Laura Vaccarezza "Les effets de la passe sans nomination"

Introduction

En effet la passe permet à quelqu’un qui pense qu’il peut être analyste, à quelqu’un qui est prêt à s’y autoriser, si même il ne s’y est pas déjà autorisé lui-même, de communiquer ce qui l’a fait se décider, ce qui l’a fait s’autoriser ainsi et s’engager dans un discours dont il n’est certainement pas facile d’être le support, il me semble.
J. Lacan Sur l’expérience de la passe 1973

D’après moi c’est nécessaire, et c’est même une condition requise que chaque analyste réfléchisse, enquête, expérimente, prenne position en ce qui concerne la passe. Qu’il décide ou non d’en faire l’expérience, le psychanalyste ne peut rester indifférent face à ce sujet puisqu’il concerne d´un mode fondamental de sa fonction.

Il est également nécessaire de délimiter ce qui est la fin de l’analyse et cet autre moment de la passe, dans lequel le passant fait du côté privé de son expérience quelque chose de public. Il établit un lien avec d’autres analystes et avec la psychanalyste.

Le thème de la passe est complexe pour différentes questions, bien qu’elles puissent se recouper, cependant j’en soulignerai au moins trois.

a) Symptomatiques: autant des institutions que du sujet dans les différentes positions, passeur, passant, ou juré.
Cet aspect je le relie à l’être du sujet qui, éludant la castration, donne de la consistance à l’imaginaire en prenant l « être passant, l´ être passeur, l´être juré » comme quelque chose qui lui donne une identité et non comme une fonction à l’intérieur d’un dispositif. Aussi, l’analysant choisi par l’analyste comme passeur peut faire symptôme.
Pourraient aussi être l’expression d’un symptôme les affirmations telles que: « ceci est une invention française, cela ne m’intéresse pas, c’est de la pure politique et par là je passe pas. Mais immédiatement surgit la question, « par où dit-il qu’il ne passe pas? » Serait aussi symptomatique une passion pour passer et témoigner d´ »être arrivé » quelque part, comme on peut l’observer dans certains cas. Quelqu’un peut voir dans quelques institutions une série de témoignages, ou plutôt, des témoignages en série de ce que c’est d’être arrivé. Il suffit de lire ou d’écouter quelques témoignages pour trouver en eux la consistance de l’Autre (en majuscules)
Il faudra alors se demander, si le candidat se porte volontaire pour subir l’épreuve qui lui donnera supposément une position, ou si comme le dit Lacan, il désire faire savoir ce qui l’a décidé à entrer dans le discours psychanalytique.

b) Politiques:
Du côté de la politique la question est également complexe, nous connaissons les problèmes que se posait Lacan et nous savons également qu’il a créé le dispositif afin de les éviter. Cependant ces problèmes ont été pour lui très difficiles à résoudre, et la preuve en est qu’ils sont toujours d’actualité, cela dans une plus ou moins grande mesure dans toutes les institutions. Je fais référence aux nominations qui loin d’être uniques, se transforment en une similitude d’ascensions dans la hiérarchie, de celles qui d’une façon ou d’une autre « conviennent » à l’institution. Pourquoi ont-elles un pouvoir social? Des contacts? Ou, pour son travail en tant qu’analyste qu’il convient aussi, mais cette fois à la cause de la psychanalyse et non aux intérêts des personnes?
Selon comment le met en application chaque institution, (puisque nomination toujours il y a quand on ne nomme officiellement)
Il s’agirait de pouvoir nommer les différences, l’engagement, et non une hiérarchie officialisée (armée, église).

c) La passe en elle-même comme acte lié au « dés-être » du sujet, au le réel de la faute. C’est à ce moment de la passe, quand le passant parle à ses passeurs, non comme à l’Autre (en majuscules) mais à un autre pour qu’à leur tour ils transmettent, comment il re-passe et noue d’une façon différente leur relation avec du réel.
Je cite Lacan:
La passe peut-elle effectivement mettre en relief celui qui s’y offre, comme peut le faire un éclair, c’est à dire d’une façon qui apporte soudain un tout autre éclairage, sur une certaine partie d’ombre de son analyse?
J. Lacan l’expérience de la passe

La passe pour Lacan a la structure d’une blague, c’est à dire, la structure d’une formation de l’inconscient. La blague est envoyée par son auteur (comme un message codé) à un autre, un destinataire qui avec son rire, valide cet acte de transmission.
C’est un mot qui passe et qui produit un effet. C’est comme cela qu’il faut comprendre l’éclair et le mot de passe, comme un code pour passer. Pour que cela arrive il est nécessaire, comme disait Freud, que les deux soient de la même paroisse, qu’ils partagent le même code pour il ait du sens. Au contraire, une blague quand elle doit être expliquée, perd ainsi tout son effet.

L’acte de la passe
La seule passe est celle qui se produit lors de la guérison, c’est la passe d’analysant à analyste. Elle se vérifie dans un second temps et consiste dans le fait de pouvoir dire devant d’autres comment fut ce moment, quelle particularité a eu pour cet analyste son expérience d’analyse et son autorisation comme telle. La passe se fait dans l’analyse, dans la supervision, dans les présentations, en organisant des séminaires; mais la passe dans le dispositif marque un autre moment: le « moment de conclure », de dire comment s’est déroulée la passe durant la guérison, quelle fut l’analyse pour cet analyste et qu’est une psychanalyse pour lui.
Avec l’expérience de la passe on ajuste et expérimente d’une autre façon le savoir acquis pendant l’analyse, c’est comme si l’obtention de ce savoir se renouvelait et qu’en même temps on expérimentait la limite, le maximum de ce savoir. Ceci fut en tout cas mon expérience de l' »acte de la passe ».

Mon témoignage de la passe
Les réflexions que j’ai ouvertes à titre d’introduction sont la conséquence de mon propre cheminement en relation à la passe.
Ce sont des conclusions qui ont exigé un certain temps, ce sont l’effet d’un parcours de mes propres symptômes, fantômes, et préjugés autour de la passe, qui sont arrivés à me faire penser que ce n’était pas nécessaire de le faire. Bien avant je suis arrivée à la conclusion qu’il n’était pas nécessaire de le faire. Bien avant je suis arrivée a la conclusion qu´il n´était pas nécessaire de la faire « tel que le proposait Lacan avec son dispositif », de plus disais-je qu’il voulait faire passer d’autres pour en savoir plus à propos de quelque chose qu’il théorisait, mais qu’il n’avait pas expérimenté.
J’ai beaucoup travaillé dans des Cartels sur la passe, la transmission, la formation de l’analyste, etc. Il est vrai que ce moment correspondit avec la fin de mon analyse, et aussi avec l’arrivée des français à Barcelone qui sollicitaient ma participation, en me nommant analyste (sans que j’en eusse fait la demande), en me prévenant que le fait de ne pas d’accepter leurs propositions serait rester en dehors du mouvement psychanalytique, en dehors du Champ Freudien, et donc pour autant sans le statut d’analyste. A cette époque, les analysants qui commençaient leur formation laissaient leur analyse ou les supervisions avec lesquels ils n’entraient pas dans le champ et abandonnaient leurs analystes pour se diriger vers « l’endroit indiqué ».
Cette situation m’a amené à penser que la passe se faisait dans l’analyse (l’analyste donne l’autorisation lui-même) et face à d’autres: dans la supervision, dans les présentations cliniques, dans les séminaires. La passe, se composait alors pour moi, des passes consécutives que le propre acte analytique menait l’analyste
à effectuer au long de sa formation. Je ne suis pas en désaccord avec ce positionnement, mais je sais qu’il avait quelque chose de défensif autant au niveau personnel qu’au niveau de l´entourage. Cela répond en partie à la question que me posent les passeurs ¿Pourquoi maintenant après tant d’années de pratique?
Je cherchais, au début sans le savoir, un endroit ou pouvoir faire l’expérience, un endroit où il n’y aurait pas de nomination, un endroit dans lequel faire la passe ne signifierait pas commencer à faire partie d’un Staff, un endroit étranger, « condition de mon désir » qui m’a conduite à ne pas le faire au sein de l’association à laquelle j’appartiens, ni dans aucune autre prochaine.
Finalement est arrivé le moment de conclure. J’ai écouté Dumézil dans le cadre de la Fondation Européenne à Barcelone accompagné de Melman, Pommier y Czermac, il a présenté une vignette représentant une mère et une fille dans le cadre du trait du cas. J’ai pensé, « Ceci est une analyse? ». J’ai parlé avec lui.
J’ai partagé ma décision avec seulement deux collègues, amis de l’association à laquelle j’appartiens. Je ne voulais pas en parler avec plus de personnes, je ne voulais ni suggestions, ni interrogatoires sur où et comment le faire. J’ai essayé de m’écouter, et j’ai commencé à écrire. Le processus du moment ou je l’ai sollicité jusqu’à son dénouement, a duré peut-être un an, je ne m’en souviens pas exactement. J’ai écrit mon histoire, mon analyse, ma demande d’analyse :  » je veux être psychanalyste », les moments cruciaux, une interprétation de mon premier analyste: « Vous n’êtes pas son père » produit la dés identification avec le père mort prématurée et qui m’avait conduite à appelais à la loi à travers du symptôme pour ne pas tomber dans la jouissance de l’Autre maternel.
A partir de là j’ai eu une étape de production, de travail à l’hôpital psychiatrique, j’ai connu la vie de couple, la maternité.
L’urgence de l’exil est venue briser violemment tout ce que j’avais construit et j’ai dû tout recommencer et être mère dans un autre pays.
Une période d’analyse avec un analyste également exilé et ex-analyste de mon ami disparu (je m’en suis rendu compte après l’avoir commencé avec lui). Ce fut un symptôme qui dura peu de temps, je partis. Il me conseille toujours et disait : ne vous séparez pas…de qui? De qua ? On aurait dit un homme d’église. Je me suis séparée et j’ai repris l’analyse.
Une autre période, cette fois avec une femme française, survient une question « Pourquoi ces amies? » Qui m’a conduite à reconnaître en elles les représentantes d’un Autre maternel à qui il convient de satisfaire et de calmer les envies et la douleur.
C’est dans cette analyse dans laquelle à partir de la perte des certitudes fantasmatiques comme celles qui suivent: la femme qui sait est masculine, celle qui est coquette est une « pute »/prostituée, et le vrai homme est celui qui se met en colère, et impose ses critères. Il se produit alors un grand soulagement puisque j’arrête de soutenir l’homme et de calmer la femme.
Je me sens seule donc je me sépare d’elle et de lui, j’essaie ainsi de retourner dans le passé. Un après-midi seule alors que je peignais en noir une malle provenant du voyage en Espagne (exil), en écoutant un tango, je ressens une grande douleur, une grande tristesse. Je me rends compte de la scène, de la jouissance en jeu et je me parle à moi-même. » Arrête, cela ne te sert plus à rien ».

A partir de ce moment, l’autorisation de l’analyste arrive, “maintenant je sais”. Qu’est ce que je sais? Je sais que je sais. Que je sais quoi? Que je sais. Ce moment a été comme une blague, comme une révélation qui a eu ses effets puis qu’il s’agisse d’un paradoxe, parce que c’était amusant et triste à la fois. Aujourd’hui je peu dire d’un passage de l’être au dés-être.
De tout ce que j’ai écrit, il est resté un extrait que j’ai communiqué de différente manière à mes passeurs (je me suis entendue mieux avec lui que avec elle, comme c’est toujours le cas pour moi). Je suis passé par ce qui je crois a été une transmission que je me suis faite à travers les autres, quelque chose su mais pas attaché de la même manière et expérimenté comme une limite, (au delà de cela il est impossible d’aller), je suis arrivé si loin comme j’ai pu ou comme mes signifiants me l’ont permis : ce que j’identifie respectueusement comme le réel pour moi.
J’ai eu un rêve de passe, je crois que cela a été le moyen que j’ai trouvé pour dire en peu de mots ce que l’expérience de l’analyse a été pour moi.
«Je roule à vélo, c’est un vélo pour homme, je suis habillée avec un jean et des chaussures à talons aiguilles, je porte quelques papiers sous mon bras gauche et je conduis avec le droit. Je vais vers l’hôpital (c’est l’hôpital psychiatrique où j’avais travaillé pendant beaucoup de temps en Argentine) et je sais que je vais faire la passe. Je roule sur le trottoir et je passe devant un bar avec une terrasse avec beaucoup de gens, quelques hommes me regardent, les papiers tombent, je m’arrête pour les ramasser et je continue a pied avec le vélo et les papiers, je marche d’une manière séduisante. J’arrive à l’hôpital et je ne sais pas où laisser mon vélo, je l’abandonne, je monte chez le Docteur, le Professeur, je cherche une blouse et je n’en trouve aucune pour moi.
Question centrale de mon analyse : l’identité sexuelle et le savoir.
Quand j’ai eu la réunion dans laquelle on m’a informé sur les conclusions du juré de la passe, on m’a posé des questions qui, loin d’être un aboutissement, m’ont permis de continuer à réfléchir.
On m’a parlé du point mué, point douloureux, aphonie (simptôme), tout cela dont on ne peut pas parler. C’est le point, pour moi, qui touche avec le réel de la mort, avec les amis qui sont disparu, quelque chose qui me laisse sans voix.
On m’a parlé de la question centrale : l’identité sexuelle et le fait d’être analyste.
J’ajoute à cela « analyste » pour tout ce que il y a à savoir sur la folie puis que le symptôme après la morte du père a pris la forme d’un petit délire hystérique.
On m’a dit que je n’avais pas parlé suffisamment sur mon analyse. Cela aurait pu me faire douter à un autre moment parce que je me confrontais une autre fois avec le « ça ne suffit pas » qui venait comme une demande de part de l’autre, et cela m’a fait pensé et accepte que tout ce que j´ai pu dire pouvait ne être pas tout suffisant pour l’autre.
Face à la question ; quel est le prix du détachement pour moi ? J’ai pu y répondre qu´après l’entretien avec deux signifiants qui symboliquement me représentent: seule et exilée.
A partir de ce moment et comme effet de cette expérience survient le E lorsque j’écris mon nom. Laura E. Vaccarezza. Le E qui condense: l’autre femme, exil, et loi Emilia (prénom de l’autre femme), Milla de Tera (lieu de naissance de la grand-mère maternelle et son exil a 14 ans), loi 14580 quatorze mil (père avocat), loterie un million de pesos (héritage inexistant, après la mort du père). Ce sont les signifiants qui font partie du symptôme.

Conclusions
Ma conclusion en ce qui concerne l’expérience de la passe, est qu’elle m’a conduit à expérimenter et à ajuster d’une autre façon le savoir acquis dans l’analyse, elle est comme l’obtention d´un savoir qui se renouvelait et qu’à la fois expérimentait ce limite, le point maximum même de ce savoir comme je l’ai dit dans l’introduction.
Je peux dire que non seulement il a eu de l’effet sur moi personnellement mais aussi sur mon travail puisqu’il m’a permis de discerner plus clairement les moments de la guérison analytique. J’ai également expérimenté ses effets sur les espaces de transmission.
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