« Le mur de l’amour: l’amour ». Michel Ferrazzi, Madrid 24 avril 2020

LES AMOURS

Le mur de l’amour : l’amour

Michel FERRAZZI

Madrid-25/04/2020

Je ne vais pas reprendre avec vous l’étymologie du mot que vous avez dû entendre un certain nombre de fois mais je vais reprendre l’usage de ce mot et l’évolution qu’il a suivie au fil des siècles. En ancien Français, « amor » est en concurrence avec amitié pour une forte affection portée à Dieu. Il sera influencé par l’ancien provençal qui donnera « la fine amor » c’est-à-dire l’amour courtois. Au Moyen-Age on trouvera une hésitation entre valeur érotique et valeurs idéales. Il aura quand-même le sens d’amitié du XIIème au XVème siècle, amitié qui s’applique à la passion sentimentale à composante érotique et hétérosexuelle (d’où ma Mie). Là cessera l’hésitation entre amitié et amour pour qualifier un attachement à un être ou à une chose. A la Renaissance apparaitra l’expression « amour de soy-même » avec le sens d’amour propre. Un amour peut aussi désigner une personne, un enfant, une forme ou une chose charmante.

Ce qui est étonnant, c’est que l’amour en langue populaire évoque l’humeur au sens de suc, de la sève, de la saveur avec un évident attachement à l’ardeur sexuelle. En amour peut alors se dire d’une terre fertile ou pour désigner la bonne maniabilité du plâtre et on le retrouve dans « une terre bien ameublie ». (Eléments puisés dans le dictionnaire « le Robert étymologique de la langue française)

Si maintenant nous nous intéressons à l’orthographe française de ce mot  nous allons aussi être étonnés car l’amour au singulier est toujours masculin mais il devient  féminin au pluriel en sachant que « des amours » peut s’écrire sans le « e » du féminin et on peut écrire des amours (sans e) ardentes avec la marque du féminin pour le qualificatif sans qu’il y ait faute de français. Par contre, si on met « amours » au masculin pluriel, il désigne alors des figures angéliques tels les anges de Raphaël, c’est-à-dire des personnages qui n’ont pas de sexe.

Ces rappels de l’évolution du mot « amour » nous permettent de constater que dans son usage comme dans son orthographe il a eu du mal à se distinguer entre masculin et féminin et singulier et pluriel mais aussi entre grandeur idéale du sentiment et possibilité de jouissance physique. On aimerait pourtant qu’il n’y ait qu’un amour unique et absolu mais c’est, bien sûr, une illusion. L’amour peut revêtir plusieurs formes : ancillaire ; morganatique ; passionné ; parental ; filial ; fraternel ; narcissique. Il peut concerner une personne ou un objet comme l’amour de l’art par exemple.  Est-ce toujours le même et quels pourraient être les éléments que l’on retrouverait de façon systématique quelle que soit la forme et son objet ? C’est cette place et cette fonction qui peut nous servir de guide et qui pourrait déterminer une vérité sans contestation possible : il n’y a pas d’amour sans manque et donc, de façon très proximale, il n’ya pas d’amour sans angoisse.

J’ai trouvé très difficile d’organiser ma pensée sur ce thème de l’amour, celui de la haine était bien plus rassurant et plus à même de nous permettre de repérer ce qui pouvait être en jeu. Comme nous venons de le voir, il n’y a pas qu’une forme de l’amour et la difficulté va aussi être de ne pas tomber dans la psychosociologie qui permettrait de parler pendant des heures des influences de l’évolution sociétale et des outils de communication (les fameux sites de rencontre par exemple) mais comme je parle en tant que psychanalyste et que je m’adresse à des psychanalystes, il m’est venu à l’idée de repérer quelques formes de l’amour à partir de trois références que sont l’amour Réel ; l’amour Imaginaire ; l’amour Symbolique et dans ces trois catégories, tenter de poser quelques repères sur la place de l’objet cause du désir et ce qui peut l’influencer mais aussi sur l’influence que cet objet lui-même peut avoir sur chacune de ces catégories. Bien sûr, je ne vais pas déterminer des formes pures car il y a toujours, pour l’humain du moins, les trois instances RSI en jeu mais malgré cela je vais évoquer successivement l’amour d’une mère comme l’amour Réel ; le sentiment amoureux pour l’amour Imaginaire ; l’amour de transfert pour l’amour Symbolique.

L’AMOUR REEL : C’est bien sûr une espèce de postulat que je vais poser là. Quand on parle d’amour on pense tout de suite à un mouvement d’élévation sublime qui scellerait une rencontre d’âme à âme et une parfaite harmonie et l’évoquer comme réel n’est pas une chose simple.  Pourtant n’est-ce pas l’idéal de la rencontre entre une mère et son bébé qui en serait le plus proche ? Mais cela peut devenir très bizarre si je le ramène à une question qui peut sembler provocante : Est-ce qu’une vache aime son veau ? Question qui vaudrait pour tous les mammifères monopares pour maintenir une équivalence entre l’humain et l’animal. Personnellement à une telle question, je répondrais : « oui » ! Une vache aime son veau et cet amour est terrible car il concerne un objet aimé totalement collapsé à la question de la vie, voire de la survie (et l’on voit là comment la question de la perte qui est là celle de la mort est en jeu). C’est certainement, pour les humains, ce qui a forcé à instituer le mariage car il n’y avait pas de moyen d’aller contre ce mouvement pour la vie, il a donc fallu lui donner un cadre social (mais ce n’est pas mon propos ai-je dit plus haut). Cet amour de la mère pour le produit de son utérus, c’est un amour de la vie en tant que telle, il n’y a pas besoin d’un père mais d’un mâle et c’est pour cela que la mise en couple n’a pas la même profondeur pour une femme et pour un homme. Il y a pour la femme quelque chose de blotti en elle qui donne à cette démarche une dimension de gravité qu’elle n’a pas pour l’homme. Même si on laisse là la comparaison entre l’animal et l’humain, on ne peut pas mettre au rang du social cette mission de vie dont la femme est chargée. Et quelle charge ! Quelques exemples cliniques pourraient venir étayer cette réalité biologique qui scelle une forme de l’amour et qui a des conséquences psychiques :

-Les mères d’enfants porteurs de handicap dont le diagnostic a été précoce mais post-partum sont prises dans cet impossible à accepter d’avoir donné une vie imparfaite, sans assurance de la pérenniser. Elles se trouvent alors à devoir réagir à cela, ce qu’elles font non pas en faisant en sorte que l’enfant vive bien mais en sorte qu’il ne meure pas. Il en va certainement de même pour les handicaps qu’on peut dire acquis au plan psychique et intellectuel quand il n’y a pas de substrat organique ou physiologique repérable et que les psychanalystes que nous sommes notent un état relationnel symbiotique, ce qui est parfaitement juste, et qu’ils appuient cela sur la défaillance de la fonction du nom du père et de l’instauration du signifiant, ce qui là encore est juste, mais cela est juste à la condition de préciser pourquoi, pour ces mères, la révélation d’un handicap chez leur enfant se conjugue avec la mort, sans bien savoir si c’est de la leur ou de celle de leur enfant. La leur, cela veut dire que le féminin-maternel est collapsé à la mort ou au risque de la mort, malédiction des mères de leur lignée, confrontation à un couple parental pathologique, rencontre traumatisante avec le sexuel, tout cela voulant être dépassé par la force de vie dont elles sont porteuses. A partir de cela, pouvoir repérer le plus clairement possible ce qui est cause et ce qui est effet est essentiel.

-Un autre exemple clinique que je tire des cures en cabinet, c’est celui de ces femmes autour de la cinquantaine qui commencent à avoir des bouffées de chaleur et sont en pré-ménopause. Elles sont confrontées au fait que cette fonction unique dont elles se savent les dépositaires va s’éteindre et cela provoque un certain remaniement de leur économie psychique. Certaines dépriment mais en général, ce qui émerge, c’est le besoin de s’investir autrement dans leur vie, de mettre une force vitale dans un ou des projets qui ont toujours valeur de représenter ce qu’elles peuvent être maintenant en activant autrement leurs capacités créatrices. Un temps risque d’être fini pour elles si elles ne réagissent pas et cela tient au réel.

-On peut retrouver le même rapport sous une forme inversée chez des jeunes femmes de 38/40 ans qui avaient jusque-là consacré leur énergie à leur carrière pour certaines, à leur plaisir sans contrainte pour d’autres et qui, à un moment réalisent que l’horloge biologique a tourné et qu’elles voudraient devenir mères. Une espèce de précipitation anxieuse les saisit alors mais, et cela est en lien avec la deuxième partie de mon travail d’aujourd’hui, elles n’arrivent pas à se déterminer pour un homme. Ceux (parfois nombreux) qu’elles ont connus jusque-là étaient des amants mais elles ne les voient pas comme pères. Ceux qui pourraient être pères ne leur conviennent pas. Mais elles veulent avoir un enfant et ce qui pousse impérieusement en elles semble plus lié à l’amour réel que j’évoque qu’à l’amour imaginaire dont il sera question plus loin

-Et puis pour parler encore d’amour Réel, je voudrais évoquer la situation de 4 analysantes. Pour 3 d’entre elles, la tuberculose de l’un des deux parents a obligé à une séparation néonatale, pour la 4ème, la mère avait fait Pâques avant les Rameaux et à l’époque, une fille-mère mineure de moins de 21 ans ne pouvait s’occuper d’un enfant dont elle ne pouvait être responsable puisqu’elle-même était considérée comme ne l’étant pas. Les services sociaux plaçaient donc l’enfant jusqu’à la majorité de la mère. Dans ces 4 situations, les retrouvailles après 18 mois à 3 ans de séparation ont été difficiles comme si, la mère ayant perdu le contact maternel primaire d’avec son bébé, elle ne pouvait pas retrouver en elle les éléments (¿ELEMENTOS REALES, IMAGINARIOS ? lui permettant de renouer charnellement avec l’enfant et ce malgré son désir et son amour. Dans ces 4 situations, ce n’est pas l’enfant qui a repoussé la mère. La rencontre est devenue autre que celle d’une primauté mère-enfant et l’amour (réel) dont je parle-là n’a pas pu régner. C’est une autre forme de l’amour qui est alors en jeu un peu comme dans les situations d’adoption. Ces 4 femmes avaient en elles une nostalgie profonde et pesante.

Au fil des cures, il m’a toujours semblé que cela concernait à la fois le rapport à l’objet et une faille narcissique. J’avais beaucoup de mal à me repérer entre ces deux instances constituantes. Et puis, j’ai pu me demander si ce n’était pas la place d’objet réel tenu auprès de la mère par l’enfant qui aurait fait défaut. Peut-être passe-t-on là d’un amour réel à l’idée d’un objet réel de l’amour,position qui ne peut être que transitoire mais dont ni la mère ni l’enfant ne peuvent se passer sans risques pour leur organisation psychique, d’autant que cette forme d’amour, certes primaire, s’impose à la femme et restera en filigrane dans ses rapports à l’enfant. Cette forme est toujours prête à ressurgir et à remettre de la « nature » au sens de primarité là où le social voudrait imposer sa loi qui est le plus souvent phallique.

Ce rapport problématique entre le phallique contre la question de la vie ou de la mort renvoie bien sûr à la question de l’avoir et de l’être. Si le sujet veut l’avoir, il faut qu’il renonce à l’être. Si le sujet l’est, il ne peut l’avoir et c’est ce qui organise le rapport de la femme au phallus. Elle peut l’être parce qu’elle ne l’a pas. Si on en reste là, on a le modèle de la mère psychotisante qui tente de l’être et de l’avoir dans le même temps. Mais il y a une autre possibilité pour la femme qui est une impossibilité pour l’homme de se tenir plus ou moins partiellement en-dehors du rapport phallique.  Comment définir cette possibilité de la femme sinon en considérant qu’il y a pour elle un jeu du réel, de la vie qui peuvent entrer en ligne? Une chose que même le langage, le fait qu’elle parle, ne peut lui dérober. Un espace dans lequel elle échappe à la loi mais s’inscrit dans un rapport au réel, car c’est la fonction de la loi de nous permettre d’aménager le réel en le combinant au symbolique. C’est pourquoi, et des collègues, femmes espagnoles s’y sont risquées non sans hésitation, une femme hors la loi prise dans le réel, c’est-à-dire dans la vie sans écart avec la mort peut tuer sa fille sous la forme d’un meurtre (ce qui est rare) ou en la maintenant dans une indifférenciation d’avec elle, ce qu’on note dans certaines formes de psychoses de ces filles qui se caractérisent par un vide psychique, une obtusion intellectuelle et un rapport incertain à la réalité. Formes que l’on retrouve aussi dans des conséquences de l’émigration pour des mères. Tout cela pour évoquer la jouissance autre qui, je le pense, est intimement liée à cette inscription de la femme dans le réel de la vie et de l’amour au risque de la mort.

L’AMOUR IMAGINAIRE :

L’amour Imaginaire, c’est l’amour tel qu’il est défini par : un sentiment amoureux qui pose les choses d’une façon très différente que l’amour que je dis Réel tel que je viens de le cerner. Ceci était très bien exprimé par une analysante sur la fin de sa cure et cela, je pense que seule une femme peut l’exprimer concernant les hommes qu’elle avait aimés : « je crois que ce que j’ai aimé, c’est le sentiment que j’avais pour eux bien plus que ce qu’ils étaient ».

Ce sentiment amoureux marque certainement le passage d’un état premier que j’ai donc appelé l’amour Réel à un sentiment qui va générer la mise dans un état second du sujet qui a pu advenir. Cet état, c’est celui de l’illusion si on peut donner à ce mot un sens non péjoratif, je n’ose pas aller jusqu’à l’idée de l’objet halluciné qui se serait incarné, bien que… Toujours est-il que pendant un temps, et un temps seulement (cet amour est éternel tant qu’il dure) les amoureux fous peuvent penser qu’ils tiennent l’objet cause du désir entre leurs bras, mais cet objet cause du désir ne peut pas être incarné et il ne peut pas être spéculaire même si ce sont ces deux dimensions qui vont venir tenter de maintenir cette illusion en générant un engagement narcissique qui peut mal finir (80% des hommes qui tuent la femme qu’ils croient aimer se suicident ensuite dans une forme non romanesque, comme Roméo et Juliette), arrêtant l’histoire sur une tentative spéculaire qui, concernant l’amour et l’objet cause du désir, ne peut être que mortifère si il n’est pas illusoire. Il y a alors trop de Réel là où il faudrait de l’Imaginaire. De cela, dans les cures, on en a de multiples témoignages, parfois par l’inverse qui se situe dans l’usage des sites de rencontre. Dans les années 49/50, un humoriste français, Pierre Dac, avait créé un journal qui s’appelait « l’os à moelle » et qui parodiait les petites annonces. Cela donnait par exemple : « Jeune agriculteur cherche jeune fille possédant tracteur, envoyer photo tracteur » ; Ou encore : «Echangerais rien du tout contre pas grand-chose pour grand amour». Cela faisait beaucoup rire mais à l’époque, on ne savait pas que cela deviendrait banal grâce à internet et on ne pensait pas que cela pouvait garantir une bonne rencontre. Ce qui s’est banalisé en fait, c’est que sur ces sites, chacun est en demande (reconnue ou ignorée) mais surtout que chacun est dans l’offre de lui-même bien plus que dans la demande supposée si bien que le résultat n’est pas une prolifération de la demande mais une prolifération de l’offre. Cela fait alors l’inverse de la rencontre amoureuse fortuite du type «coup de foudre» dans la mesure où l’illusion est là avant la rencontre et très souvent n’est plus là pendant et après. On voit bien là comment le discours capitaliste a colonisé le registre de l’amour en en faisant un marché.

Je prends l’option de ne pas en dire plus sur ce type de l’amour dont j’espère vous avez perçu pourquoi, pour le besoin de mon intervention, je l’ai qualifié d’Imaginaire. Le moi est toujours dans la recherche d’un grand plaisir en souhaitant se constituer un objet de certitude absolue, il restait donc à lui donner les moyens de la recherche de cet objet en tant qu’il est sensé exister (ce que j’appelle mettre l’illusion avant l’amour) ou même pire de risquer de le trouver et donc, en lui donnant une certaine forme, de tuer l’illusion, ce qui produirait l’inverse de ce qui est recherché.

Mais peut-on parler d’amour Imaginaire sans évoquer le fantasme qu’il faut distinguer de l’illusion ? On trouve cela chez des analysantes (plus rarement chez des analysants) d’âge mûr, dégagées des obligations familiales qui vont sur des sites de rencontre, qui ont bien-sûr beaucoup de contacts mais pas de concrétisation et cela peut durer X années. J’y voyais un temps la recherche de l’objet idéal tel que l’amour seul peut le promouvoir malgré ses carences, mais progressivement, une autre explication m’est venue à l’esprit, plus psychanalytique me semble-t-il, car ces femmes (je m’en tiens à elles) n’étaient pas des jeunes filles pleines d’innocence. Elles feraient de la recherche d’un partenaire le but insu de leur démarche comme si, ce faisant, elles visaient l’objet du fantasme lui-même, objet qui serait totalement poinçonné au Sujet barré qu’elles sont. Ce ne sont pas les émotions et les ressentis qu’elles éprouvent dans la réalité face à un homme qui seraient leur guide mais une espèce de confrontation entre un objet fantasmatique et un objet de la réalité. Bien sûr, cela ne marche pas bien mais elles n’en sont pas trop affectées et se relancent dans leur quête avec une énergie sans cesse renouvelée sans forcément en tirer un enseignement. Il faut d’ailleurs un certain temps avant que ne vienne vraiment dans l’analyse les motifs inconscients de cette recherche comme si le fantasme se mettait dans la quête elle-même plus que dans l’objet à trouver. Chaque fois que cela est venu dans la cure une dimension dépressive pouvait s’entrevoir dans leur horizon psychique du fait de la perte de jouissance que leur imposait l’arrêt de ce collage è l’objet de leur fantasme comme si elles retrouvaient la barre qui tendait à s’estomper dans cette recherche. Apparemment, pour les hommes, il n’en va pas du tout de même, ils vont plutôt sur internet pour faire leur marché. Pas de recherche du Saint Graal pour eux !

En passant, cela pose une question qui et celle du transfert dans les thérapies et certains parlent même d’analyse par internet quant à la possibilité d’accéder à la désillusion de l’objet idéalisé du fantasme. Mais c’est un autre problème.

L’AMOUR SYMBOLIQUE :

Pour rester dans la même démarche qui vise à repérer des formes de l’amour sans les isoler, il me fallait trouver une forme symbolique. En fait, cette forme m’est venue avant celle de l’amour Imaginaire comme amour du transfert dans la cure psychanalytique. Il faut à cela certaines conditions dont la première, essentielle, est la position du psychanalyste dans son propre transfert. Pour éclairer cela, je pose 3 questions : le psychanalyste peut-il être aimable au sens de pouvoir être aimé (en français, aimable est un terme ambigu qui étymologiquement signifie pouvoir être aimé mais qui dans son usage courant signifie être gentil). Donc, le psychanalyste peut-il être gentil, peut-il être aimé, peut-il être aimant ? Je n’ai pas pu répondre clairement par oui ou par non sauf à la question « peut-il être aimé » ?  La réponse m’est apparue évidente. Il est peut-être là pour ça ! Ce qui rend une réponse compliquée, c’est le risque de confusion entre le psychanalyste et sa personne, ce débat n’est pas nouveau. C’est toute la question de sa façon de s’inscrire dans le transfert qui permet de dire que l’amour de transfert peut être symbolique, puisque la place de l’objet cause du désir peut y être traitée d’une façon unique.

Chez tout être humain de notre civilisation il y a dès le départ de la relation à l’Autre une passion. On peut d’ailleurs se demander si celle-ci est innée, comme celle qui lie le veau à sa mère, innée entant qu’elle soutient la vie et la relation au monde environnant, ou si elle est acquise au fil de ce qu’apporte l’expérience de la relation à l’Autre, ou encore si elle passe d’un état originel à un état plus élaboré ensuite. Je n’ai pas tenté de répondre à cela. Ce qui importe, c’est que le transfert d’un analysant sur un analyste active cette passion par un mouvement qui fait que l’analyste est mis en place d’objet d’amour et qu’alors il est aimé, mais qu’il ne doit jamais oublier que ce qui est visé par l’analysant(e) c’est un Autre et surtout que si cet Autre venait à disparaitre, l’amour resterait sans objet et c’est pour cela (entre autre) que le psychanalyste a horreur de son acte. Il peut donc être aimé comme condition à la cure, mais alors, il ne doit pas être aimant et se méfier d’être aimable (gentil). Deux remarques me viennent à ce moment : le texte très profond de Ferenczi sur la confusion des langues (et pas seulement entre l’adulte et l’enfant) et la difficulté de reprendre une cure avec un(e) analysant(e)) après le décès d’un précédent analyste.

Que se passe-t-il quand l’analyste doit reprendre avec une analysante (le plus souvent)qui a été victime d’un passage à l’acte de son précédent analyste(un homme le plus souvent) alors que cette analysante est encore dans une demande d’analyse et dans le besoin de mettre en jeu sa passion ? Je peux dire de par mon expérience pratique (3 situations de ce type) qu’au départ, l’analyste se doit de n’être ni aimable, ni aimant, ni aimé, mais pas haïssable. Une position plutôt neutre qui ne doit pas être défensive sinon elle serait suspecte. L’analyste doit savoir attendre d’être aimé sans être aimable et cela pour que l’amour puisse se réinscrire ou s’inscrire, selon les cas, dans une forme symbolique qu’il n’aurait pas dû perdre et cela même dans des cas de répétition d’un traumatisme initial ou d’un désir incestueux même si celui-ci est resté à l’état de fantasme, élément qui est on ne peut plus naturel dans une cure. Un amour dont l’objet est refoulé et un amour dont l’objet doit choir, ce n’est pas du tout pareil.

La question qui se pose alors est la suivante :Peut il y avoir une chute de l’objet d’amour, donc de quelque chose du fantasme qui ferait que l’on passerait de la formule « s barré poinçon a » à « s barré poinçon a barré » (je sais que cette formule peut choquer) à « s barré poinçon… »sans qu’il y ait une chute du sujet ? Ceci éclairerait ce que dit Lacan quand il dit qu’une cure bien menée ne peut qu’amener un analysant à devenir analyste, c’est-à-dire de venir à la place du mort. De plus (je provoque un peu) dès lors, la passion pour la psychanalyse ne devient-elle pas suspecte comme tentative de remettre en jeu de l’objet d’amour et est-elle équivalente à une passion pour l’inconscient freudien qui en elle-même est l’abolition de toute passion ? C’est certainement cela que Freud appelait le roc de la castration et avec la suite que Lacan lui a donnée on peut poser cette question : est-il possible pour un sujet de soutenir un amour sans objet, c’est-à-dire une forme symbolique de l’amour ou pour dire les choses de façon plus précise, un objet symbolique de l’amour qui, dans l’idéal, pourrait être un signifiant, par exemple « Dieu » qui viendrait à la place d’un signifiant manquant, position difficile à tenir que cette conception symbolique de Dieu, qui fait que l’on a sans cesse essayé d’en faire autre chose qu’un signifiant, l’église en est une forme qui l’imaginarise , pour d’autres il sera le Créateur, pour d’autres l’Amour, tout cela organisant une tendance à l’Imaginaire qui « dé-symbolise » Dieu, mais c’est aussi le signe de l’impossible à s’attacher à un objet symbolique de l’amour sans que la mort ne soit invoquée.

Une analysante, après 4 ans de cure à raison de deux séances par semaine, alors qu’elle avait tout abandonné, son métier d’éducatrice, ses relations sociales pour aller vivre en caravane dans un camping 2 années durant, déclare dans une séance : « Ca marche votre truc (la psychanalyse) je n’ai plus envie de vous casser la gueule !

Moi : « et c’est un progrès » ?

Elle : « Oui parce qu’en même temps, je peux plus prendre soin de moi, de mon corps et de ma tête, je relis des livres, je m’intéresse à l’écologie, j’aime bien faire de bons petits plats ».

Cette analysante a retrouvé les voies de l’amour sans risquer de se trouver captive d’un objet qu’elle repoussait de toute son énergie, quitte à y laisser sa peau.

Je m’en tiens là aujourd’hui même si j’ai le sentiment de n’avoir fait que survoler ce que je voulais vous dire avec certainement trop souvent un manque de rigueur et de clarté, mais j’espère tout de même avoir pu vous permettre de repérer les différentes occurrences de l’objet, du plus Réel qu’est le bébé au plus Symbolique que doit être l’analyste sans oublier le mirage de l’amant et « le moment fatal ou le méchant mari tue le prince charmant » (Claude Nougaro). Ces différences ne venant pas signaler une qualité plus ou moins louable pour une forme qui prévaudrait sur une autre, mais pour repérer des positions du Sujet qui se révèlent  très différentes alors qu’elles sont toutes référées à l’amour.

 

Michel FERRAZZI

 

 

 

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