Lecture Croisée entre les origines de la haine de L’A(a)utre et sa constitution.R. Lévy, Metz 2023

LECTURE CROISEE ENTRE LES ORIGINES DE LA HAINE DE L’A(a)UTRE ET SA CONSTITUTION 

METZ 2023

Robert Levy

Je voudrais – d’un côté comprendre avec vous comment se constitue ce premier rapport au corps que l’enfant éprouve et surtout comment il en vient à pouvoir constituer un ‘éprouvé’ pour ne pas dire faire l’épreuve de son corps dans ce qui , originairement ,n’est qu’indifférencié de sa mère, 

                   – et de l’autre  et à partir de là, comment constituer  de la singularité qui passe forcément par la question du ‘semblable’ et bien entendu par celle de l’autre posée par la différence avec le semblable .

Je dirais comme je l’ai évoqué lors de l’intervention de Christina Kupfer que je ne crois pas au semblable, sauf évidemment dans ce moment qui peut être transitoire ou qui demeure selon la structure, ce moment d’imitation et non d’identification car dès qu’il y a identification, il y a différence- différence qui produit forcément de « l’inquiètante étrangeté » que je requalifierai  pour lors : d’inquiétant étranger .

En effet tout ce qui ressort de l’imitation concerne le moi et certainement l’introduction d’un narcissisme bien nécessaire et tout ce qui est du ressort de l’identification est , par définition,  du ressort du signifiant et donc du sujet en tant qu’il ne se retrouve qu’entre deux signifiants ..

En sachant que le moi n’y a pas accès puisqu’il est ce sujet inconscient . Sauf bien sûr à faire une analyse auquel cas chacun aura une petite chance d’y avoir accès ..

Je m’explique :

Il nous faut donc ,repartir de ce que Lacan évoque de la nécessité de ne pas seulement partir de la structure du langage , c’est à dire du seul inconscient pour  pouvoir mettre la place du sujet , mais y inclure la parole ; en d’autres termes, permettre de mettre dans un même lieu ce qui intéresse la structure du langage et ce qui va intéresser la parole …

Le  principe est assez simple , il faut nous reporter  aux  cris du BB , qui ne sont pas encore des paroles et qui vont trouver un récepteur qui, en les interprétant, va leur apporter une réponse et en même temps leur donner un sens . C’est ce point que Lacan a appelé grand A, là où le cri rencontre un récepteur et, puisque on est dans la structure du langage, une réponse lui sera donnée .

Peut-être est-il nécessaire de préciser déjà que cette réponse n’est pas forcément pleinement satisfaisante mais elle a le mérite de traduire en paroles ce qui n’est encore que du ressort du cri .

C’est cette première réponse qui sera telle que Lacan l’a nommée  ‘matrice de l’idéal du moi ‘.

Ainsi Lacan va devoir tenir compte de la parole pour pouvoir résoudre le problème du sujet .

Ce cri qui devient parole donc lorsque qu’il y a la première demande , de ce  lieu A où sont les signifiants , l’un d’eux va décompléter ce grand  Autre , et ce signifiant qui décomplète l’Autre , ce sera le sujet …[1]

Je précise ici qu’il faut entendre ‘décompléter’ comme ce qui permet à ce A de ne plus être ‘complet’ . J’ai compris moi- même, grâce à ça , qu’effectivement au début ce grand A ,disons la mère pour faire vite, est complète , non barrée  ; et pour que l’enfant puisse devenir sujet il faudra qu’un des signifiants dans ce lieu A chute ou encore soit refoulé afin de permettre à ce A sa décomplétude et la production du sujet .

On peut donc déjà peut- être dire que ce qu’on avait cherché jusqu‘alors pour préciser ce terme de différence se présente plus sous la forme d’une décomplétude d’un signifiant qui, justement constitue le sujet comme résultat  et non comme une différence au sens mathématique du terme  comme on aurait pu le penser jusqu’alors …

Par conséquent il n’y a pas différence mais  dissymétrie entre celui qui émet le cri et celui qui le reçoit avec déjà « interprétation » puisque c’est celui qui reçoit qui va donner le sens  à ce qui est émis , qui situe dès lors le sujet non plus dans la différence mais dans la discontinuité …

Et c’est donc l’avènement de ce que Bergès et Balbo ont appelé ‘l’identification transitiviste’[2] ,c’est-à – dire ce moment nécessaire où la mère peut donner un sens à ce qui arrive à son BB .

Vous l’aurez compris c’est pour cela que  la question du ‘semblable’ me semble être une fausse question.

Le transitivisme  répond également à la nécessité de repérer une nouvelle forme ou encore une nouvelle modalité d’identification chez le tout- petit qui renseigne sur l’identification symbolique transitviste, laquelle se différencie nettement de l’identification imaginaire hystérique ,qui pourtant , pourrait  apparaître dans une première lecture et par certains côtés assez proche ..

Mais commençons par le commencement 

En quoi consiste le transitivisme  ?

Chez l’enfant d’abord : un petit semblable heurte un obstacle, il n’en manifeste aucune douleur mais l’autre enfant qui voit la scène se frotte la jambe et se plaint de la douleur résultant du coup .

C’est déjà toute la question de savoir qui est l’autre dans cette petite vignette clinique .

Mais on ne peut décrire ce transitivisme sans y ajouter ce qui lui est indispensable du côté de la mère  et ce qui est du ressort également du transitivisme, c’est- à –  dire que face à un danger ou simplement à un cri de son BB, par exemple, elle va être affectée et lui exprimer son affect sous la forme d’une parole en exprimant la douleur de manière démonstrative alors que l’enfant peut lui- même ne rien manifester  .

Ici on peut tout autant se demander qui est l’autre alors qu’elle exprime avec certitude en soutenant son affect d’un réel ce qui fera dire à jean Bergès[3] :

« C’est bien parce que son affect se soutient d’un réel que son enfant lui en rend raison à partir de ce qu’elle lui en dit »

Soyons clair , ce n’est donc pas ce qu’elle éprouve pour  « l’autre », son enfant, en lui faisant l’hypothèse d’un savoir chez lui , mais le processus qu’elle engage dans ce sens  qui va mettre en route quelque chose qui va circuler comme autour « d’une poulie » pour lui revenir sous la forme d’une demande .. En gros, si l’enfant crie c’est qu’il exprime une demande que sa mère interprète .

On ne peut donc pas  considérer le Moi comme autonome  puisque ce serait sans doute exclure de ce fait la notion même de sujet de l’inconscient .

 Quelques conséquences donc sur la direction de la cure :

Si on conduit la cure à partir de l’égo ou du self , il s’agira de  présenter le bon objet au bon moment et ainsi de combler ce vide de l’inconscient auquel le sujet a à voir et ainsi gommer toute discontinuité au fondement même du sujet puisque :

si ‘le signifiant représente le sujet pour un autre signifiant ‘ cela signifie que le signifiant qui le représente à chaque fois produit du sujet certes, mais du sujet dans une discontinuité …D’ailleurs il n’y a de sujet que dans  la discontinuité ..

Et avec l’Ego , le moi,  on ne peut produire qu’un ‘souverain bien’  qui peut enfin  être effectivement obtenu sur terre ; c’est pourquoi  la direction de la cure à partir de cet Ego est le moyen de l’obtenir ;  d’obtenir  quoi ? : cette complétude que le parlêtre n’aura de cesse de rechercher .. 

 Il s’agira ainsi de Produire Un bon objet comblant et de surcroît totalement satisfaisant qui pourra  exister  alors, c’est -à -dire être en-dehors de la coupure inhérente à la parole . 

Ce qui est absolument inverse de la proposition de Bergès sur le repérage du corps de l’enfant dans le transitivisme puisque ,si la mère nomme et  répond à la demande qu’elle suppose à son enfant, cela ne sera jamais exactement la bonne réponse qu’elle produira ; c’est à dire qu’elle ne comblera jamais son enfant, ce qui forcera l’enfant  à ‘re’ demander encore ‘en corps’ et encore  et à terme, à produire du désir à partir de la matrice de sa demande initiale non comblée …

L’ego ,  ‘l’ego psychologie’ , ne serait -elle pas de retour dans les discours complotistes où l’opinion prévaut sur le discours scientifique mais également dans certains discours ‘gender’  puisque :

 si ‘je suis ce que je dis ‘ ou si la vérité c’est ‘ce que je pense’ , alors il n’y a plus de sujet mais un moi pur et dur auquel je me fie avec certitude et aveuglement sans qu’aucun sujet barré ne puisse venir y faire obstacle …

‘Ce que je dis’  ou encore ‘ce que je pense ‘recouvre donc l’intégralité de mon désir .

 Ainsi l’enfant garçon  ou la fille qui dit  ‘je suis une fille’ ou ‘je suis un garçon’ manifeste  par là, l’intégralité de son désir à suivre, alors, à la lettre .

 Mais ce n’est pas tout de suite que Lacan change de position ; en effet il fallut attendre 1966 pour qu’il fasse la distinction entre le ‘je’ et le ‘moi’ , puisque dans  l’article « le stade du miroir comme formateur de la fonction de je » [4] il traduit  encore pour idéal ich  (moi idéal)  ’ ‘je’ ideal’ …

C’est seulement après 1966 que ,dans une note, il indique ne plus employer cette formule …`

Pourtant  dès 1951 c’est la question du sujet qui le travaille c’est pourquoi il va passer du stade du miroir au schéma optique , ce qui change  tout , puisque avec ce changement il va y avoir d’emblée, dans ce nouveau schéma , la place pour le sujet et, je dirai , par conséquent , celle de l’idéal du moi et de la nouvelle écriture du Moi qu’il appellera i(a) .[5]

Mais c’est néanmoins  comme il le dit ‘un succédané ‘ du stade du miroir et il n’y a pas encore de place pour l’objet a .

 Dans ce schéma  le sujet vu, se voit grâce à son moi idéal ; d’où la question suivante  : ne serait- ce pas là, la matrice de tout narcissisme ?…

Cette question du narcissisme est un précurseur de toute autre question car il faut à la fois qu’il y ait du narcissisme pour que l’enfant puisse se construire à travers la ‘reconnaissance vocale de sa mère ‘ – en effet lorsque la mère interprète la demande supposée de l’enfant elle reconnaît non seulement ce corps qu’elle nomme en lui donnant des signifiants – mais de plus elle le narcissisme par cette reconnaissance Autre’.

C’est pourquoi je ne crois pas , comme Christina l’a laissé entendre la dernière fois qu’il suffise de se reconnaître entre enfants ‘semblables ‘ pour qu’il y ait entrée dans l’identification car c’est la nomination signifiante d’une mère ou de celle qui en fait fonction qui peut permettre cette opération pour autant , là encore , que son enfant ne soit pas tout désir pour elle, il faut en effet qu’elle puisse désirer ailleurs également …

En résumé :

La demande de l’enfant est une « Demande qu’elle suppose être celle d’une identification de son enfant au discours qu’elle lui tient .»

 On peut donc  dire qu’à la fois cette circulation a trait au rapport à l’accès au symbolique mais surtout, et c’est ce que je trouve très éclairant dans le travail de Bergès Balbo : ce transitivisme passe nécessairement par le corps ..

Corps par lequel le monde peut alors prendre consistance pour l’enfant c’est une identification au discours de la mère  en tant que cela concerne le corps qui n’est plus seulement imaginaire mais aussi corps de langue de signifiants et de lettres ..

Ainsi c’est avec la première demande , le moment donc où le cri devient parole , que cette demande est le fait du pur sujet du besoin, sujet de la parole ..


Une fois cette demande posée , le cheminement va se faire vers  ce grand Autre qui était jusque – là le lieu de la parole mais qui est aussi maintenant le lieu des signifiants .

Donc l’infans va devoir traverser le défilé des signifiants ce qui  n’est pas sans conséquence . En effet c’est cette   conséquence que Lacan va appeler une demande qui en sort cocue : « votre désir est toujours cocu »[6] Cocu parce qu’il arrive toujours autre que ce qu’il était au départ .

En d’autres termes c’est l’aliénation que subit la demande du fait de la parole ..

Pour résumer ce lieu de l’Autre, la formule la plus ramassée me semble la suivante :

« Donc ce lieu de l’Autre est lieu de la parole , mais essentiellement lieu des signifiants , puisqu’il y a à tenir compte de la structure de l’inconscient  qui est structure de langage »[7]

C’est pourquoi il me semble que nous n’avons plus ici à parler de différence mais bien de ‘dissymétrie ‘entre celui qui parle et celui qui reçoit comme je l’ai déjà évoqué plus haut.

C’est là que Lacan situe le refoulement originaire ‘urverdrangung ‘:  C’est ce qui se trouve aliéné dans les besoins  qui constitue cette urverdrangung [8]  et ne peut pas être repris dans une parole ..

On comprend pourquoi dès lors, ce qui se trouve amputé après cette première demande portera la même amputation dans  toutes les autres demandes et se révèle alors comme un ‘impossible à dire ‘ du fait même que cette demande passant par ce lieu des signifiants va être aliénée ….Evidemment , la façon singulière que chaque  mère aura eu de répondre à la demande et de l’interpréter aura des conséquences sur l’intégralité de la vie du sujet et de sa constitution  .

Ainsi on peut voir sur ce 3e graphe que le sujet renouvelant sa demande c’est le sujet barré , le sujet  de l’inconscient , c’est pourquoi comme à cette demande, la mère ne lui apporte pas la réponse attendue, quelque chose se met en place qui s’appelle le désir .

Et ainsi puisque la réponse n’est pas totalement satisfaisante pour l’enfant , l’enfant répète sa demande envers la mère . 

On comprendra alors aisément  que le désir naît de cette ou de ces demandes insatisfaites , non pas par choix , mais parce qu’il est impossible de satisfaire pleinement la demande et d’une certaine façon c’est tant mieux puisque 

c’est de cette façon  que le désir se met en place , désir donc en deçà de la somme des demandes , c’est à dire la pulsion ….

 Mais cela permet également à l’enfant de saisir que du côté du grand A  quelque chose aussi manque ,il y a une faille .

Ce n’est évidemment pas lors de la première demande que cela  peut être appréhendé par l’enfant , mais grâce à la répétition des demandes qui fait également qu’il y a du désir qui naît ..

C’est donc dans la diachronie d’un jour après l’autre que ceci peut se mettre en place et là encore la diachronie n’est pas la différence ..

En résumé le sujet du besoin c’est celui qui commence à parler , et du fait de cette parole qui passe par le lieu des signifiants , c’est à dire que ce lieu c’est précisément ce qu’on appelle le grand A .

Par conséquent pour notre objet ce n’est pas l’homme qui parle mais dans et par l’homme ça parle .

Chez l’enfant aussi ‘ça parle même si on ne l’entend pas ‘..

Du fait même de cette barre à la fois sur la réponse de la mère comme grand Autre et de celle du refoulement originaire on comprendra en quoi l’autre , qu’il soit écrit avec un grand A ou un petit a ne peut être que l’objet d’une grande insatisfaction qui certes engendre la capacité au désir comme on vient de le voir mais également peut susciter une certaine forme de haine . 

En effet de l’insatisfaction à la haine il n’y a qu’un pas qui peut être vite franchi par ce fait que le semblable ne peut être qu’impossible . 

Il est forcément différent et le prochain que les religions s’empressent d’aimer n’est que la triste figure de celui ou de celle que l’on se doit d’éliminer pour jouir enfin en toute satisfaction ..

Mais bien entendu pour l’éliminer il faut procéder à un préalable qui est celui de la désidentification c’est à dire de construire un discours de haine qui permette de montrer que l’autre de la différence n’est pas du ressort de l’humain mais d’un sous homme , d’un animal nuisible qu’il ne reste plus dès lors qu’à devoir éliminer …

En d’autres termes , quelques dérives sont possibles puisque si la mère sait tout et ne fait donc pas l’hypothèse d’un savoir chez son enfant, il n’est alors pour elle qu’un objet a , déchet du savoir qui lui est, à elle (la mère ) , extérieur et par conséquent étranger puisque ce savoir est la seule propriété de sa mère ..

 Par conséquent on peut faire ici une petite parenthèse sur la question de l’autre comme étranger : étranger à quoi ? Étranger donc à ce tout savoir que possèdent , croient posséder certaines populations et qui a beaucoup à voir avec l’idéal du moi et du moi idéal …

L’étranger est donc très vite associé au signifiant ‘déchet’..

Il n’y a plus alors de signifiant du manque dans l’Autre , manque du côté du savoir ; pour l’enfant : manque du côté du désir de la mère .


[1] Solange Falladé Seminare 1988 1989 Le moi  et la question du sujet ED  Anthropos 2018  P. 12 

[2] Gabriel Balbo , jean Berges Jeu des places de la mère et de l’enfant essai sur le transitivisme  ERES

[3] Opus deja cité P. 9 

[4] Lacan in les ecrits 

[5] Dans les écrites techniques cités par S Fallade opus déjà cité P.17

[6] LACAN Les formations de l’inconscient  8 Janvier 1958 

[7] S Fallade opus deja cité P.31 

[8] LACAN P.690 ECRITS Cité par S Fallade p.32 

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