pas entendu au acquis- je sais pas si on peut dire ça comme ça- la dimension du semblant.. Il y a quelque chose que, je crois, je prenais pour une certitude ou pour du vrai. J’avais beaucoup plus de facilité, au fond, à être entre guillemets, neutre dans l’amour qui pouvait m’être adressé, ça ne me faisait pas beaucoup de difficultés, en revanche dans la haine et dans l’agressivité ça, ça ne me laissait pas indifférent. Je crois que c’est vraiment autour de ça que, me semble-t-il, on peut travailler cette question de haine et d’agressivité ; chacun est pas forcément constitué comme sujet à la même place. Il y a des gens pour qui la question de l’amour est plus engageante, si je puis dire, et pour qui la question du semblant est plus facile à assumer et d’autres pour qui c’est plutôt du côté de l’agressivité et de la haine.
Voilà, en tous cas, ce sont les deux faces de la même pulsion et alors le sexuel c’est les deux, finalement cette distinction est-ce qu’elle vaut vraiment si on considère la pulsion ?
Anna Konrad : en fait , vous revenez à la dualité, côté amour-haine.
Robert Lévy : je ne reviens pas, je vous remercie de me poser cette question amour-haine; je veux dire que je pense qu’il n’y a pas d’amour si préalablement, il n’y a pas de haine. Voyez c’est beaucoup plus radical encore. Donc c’est pas une affaire de dualité, c’est une affaire de constitution même du rapport à l’autre.
Jacquemine Latham Koenig: c’est le rapport à l’invidia,
Robert : évidemment, bien sûr c’est une question sur l’invidia , on le voit tous les jours lorsqu’on travaille avec de très petits enfants , voilà. Lacan met ça en mots, en fait une démonstration tout à fait brillante, il n’y a qu’à travailler avec des tout petits bébés pour voir à chaque fois que la constitution du rapport à l’autre c’est une espèce de destruction de l’objet alors même qu’ il n’est pas encore constitué. C’est l’avoir pour le détruire.
Autre interlocuteur : cet objet extérieur qui dérange puisque… C’est dans les quatre concepts…
Robert Lévy: bien sûr, l’objet dérange et en même temps si l’objet ne répond pas, s’il y a pas de réponse c’est une catastrophe encore plus importante alors que, c’est dans cette espèce de petit créneau de constitution de l’objet que ça se joue. L’amour ça vient bien après, l’amour c’est une façon, je crois, de construire quelque chose à partir de la première satisfaction, cad à partir de cette réponse sur la question de la haine.
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Jacquemine Latham Koenig: question difficile à démêler à savoir l’élaboration de la différence entre de la réaction thérapeutique négative et le transfert négatif : je pose la question maintenant car je ne sais pas quoi penser.
Robert Lévy: alors qu’est-ce que tu penses de ce que je dis, de mon hypothèse qu’est la temporalité dans le transfert : serait-ce une façon de répondre à ta question. A savoir : La réaction thérapeutique négative ça a lieu justement quand dans le transfert il n’y a pas encore de transfert négatif qui puisse se travailler
Radjou Soundaramourty : C’est pas ça …la réaction thérapeutique négative
Robert Lévy : non, non, mais c’est moi qui dis ça.. .je pose la question
Radjou Soundaramourty : la réaction thérapeutique négative c’est précisément quand , me semble-t-il, le travail est bien avancé, qu’ il y a toutes les conditions pour que le symptôme disparaisse, c’est précisément là, alors que tout semble aller bien, tout d’un coup, la fonction du symptôme et de ce qui fait souffrir, dont l’analysant ne peut pas l’aborder…parce qu’il y a quelque chose d’une culpabilité , par ex.…il faut qu’il paye quelque chose …Du coup, là où l’analyste freudien en question pouvait attendre que la cure se termine, qu’il y ait la guérison qui arrive , eh bien , c’est précisément là qu’a lieu la réaction thérapeutique négative alors qu’il devrait y avoir une réaction thérapeutique positive ; c’est vrai que ce n’est pas la même chose que le transfert négatif.
Robert Lévy : moi je fais cette hypothèse que je vous livre que, là où Freud dit… « Là où tout est fini, Ça n’a pas marché » : c’est là que ça pourrait commencer, à savoir, c’est là où pourrait commencer du transfert négatif qui puisse s’analyser c’est-à-dire que c’est quand il y a du transfert négatif qui peut s’installer, que l’analyse peut avoir lieu dans tous les sens du terme. C’est comme ça, je vous propose cette idée…
Jean-Jacques Valentin : est-ce qu’il n’y aurait pas une haine de fin d’analyse liée à une réaction narcissique, quelque chose qui se raidirait, si j’ose dire…je pense qu’il y aurait ça dans cette destitution…de fin d’analyse ?
Robert Lévy : why not ? ça se voit en effet à la ça se voit en effet sur le mode de la haine, aussi. Il y a sans doute là quelque chose qui est un peu une question parce que… dans certaines fins de cure il y a quelque chose qui s’assèche, le processus lui-même… ce qui dans cette façon de s’assécher produit sans doute, cette dimension de haine chez l’analysant. C’est quand même terrible de constater que votre analyste ne vous apporte plus rien, il y a de quoi le haïr…
Jacquemine Latham Koenig : mais enfin c’est une figure de l’amour.
Robert Lévy : alors justement si on suit peut-être cette hypothèse, que ce qui est constitutif de l’amour, c’est là haine, ce que je veux absolument soutenir, on n’entend plus cette question de la haine comme le revers de la même médaille mais au contraire comme quelque chose qui peut apparaître une fois que l’amour est tombé. C’est pas la même chose tu vois, on a tendance de façon extrêmement freudienne, à voir la pulsion comme le revers de deux médailles, la pulsion de vie, la pulsion de mort c’est quelque chose qui peut se retourner l’amour, la haine etc.… Moi je pense que ce n’est pas satisfaisant d’opposer les choses comme ça, et que c’est pas un équivalent amour haine ; ça c’est la version freudienne assez classique, je suis pas persuadé que ça marche vraiment comme ça. En tous cas, c’était très important et très intéressant d’avoir pu le poser, mais il y a quelque chose, encore une fois j’insiste, de constitutif dans la dimension de la haine qui, si elle n’est pas abordée, vraiment, il y a quelque chose de l’analyse qui ne s’est pas fait, qui n’a pas fonctionné ….ça ne veut pas dire qu’i faut rester dans la haine, c’est tout à fait fondamental, mais il y a quelque chose qui ne s’aborde pas …(équivoque)
Radjou Soundaramourty : Mais, c’est ça le point, la question de la haine c’est quand même quelque chose de l’ordre, me semble-t-il d’ une dimension très imaginaire, tout à fait fondamentale. Alors, dans une fin de cure la haine se poserait, je veux dire, c’est pas…
Robert Lévy : J’ai pas dit ça, j’ai dit que si elle n’a pas été abordée dans l’analyse…Je ne dis pas que les fins de cure, c’est la haine…c’est vous qui disiez… dans une fin de cure …vous posiez la question…
Radjou Soundaramourty : à mon avis, ce n’est pas une fin de cure, s’il y a de la haine brouhaha c’est-à-dire que la question de la destitution subjective, de quelque chose qui chute du grand autre c’est la question de la barre…du grand Autre, l’Autre barré …
Robert Lévy t : Mais encore une fois, rester sur cette idée amour-haine en tant que les 2 faces d’une même pièce… ne me semble pas rendre compte de ce que nous travaillons aujourd’hui.
Jacquemine Latham Koenig …à la fin de l’analyse ?
Robert Lévy : non, non, mais moi j’ai jamais dit qu’une fin d’analyse …. C’est Jean-Jacques qui… (rires)
Jean Jacques Valentin : Je trouvais intéressant l’idée que la haine peut apparaître comme ce fondement, aussi, de l’amour, c’est ça qui est intéressant ? et qui est à travailler ou à élaborer, bien sûr ; je pense qu’une analyse qui s’achève dans la haine, c’est embêtant…
Robert Lévy : moi aussi
Un interlocuteur : c’est embêtant pour qui ? éclats de rire …
Anna Konrad : Mais, si l’amour débute sur une 1ère expérience de satisfaction à partir de laquelle peut se construire ce qui le précède, c’est l’imminence la mort pour le BB… ?
Robert Lévy: mais oui, mais c’est sans cesse ça…
Anna Konrad: ce qui y répond c’est, donc l’adulte qui peut-être peut hésiter avant …de venir au secours du BB alors, je ne sais pas si c’est de la haine ou quoi de sa part, mais il y a quelque chose –là qui peut rester en suspens et précéder l’amour. Mais au fond, moi je vois ça comme un moment physiologique
Robert Lévy : Mais aussi physiologique, bien évidemment, mais aussi un moment physiologique, il y a une traduction en mode de pensée, même si c’est un moment physiologique , ça confirme l’ensemble : il y a une très belle petite description de Winnicott , je ne sais pas si vous vous en souvenez …à un moment donné, Winnicott s’amuse à citer les enfants : « Olà l’objet , viens donc me voir que je te détruise » je trouve que c’est assez bien rendu, c’est à la fois, la nécessité d’avoir cet objet, mais en même temps de le détruire , c’est-à-dire l’avoir et le détruire ,ça fonctionne ensemble.
Un interlocuteur : « Je t’aime, je te détruis « et … « comme je t’aime, je te détruis …dans mon fantasme… »
Robert Lévy : C’est ça : et comme je t’aime je te détruis ; peut-être que je retrouverai ce passage…
Un interlocuteur : Dans les 4 concepts, il dit que même la satisfaction fait pour le moi …, cette histoire du lust,et de l’unlust, du plaisir et du déplaisir, sont extraordinairement liés , que la perturbation peut même venir de la satisfaction, de l’excès de satisfaction… Le moi est dérangé…
Philippe Wolosko : D’ailleurs je pense que c’est dans les études sur l’hystérie – je ne me souviens plus exactement où, il différencie la pulsion, de la compulsion ; où il dit finalement la compulsion, c’est cette partie de la pulsion qui peut accéder à la conscience et qui devient de ce fait compulsion et, autrement ce qui ne parvient pas à la conscience, qui est refoulé – il ne dit pas ça comme ça- c’est de l’ordre de la pulsion ; c’est intéressant parce que, finalement il n’y a qu’une seule pulsion , même si après il dualise les choses avec la pulsion du moi la pulsion de vie, la pulsion de mort …
Robert Lévy : ça, c’est un peu de la cuisine
- Philippe Wolosko : Oui, il y a de la pulsion , il faut bien le présenter.
Robert Lévy : en tous cas, la compulsion, c’est ça qui va donner la répétition, c’est sur la compulsion que la répétition va s’appuyer pour se répéter…
Philippe Wolosko : oui, parce que la compulsion, c’est déjà une répétition.
Robert Lévy : bah ! oui, c’est la matrice-même de la répétition, faut pas oublier ça… mais si l’on reprend quand même…moi je reste extrêmement intéressé par cette bascule, ce qui bouge chez Freud à propos de la question du trauma…C’est la reconnaissance du traumatique , au fond ce qui le fait tomber de sa chaise , c’est l’idée que le désir pourrait ne pas être positif : la preuve , c’est qu’il y a des gens qui rêvent de choses très négatives en l’occurrence, d’histoires de guerre traumatiques ; mais, d’une certaine façon, quelle naïveté , on peut dire ça après coup, c’est facile, quelle naïveté que d’avoir pu penser qu’au fond le désir n’était que positif ?
Un interlocuteur : du point de vue de sa pensée, il avait interprété… quelque chose qui était déjà là avant … ? Les névroses de guerre, évidemment… et son auto-analyse en rapport avec ses parents, c’était déjà là…
Robert Lévy : mais dans l’idée-même de pulsion, c’est déjà là : il avait tout de même découvert, si on peut dire ça comme ça la dimension de la pulsion, mais en ne lui attribuant pas son essence même, en quelque sorte, cad …la question de la haine ? Enfin appelons ça comme ça pour faire vite.
Mais, moi je dirais que, au fond, il a fallu pour Freud le détour de la rencontre avec le traumatique, avec la question du trauma, mais pour tous les autres analystes, le détour par le travail avec les enfants. Il y a 2 options possibles sur cette fonction de la haine ou bien on la retrouve dans la dimension du traumatique ou bien on la retrouve, sans cesse dans la rencontre avec les enfants, si petits, soient-ils , encore plus petits, encore plus haineux, enfin je veux dire qu’il n’ y a, pas de barre , il n’y a pas de barrière ; c’est dans ce sens- là ; c’est donc la pulsion à l’état pur, comme le dit Lacan , la pulsion à l’état pur , la haine .
Philippe Wolosko : Moi j’ai une question :peut-être que j’ai pas tout compris ; quand tu assimiles finalement la question de la haine à la pulsion de mort, ce que tu viens de faire, et avec tout ce qu’on vient de dire sur… finalement il y a quelque chose qui change : mais je veux dire pour moi la répétition c’était justement une question, c’était quelque chose qui émanait de la pulsion de mort, et je vois pas comment articuler ça avec la question de la haine …alors , on l’entend bien la dimension de jouissance dans la répétition , si on reprend la question de la pulsion de mort telle que Lacan en parle , je veux dire , c’est très…voisin ou analogue … entre la jouissance et la pulsion de mort ; mais je vois pas comment lier la haine à celle de la répétition ; pour moi , la répétition c’était une expression de la pulsion de mort , alors ,peut-être que je me trompe là-dessus… ?
Robert Lévy : non , tu te trompes pas du tout, simplement …
Philippe Wolosko : si la haine et la pulsion de mort, tu peux les assimiler, tu parler de la répétition comme une question de forme ?
Robert Lévy : Pourquoi, si ce n’est freudien, on ferait ce distingo entre pulsion de vie et pulsion de mort ; c’est pour ça qu’on est très embarrassé avec la pulsion de mort, on ne sait pas quoi en faire ; ça apparaît tout d’un coup comme un truc qui viendrait d’on ne sait pas où, mais ça n’a pas de sens…
Philippe Wolosko : Il y a de la pulsion, à ce moment- là, la répétition, c’est de la pulsion ;
Robert Lévy : bah, qu’est-ce que ce serait d’autre ?
Philippe : Donc, voilà, ça n’a plus rien à voir avec de la pulsion de mort, c’est de la pulsion.
Robert Lévy , évidemment, je vois pas ce que ça peut être d’autre.
Philippe Wolosko : Non, non, mais pour moi ça change le statut de la répétition, d’entendre la répétition comme étant une manifestation pulsionnelle, cad qu’effectivement, la pulsion en elle-même, elle se répète.
Robert Lévy : bien sûr, elle est faite pour ça
,
Philippe Wolosko : La répétition ça n’est qu’une projection de ce qu’est la pulsion, la répétition à ce moment –là, elle devient une façon de dégager quelque chose de la structure de la pulsion à travers la répétition, voilà. On ne se pose plus la question de la pulsion de mort ; qu’il y ait une jouissance là-dedans, c’est évident, mais je sais plus comment travailler cette question de la jouissance de la répétition….
Robert Lévy : bah écoute, c’est très simple comment est-ce que sinon on pourrait comprendre que l’on passe d’un état thymique normal, à un état dépressif, on aurait comme ça un stock de pulsion de mort dans un coin qui tout d’un coup apparaîtrait à l’occasion d’une mauvaise rencontre ?
Philippe Wolosko : oui, elle est stockée par la culpabilité…
Robert Lévy : la culpabilité, elle repose sur quoi ? elle repose sur l’idée que la seule chose à laquelle on ne veut pas avoir affaire ,c’est à son désir, c’est ça la culpabilité, sinon, ça n’a pas de sens, non plus…mais le désir , comme Freud en fait le constat, avec les névroses de guerre , c’est pas seulement positif, c’est aussi négatif…
Un interlocuteur : il me semble que, dans l’Ethique Lacan rapporte la pulsion de mort au discours …
Robert Lévy
Anna : la pulsion, en fait, la pulsion, elle est sexuelle si elle est prise dans le fantasme ….
Robert Lévy : Bah oui, bah oui, en effet, vous avez raison C’est le fantasme qui en fait ensuite une espèce de projet personnel à chacun dans une espèce de fabrication, modalités …où tout le monde va être heureux ou malheureux d’ailleurs, ou les deux; mais je trouve qu’on gagne pas grand-chose, voire même on s’y perd complètement, à diviser … à diviser les choses : pulsion sexuelle, pulsion de vie…. on peut continuer, non il y a de la pulsion, et la pulsion, c’est par essence…. bah, écoutez , regardez les BB, c’est tout et vous aurez compris ce que c’est que la pulsion, c’est tout en même temps, créatif, positif, haineux , baveux, amoureux … : Il y a pas un stock comme ça, d’un côté de pulsion de mort et puis de l’autre une pulsion….D’abord, moi, je suis pas à l’aise dans cette espèce de vision et en plus je trouve qu’elle n’est pas clinique. Bien sûr que c’est important pour aborder un certain nombre de questions et Freud avait sans doute cette nécessité de vouloir faire une espèce de didactique pour amener la question de l’inconscient , de la psychanalyse , des pulsions et pour ça ,il fallait fabriquer des modalités un peu représentatives , mais bon, une fois qu’on a, je dirais, acquis ces prémisses-là, après…
Anna Konrad : oui, mais c’est quand même pour garder l’idée que ça commence par le conflit, c’est la question de la mort
Robert Lévy : Bien sûr, penser c’est être dans le conflit : une chose est assez claire pour lui, un petit enfant commence à penser quand il peut être en conflit avec la question de la mort ; quand quelque chose peut apparaître comme conflictuel avec sa pensée, c’est là qu’il peut se mettre à penser, c’est là que sa pensée démarre, en quelque sorte.
Philippe : je reviens un peu en arrière, sur ce que tu as dit la dernière fois, après Lacan, comme quoi finalement, pour le petit enfant, sur l’effervescence pulsionnelle, la pulsion ne peut avoir une existence psychique qu’à partir du moment où la mère y met du signifiant, à partir de son propre fantasme , ce qui est la même opération qui est effectuée après par le sujet qui voit la pulsion à travers son fantasme cad qu’à partir du moment où la pulsion peut effectivement exister avec le langage , elle est sexuelle.
Robert Lévy : Oui, oui oui.