Luciana Fracchia "Les conflits à l'école vus par le psychanalyste dans le cadre des consultations"

Il est intéressant de se demander quel est le cheminement suivi par les troubles de l’enfant depuis la détection à l’école jusqu’à sa prise en charge par le psychanalyste. D’autant plus que les choses ont beaucoup changé ces derniers temps. À l’époque de Freud, le psychanalyste était celui qui diagnostiquait le patient en observant les symptômes, en l’écoutant, et qui déterminait pour lui un remède. Il pouvait s’agir de n’importe quels symptômes, le psychanalyste était prêt à les traiter dans leur globalité. Aujourd’hui, avec la « spécialisation », la psychologie essaie d’avoir une classification de chaque nouveau trouble et d’avoir une solution pour lui.

La clinique psychanalytique, cependant, guidée par la psychiatrie classique, se caractérise par la non «spécialisation». Donc le psychanalyste clinique traite le sujet au-delà de l’écoute du symptôme ou du diagnostic spécifique. Cela marque une éthique de travail, parce que c’est l’idée que l’analyste a sur la clinique psychanalytique avec des enfants ou des adolescents laquelle ne comprend pas le sujet en tant que fruit du développement, mais plutôt selon les points de fixation qui empêchent la dialectique d’un tel développement. Ainsi Lacan prend de Freud cette idée de départ pour dire que ce qui distingue les différents individus, indépendamment de l’âge, c’est l’éthique qu’ils font de leur jouissance. Voilà pourquoi en fin de compte, la grande différence entre le traitement accordé à l’inconfort d’un enfant à l’école et au bureau de l’analyste, réside principalement dans le concept anthropologique que chaque thérapeute a du sujet.
En général, les enseignants ont tendance à renvoyer l’enfant ou l’adolescent avec des problèmes au psychologue de l’école, au pédiatre ou au psychiatre. Et je dois dire que, ce qui se passe à partir de ce point, c’est que l’individu, dans le processus d’orientation vers un psychologue ou psychanalyste est vite diagnostiqué d’un trouble particulier. Ces diagnostics sont basés sur les troubles du développement ou autre facteur biologique, comme le détermine maintenant la science psychiatrique ou la neuroscience. Sont ensuite placés, tout comme les présocratiques à trouver les causes profondes de la nature, au niveau des objets de la réalité. Un signe particulier par excès ou défaut à un moment donné, correspond à un trouble déterminé. Maintenant, même si nous savons que ce que les scientifiques appellent le facteur biologique est présent et ne peut pas être ignoré, nous savons aussi (et les neuroscientifiques, eux-mêmes, reconnaissent) que, pour donner des réponses claires sur l’origine de, par exemple, la schizophrénie ou des dépressions, la plupart des données obtenues ne sont que des pistes, donnant lieu à un haut niveau de spéculation 1. La psychanalyse remarque cette spécificité dans l’origine de la souffrance humaine. Par conséquent, en ce qui concerne la recherche des causes, la psychanalyse est plus proche de l’idée des présocratiques d’Anaximandre. Cette analogie constate la tension entre la science et la psychanalyse pour le traitement qu’elles font des causes de la souffrance. L’école, comme toute institution ne peut pas ignorer le traitement que la science contemporaine fait des troubles des enfants et des jeunes d’aujourd’hui.
La psychanalyse fait la différence parce qu’elle ne fait pas de rapport des causes a priori pour chaque symptôme et n’a pas non plus un protocole d’intervention pour chaque trouble. En principe, la psychanalyse ne généralise pas leurs explications. Nous savons qu’il y a un consensus entre la communauté scientifique pour se mettre d’accord sur des causes (générales) qui se traduisent en certains symptômes. Mais, même si ces symptômes sont similaires (seulement en apparence), ils accomplissent des fonctions différentes pour chaque individu. C’est pour cela que la psychanalyse travaille avec ce qu’on appelle le cas individuel (cas per cas). Pour paraphraser Freud, chaque cas est pris comme si il était le premier. Ensuite, la psychanalyse utilise l’interprétation comme une hypothèse pour le psychanalyste. Puis, ça sera validé en termes d’un grand nombre de cas. Les interprétations sont faites lorsque l’analyste a entendu son patient. Après c’est le patient qui valide l’analyse faite par son psychanalyste en fonction de ses propres besoins. Seulement a posteriori l’enfant fait le transfert des connaissances qu’il a sur son mal-être à l’analyste. Alors, les causes sont exprimées par un interrogation , vu que ces causes sont données pour une vérité subjective. Par conséquent, Lacan dit que la vérité a une structure de fiction, parce que le lien de cause à effet, de ce point de vue, est un biais du chercheur.
Pour nous, psychanalystes, les fictions, c’est-à-dire, les systèmes de signifiants symptomatiques, apportent de l’ordre dans les choses, pour trouver une logique aux choses qui ne sont pas comprises. Autrement dit, le « mythe individuel du névrosé » (Freud) c’est ce qui explique les événements déterminants de l’existence d’un névrosé, qu’il soit enfant, adolescent ou adulte. Dans le cas des psychoses, cependant, il manque un mythe. Tout notre travail est de construire quelque chose qui va le fournir. Cette histoire sert à l’enfant névrotique en premier lieu comme une défense contre l’angoisse et, d’autre part, à faire (de cette vérité de fiction) un travail qui le permettra d’expliquer le symptôme. Ce symptôme, qui prendra différentes significations à différents moments du traitement, arrivera à se transformer en quelque chose que l’enfant pourra utiliser. Ainsi, la cause qui au début n’était pas déterminée, deviendra effective seulement quand elle aura du sens dans la dimension subjective de l’enfant2.
Je vais illustrer les effets thérapeutiques de ces inventions pour des enfants à partir de deux cas cliniques.
Le père de Paula l’a bloquée sur WhatsApp. Sa mère croit que cela affecte sa fille et que ceci est lié aux mensonges de la petite. Elle (la maman) a toujours essayé de faciliter les relations entre les deux, bien que dans le discours qu’elle a, on voit la place que la petite occupe dans son économie psychique. Quand Paula vient me voir, elle a déjà un savoir sur la cause de son malaise. Elle a dit: «Je veux un père ». Pendant la première part du traitement, mes actions (faire remarquer sa présence à partir de mes interprétations) ont été dirigées pour la faire sortir de son silence et de l’inhibition dans laquelle elle s’était installée. Paula passait ses séances à mettre des choses en ordre. Ça m’a conduit à formuler l’hypothèse suivante: mettre de l’ordre est, entre autres, le rôle d’un père (ça correspondait à la demande initiale de la jeune fille). J’étais heureuse qu’elle mette de l’ordre dans le cabinet, et je lui ai transmis. À partir du jour où elle m’a demandé de l’aider à faire ses devoirs de mathématiques, il y a eu un changement. J’ai hésité à répondre à cette demande, mais Paula m’a surprise en me disant: «Mon père ne m’a jamais enseigné quoi que ce soit. » Cette déclaration m’a averti que le fait de ne pas répondre à sa demande signifiait de se positionner du côté de ce père qui ne sert pas sa fonction de transmission des connaissances. J’ai vite accepté de l’aider avec les divisions à deux chiffres. Maintenant, Paula est plus gaie. Elle rentre dans le bureau et elle sait ce qu’il veut faire. Elle cherche des jouets et me propose de jouer avec elle. Récemment elle construit avec des morceaux de bois la scène d’une pièce de théâtre. La scène est composée d’un chien nommé Mozart, de Nannerl, la propriétaire du chien, d’une table et d’une chaise où Nannerl écrit ses partitions, et un bateau avec un capitaine qui veut la paix. Elle (Paula) était d’accord avec moi sur la difficulté à construire la propriétaire du chien, vu que no
us avons passé plusieurs séances pour trouver le bon endroit où placer les bouts de bois pour qu’ils restent debout. Ces rodéos fictifs ont permis à Paula de se sortir de sa position de départ: être bloquée. Elle a cherché un lieu différent par rapport à ses liens familiaux et un nouveau sens à son malaise.
La direction du traitement des enfants psychotiques est différente, de par son rapport particulier au langage. Entre autres choses, il n’est pas interprété de la même manière que la névrose. Mais, qu’il s’agisse de la construction d’une métaphore délirante ou explicative, une substitution ou une subjectivité à vide, c’est toujours une invention particulière d’un sujet, ce qui est très thérapeutique et a des effets de stabilisation.
Pour Juanjo, les parents sont préoccupés par les pensées constantes sur la mort qui perturbent l’enfant. L’environnement familial et les liens avec les parents et l’apprentissage sont affectés. Juanjo ne sait rien sur les causes de ce qu’il se passe, mais il a accepté le traitement analytique. Cela nous a permis d’isoler deux signifiants que donnent, pour l’instant, une explication possible de ce qui se passe. Ces idées de mort n’ont pas totalement disparu, mais maintenant il comprend comment elles fonctionnent. Elles viennent quand il se met en colère, ce qui arrive très facilement, et ça peut avoir un lien avec le fait de que parfois, il ne supporte pas sa mère. Cette petite construction du sens, même si elle est plutôt petite, a eu des effets pacificateurs. Maintenant Juanjo peut étudier et obtenir de bons résultats aux examens. Il garde le développement de ses idées pour les séances d’analyse, donc elles n’inondent pas l’ambiance familiale. En plus, il a compris que, en se fâchant, il ne peut que se battre, perdre des amis et s’énerver encore plus.
En conclusion, les enfants qui viennent au bureau de l’analyste avec un symptôme sont généralement envoyés par des enseignants qui ne savent pas quoi faire avec ces symptômes, même s’ils savent de quel trouble il s’agit. Il se trouve qu’ils sont diagnostiqués par un des dits troubles. Le problème c’est que, de cette façon, ces enfants n’ont pas trouvé un endroit pour décrypter le rôle que ce symptôme a dans leur vie. L’analyste ne permet pas à ce type de catégorie de diagnostic de cacher les particularités du problème. Pour assurer cette impartialité, il ne veut rien savoir a priori sur les causes. Alors, sont les cas cliniques au niveau de la théorie psychanalytique qui font du support explicatif d’une manière de travail, pas d’un symptôme déterminé.
 

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