2-Les institutions ont horreur du réel – R.Lévy

Nous pouvons entendre ce titre comme une variante de l’invective de Lacan à l’égard du psychanalyste lors de la dissolution de l’EFP : Le psychanalyste a horreur de son acte.

C’est, pour nous, aujourd’hui encore, comme un nord géographique qui situe l’acte analytique en opposition de principe à l’institution. Ainsi l’acte analytique peine à faire institution car l’institution suppose de mettre en commun une expérience qui ne peut pas faire communauté. Voici le paradoxe dans lequel se trouve la psychanalyse et sa transmission, car le psychanalyste se trouve pris entre un pas déjà là et une expérience d’après-coup qui ne peut pas faire communauté. En effet, tout ceci est le résultat produit par la dimension particulière d’irréductible singularité de l’acte dont l’analyste est responsable sans être en mesure d’en rendre compte complètement ; alors, si l’intervention de l’analyste est un calcul juste du désir inconscient, comme l’évoquait Mustafa Safouan, comment en rendre compte puisque ce qui se transmet de l’analyse à l’analysant peut rester énigmatique pour lui ?

 

Autant dire qu’il y a là un paradoxe : si l’analyste a horreur de son acte et si cela ne peut faire communauté puisqu’il demeure un reste toujours énigmatique du fait du réel en jeu dans cette irréductible singularité de l’acte, l’institution analytique devrait pourtant avoir pour tâche de le travailler puisqu’elle est le lieu où peut se transmettre cette science du réel que la psychanalyse est seule en mesure de pouvoir interroger : comment faire institution à partir de l’horreur ? C’est un challenge de l’institution analytique, challenge et paradoxe auquel nous nous sommes confrontés et attelés dans notre association. Ce paradoxe tient donc à sa dimension d’irréductible liée au réel, réel énigmatique, c’est-à-dire non identifiable : on ne peut en effet s’identifier au réel. Dès lors on entend bien que la difficulté consiste à faire institution de ce à quoi on ne peut pas s’identifier.

 

C’est donc à partir de cette proposition : l’institution minimum n’est autre que la cure elle-même, que nous avons tenté de construire une institution pour la psychanalyse qui ne résolve pas ce paradoxe, car tenter de le résoudre serait forcément en évacuer le point central, c’est-à-dire sa dimension de réel.

Insistons sur cette difficulté de penser une institution pour la psychanalyse qui, au contraire de tout autre type d’institution, ne supposerait pas dans son fondement l’identification comme mode de ciment du groupe puisque, ce réel est la seule chose à laquelle on ne puisse s’identifier ; et sil existe encore une catégorie d’analystes qui se prétendent hors institution, je prétends, à la lumière de ce que je viens de dire, qu’il s’agit de ceux qui ont trouvé un mode d’identification qui exclut a priori cette dimension du réel. En effet, très souvent ils s’identifient à d’autres institutions par rattachement imaginaire, telles les institutions psychiatrique ou universitaire.

 

Revenons sur les modes de construction des institutions analytiques, car la tension entre l’irréductible singularité de l’acte et les quelques autres, tient au réel en jeu, et, comme toute tension, elle a tendance à essayer de se résoudre. Une des solutions les plus habituelles consiste à proposer une institution constituée à partir de l’identification au maitre et à son discours : dans ce cas, chacun échappe au réel dans la mesure où le mode imaginaire d’identification au maitre garantit une vérité que lui-même énonce comme discours autorisé. L’irréductible singularité de l’acte passe à la trappe au profit d’une réduction à l’Un qui garantit les quelques autres réduits alors à n’être que des clones produits par le discours du maître. C’est le plus souvent dans le transfert au maitre que cela s’éprouve et se transmet sur le mode de la servitude volontaire, servitude à laquelle chaque membre est sensé s’identifier et se trouver ainsi protégé contre l’horreur du réel.

 

Une autre forme de résolution apportée à la tension entre l’irréductible singularité de l’acte et les quelques autres est la version de l’institution sur le mode démocratique. Alors effet tout se décide à la majorité et il n’y a plus de tension avec l’irréductible singularité de l’acte laquelle est évacuée au profit de l’identification des quelques autres à la démocratie c’est-à-dire à un discours du maitre, cette fois hors institution, qui fait dénominateur commun (comme/Un) et auquel chacun s’identifie : tel est le maitre du politique. D’autres institutions analytiques peuvent aussi réduire cette tension en ignorant la dimension des quelques autres et ne s’identifier qu’à l’irréductible singularité de l’acte ; dans ce cas il n’y a plus de tension en effet puisqu’il n’y a plus de quelques autres. Mais alors on se trouve dans le cas de figure évoqué précédemment : à savoir que ceux-là mêmes qui prétendent être hors institution, sont en fait affiliés à une autre institution qui reste la plupart du temps méconnue d’eux-mêmes et tout aussi imaginaire : croyant faire prévaloir l’irréductible singularité de leur acte, ils ne font en fait qu’en évacuer la dimension de réel, en se mettant hors de portée des quelques autres et se trouvent alors pris dans ce grand ensemble d’une institution imaginaire qui regrouperait tous ceux hors institution. On entend ici combien le Un identificatoire est tout autant à l’œuvre sur le mode de l’identification par opposition à tous les quelques autres qui n’en sont pas.

 

Concluons : pas de psychanalyse sans transmission, pas de psychanalyste sans institution. Encore faut-il pouvoir dire en quoi une institution pourrait se penser pour la psychanalyse et non pas contre elle. Pour le dire autrement : une institution pour la psychanalyse suppose de maintenir la tension ente l’irréductible singularité de l’acte et les quelques autres sans essayer de résoudre cette tension, ou plus exactement en laissant ce réel qui fait horreur tant à l’analyste qu’aux institutions, en le laissant au centre du travail de l’institution, c’est-à-dire au centre du désir d’analyste.

 

Ce dernier point met en lumière tout ce qui précède puisque le désir d’analyste n’est pas un mode d’identification quelconque mais une opération qui consiste à laisser entre des parenthèses vides, tout mode d’identification de l’analyste aux objets du patient, c’est-à-dire à creuser l’écart le plus grand entre identification et objet : une institution pour l’analyse ne peut avoir d’ autre but que la traque inlassable du désir d’analyste et la mise en œuvre d’un certain nombre de dispositifs pour ce faire : Analyse Freudienne s’est fixée cette tâche depuis sa fondation.

Robert Lévy

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