Le noyau originel du trauma. R. Lévy, Paris 07/02/2018
SOUFFRONS-NOUS ENCORE DE NOS REMINISCENCES ?
Robert Lévy
07/02/2018
SEMINAIRE IV
LE NOYAU ORIGINEL DU TRAUMA
Dans les questions de réminiscences, il est très habituel de vouloir rechercher ce qui fut l’origine pour ne pas dire l’originaire de la souffrance ayant motivée son « retour ». Nous avons été habitués avec Freud et l’Hypnose mais pas seulement puisqu’il est encore « naturel » de penser qu’il y a bien eu en effet une origine traumatique aux retours du refoulé qu’il s’agisse de reviviscences comme de réminiscences ; nous avons déjà eu l’occasion de différencier ces deux modes de retour. Evidemment on comprend aisément que point de départ et originaire, refoulement originaire soient liés intrinsèquement. D’ailleurs Cristina Kupfer nous a montré la dernière fois que le refoulement originaire semblait avoir été quelque peu raté chez l’enfant autiste avec les conséquences qu’elle a envisagé quant à un mode de pensée plutôt exclusivement métonymique et l’Hypothèse d’une vraie difficulté autour de la constitution du sujet en tout cas sur le mode du signifiant représentant le sujet pour un autre signifiant. Quoi qu’il en soit nous dirons que la difficulté la plus importante pour nous réside dans la façon de situer, c’est-à-dire de justifier donc, du passage du refoulement originaire aux refoulements secondaires .
En effet il s’avère compliqué de justifier ou plus simplement expliquer la causalité du refoulement originaire car c’est l’existence même du sujet qui refoule qui la prouve. Cette causalité disparait dans le refoulement lui-même puisque le résultat c’est l’existence d’un sujet cause de lui-même alors qu’il est censé apparaitre comme le résultat de ce qu’il a refoulé. De même pour le refoulement secondaire adossé généralement au complexe d’œdipe, se justifie donc à partir d’un mythe, celui d’œdipe .
Alors c’est ici la question du désir qui va nous servir de nord géographique puisque le désir n’est jamais sans objet même si il n’y a pas l’objet puisque il y a au moins un objet du désir permanent qui est celui d’abolir sa propre tension, son objet c’est donc de s’abolir lui-même, paradoxe extraordinaire du désir humain qui montre assez bien en quoi tout désir est traumatique dans la mesure où son objet est de s’abolir soi-même. C’est pourquoi l’enjeu dès la naissance est bien celui de se situer au cœur de la question du refoulement originaire par rapport au langage, de trouver sa place dans l‘Autre à partir construire sa subjectivité dont on peut considérer qu’ils sont les aspects du refoulement primaire. Ce sont des temps que Freud et Lacan ne séparent pas en leur marquant néanmoins une différence quant à leur mode d’écriture.
En effet, c’est à partir du schéma de la lettre 52 à Fliess de décembre 1896 que Freud insiste sur le fait qu’il soit nécessaire de séparer radicalement la perception et la conscience. « W sont les neurones, dans lesquels naissent les perceptions avec lesquelles se nouent la conscience, mais qui ne gardent aucune trace de ce qui s’est passé. Évènement et conscience s’incluent réciproquement. Wz est la première inscription des perceptions inaccessibles à la conscience organisée selon la simultanéité ». C’est exactement ce que les neuroscientifiques repèrent dans les différents modes de mémoires…
Quelles sont donc les différentes étapes entre la perception et la conscience ?
Reprenons le schéma de Freud comme le suggère Eva Marie Golder [1]
I II III
P Sp ics pcs cs
W Wz Ub Vb Bw
XX XX XX XX XX
X
X XX X X X
P = perception (wahrnehmung)
sP= signe de perception (wahrnehmungszeichen)
Ics = l’inconscient(Unbewusste)
c= conscient (bewusstes)
Il faut franchir toutes ces étapes entre la perception et la conscience pour qu’une représentation puisse s’inscrire et devenir consciente.
Sur ce schéma on remarque que l’inconscient est déjà une deuxième inscription qui répondrait au concept de représentation de choses. Le préconscient quant à lui est une troisième transcription liée à des représentations de mots correspondant à notre moi dont une partie est refoulée.
Mais Lacan reprend ce schéma en soulignant que perception et signe de perception donnent lieu à deux écritures qui ont déjà valeur signifiante par leur articulation S2/SI, ou Sp/p , selon l’écriture Freudienne. Le signe de perception témoigne de la perception sans s’y conjoindre.[2]
Mais ce qui semble particulièrement intéressant dans ce qui reste au fond une supposition, c’est-à-dire le refoulement originaire, c’est que ce refoulement premier même si il est sans représentation, est néanmoins ce qui pour Freud représente un « pare excitation » (ce qui pare aux excitations donc) en réponse aux bombardements de stimuli au moment de la naissance.
En d’autres termes le refoulement originaire est ce qui fait fonction de filtre ou de protection contre le bombardement du réel là où le fantasme n’est évidemment pas encore constitué. D’où l’hypothèse que nous livrait Cristina Kupfer la dernière fois , à savoir que c’est dans cet échec ou non constitution du refoulement originaire que l’on retrouve les crises d’angoisse spectaculaires des enfants autistes en proie à ces bombardements du réel sans filtre …
Mais en termes Lacaniens on peut considérer également le refoulement originaire comme l’ombilic du langage, le S1, signifiant maitre par conséquent. Pour Lacan cela donne une écriture structurale S1/S2. Le S1 est le lieu d’enracinement dans l’Autre résultat du refoulement originaire qui a pour effet une forclusion originaire. C’est-à-dire que pour tout être parlant, la question de la forclusion « originaire » a été vécu d’une certaine façon. Quelque chose de cet ordre est constitutif du sujet lui-même.
Il faut, me semble-t-il, un peu insister sur ce fait qu’ici se joue la question de la constitution du sujet. En effet Les termes S1 ou S2 sont la structure de base du repère de production du sujet puisque le signifiant S1 en l’occurrence le représente pour un autre signifiant S2.
Ce que fait également remarquer à juste titre Eva Marie Golder [3] c’est que l’enfant nommé et accueilli n’est plus simplement corps puisqu’il est séparé du signifiant qui le désigne. Ainsi pour autant qu’il soit nommé par l’Autre il prendra enracinement dans le signifiant maitre S1 si et seulement si sa mère peut le percevoir comme autre c’est-à-dire différent et même décevant par rapport à l’enfant imaginé. Ce qui aura tout de suite pour conséquence de relayer cet enracinement dans le signifiant maitre par un autre signifiant, un deuxième signifiant S2.
Mais ce qui est très intéressant c’est que Lacan, et je le suis pleinement, ne suppose pas du tout qu’il y ait du sujet au départ ; il n’y a pas de pré sujet. Le sujet est donc pour lui pur effet de langage, résultat d’une nomination, d’une forclusion originaire par conséquent. Le sujet n’est donc ni S1, ni S2 il est du côté de la barre de fraction/, c’est-à-dire le reste d’une division. 16 :25 Division à entendre dans tous les sens du terme à savoir la division S1/S2 mais aussi division avec la mère…
Disons que ce qui fait effet de sujet c’est de tenir une place dans le désir de l’Autre et je ne reviendrai pas sur la conférence de Genève à ce sujet que j’ai déjà cité maintes fois. En tout cas, si problème constitutif du sujet il y a chez l’autiste, c’est bien du côté de cette forclusion originaire qui est « assignation à une place » comme le dit Lacan et qui semble ne pas avoir pu être produite dans ce cas. En effet cette nomination permet qu’il y ait de l’UN, c’est-à-dire que l’enfant puisse entrer par le désir en place unique, comptable pour un sujet parmi d’autres et qui compte pour d’autres. Lacan reprend l’idée que dès qu’il y a articulation entre deux signifiants il y a écriture déjà du côté du refoulement originaire en insistant sur le fait que ce qui fait refoulement premier c’est le nouage des trois registres réel symbolique imaginaire, l’un ne va pas sans l’autre[4].. Lacan ne parle pas de refoulement originaire. Il parle de refoulement premier et secondaire. Il introduit cette différence parce que l’originaire est du coté du mythologique. Il ne soutient pas du tout l’idée d’un refoulement originaire mythique mais plutôt comme quelque chose de premier dans l’ordre des refoulements.
Mais alors d’où nous vient cette idée qu’il y aurait un noyau originaire du trauma ?
On trouve tout d’abord une occurrence du terme dans le séminaire « L’Homme aux loups » des 1er septembre 1952 et 1er novembre 1952.
Dans Les Ecrits techniques, Lacan donnera des précisions essentielles concernant le passage du refoulement originaire (premier) au refoulement secondaire, par rapport à ce fameux point d’Anziehung que nous avons déjà évoqué et surtout sur l’idée d’un premier noyau du refoulé, autrement dit lié eà l’expérience originelle du trauma.
« Cette articulation importante nous indique qu’à l’origine, pour que le refoulement soit possible, il faut qu’il existe un au-delà du refoulement, quelque chose de dernier, déjà constitué primitivement, un premier noyau du refoulé, qui non seulement ne s’avoue pas, mais qui, de ne pas se formuler, est littéralement comme si cela n’existait pas ». « Je lis là ce que dit Freud ». « Et pourtant, en un certain sens, il est quelque part puisque, Freud nous le dit partout, il est le centre d’attraction qui appelle à lui tous les refoulements ultérieurs. Je dirais que c’est l’essence même de la découverte freudienne… » « Les formes que prend ce refoulement sont attirées par ce premier noyau, que Freud attribue alors à une certaine expérience, qu’il appelle l’expérience originelle du trauma. » Ce que Lacan reconnaît comme premier c’est un point de refoulement qui a pour fonction d’attirer tous les autres refoulements secondaires. C’est comme cela que se formule pour lui la question du refoulement premier.
À quoi Lacan se réfère-t-il si ce n’est aux définitions que Freud lui-même nous a données du refoulement dans la Traumdeutung : « cet acte qui se produit sans peine et régulièrement, par lequel le processus psychique se détourne du souvenir de ce qui fut autrefois possible, nous donne ce modèle et le premier exemple du refoulement psychique » et ainsi « c’est la clé de la doctrine du refoulement – que le second système ne peut investir une représentation que lorsqu’il est en mesure d’inhiber le développement de déplaisir partant d’elle » . C’est donc un système dans lequel il y a une représentation que pour autant que le système puisse inhiber le développement de déplaisir partant d’elle c’est-à-dire de diviser ce qu’il en est de la représentation et de l’affect ; c’est ce qu’il veut dire par là, c’est donc le refoulement. Il n’y a de représentation que dans cette mesure. Sinon, la représentation n’existe pas, ne se forme pas.
Dans cette appellation de « ce qui fut autrefois pénible» on peut y percevoir quelque chose de cet « Initiatique traumatique » dans lequel on entend bien que le plaisir découle essentiellement, ou mieux encore, n’est que le résultat de la diminution d’excitation (déplaisir) et qui se manifeste alors en diminuant, par différence donc comme plaisir, ce que Freud précise de la façon suivante : « un tel courant dans l’appareil, partant du déplaisir, visant le plaisir nous l’appelons un souhait… Le premier souhait pourrait bien avoir été un acte d’investissement hallucinatoire en souvenir de satisfaction. Mais cette hallucination, si elle ne devait pas être maintenue jusqu’à l’épuisement, s’avéra incapable d’amener la cessation du besoin, donc le plaisir relié à la satisfaction ».
Ce premier noyau originel du trauma, c’est ce qui fait l’objet du refoulement originaire point d’Anziehung, d’attraction donc, dont on peut dire qu’il s’agit bien de l’expérience première de déplaisir sans laquelle la notion même de plaisir n’existerait pas et qui, comme première expérience de refoulement, attire secondairement tous les autres refoulements. Lacan précise encore un peu mieux cela toujours dans Les Ecrits techniques (p.181) :
« La Verdrängung est toujours une Nachdrängung ». En d’autres termes, le refoulement est toujours un après-coup et par conséquent le retour du refoulé ne peut venir que de l’avenir et non du passé. C’est ce que Philippe Wolosko nous avait développé de façon beaucoup plus précise il y a deux séances.
« Ce que nous voyons sans le retour du refoulé est le signal effacé de quelque chose qui ne prendra sa valeur que dans le futur, en sa réalisation symbolique, son intégration à l’histoire du sujet. Littéralement, ce ne sera jamais qu’une chose qui, à un moment donné d’accompagnement, aura été ».
Ainsi l’après coup est régi par la structure du désir même, en d’autres termes par la dimension invisible du traumatisme subjectif qui le rend par principe inconscient. Nous essayons avec la répétition de nous rattraper de ce passé passif invisible. C’est pourquoi la répétition est jusqu’à un certain point une activité normale.
L’expérience traumatique peut être, par exemple, celle de « l’Homme aux rats », autrement dit le spectacle d’une copulation entre les parents a tergo.
C’est le refoulement de L’Homme aux rats[5] qui se trouve lié à cette même expérience dont Freud ne pourra reconstruire les éléments qu’à partir des conséquences traumatiques sur le comportement de son patient.
C’est ici qu’intervient la notion de Prägung, c’est-à-dire l’empreinte comme le commente Lacan (p.214) dans Les Ecrits techniques de Freud.
« Prägung de l’événement traumatique originatif » et Lacan souligne que c’est d’abord une « empreinte » dans « un inconscient non refoulé »,
C’est-à-dire que ce trauma ou son empreinte plus exactement :
« N’a pas été intégré au système verbalisé du sujet, qu’elle n’est même pas montée à la verbalisation, ni même à la signification ».
Il n’y a pas de pensable de ce qui se joue là, pas de représentation possible donc.
C’est ainsi qu’entre le temps x de l’événement de la scène et l’âge de 4 ans, âge auquel se produit le refoulement, il faut donc, pour que le refoulement se produise, que cette scène littéralement prenne sens. Par conséquent, il faut, pour qu’il y ait refoulement, que le sujet se trouve dans un monde suffisamment symboliquement organisé et qu’ainsi « [la scène] prenne sur le plan imaginaire sa valeur de trauma, à cause de la forme particulièrement secouante pour le sujet de la première intégration symbolique ».
Si on suit Lacan dans cette approche, on peut en déduire que ce n’est pas tant la scène en elle-même qui est traumatique mais « la forme particulièrement secouante pour le sujet de la première intégration symbolique » et ainsi le « trauma en tant qu’il a une action refoulant, intervient après coup nachträglisch ».
On a la même constitution si l’on prend les questions traumatique, par exemple pour les enfants pour lesquels il y a eu abus sexuel ; est-ce que c’est la scène en elle-même qui est traumatique, l’acte sexuel, ou est-ce un contexte par exemple d’être livré, dans cette scène, à un manque de représentations. Au fond c’est un peu cette question que Lacan ouvre. A savoir que de toute façon, il y a traumatisme en raison de l’entrée dans le symbolique. Ou bien il n’y a pas d’entrée dans le symbolique et à un moment donné quelque chose n’est pas symbolisable de ce qui se produit dans une scène sexuelle d’abus infantile ; ce qui pose la question de savoir s’il s’agit de l’acte lui-même ou qu’il n’y ait pas de représentations possible c’est-à-dire qu’il n’y ait pas d’intégration dans le symbolique, il n’y a pas de mots pour le dire, il n’y a pas de pensable de se qui se produit. Ou bien, autre hypothèse, est-ce que ce qui est traumatique dans cette scène est le fait d’avoir été livré sans protection ( on entend la que la question de la mère est tout à fait importante) au désir sexuel d’un autre. C’est très souvent ce qu’on travaille dans nos cures. A savoir que la question traumatique est dans un premier temps évidemment scandaleuse, liée à l’acte et à l’événement lui-même et petit à petit, lorsqu’on travaille ça, on s ‘aperçoit qu’il y a une modalité un peu plus compliquée. C’est-à dire que ( suivant l’âge et la capacité de métaphorisation), il n’y a pas de lieu pour engranger, si je puis dire, le souvenir comme quelque chose qui puisse rester…
La disjonction entre l’événement et le traumatisme est de même nature que la différence entre le sujet de l’énoncé et le sujet de l’énonciation dans le langage. Ainsi, en logique formelle, si je dis « je mens », c’est vrai, donc je ne mens pas. Mais je mens bien pourtant, puisqu’en disant je mens, j’affirme le contraire, je pense à la fois mentir et dire à haute voix que je mens. Cette brève démonstration formelle n’a d’autre intérêt que de faire entrevoir cette division : là où je pense, je ne suis pas et là où je suis, je ne pense pas. L’alternative rigide entre le vrai et le faux dans laquelle s’enferme Freud, à propos des scènes traumatiques originaires qui vraiment eu lieu , cède devant une distinction plus appropriée entre sujet de l’énoncé et sujet de l’énonciation.
Passage, une fois encore, qui entraîne des conséquences très importantes dans la pratique même de la cure. En effet, il n’est plus possible, dès lors, de considérer la talking-cure que comme un « dire n’importe quoi » qui, comme tel, supporte, en tant que structure de dire, le sujet lui-même. L’hystérique dit donc la vérité et n’est plus supposé mentir pour cacher une quelconque vérité originaire.
Pourtant, Freud ne manque peut-être pas complètement sa visée, lui qui introduit la distinction entre la scène elle-même, et le traumatisme qu’elle n’engendre qu’« après-coup ».
Ce concept de Nachträglisch, qui disjoint l’événement, de la valeur traumatique de l’effraction imaginaire produite par le spectacle, est peut-être son invention la plus importante. L’événement traumatique originaire opère en deux temps :
En sa frappe (Prägung = marque, greffe, empreinte),
Et Nachträglisch, après-coup.
Freud constate que cette frappe, qui vient inscrire un événement dans l’inconscient non refoulé, bien que non intégrée dans le système verbalisé par du sujet, laisse une marque, marque sans signification. Il n’y a marque et à plus forte raison signification que Nachträglisch (après-coup) – et c’est là que le refoulement commence : dès l’après-coup. C’est cela qui est très important et très intéressant puisqu’au fond, il n’y a traumatisme que parce qu’il y a signification. Sinon cela reste comme cela inscrit effectivement sans qu’il n’y ait de sens. Et ça n’est que pour autant que ce sens apparaisse dans l’après-coup qu’à ce moment-là, le traumatisme se produit. Étape que nos collègues du DSM et des travailleurs sur la mémoire, ignorent absolument totalement. La seule chose qui les intéresse c’est de congeler le signifiant de la représentation en cause, de la représentation qui fait mal, par une sorte d’hypnose, pour que ce signifiant n’apparaisse plus. Toute cette distinction freudienne, quand même, absolument essentielle, a totalement disparu des préoccupations de ceux qui aujourd’hui s’occupent de la mémoire et des traumatismes de la mémoire. Ils restent là sans plus se préoccuper des passages à la conscience. Il y a toujours eu des modalités thérapeutiques qui essayaient de travailler sur les faits plutôt que sur les causes, ce n’est pas non plus une nouveauté mais ce que l’on peut se demander c’est quelle est, non pas la validité (pour eux c’est valide..), mais quelle est l’efficacité de ce mode thérapeutique ; il y en a sans doute une puisque cela permet d’empêcher le signifiant du trauma de produire des effets. Seulement, cela n’a aucune portée sur tout ce qui est la chaine de ces différentes temporalités et encore moins de cette inscription première dans l’inconscient hors sens.
Cet après-coup permet à Freud d’élider, dans l’analyse qu’il fait des processus inconscients, « les intervalles de temps où l’événement reste latent chez le sujet ».
Le Nachträglisch vient donc s’inscrire comme rétroaction du signifiant selon laquelle « le trauma s’implique dans le symptôme ».
« Entre la frappe et le refoulement symbolique, il n’y a aucune différence essentielle », note Lacan.
Que ce concept de Nachträglisch surgisse précisément de la difficulté d’énoncer quelque chose à propos de cette fameuse scène primitive, n’est pas indifférent : avec la force traumatique de refoulement qu’il indique, il marque d’une certaine façon une limite de l’intégration symbolique pourtant déjà effectuée.
C’est dans une des cinq psychanalyses, celle dite de l’homme aux loups que le concept de scène primitive va occuper une place importante pour comprendre la question des réminiscences. L’élément important est cette idée, qui arrive pou Freud et qui se précise au cours de cette analyse, est sur le traumatisme de la scène dite primitive.
« Il avait dormi dans son petit lit dans la chambre des parents et se réveilla, éventuellement à cause de la montée de la fièvre l’après-midi, peut être vers cinq heures. ( ….)Il fut alors témoin d’un coitus a tergo trois fois répété, put voir l’organe génital de la mère comme le membre du père, et comprit le processus ainsi que sa signification ».
Ce qui aurait eu pour conséquence la constitution chez ce patient d’un fantasme à tonalité sadique anal. Freud voit dans cette scène l’origine de la névrose infantile de son patient mais aussi de toutes les névroses infantiles, que les enfants aient ou non assisté réellement à l’Urszeine. On retrouve également chez Hans cette dimension associée à la scène primitive.
En effet, Freud situe cet « après-coup », dans l’analyse de « L’Homme aux loups », comme un troisième temps, intervenant dans l’analyse elle-même, après ces deux temps premiers et successifs que sont les deux véritables coïts observés dans l’enfance. Marquons cette scansion :
– « L’enfant reçoit à un an et demi une impression à laquelle il est incapable de réagir comme il conviendrait; il ne la comprend pas ;
– Il n’en est saisi que lors de la reviviscence de cette impression à quatre ans ;
– Et il n’arrive que vingt ans plus tard, pendant son analyse, à comprendre avec ses processus mentaux conscients ce qui se passa alors en lui ».
Quelques lignes plus haut, Freud avait pris la peine de préciser toute la valeur et l’intérêt des mécanismes paradoxaux de l’après-coup, qui ne restituent que ce qui échappe à toute restitution, qui brodent symboliquement sur ce qui restera hors symbolisation pour le sujet :
« Le patient analysé, qui a plus de vingt-cinq ans, prête, aux impressions et aux aspirations de ses autres années, une expression verbale qu’il n’aurait jamais imaginée alors. Si l’on omet de faire cette remarque, il sera facile de trouver comique et incroyable qu’un enfant de quatre ans soit capable de tels jugements pragmatiques et de pensées aussi savantes. Il n’y a là qu’un second temps d’effet après-coup ».
Autrement dit, le temps premier, à un an et demi, est impensable. Ce qui se produit là n’a pas de sens pour cet enfant. Il ne sera pensable que dans l’après-coup, ce qui signifie que l’événement, le réel, se répète et que ce qui ne peut pas s’écrire, ce rapport sexuel impossible, ne va pas cesser d’être impensable.
Non qu’il soit plus vrai que faux. Mais, ne relevant ni de l’une ni de l’autre de ces deux catégories, et invérifiable logiquement.
La vérité cependant, en ce qu’elle « tient au réel », n’est pas toute dans l’opposition du vrai ou du faux.
Si l’on veut qu’elle subsiste, et dans une certaine dépendance par rapport à cette opposition, il est nécessaire d’avoir recours à une écriture de cet impossible qui n’est autre que la condition même d’existence du langage.
En définitive, ce que Freud permet d’élaborer avec la notion d’après-coup est une théorie de la structure et de ses effets, indépendamment et du temps et de toute détermination du sens. C’est ce qui est le plus important. C’est-à-dire que cela permet de sortir de cette dualité du vrai ou du faux dans laquelle on se perd. Est-ce que les hystériques ont véritablement été incestués ou pas, au fond, c’est une question que l’on ne se pose plus à partir du moment où l’on considère que l’après-coup c’est la constitution même d’une structure.
Cette structure est une structure de non-rapport entre Prägung (emprunte) et Vorstellung (représentant), entre lettre et image.
Face à cette disjonction, il revient à l’analyste de permettre l’élaboration et l’inscription de ce « trait par lequel s’ajustent image et écriture, lors du réel d’un trou ».
En d’autres termes, de permettre de passer de l’invention du savoir à l’écriture de l’impossible.
Le refoulement commence ayant constitué son premier noyau.
Grâce à l’analyse que fait Lacan, lisant Freud, à propos de la Prägung (emprunte) de l’événement originatif, nous disposons de tous les éléments nécessaires pour fonder en raison l’hypothèse d’un inconscient non refoulé au cours de cette période infantile. En effet, ce n’est qu’entre trois ans et quatre ans (cf. « L’Homme aux loups ») que « le sujet apprend à intégrer les événements de sa vie dans une loi, dans un champ de significations symboliques, dans un champ humain universalisant de significations ».
Par conséquent, ce type de symbolique là, c’est-à-dire celui qui concerne les effets produits par la métaphore paternelle (du Nom-du-Père) n’est donc pas encore acquis ; il ne le sera qu’avec le refoulement effectué par ce que Freud appelle cette « intégration secouante du symbolique ».
« On ne saurait mieux dire cela qu’en appelant cette période infantile ». Cette période cesse seulement avec le refoulement accompli par l’effet Nachträglisch, après-coup.
C’est pourquoi pendant cette période de l’infantile le travail analytique consiste bien plus à produire du refoulement qu’à le lever : produire ce que Lacan qualifie de « refoulement symbolique ».
Dès lors, quelque chose sera détaché du sujet et le sujet n’en ayant plus la maîtrise, « ce sera le premier noyau de ce qu’on appellera par la suite ses symptômes ». Il nous semble qu’a contrario de cette démonstration nous pourrions supposer (ce qui se vérifie dans la clinique) que si le refoulement symbolique n’a pas lieu, l’enfant peut évoluer en gardant un pied dans l’infantile ; c’est sans doute ce que l’on peut observer chez des enfants plus âgés autour de 10-12 ans pour lesquels on peut envisager souvent une psychose ou bien une sorte de débilité légère sans pouvoir vraiment confirmer ce diagnostic si ce n’est par celui d’état limite. Pour ma part, je pense que ce sont des enfants que l’on peut observer dans une sorte de relation réelle au monde qui les entoure et qui ne disposent toujours pas des capacités à faire de l’humour, que les autres enfants ont déjà acquis à cette époque de leur vie.
Cette remarque suscite une interrogation sur la période d’intégration du processus de métaphorisation chez l’enfant et par conséquent de la valeur que l’on peut accorder à la notion de réversibilité de la forclusion. Il faudrait plutôt se demander si on ne pourrait pas envisager une forclusion partielle, c’est-à-dire une forclusion dont l’effet porte seulement sur le manque d’intégration du processus de métaphorisation, processus lié à la période infantile. N’y aurait-il pas également à l’origine de certaines résistances à la compréhension de la lecture ce même manque de rapport à la métaphore ?
[1] Au seuil de la clinique infantile ED ERES 2013 P.112
[2] Opus déjà cité
[3] Opus P.119
[4] LACAN SEMINAIRE LIVRE XXII RSI leçon du 18/2 1975