Lacan & Basaglia: deux champs hétérogènes en féconde alliance. Convergencia, Reims 2017
Lacan & Basaglia: deux champs hétérogènes
en féconde alliance
Basaglia est un psychiatre, Lacan, un psychanalyste. Basaglia est un marxiste, Lacan, un freudien. Voilà le biais par lequel j’ai choisi trabailler le sujet qui nous a été proposé par nos collègues de Reims: Psychanalyse et Psychiatrie. Penser leurs rapports possibles implique, donc, de penser les rapports entre Marx et Freud. Or, ce n’est pas d’hier que ces rapports occupent les penseurs. Il faut, donc, tout d’abord, considérer ce qu’ls ont dejà pensé.
D’une façon necessairement panoramique, puisque le sujet de ce travail n’est pas le nommé “freudo-marxisme” dans ses différents versants, nous pouvons honorer l’École de Francfort comme le plus important mouvement de critique intellectuelle articulant Marx et Freud, quoique Marx soit infitiment plus important que Freud pour les auteurs les plus éminents de cette École: Max Horckheimer, Theodor Adorno, Walter Benjamin, la place des “freudiens” en occupant le deuxième échélon: Erich Fromm, Herbert Marcuse. Le premier n’a rien compris sur la structure même du discours analytique, et s’est blotti dans le culturalisme le plus naif par rapport au soc tranchant de la découverte freudienne, et le deuxième n’a rien compris sur la pulsion de mort, tenant à l’Éros pour assurer la civilisation.
Dans un versant tout à fait différent, les appelés néo-kleiniens comme Jose Bleger, Emilio Rodrigué, Arminda Aberastury et d’autres ont essayé, en Argentine, construire des ponts entre Freud et Marx, cette fois partant de la psychanalyse, sur les pilliers de la relation d’objet. Mais ils ont échoué, car il n’ont rien compris de la pensée de Freud, par exemple, en ce qui concerne la théorie du narcisisme, en la prenant comme le plus opposé de la conception d’objet en psychanalyse, dont le narcissisme est, pourtant, le corrélat et la condition de pensabilité.
Aujourd’hui, Alain Badiou et Slavoj Zizek sont les plus importants auteurs qui continuent à articuler la psychanalyse au marxisme, et finalement nous pouvons vérifier qu’ils réussent.
De notre part, nous ne sommes pas en train de proposer des liens pareils, nous n’en avons pas la compétence. Tout en prenant la voie de la pratique clinique psychanalytique avec des psychotiques, et pas que dans un encadrement de cabinet mais surtout dans un cadre institutionnel et public, nous avons Freud et Lacan comme nos guides majeurs, mais nous avons rencontré Franco Basaglia comme la principale référence sur le plan politique. Jean Oury, le psychanalyste français qui, à notre avis, plus que quelqu’un d’autre, a mis en acte la convocation lacanienne de ne pas réculer devant la psychose[1] et a soutenu pendant plus de 60 ans un travail incroyable à La Borde, prend, dans un versant tout à fait différent par rapport à Basaglia, sa place de fier d’une clinique-politique pour la psychose.
Il est moment, donc, de faire ce que j’appelerai un RETOUR À BASAGLIA, em sens analogue à celui par lequel Lacan a fait um retour à Freud et Althusser à Marx.
Basaglia n’aimait pas Freud, Lacan ni la Psychanalyse, par rapport à laquelle, au contraire, il gardait plusieures reserves critiques. Peu importe. Il avait sés raisons, et jusqu’à un certain point nous y agréons, car les psychanalystes, de par son appui à l’idéologie individualiste – equivoque intellectuellement robuste consistant à référer Freud aux “présupposés” qui lui seraient supposément nécessaires dês idéologues de l’individualisme européen (David Lukes, em Angleterre, Louis Dumont, en France, Georg Simmel, en Allemagne), se sont par vachement fiers d’un élitisme bourgeois et privariste, aversifs au champ public, institutionnel, et donc aux conditions exigibles pour une clinique consequente avec les psychotiques.
Dans un passage d’une conférence donnée au Brésil, à Rio, 1979, Basaglia dit: “Il ne m’est pas facile parler de Freud, car il est des penseurs qui changent le cours de l’Histoire et de l’humanité, sur le point même de ses contradictions”[2]. Je pense que ça suffit pour ce que nous sommes ici en train de proposer: il n’a pas besoin d’adopter Freud ou Lacan, ça revient à nous, il suffit que nous trouvions chez lui l’indication de ce qu’il reconnait le pouvoir de promouvoir des inflexions historiques et épistémologiques que Freud, autant que son maître à lui, Marx, fut capable d’opérer.
Il y a une idée courante selon laquelle la “Réforme Psychiatrique” (nom du mouvement brésilien) et les différentes modalités qu’elle a prises dans les différents pays où elle a eu lieu, est une “pratique en quête de théorie”[3], comme les six personnages em quête d’auteur de Luigi Pirandello[4]. Je ne suis pas d’accord.
Basaglia part, par exemple, d’une position claire et explicitement marxiste. Il n’est pas question pour lui de concevoir la question de la santé mentale, des dispositifs de soin en psychiatrie et leurs changements d’une façon dissociée d’un savoir, d’une place théorique qui, en raison de as position matérialiste-dialectique, ne se réalise que dans la práxis. Et cette place théorico-praxique est celle qui dessine une homologie structurale entre les rapports psychiatrie/institution psychiactrique et le fou, d’un coté, et le capitaliste/ordre capitaliste et l’ouvrier, de l’autre. Sa position politique, toujours prise en acte, a toujours été celle de prendre le parti do pole exploité, opprimé, voire piétiné dans ces rapports de domination sociale et politique.
Vous voyez donc que, si nous pouvons effectivement construire un rapport entre Basaglia et Lacan c’est pas la voie de ce que je nommerai une communauté de príncipes, plutôt que d’une affinité de concepts, voire de positions ideológico-politiques.
Basaglia considère que n’importe quelle institution condense la dimension de la violence propre à la logique de la domination[5]. Il n’y aurait, dans la radicalité de as pensée, aucune institution hors de la logique de la domination, ce qui implique que nous tenions toujours une position de critique institutionnelle. Je repete:il n’y a pas d’institutions bonnes ou mauvaises, institutions opressives ou libertaires, toute institution étant, pas structure, opressive.
Nous pouvons rapprocher cette conception de la théorie lacanienne des discours, qui situe l’agent, toujours (par structure) en position de domination, et le S1, en tant qu’agent du discours do maître, comme le discours du gouverner, le discours institutionnel par excellence. Il s’agit là d’une position à la fois théorique et pleine de conséquences politiques chez Lacan. Mettre le a em position d’agent du discours n’échappe, bien sûr, à celle logique, n’en est point une exception mais subversion, celle qui est proper au discours analytique.
Cependant, de cette position ne relève pas aucune espèce d’anarchisme psychiatrique comme chez la nommée “anti-psychiatrie” anglaise, par exemple. Basaglia n’est pas um anarchiste et il ne méconnait donc, dans l’ordre civilisée, dans le lien social civilisateur, on ne peut pas s’en passer de la dimension institutionnelle, et c’est pour ça que sa position est de critique permanente, de persistente “desinstitutionnalisation” de l’institué, tout en morcellant les totalités, par le demontage des structures “en bloc” et mécroyance au pouvoir de l’état comme forme de viabiliser une “psychiatrie alternative”[6]. En ce point, il faut faire une référence à Franco Rotelli, son collaborateur, qui, dans le meme sens de Basaglia, propose l’institution inventée ou toujours à réinventer, qui serait desinstituante en permanance de par son propre mouvement interne et critique. Le titre de son livre sur l’expérience inaugurale de Gorizia sert comme um paradigme de la position basaglienne qu’il n’a jamais quitté: l’institution en négation.[7]
Je voudrais bien, en ce point, confronter cette position avec celle de la Psychothéperapie institutionnelle, desenvolvida na França por Jean Oury, psychanalyste formée dans l’enseignement de Lacan qui a dedié toute as vie à la clinique avec les psychotiques à La Borde, pour penser les rapports entre la Psychanalyse et la Psychiatrie, sujet de ce colloque. Et puisque je suis à Reims, ville où je suis venu par la première fois dans des circonstances très spéciales et à la fois tragiques, le mois de mai 2014, pour écouter Jean Oury et quand jê suis arrivé, à bout de souffle car j’étais parti de Paris dans le train de 7 heures du matin et la conférence d’Oury était prévue par 9:30, courant de la gare au Centre de Conventions placé au bout du bois qui a la gare dans son bout opposé, j’ai appris qu’Oury ne pourrait pas nous parler car il était mort la nuit precedente, et alors cette référence prendi ci um poids et une valeur tout spéciale.
La psychothérapie institutionnelle est un versant particulièrement féconde pour penser ces rapports, puisque Jean Oury a été, à mon avis, un lacanien rigoureux, justement au sens auquel Lacan nous convoque: celui de réinventer la psychanalyse, sans poru autant déconner, plutôt que de répéter Lacan comme le perroquet.
La psychothérapie institutionnelle naît de l’expérience de François Tosquelles, psychiatre espagnol en fuite du regime de Franco et qui s’installe à Saint-Alban, centre-sud de la France, où il commence, dejà aux annés 40, une expérience historiquement inaugurale de restruturation de l’hôpital psychiatrique qui y existait. Lucien Bonnafé (cité hier dans ce Colloque), communiste qui, lui, aimait la psychanalyse (et vous ne le savez pas mais c’est pour cela qu’il s’appelait Lucien), a poursuivi l’expérience de Tosquelles em proposant le Mouvement Désalieniste Français, dont, plusieurs années plus tard, a resulte la psychiatrie de secteur, où les patients étaient soignés hors de l’hospice, dans une ancitipation hisyorique des concepts de territoire et communauté avec quoi on travaille. Il s’agit, dans ces expériences, de aporter l’hospice vers son dehors, vers son entourage, vers le lien social et la communauté.
C’est Oury, le troisième moment de ce parcours français que je souligne ici qui va consacrer l’expression psychothérapie institutionnelle[8] et qui, déjà aux années 50, aporte des contributions très importantes de la psychanalyse, qui dans l’après-guerre avait gagné une grande force dans les pratiques psychiatriques, y introduisant les axes et les coordonnées théorico-cliniques de la psychanalyse lacanienne, dont le mouvement était naissant et aportait dejà, depuis ces premiers moments, la vocation de la fécondité et de l’invenrtivité clinique et théorique dans ses rapports à la folie.
La position de Basaglia allait, pourtant, au-delà des propositions de la psychothérapie institutionnelle: elle ne voulait pas la reforme de l’inatitution, même pas la soigner, elle voulait as destitution, sa négation. Destitution à la place de la reforme de l’institution psychiatrique, proposition radicale.
La psychiatrie démocratique italienne, dont s’inspire notre mouvement brésilien de la Reforme Psiquiatrique (plutôt de que d’autres mouvements internationaux), s’adresse aux dépossédés, aux exclus, à ceux qui souffrent trop par des raisons psychiques et à ceux qui sont socialement très vulnérables. Ça ne veut pas dire, pourtant, qu’il s’agisse d’une pratique spécielisée, car elle ne l’est en aucun sens: ni par rapport à la population à laquelle est s’adresse, as partenaire clinique, ni en ce qui concerne la façon de concevoir et former les equipes qui la font opérer, et même pas par rapport aux champs de savoir qui en sont le fondement. Les equipes sont multiprofessionnelles, bien sûr, au sens qu’elles se composent de professionnels de différentes formations et diplômes. Mais elles sont régies par le príncipe de la désespécialité, de le desdisciplinarité, plutôt que de la transdisciplinarité, comme normalement on la nomme. Ça veut dire qu’à tout le monde et de chacun est donnée et demandée da responsabilité des plus différents modes d’intervention, d’une façon transversale. Il n’existe plus le poste d’infirmerie, la salle du pscyhologue, celle du psychiatre, l’atelier des thérapeutes occupationnels, et ensuite. Il existent des espaces collectives dans lequeles les patients et professionnels interagissent entre eux, à plusieurs, d’un coté à l’autre, et à partir de là des rapports très spécifiques (mais pas spécialisés) se dessinent pas à pas, tout en constituant, à partir d’un mouvement réel, des transferts singulier de chaque sujet à quelqu’un qui, dans l’équipe, s’autorise de la position d’analyste. Pour ça il faut que ceux qui s’y autorisent soient ouverts, disponibles, dépouillés de leurs habillements professionnels, spécialisés, de leurs signes d’identité. Pas tout le monde y est, et c’est comme ça: pas tous les sujets s’y adressent, et c’est comme ça. Mais il y en a qui le font, d’un coté et de l’autre, et un lien analytique s’y fait, entre analyst et analysant, dans un espace à plusieurs.
Ça prend parfois un accent humaniste ou humanitaire, sur lequel Radjou a bien averti hier, et qui impose donc à nous, psychanalystes, un souci supplémentaire car nous savons que la psychanalyse n’est pas une pratique humaniste, qu’elle “coupe court avec l’humanisme” et que “l’homme de la science n’existe pas, mais seulement son sujet”, pour reprendre ici deux expressions de Lacan[9].
Par contre, reprenant encore un propos de Radjou, il faut que le le psychanalyste soit là pour recevoir le tout venant, très belle façon d’exprimer la contingeance, le “cesse de ne pas s’écrire” qui fonde et toute pratique vraiment scientifique (pas celle dont le caractere réligieux Anna a si bien demontré hier) et donc aussi la prartique psychanalytique. Le tout venant est le sujet de la psychanalyse, sans qualités, sans valeurs a priori, sans significations préalables, et, si le tout venant n’est pas “tout le monde”, expression de la totalité (ce qui ne va pas bien ensemble avec la psychanalyse), ce n’est pas par des raisons préalablement établies, mais justement en raison de l’a posteriori qui confirme la contingeance.
Il faut, pourtant, considérer les conditions réeles de chaque société. Dans notre pays, si les psychanalystes restent dans leurs cabinets en attendant le tout venant, le tout venant ne viendra pas. Les conditions sociales y font des obstacles infranchissables. Il nous faut donc faire valoir le tout venant, trouer ces obstacles, et prendre en compte la structure de la société, une des plus caracterisées par l’inegalité, par les contrastes de classe, du monde (et qui commençait à en sortir ayant pour cette raison subi le coup d’état agi par l’élite brésilienne supportée par le capital international, qui veut couper court les pretentions des BRICS).
En outre, je ne pense pas que la psychanalyse ne peut s’exercer que dans les cabinets privés du psychanalyste. Il peut et il doit en sortir, mais pour vérifier les conditions réeles de pratiquer la psychanalyse (pas la pratique à plusieurs, comme Miller et les psychanalystes de l’École de la Cause la nomment, par exemple, avec des enfants autistes et psychotiques, dans le souci – qui me semble plutôt européen que millérien, partagé par des collègues qui ne sont pas à l’AMP mais dont l’enjeu culturel est le même – d’em distinguer de la vraie psychanalyse identifiée à celle qu’on exerce dans le cabinet, à deux), mais uma psychanalyse à plusieurs, ce terme gardant plutôt sa valeur de nombreux fragments collectés que de diversité et variation de qualités, puisque, si ça vaut pour les groupes, ça ne vaut pas pour les collectifs.
Diana Rabinovich propose la distinction entre intime et privé, pour dire que la psychanalyse est une pratique de l’intime, mais pas du privé. J’y ajoute que le privé est plein de qualités, et donc l’inconscient ne l’admet pas, ne peut pas le comporter, le contenir, car le sujet de l’inconscient est sans qualités (ce qui, du coup, attend aux critères d’une vraie et rigoureuse scientificité).
Si c’est comme ça, l’inconscient ne peut être que public, si ce terme ne prend pas la valeur et la signification, idéologiques, des qualités d’un groupe social, ce qui ferait rentrer par la porte de derrière ce qu’on aurait eu de la peine pour expulser par la principale, mais si par public on designe une structure autant vide qu’ouverte à tout le monde, en príncipe, puisqu’on sait bien qu’elle ne touchera que le pas tout le monde
Je vous remercie de votre attention.
[1] La psychose est
[4] C’est le titre d’um texte de Benedetto Saraceno, dans lequel la catégorie qu’il prefere à celle d’attention psychosociale est: Rpehabilitation sociale: une pratique em quête de théorie. Cf. PITTA, Ana (org.), Réabilitation psicossocial no Brasil, São Paulo, Hucitec, 1996.
[5] Cf. BASAGLIA, Franco – Les institutions de la violence, in L’institution en négation, Rapport sur l’Hôpital Psychiatrique de Gorizia, (organizado pelo próprio Franco Basaglia), Paris, Editions du Seuil, 1970,