« Le genre serait-il en voie de devenir un nouveau concept psychanalytique ? » Catherine Delarue, Séminaire Paris 19/01/2022

« L’angoisse face aux changements, vacillement des certitudes au regard de la psychanalyse »

Séminaire Paris 2021- 2022

« LE GENRE SERAIT-IL EN VOIE DE DEVENIR UN NOUVEAU CONCEPT PSYCHANALYTIQUE ? »

Catherine Delarue

19/01/2022

Cette année nous nous sommes largement engagés pour revisiter les concepts fondamentaux soutenant notre pratique de psychanalyste :

L’Œdipe, le phallus, la castration ont été ici abordés en remettant en  perspective des certitudes que nous pouvons avoir en ce domaine et peut-être aborderons-nous  les concepts relatifs  du  Nom du Père et la question des jouissances – plus précisément de la répartition des jouissances – ces concepts  ayant pas été épargnés par l’irruption des théories du genre.

Bien évidemment ces différents concepts nous renvoient nécessairement à la différence des sexes et aux certitudes que nous pouvons avoir (sans toujours le savoir) dans ce domaine. Comment la question du genre, au sens des Gender Théories, vient-elles nous questionner ? C’est un concept en vigueur depuis plusieures décennies mais beaucoup plus présent actuellement et qui se proposerait de venir questionner l’approche psychanalytique pointée comme patriarcale et « hétéronormée ». C’est une contestation de l’hégémonie dite hétérosexuelle nous invitant à une critique sur les normes qui s’avèrent prépondérantes, générée dans le champ social et ayant pour conséquence l’assignation des rôles sexuels en terme de genre.

La question de ce que signifierait un homme ou une femme, avec le genre, reçoit une nouvelle interprétation ayant pour but de désengager les individus des normes de la société dite traditionnelle. 

Pour ma part J’ai été troublée dans ma lecture d’articles de psychanalystes lacaniens sur la question du genre : des affirmations introduisant les notions suivantes : « d’identité genrée », ou encore « l’individu dans sa position genrée », « l’identité de genre d’un sujet » etc…. Et même « le genre relève pour Lacan d’un faire signe du désir de l’Autre… » or ce n’est pas le genre mais les signifiants Homme et Femme qui font signes pour Lacan, et ce n’est pas la même chose.

Je cite Lacan : « l’identité de genre n’est rien d’autre que ce que je viens d’exprimer par ces termes, l’homme et la femme… »

C’est une confusion entre le genre et la distinction signifiante Homme et Femme au point que cela surgit dans les articles de certains psychanalystes laissant penser que le concept de genre est peut-être en voie de faire son entrée dans le champ conceptuel de la psychanalyse.

L’identité sexuée a-t-elle encore un sens au profit de l’identité de genre ? 

Le « genre » serait-il en voie de devenir un nouveau concept analytique, telle est ma question ?

Si le rapport Homme/ Femme perd de son évidence c’est la remise en cause de la différence des sexes qui est mise en exergue venant bousculer l’ordre social ainsi que les concepts fondamentaux de la psychanalyse. 

Il devient inévitable de clarifier ces différentes approches dès que la question du genre est introduite dans la perspective de l’inconscient.

Il est à noter que tant Freud que Lacan , ils ne parlent jamais de genre avec cependant une petite précision Lacan l’évoque dans le séminaire « D’un discours qui ne serait pas du semblant »   à partir de la lecture du livre de Stoller  « Sex and Gender ».

 Comme nous l’avons souvent préciser dans ce séminaire et plus particulièrement, lors de celui de Philippe Wolozsko, Freud a pointé très clairement la question de la bisexualité (cf conférence sur la féminité)  et Lacan aborderait cette question plutôt en terme de jouissance. Si on se réfère aux formules de la sexuation c’est une erreur de penser qu’il y aurait une inscription d’un côté ou de l’autre pouvant renvoyer à une assignation normative concernant la sexualité donnant le moyen d’assigner un genre à chacun. Chaque côté masculin et féminin des  dites formules concerne autant les sujets de sexe féminin et  masculin avec effectivement une valeur ajoutée du côté féminin à savoir l’autre jouissance ce qui effectivement questionne, tout ne s’organise pas autour de la jouissance phallique.

Néanmoins chaque sujet dans ces formules s’identifiera en fonction de son désir inconscient. 

Il est à noter que , autant  les théories du genre et le mouvement  Queer ont remis en cause les concepts du phallus, Œdipe, castration etc…. Alors que jamais ils ne se sont attardés sur les formules de la sexuation,  selon les auteurs qui ont étudié ces textes.

 La différence entre identité sexuelle et identification a été largement déployée au cours des précédents séminaires, je n’y reviendrai pas. 

Mais peut-on s’en sortir sans postuler que l‘identité sexuée est  déterminée par la fonction symbolique et ce dès la naissance, mais cela n’augure en rien l’avenir sexué de chaque sujet ;

Première question posée suite à une naissance, « qu’est-ce que c’est ? ». Maintenant la question se pose dès la première échographie avec parfois sa marge d’erreur…. Là non plus la certitude n’est pas toujours de mise surtout dans l’affirmation c’est un garçon …. Alors que par la suite on découvrira que c’est une fille (cas d’une de mes analysantes très récemment), donc la réponse sera : c’est un garçon ou bien c’est une fille ! 

Déjà c’est la première nomination garçon ou fille suivie par un prénom, marque du symbolique, de  sa violence, qui viennent écorner le réel du sexe anatomique, mais qui à elles seules ne pourront assumer, bien évidemment, le sujet sur son identité sexuée. Aucune nomination ne peut venir assumer le fait d’être un homme ou une femme. Viendront ensuite le temps des identifications sous l’égide en partie du genre ,( peut-on envisager ces identifications comme genrées ?) à différencier de l’identification au moment du stade du miroir où il s’agit dans un mouvement de précipitation anticipative ou anticipée de s’assurer de l’unité corporelle . 

Le genre n’aurait-il pas pour fonction   de protéger le sujet contre l’angoisse générée par ce questionnement, façon d’envisager le genre comme une protection identificatoire contre l’impossible à dire du réel qui frappe tout sujet à sa naissance ? L’anatomie ce n’est  vraiment pas le destin.

Je voudrais également rappeler ce qui a été amené par Robert Lévy dans les différents séminaires de cette année à savoir ce qui concerne le refoulement : les théories du genre en désarrimant le genre du sexe  n’auraient-elles pas permis de lever un interdit et peut-être un refoulement de ce qui ne serait plus interdit à savoir la conformité du genre avec le sexe ? 

La levée du refoulement serait-elle de même nature entre ce qu’amène indirectement les théories du genre et le refoulement au sens freudien du terme ?

Si le résultat semble analogue, à savoir la levée des interdits, le cheminement pour y parvenir n’est pas le même et n’aura  donc pas les mêmes effets et conséquences pour un sujet. Une voie s’inscrit dans le dévoilement du désir inconscient et l’autre dans la voie de la revendication identitaire voire du militantisme qui peut accentuer ce qu’il en est de l’aliénation du sujet à des croyances.

On peut ici reprendre une citation de Judith Butler :

« Le Queer fait une lecture des pratiques sexuelles non normatives en tant que formes de résistance symbolique et politique, jamais en tant que position subjective d’origine psychologique ou psychanalytique, et en tant que structure du désir »

Il y a une différence entre la psychanalyse qui se situe dans un rapport avec le désir de l’Autre ( je vais y revenir) et le genre qui est imposé par la société et donc quand il est question de genre la psychanalyse et les Gender Théory ne parlent   pas de la même chose       .

Le terme d’identité genrée ne serait-il pas un contre – sens ?   

Juste un petit mot sur la théorie Queer qui va plus loin que les tenants de la théorie du genre puisqu’elle va dans une critique radicale des identités sexuées, la différence   entre sexe et genre ne suffit plus à remettre en cause le fondement de la différence des sexes pour autant que la dimension du sexe continue dans le genre à être considérée comme témoignant d’une donnée indiscutable.

C’est donc une remise en compte du réel du corps prônant l’indistinction des sexes et se déclarer Homme ou femme relèverait d’une fiction politique. Le symbolique est donc mis hors champ, d’où une conception performante du sujet, y aurait-il un nouveau sujet Queer  à la place du sujet de l’inconscient? 

Le Queer serait dans un discours performant qui ne semble pas tenir compte du devenir sexué de chaque sujet puisqu’il procède par un repérage identitaire par catégorie, à savoir, les hétéro,les homo,les bi, les gay,les transgenres, les transsexuels etc….mais chacun ne témoigne-t-il  pas de sa propre subjectivité hétéro, trans ou pas ?

Vouloir imposer le non choix entre homme et femme entraîne comme conséquence de ne rien devoir perdre et dès lors la problématique du manque est évacuée dès qu’il n’y a plus de différence. Je reprendrais une remarque de Valérie Marchand suite à l’intervention de Robert Lévy à Metz le 9 décembre dernier où elle disait : « le manque c’est de pas avoir le sexe de l’autre . »

Etre homme ou femme confronte chacun  qu’il le veuille ou non à ce qu’il ne sait pas.

Cela ne reviendrait-il pas à proposer un sexe hors – discours puisque  non pris dans le signifiant ?

Qu’en est-il alors du rapport au fantasme dans une approche Queer ?

Dans cette approche aucune référence ne peut se faire sur la rencontre du sujet avec le désir de l’Autre puisque tout se fonde sur la prégnance des normes sociales et culturelles.

On sait les conséquences d’une telle approche où ce qui est dit …. c’est faire où la parole est prise au pied de la lettre et cela  va entraver gravement la construction fantasmatique de chaque sujet,  car avoir le choix de son sexe n’aurait-il pas pour conséquence  une amputation psychique ? Loin de libérer le sujet, ce dernier se trouve encore plus aliéné pris dans un discours performant et politique.

Exemple clinique : Le fils de ma patiente en se disant fille répondait et comblait le désir de sa mère en tant qu’il était ce qui lui manquait à elle pour satisfaire son propre père. Le fantasme de la mère imprègne la demande du fils et répond ainsi à la satisfaction, jouissance de cette dernière. Heureusement aucun médecin n’était présent pour prendre le dire de cet enfant au pied de la lettre et la mère dans son analyse à a peu à peu dévoiler son propre fantasme et son changement de position vis-à-vis de son fils semble avoir permis à ce dernier de se désengager du désir de sa mère.

Changement de genre, changement de sexe…. Cela  pose la question du  réel et de la fonction du fantasme.

Le transgenre serait celui ou celle qui garde son sexe mais choisit son genre en passant parfois de l’un à l’autre ce qui maintient une certaine division entre les sexes alors que le transexuel revendique et milite pour une totale déconstruction de l’identité sexuée. Mais dans les deux directions le filtre du fantasme protégeant du réel semble se dissoudre se réfracter partiellement ou totalement.

Est-il légitime de se demander si la demande de changer de sexe  par une transformation du corps ( avec des médicaments ou  par la voie de la chirurgie)n’est pas de l’ordre du passage à l’acte ? On revient à cette proposition : dire….. c’est faire !

Comme si le réel se faisait entendre aux limites d’un discours performant avec des effets qui seraient de l’ordre du réel ? le réel de l’anatomie semble prendre le pas sur le fantasme et laisser l’occurrence d’un passage à l’acte, comme changer de sexe.

Le genre serait alors une façon de pointer le réel hors –  discours de la différence des sexes.

La question ne serait pas de savoir ce que serait un homme ou une femme en fonction du genre mais plutôt de considérer la différence entre la position sexuée de chacun en se référant à un processus de différenciation.

Est-il utile de rappeler la petite histoire d’un petit garçon et d’une petite fille, relatée par Lacan dans les écrits  qu’il nomme avec humour «  la différenciation urinaire »:  un train  s’arrête en gare à la hauteur des toilettes,« Nous sommes à homme » dit le petit garçon, « non «  dit la petite fille « nous sommes à femme ». La décision de ces deux enfants de sexes opposés est déterminée par l’opposition et l’inscription  sur la porte des toilettes et non pas par ce qu’ils sauraient sur ce que serait un homme ou une femme ou encore la vérité sur la différence des sexes. Opposition et différenciation entre deux signifiants c’est cela qui autoriserait chacun à prendre la décision entre homme et femme.

Dans une telle configuration à l’arrêt du train que feraient les tenants du genre et du Queer, faudrait-il une troisième porte aux toilettes ? 

Le refus de la différenciation des sexes amenant dans certains cas à une opération irréversible fait trébucher le sujet dans un excès de présentification du sexe anatomique disjoint du genre dans le réel qui éradique non seulement le symbolique mais aussi le fantasme.

Quand il n’y a plus de nouage entre réel et symbolique cela n’offre t-t-ils pas le risque d’un passage à l’acte ?

Les gender théories et le Queer dans leur volonté de séparer le sexe du genre par le normatif et la revendication   ne  vont-ils pas  dans le sens d’un appauvrissement du sujet de l’inconscient et au total ne deviennent-t-ils pas l’esclave d’un  passage à l’acte  éventuel? en voulant se libérer du réel du corps ils semblent s’enchaîner paradoxalement encore plus aux normes sociales et politiques qu’ils préconisent au prix de modifications du corps irréversibles.

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